Mémoires de la comtesse de Boigne (1921)/Tome V/01

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Émile-Paul Frères, Éditeurs (Tome v
Fragments.Correspondance inédite.Index général alphabétique.
p. 1-44).


MORT
DE MONSEIGNEUR LE DUC D’ORLÉANS
1842


D’anciennes prophéties, retrouvées ou inventées, exploitées par l’esprit de parti et répétées par la crédulité, avaient réussi à effrayer beaucoup de monde sur l’année 1840. Le résultat devait être, assurait-on, favorable au parti légitimiste, mais à travers de tels dangers que les plus zélés s’en trouvaient alarmés.

Ils consentaient bien à les voir subir à leur patrie et à leurs concitoyens, mais, pour leur compte, ils s’en tenaient volontiers éloignés, et nombre d’entre eux s’écartèrent de la France et surtout de Paris que, je ne sais pourquoi car j’ai peu étudié ces prophéties, ils avaient fixé pour le lieu du cataclysme.

Cependant, cette formidable année 1840 s’écoula fort pacifiquement et se montra très prospère.

Il n’en fut pas de même de l’année 1842 : elle a droit à une sinistre illustration. Les accidents fatals, les inondations, les incendies de villes entières, les tremblements de terre l’ont cruellement signalée.

À travers toutes ces calamités, celle qui laissera le plus de traces et dont les conséquences demeurent imprévoyables est sans contredit la mort de monsieur le duc d’Orléans. Rendons au bon sens du pays la justice de dire qu’il l’a profondément sentie. La douleur publique est durable autant qu’elle a été vive.

Aucune perte ne pouvait être plus considérable pour la patrie que celle de ce brillant héritier de la Couronne, tout à la fois si jeune et si plein d’expérience, de ce fils si respectueux qui se montrait chef de famille vis-à-vis de ses frères et père éclairé pour ses enfants.

La clef de voûte a été violemment arrachée ; les échafaudages dont on s’efforce à la soutenir suffiront-ils ? C’est ce que l’avenir montrera ; mais il est gros d’événements rendus bien plus alarmants par la mort de monsieur le duc d’Orléans.

En retraçant mes souvenirs sur ce cruel incident, je suivrai ma méthode accoutumée de raconter ce que j’ai vu, ce que je crois, sans me mettre en peine de faire cadrer les faits les uns avec les autres, ni de les assimiler à ceux admis par l’opinion publique.

La vérité est pleine de disparates et, pour les éviter, il faudrait inventer.

On peut toutefois, sans employer cette ressource, parler très diversement de monsieur le duc d’Orléans, selon l’époque où l’on se place. Les années, les mois presque, lui avaient singulièrement profité. Les esprits forts distingués sont seuls susceptibles de s’améliorer ainsi par l’expérience. Elle était fort utilement exploitée par ce prince, et, lors de la funeste catastrophe dont je vais parler, il était véritablement accompli.

Les mercredi 13 juillet 1842, je me trouvais à la campagne, chez moi, entourée de quelques amis, lorsqu’on me vint avertir que le secrétaire du chancelier (le baron Pasquier) demandait à me parler. Je prévis un malheur ; de tristes précédents m’épouvantèrent.

Le bras d’un assassin, levé sur le Roi, se présenta d’abord à mon esprit. De sorte que, lorsque monsieur Lalande me dit que monsieur le duc d’Orléans avait fait une chute de voiture et s’était blessé, j’éprouvai une sorte de soulagement. Il ne fut pas de longue durée.

Le billet que m’écrivait monsieur Pasquier ne laissait aucune espérance. Après avoir passé cinq heures près du prince, il l’avait quitté agonisant pour réunir les personnes et les registres nécessaires aux tristes formalités qu’il allait être appelé à remplir. Dans la soirée, la mort nous fut confirmée.

Je ne puis qualifier que de stupeur l’impression produite dans mon petit cercle. Elle a été générale dans toute la France. On ne pensait pas ; on était accablé. L’énormité de la perte se présentait confusément ; l’étonnement ne permettait pas de l’apprécier toute entière.

Je me rendis à Paris. Voici les détails recueillis, soit du chancelier, soit de la Reine, de madame Adélaïde, ou d’autres témoins oculaires.

Monsieur le duc d’Orléans devait partir, le mercredi 13 juillet, pour une absence de quelques semaines. Il avait dîné la veille à Neuilly et y était resté jusqu’à onze heures à se promener avec la Reine dans les jardins. En se séparant de lui, elle lui demanda s’il viendrait déjeuner à Neuilly le lendemain.

« Je ne pourrai pas, répondit-il ; j’ai des audiences qui me retiendront jusqu’à l’heure de mon départ ou, du moins, jusqu’à celle de l’arrivée du Roi à Paris.

— Je t’en prie, Chartres, presse un peu tes audiences et tâche de venir, ne fût-ce qu’un moment. En tout cas, je ne veux pas te dire adieu ce soir. Si tu ne viens pas, j’accompagnerai demain le Roi à Paris ; mais tu ne verras ni Clémentine, ni Victoire, et elles seront fâchées que tu partes sans les embrasser. » (Les princesses étaient déjà retirées).

« Hé bien, chère majesté, — c’est ainsi que les enfants de la Reine ont pris l’habitude toute italienne de la nommer, — hé bien, chère majesté, puisque vous le voulez absolument, je viendrai demain matin. »

Ces cruelles paroles résonnent éternellement dans le cœur de la pauvre mère, et c’est avec des gémissements qu’elle me les a répétées.

Fidèle à ses engagements, monsieur le duc d’Orléans, en hâtant les affaires qui le devaient occuper jusqu’à midi, se procura une heure pour se rendre à Neuilly, et demanda un équipage rapide. Malheureusement, monsieur de Cambis, son écuyer, se trouvait aux écuries lorsque l’ordre y parvint.

Une partie des chevaux étaient envoyés au camp de Saint-Omer, d’autres à Plombières pour le service de madame la duchesse d’Orléans et à Eu pour celui de monsieur le comte de Paris, d’autres enfin étaient restés à Villiers.

Monsieur de Cambis commanda d’atteler à une voiture très légère deux jeunes bêtes fort ardentes. Le postillon, un des meilleurs de l’écurie, représenta qu’elles n’étaient pas encore capables de faire le service de Monseigneur.

« C’est-à-dire que tu n’es pas capable de les conduire, reprit monsieur de Cambis. Qu’on appelle John ; lui ne fera pas de difficultés. »

Comme de raison, les chevaux furent harnachés, montés et conduits dans la cour des Tuileries.

Ajoutons, en passant, que le postillon est devenu fou de désespoir et que monsieur de Cambis s’est plaint amèrement que la Reine et madame la duchesse d’Orléans eussent de la répugnance à le voir dans leur intérieur.

En apercevant cette petite calèche, avancée au perron, le prince fut très contrarié. Il ne traversait jamais Paris en voiture ouverte lorsqu’il était en uniforme. Il ordonna de la changer ; puis, consultant sa montre, il se ravisa ; cela perdrait plus de temps qu’il ne pouvait en donner.

L’aide de campe de jour se trouvait occupé ; ceux qui devaient suivre monsieur le duc d’Orléans dans son voyage n’étaient pas encore rendus au palais. Il monta seul dans cette voiture que le sort lui imposait.

C’était une sorte de phaéton fort bas, à quatre roues, sans portières, monté sur des ressorts à pincette, avec un siège derrière, assez exigu pour n’admettre qu’un enfant. Elle était uniquement destinée à la promenade dans les allées des parcs.

La fatalité voulut que, sortant de chez le sellier pour quelques réparations, elle fût ce jour-là à Paris, que monsieur le duc d’Orléans eût demandé un équipage léger, que monsieur de Cambis se trouvât présent pour le choisir et le faire atteler et personne aux Tuileries pour accompagner le malheureux prince.

Dès la barrière de l’Étoile, les chevaux commencèrent à s’animer. On ignore si monsieur le duc d’Orléans, qui avait dit d’aller vite, le remarquait. Arrivés à la hauteur de la porte Maillot, ils prirent la route de Villiers, au lieu de celle en diagonale qui conduit directement à Neuilly.

Il paraîtrait que le prince voulut alors donner quelques instructions au postillon, ou s’assurer par lui-même de l’état de l’attelage ; toujours est-il que le petit palefrenier, placé sur le siège derrière, le vit debout dans cette voiture emportée.

Effrayé lui-même, l’enfant chercha à descendre et, lorsqu’il fut à terre, il aperçut le duc d’Orléans gisant sur le pavé. Un garde municipal, placé à la croisée des routes, avait vu passer la calèche et tomber le prince.

Voilà tout ce qu’on a su de certain sur la catastrophe. Dans le premier moment, on a cru que, se fiant sur son adresse et son agilité, monsieur le duc d’Orléans avait voulu s’élancer pour arrêter les chevaux et s’était trouvé embarrassé dans un manteau et accroché par ses éperons.

Il a été constaté qu’il n’avait ni manteau ni éperons, et, d’ailleurs, il serait tombé en avant, tandis que la fracture a prouvé que la chute s’était faite en arrière. Il paraît plus probable que, pendant qu’il se tenait debout sur cette voiture à ressorts bondissants, servant comme de tremplin, elle rencontra quelque obstacle dont le cahot l’aura lancé au loin. La moindre assistance l’aurait sauvé, et si, contre son ordinaire, il n’avait pas été seul, ce fatal accident se trouvait évité.

Le postillon, ignorant de ce qui se passait, avait réussi à se rendre maître des chevaux ; il se retourna et, voyant la voiture vide, il revint sur ses pas. Il arrivait au moment où l’on déposait son malheureux maître dans la cahute d’un marchand de légumes, semi-épicier.

Elle se composait d’une échoppe sur la route, d’une petite chambre carrelée, sans aucun meuble, prenant son jour dans une cour à fumier, et d’un troisième bouge, privé de fenêtre, ouvrant par une porte sur cette même cour.

C’est dans la pièce du milieu qu’on étendit monsieur le duc d’Orléans sur un méchant matelas, et c’est là que, six heures après, il expirait, entouré de toutes les grandeurs de l’État, dans cette misérable habitation.

La nouvelle de la chute parvint au palais de Neuilly au moment où la Reine et madame Adélaïde, renonçant à y voir arriver monsieur le duc d’Orléans, se disposaient à accompagner le Roi qui allait tenir aux Tuileries un conseil de ministres où le prince devait assister avant son départ pour Saint-Omer.

Les équipages, toutefois, n’étant pas encore avancés, la Reine partit à pied, immédiatement suivie du Roi et de madame Adélaïde.

Quelque précipitée que fût leur course, les voitures les atteignirent avant la grille du parc. Tandis qu’ils y montaient, un second gendarme apportait le rapport qu’un médecin arrivait près du prince. Ce messager parlait d’une fracture à l’épaule.

Le carrosse royal ne tarda pas à s’arrêter devant l’échoppe. Le Roi s’y précipita le premier ; il revint aussitôt sur ses pas : « Ce n’est rien de grave, cria-t-il à la Reine, il n’y a point de fracture ; il est déjà saigné, le sang est superbe. » Pendant ce peu de mots, les deux princesses entraient et examinaient à leur tour le blessé. Madame Adélaïde dit à voix basse au Roi :

« Mais Chartres est sans connaissance.

— Sans doute, répondit le Roi tout haut. C’est toujours l’effet d’une forte secousse. Lorsque je suis tombé de cheval à Villers-Cotterets, je n’ai repris connaissance, tu dois te le rappeler, qu’au bout de sept heures, et cela n’a rien été ; j’étais bien le lendemain. J’ai vu Beaujolais de même, après cette grande chute en Écosse. »

Le Roi puisait quelque sécurité dans ces souvenirs de famille, et inspirait une sorte d’espérance à sa sœur. Quant à la Reine, elle était tombée à genoux au pied du matelas ; ses yeux ne quittaient pas la figure du prince. Elle n’interrogeait qu’elle seule, et m’a dit n’avoir pas eu un instant d’illusion.

Cependant, la fracture du crâne, se trouvant placée derrière la tête, les médecins, qui arrivaient de moment en moment, ne l’avaient pas d’abord constatée, et ils affirmaient la moelle épinière intacte, car il n’y avait pas paralysie des extrémités inférieures. Les membres s’agitaient de mouvements convulsifs, et la respiration était haletante.

À l’aide de gobelets, empruntés au cabaret voisin, et d’un mauvais rasoir, on parvint à improviser des ventouses scarifiées. De tous les remèdes tentés durant ces heures d’angoisses, ce fut le seul qui sembla faire effet. La respiration s’assouplit.

Monsieur le duc d’Orléans se dressa sur son séant, en ordonnant d’une voix assez forte, en allemand, d’ouvrir la porte ; puis il retomba, demandant, aussi en allemand, qu’on lui donnât de l’air.

La langue, dont il se servit alors, s’explique très naturellement par l’habitude de la parler à un valet de chambre saxon qui ne l’avait pas quitté depuis l’âge de sept ans.

La chaleur était excessive ; les médecins demandèrent qu’on s’écartât du lit du prince. La Reine se recula dans la porte. Peut-être un peu d’espérance s’était glissée dans son cœur et lui ôtait la force du désespoir ; car, pour la seule fois, dans cet affreux désastre, elle se sentit défaillir et tomba anéantie contre cette porte.

Le chancelier la soutint dans ses bras plus d’un quart d’heure. Au bout de ce temps, les médecins avaient repris leur physionomie sinistre.

Le Roi seul hasardait de temps à autre des remarques favorables qui se perdaient dans le silence général. La Reine était retombée à genoux, et la désolation régnait en plein autour de ce sinistre grabat où planait la mort. Elle s’approchait évidemment ; le Roi lui-même l’avait enfin compris.

Madame la princesse Clémentine et madame la duchesse de Nemours, tardivement averties de l’accident, éaient venues ajouter leurs larmes à celles qui coulaient déjà, et, moins maîtresses d’elles-mêmes, avaient peine à retenir leurs sanglots.

Le prince de Joinville, le duc d’Aumale, le duc de Montpensier se joignirent successivement à leur famille éplorée.

La Reine invoquait à haute voix la miséricorde de Dieu sur son bien-aimé, sur son premier-né. Elle lui réclamait, du moins, un instant de connaissance pour avouer la puissance de son Créateur, adorer sa grandeur et toucher sa clémence.

Monsieur le duc d’Orléans ne possédait pas les sentiments religieux que sa tendresse maternelle lui aurait désirés. C’était le seul chagrin qu’il lui eût jamais causé ; mais, dans ce moment suprême, ce chagrin était le plus amer que son âme si pieuse pût ressentir.

Le curé de Neuilly, appelé en hâte, avait administré le prince ; mais la Reine avait vainement épié une lueur de connaissance.

Depuis plus d’une heure, un silence funèbre régnait dans le réduit où il ne restait que la famille, le curé et deux médecins qui ne tentaient plus rien ; lorsqu’un cri formidable, poussé par la Reine, avertit les groupes qui se pressaient autour de la maison que l’événement trop prévu venait de s’accomplir.

Elle avait vu pencher cette jeune tête ; elle s’était rapprochée ; le dernier souffle avait effleuré son visage, et ses entrailles maternelles y avaient répondu par ce gémissement dont toutes les personnes présentes conserveront un ineffaçable souvenir.

Il attira dans la chambre mortuaire les personnages marquants qui se tenaient dans la petite boutique donnant sur la route au moment où le Roi lui-même fermait les paupières de son fils et l’embrassait.

La Reine colla ses lèvres sur ce front décoloré, puis, relevant les yeux au ciel et levant les mains : « Mon Dieu, dit-elle d’une voix forte, mon Dieu, pardonnez-lui ses fautes. »

Les jeunes princesses se précipitaient vers le lit. Madame Adélaïde les retint : « Mes enfants, leur dit-elle en montrant le Roi et la Reine, il faut de l’équité dans la douleur ; laissez passer la leur. » Belles paroles dans la bouche d’une personne qui perdait en monsieur le duc d’Orléans l’objet de ses plus tendres affections, de ses plus chères espérances et qui ne se consolera jamais d’un si cruel événement.

Le Roi chercha à éloigner la Reine. Elle se laissa conduire dans la pièce voisine, puis, s’asseyant sur une chaise, elle dit résolument : « Je ne partirai pas sans Chartres ; je veux l’emmener avec moi. »

Les princesses et leurs frères avaient rejoint les malheureux parents, après avoir imité leur exemple et déposé leur dernière caresse sur ce front naguère encore si rayonnant de splendeur et d’espérances.

Je ne saurais dire comment des secours aussi pénibles à prévoir se trouvèrent si promptement improvisés ; mais, peu d’instants après, le corps, placé sur une civière, recouvert d’un drap noir, et entouré de prêtres, prenait le chemin de Neuilly.

La Reine suivait immédiatement, appuyée sur le Roi. Madame Adélaïde, les jeunes princesses, les princes, les dames, les ministres, les notabilités de tout genre qui, dans ces heures d’anxiété, avaient pénétré dans le carré formé par la troupe devant la misérable cabane où s’accomplissait le funeste événement, se pressaient à leur suite.

La foule encombrait la route ; elle accompagna religieusement jusqu’à l’entrée du parc.

La Reine avait elle-même donné l’ordre de préparer un lit dans la chapelle pour y placer Chartres.

Comment le Roi et elle ont eu la force de supporter cette lugubre procession, c’est ce que je ne me charge pas d’expliquer. Elle s’accomplit sans que personne y eût succombé.

Une fois le corps déposé dans la chapelle, la Reine se laissa conduire chez elle et, là, ses larmes, ses sanglots, ses cris redoublèrent d’intensité. Elle s’était jetée à genoux et restait prosternée sur le parquet, la face contre terre.

Cependant, la pensée de madame la duchesse d’Orléans lui rendit la volonté. La famille réunie s’occupait de cette infortunée. On craignait que, dans son faible état de santé, elle ne succombât à un si rude coup. La Reine répétait à chaque instant : « Hélène en mourra… Hélène en mourra. »

On décida que la princesse Clémentine et la duchesse de Nemours iraient à sa rencontre pour lui amortir l’affreuse nouvelle à laquelle monsieur de Chabaud-Latour, accompagné du docteur Chomel, devait la préparer. La présence des princesses suffirait à la lui confirmer.

Leur départ accompli, la Reine, jetant un regard sur ce qui lui restait à perdre, fut effrayée de la décomposition des traits du Roi ; elle s’aperçut à quel point il était abattu, accablé, écrasé.

Faisant alors appel à cette force d’âme qui ne l’abandonne jamais, quand l’affection ou le devoir la réclame, ce fut elle qui soutint le courage du Roi. Pendant trois jours, elle ne le quitta pas un instant, lui inspirant une force surnaturelle qu’elle puisait d’en haut.

Le Roi était entré dans la chapelle immédiatement après le départ de ses filles, avait découvert les restes inanimés de ce fils si digne de son amour et l’avait couvert de larmes et de caresses. Madame Adélaïde était venue l’arracher à cette triste contemplation, en l’avertissant que la Reine le cherchait. C’est à son retour près d’elle que l’excessive altération de la figure du Roi frappa cette mère désolée et lui montra qu’il lui restait encore des malheurs à redouter.

Telle était la situation lorsque je me rendis le lendemain matin à Neuilly. La route se trouvait couverte d’une longue file de voitures et de gens à pied, tous en deuil spontané.

Les grilles extérieures étaient fermées, et la consigne si strictement gardée qu’on ne pouvait pénétrer, même dans les cours. Je réussis cependant à faire parvenir à la Reine un mot que j’écrivis dans la loge du suisse. Elle m’envoya son valet de chambre de confiance, le vieux Lapointe.

Elle était avec le Roi et ne voyait personne : « Sa Majesté m’a chargé de vous dire, madame la comtesse, que vous ne pourriez jamais la plaindre trop, parce qu’elle était la plus malheureuse femme qu’il y eût au monde. »

J’appris de lui les détails que je viens de donner sur ce qui se passait dans l’intérieur. Le premier, il me parla de ce cri déchirant jeté par l’amour maternel et dont plusieurs personnes depuis m’ont confirmé l’impression si profonde. Sa figure était baignée de larmes : « Notre pauvre Reine, me disait-il, ne se relèvera jamais ; c’était son favori. Elle aime bien tous ses enfants, mais celui-là par-dessus tous les autres. Ah ! madame la comtesse, c’était un si bon garçon ! ».

Cet éloge naïf, dans la bouche d’un vieux valet qui, comme il me le disait ensuite, lui avait appris à jouer à la toupie, ne me paraît pas indigne d’être compté à ce brillant duc d’Orléans dont les talents et les séductions ont eu tant de retentissement.

Au reste, pas un œil n’était sec autour de cette royale demeure. Des gens en pleurs interrogeaient, et on leur répondait à travers les sanglots.

L’intérêt n’y était pas exclusivement concentré. Il se reportait en partie sur la pauvre princesse, qui, à cette heure encore, jouissait de la plénitude d’un bonheur détruit pourtant à jamais. On calculait par avance à quel instant il lui serait arraché, et une vive pitié s’associait à sa pensée. Ses enfants avaient été mandés du château d’Eu où ils prenaient les bains de mer ; on les attendait dans la journée.

Munie de ces tristes renseignements, et ne pouvant être d’aucune utilité à la Reine, je retournai à Châtenay. Très souffrante dans ce moment, je sentais le besoin d’un peu de repos.

Madame la duchesse d’Orléans était depuis dix jours à Plombières où son mari l’avait conduite. Il devait l’y aller reprendre, le 24 de ce même mois dont le terrible treize se trouvait marqué d’un si affreux malheur.

Le télégraphe en communiqua la nouvelle à Nancy le jeudi matin. Elle fut immédiatement et abruptement donnée à monsieur le duc de Nemours. Abîmé dans sa douleur, il n’eut qu’une pensée, celle de revoir encore une fois le corps inanimé de son frère bien-aimé, et se précipita sur la route de Paris, en recommandant d’expédier un courrier à Plombières.

Celui-ci étant arrivé pendant la promenade de madame la duchesse d’Orléans, le préfet eut le temps de fabriquer une dépêche moins foudroyante que celle expédiée de Nancy, et les gens de la princesse de s’apprêter au départ.

Elle en donna l’ordre dès en apprenant que le télégraphe annonçait monsieur le duc d’Orléans indisposé et ne pouvant partir pour Saint-Omer : « Je serai grondée, disait-elle en souriant à demi, je m’y attends ; mais je ferai ma paix en lui assurant que l’inquiétude me serait bien autrement pernicieuse que la fatigue de la route. »

Elle navrait le cœur de tous ceux qui l’entouraient par ses paroles. Ils ne firent aucune objection à son départ précipité qui se trouva accompli presque instantanément. Tant de célérité et les figures consternées, impossibles à dissimuler auraient peut-être dû l’éclairer ; mais il est des douleurs si grandes que le cœur se refuse à les deviner. Il faut en assommer les personnes destinées à les subir.

Madame la duchesse d’Orléans, quoique suffisamment tourmentée pour partir, ne l’était point assez pour négliger son métier de princesse royale. Elle s’occupa des souvenirs qu’elle voulait laisser à Plombières, prit congé de chacun, avec sa grâce accoutumée, promettant un prompt retour dans un lieu où elle se plaisait autant et qui lui était si salutaire. Elle s’engageait à y revenir avec celui que, hélas ! tout le monde, hormis elle, savait ne plus revoir.

Cependant, à peine en route, il sembla que ses alarmes s’accroissaient. À la vérité, personne ne cherchait à les combattre. Enfin, vers le milieu de la nuit, sa voiture s’arrêta ; monsieur de Chabaud-Latour ouvrit la portière. Les lanternes portèrent sur la figure du docteur Chomel, placé derrière lui. L’aspect du médecin de monsieur le duc d’Orléans, qui ne l’aurait pas quitté s’il n’était que malade, servit d’une complète révélation : « Monsieur Chomel ! s’écria-t-elle. Ah ! mon Dieu, il est mort. »

Les sanglots des assistants répondirent seuls à ce cri déchirant, et l’on peut penser quelle scène de désespoir il précédait.

Au point du jour, le voyage fut de nouveau interrompu par la rencontre des deux princesses, accourant au-devant de leur infortunée belle-sœur. Elles montèrent dans sa voiture et reprirent une route où la sympathie de la population entière leur servait d’escorte.

De son côté, monsieur le duc de Nemours, ordinairement très calme, était arrivé à Neuilly dans un état d’excitation si grand que ses frères, d’Aumale et Montpensier, durent soutenir une lutte manuelle contre lui pour l’empêcher de forcer la porte de l’appartement où les chirurgiens procédaient à la triste exploration dont les morts deviennent l’objet.

La violence de ses cris, retentissant dans le silence du palais, attirèrent le Roi et la Reine à qui on voulait dérober l’horreur d’un si cruel détail, et sa mère seule eut le crédit d’éloigner monsieur le duc de Nemours de cette porte qu’il prétendait forcer : « Je veux voir Chartres ; s’écriait-il, je veux embrasser Chartres… ce n’est pas vrai… il ne peut pas être mort… »

La Reine le saisit par le bras et l’entraîna chez elle. Rien ne lui a été épargné ! Jamais douleur plus profonde n’a été plus expansive que celle de ce prince, si froid en apparence ; son explosion n’en a pas diminué l’intensité. La mort de monsieur le duc d’Orléans a laissé dans son cœur un vide que rien ne saurait combler.

La désolation ne s’arrêtait pas au seuil du palais ; elle était générale. Par un mouvement spontané, les spectacles se fermèrent et personne ne se présenta à leurs portes.

Depuis quelques années, monsieur le duc d’Orléans s’était appliqué à beaucoup semer, et la récolte se montrait plus abondante que nous ne le savions. Plein d’esprit, de talents, de connaissances variées et approfondies ; il était, de plus, charmant d’extérieur, libéral, généreux, magnifique.

Le boutiquier de Paris lui savait gré de ses dépenses bien entendues, l’artiste de ses encouragements et de ses munificences, l’industriel de sa protection éclairée, et tout le monde de sa bonne grâce et de son désir de plaire.

Mais, où il était surtout adoré, c’était à l’armée ; aussi n’y épargnait-il aucun soin. Déférent avec les chefs, obligeant avec les officiers, blagueur, s’il est permis d’employer cette expression, avec les caporaux, protecteur avec le soldat, camarade avec tous au feu du bivouac comme à celui de l’ennemi, ne réclamant la première place que là où était le péril, il avait établi son influence sur les troupes de façon à en être idole et à s’en faire partout obéir avec élan et confiance.

On ne peut se dissimuler que ses idées ne fussent portées vers la guerre. Il professait spéculativement qu’elle était nécessaire à l’affermissement d’une nouvelle dynastie, et ses goûts belliqueux, joints à une capacité peu ordinaire pour l’art militaire et à une assez grande irritation contre les souverains de l’Europe dont il croyait avoir personnellement à se plaindre, à l’occasion des obstacles suscités par eux à son mariage et à celui des princesses ses sœurs, le disposaient constamment à la désirer.

Sans doute, son avènement au trône lui aurait inspiré d’autres dispositions. Déjà, les années, les réflexions, la paternité, le bonheur intérieur dont il jouissait l’avaient fort modifié, et le bouillant duc d’Orléans se serait montré, suivant toutes les probabilités, un roi aussi sage que son père, s’il lui avait succédé.

En attendant, le pays lui pardonnait volontiers ce trop de sève qui débordait parfois au delà de la prudence, et l’armée lui en tenait compte comme d’une vertu. En un mot, sa popularité dans toutes les classes était complète, et l’on peut dire qu’il l’avait emportée à la pointe de son mérite, car, dans les premiers temps de la révolution de 1830, il y avait eu d’assez justes préventions contre lui.

Des idées de faux libéralisme, nées de la position où on l’avait élevé et mal digérées, des camaraderies d’école, plus mal choisies encore, qu’il lui fallut enfin rompre, l’avaient entraîné dans des situations très fausses dont il s’était tiré avec esprit mais non pas sans provoquer d’assez graves animadversions et exciter l’inquiétude des gens sages. Il avait surmonté tous ces obstacles et consolidé sa position sur les bases les plus favorables et les plus utiles, à l’époque où les inscrutables desseins de la Providence l’ont enlevé à la France.

Seuls, dans le royaume, les légitimistes poussèrent un cri de joie à cette affreuse catastrophe, et, dès le soir même, la Gazette de France l’enregistra. Le dégoût général qu’il inspira la fit ensuite désavouer, mais elle avait été le fidèle organe des sentiments de son parti.

Un exécrable quatrain, sur ce que le fils de Louis-Philippe devait périr par un pavé, sur le chemin de la révolte, circula dans les salons, pendant ces premiers jours, avec pleine approbation, et les dames qui les peuplaient affectèrent de se montrer parées des costumes les plus flamboyants. Cependant, soit que des chefs plus sensés donnassent d’autres instructions, (car ce parti, tout absurde qu’il se montre, est singulièrement discipliné), soit qu’il craignit d’exciter par trop d’irritation contre lui, les démonstrations joyeuses furent assez promptement suspendues, et les costumes devinrent plus modestes.

L’indignation causée, par la première attitude, aux étrangers dont l’influence sur le monde du faubourg Saint-Germain est d’autant plus grande qu’il rêve toujours des appuis au delà des frontières, et le refus simultané des propriétaires de salles publiques, dans toute la France, de souffrir chez eux les banquets préparés à l’occasion de fêter la Saint-Henri, le 15 juillet, dans la crainte de soulever les manifestations hostiles de la population contre eux, servirent d’avertissement aussi bien que le deuil général dont Paris s’enveloppa. Il fut porté spontanément, et par toutes les classes.

Mais, si les légitimistes crurent prudent de montrer une joie moins expansive, leur satisfaction intérieure ne se dissimulait guère. Je vis arriver à Châtenay la duchesse de Maillé, parée et pimpante plus qu’elle ne l’avait jamais été. Elle venait récolter près de moi les détails dont elle me pensait instruite, sachant que j’avais été la veille à Neuilly.

Je compris sur-le-champ le but de sa visite, et me promis de n’y point satisfaire. Je me jetai dans tous les lieux communs les plus insignifiants ; mais elle prétendait ne pas avoir fait une aussi longue route pour ne rien rapporter à son monde.

Elle m’assura s’être fort préoccupée de moi depuis deux jours. — Elle était bien bonne… Ne trouvait-elle pas mes gazons très jaunis par le soleil ? Son jardin de Paris subissait-il le même sort ?

Ne voulant pas, décidément, avoir le démenti de sa démarche sur la question principale, elle se pencha à mon oreille et me dit à demi-voix, sans autre préambule :

« On assure la pauvre mère devenue folle, cela est-il vrai ! »

Je répondis le plus indifféremment qu’il me fut possible :

« Je ne le sais pas, mais cela me paraît très probable.

— Ah ! je vous assure, chère cousine, que personne n’y porte d’esprit de parti. Tout le monde la plaint. C’est un bien triste événement pour elle… Cela se comprend partout… Un grand garçon qui se portait bien… »

À cet étrange panégyrique, j’éprouvai un mouvement d’indignation que je ne pus dissimuler. Tout mon respect pour les lois d’hospitalité se borna à me faire brusquement adresser la parole à une autre personne, sans daigner répondre à la duchesse. Je sentais ma voix trembler de colère. Un grand garçon qui se portait bien ! Voilà jusqu’où la fausse expression de leur prétendue sympathie les pouvait conduire ! J’aurais été moins irritée, je crois, si madame de Maillé avait parlé sincèrement des espérances que cette catastrophe faisait naître dans les rangs des légitimistes. Elles étaient très folles et fort odieuses assurément en cet instant, mais elles se pouvaient comprendre chez des gens accoutumés à vivre des illusions qu’ils ne cessent de se fabriquer.

La duchesse fut contrainte de repartir, sans avoir recueilli le moindre butin à rapporter à ses habitués, fort à leur mutuel désappointement, je pense. Car, remarquons-le en passant, il existe un certain monde pour lequel les Cours, même celles qu’ils vilipendent le plus, sont tellement une patrie que jamais ils ne perdent une occasion de s’informer avec détail de tout ce qui s’y passe. J’ai déjà vu cette tendance pour les Tuileries impériales, et elle se renouvelle depuis la révolution de 1830.

Madame de Maillé et moi ne nous sommes point reparlé de cette soirée, mais ni l’une ni l’autre ne l’avons oubliée. Je l’ai entendue se vanter quelquefois d’être impartiale comme l’histoire ; je pense que l’histoire trouvera en monsieur le duc d’Orléans autre chose qu’un grand garçon… qui se portait bien.

Et pourtant, il le faut dire, la duchesse de Maillé a de l’esprit. Non seulement elle croit être parfaitement modérée, mais elle en est accusée par les gens de son parti. On peut juger, d’après cela, de quels yeux ils envisageaient un événement qui, le surlendemain d’une si terrible calamité, inspirait de telles paroles à une personne qui prétendait témoigner d’une certaine bienveillance et d’une complète impartialité.

Avertie par ce grand cœur qui ne lui fait guère défaut surtout dans la mauvaise fortune, madame la Dauphine se conduisit tout autrement. Elle prit le deuil de monsieur le duc d’Orléans, fit faire un service pour lui dans la chapelle de Kirchberg et manda à l’impératrice d’Autriche ne pouvoir se rendre à Vienne pour s’y trouver le jour de sa fête, selon son usage : « Je suis atterrée, disait-elle ; sans s’expliquer autrement, par l’événement de Paris. C’est, pour nous, un chagrin de famille. »

La copie de ce billet, envoyée par monsieur de Flahaut, produisit une vive émotion à Neuilly. Le Roi répondit sur-le-champ à son ambassadeur, et sûrement bien, car il était profondément touché. Je crois savoir que ses paroles furent officieusement transmises à Kirchberg.

Il est des précipices que rien ne peut combler, mais il est toujours désirable d’en voir adoucir les pentes. Ce fut une nouvelle occasion de déplorer, plus vivement encore, la concession qu’une fausse politique avait arrachée à la famille royale, en l’empêchant de porter le deuil du roi Charles X.

Il faut rendre à chacun ce qui lui appartient : Si le deuil du roi Charles X n’a pas été porté, ce n’est pas la faute de la famille royale, ni du ministre principal à cette époque (monsieur Molé).

Voici ce qui m’est arrivé à moi-même. Je passais, par l’intérieur de l’appartement de la Reine, dans celui de Madame, lorsque, dans l’antichambre du Roi qu’il faut traverser, je rencontrai un ministre (monsieur Guizot) se rendant au conseil.

Il m’arrêta pour me dire la mort, fort imprévue, de Charles X. Je répétai ces paroles à madame Adélaïde en entrant chez elle et me trouvai ainsi lui en annoncer la première nouvelle, arrivée par le télégraphe à l’instant.

Après avoir causé du peu de portée politique de cet événement et de ses conséquences de famille pour les augustes exilés de Goritz, je demandai à Madame si on porterait le deuil comme pour un parent ou pour une tête couronnée. Elle réfléchit un moment : « Comme tête couronnée, sûrement ; le deuil au degré de parenté ne serait pas aussi long. » On voit que cela ne soulevait pas l’ombre d’un doute dans l’esprit de la princesse.

Le deuil fut décidé dans cette forme au conseil ; monsieur Molé me le dit le soir ; mais, dans cette même soirée, monsieur Dupin, président de la Chambre des députés, le maréchal Gérard, qu’on retrouve toujours quand il s’agit d’une pitoyable faiblesse, et le général Jacqueminot vinrent faire office aux Tuileries, en affirmant que toute marque de deuil ferait le plus mauvais effet dans la garde nationale et parmi les députés.

On ameuta quelques-uns de ces derniers pour en parler aux ministres le lendemain matin. Le parti bonapartiste s’évertua particulièrement, arguant de ce que la branche aînée n’avait pas porté le deuil de l’empereur Napoléon, tête couronnée s’il en fût, ointe par la victoire dans toutes les capitales de l’Europe et reconnue par le monde entier.

La décision prise fut remise en question ; le cabinet se partagea. Monsieur Molé, fortement appuyé par la Reine, batailla trois jours ; mais enfin les hommes qui avaient fait effacer les fleurs de lys triomphèrent, et le parti le plus lamentable et le moins politique l’emporta.

Moins bien inspiré que sa tante, pitoyablement entouré et mal conseillé, monsieur le duc de Bordeaux se montra à un concert public le jour où la poste apporta le funèbre récit de la mort de son cousin. Sa présence et celle des français qui l’accompagnaient furent d’autant plus remarquées que la salle était presque déserte, un grand nombre des visiteurs des eaux de Tæplitz, de diverses nations, s’étant abstenus de s’y rendre.

Je recule à parler de l’aspect que me présenta Neuilly, lorsque j’y retournai le lundi 18, tant mon cœur se serre à ce lugubre souvenir.

C’était le palais de la mort, peuplé de fantômes. Un nombreux clergé se relayait, jour et nuit, autour d’un immense catafalque, dressé dans la petite chapelle dont il occupait les deux tiers. Une triste et monotone psalmodie troublait seule le silence ; on l’entendait de partout.

L’excessive chaleur forçant à tenir tous les volets du château fermés, hormis ceux de la chapelle où la multitude des lumières dévorait l’air, on n’apercevait, dès la cour, que ce simulacre du trépas pour tout signe d’habitation humaine.

Tandis que j’étais agenouillée au pied du catafalque, je devinai, plus que je n’entendis, un mouvement dans la tribune ; deux personnes y étaient prosternées. J’osai à peine les regarder, mais je crus reconnaître la Reine et la princesse Clémentine.

La famille royale résidait, en quelque sorte, dans cette tribune. Pendant toute la journée, elle s’y succédait et souvent s’y réunissait ; mais, la nuit, le Roi et la Reine fréquentaient seuls la chapelle. Ils venaient alors se jeter au pied du catafalque même et y passaient des heures entières séparément, car ils évitaient de s’y trouver ensemble.

Quelquefois, la Reine entrecoupait ces cruelles séances de longues promenades dans le parc. Le sommeil ne fermait pas ses yeux : le repos lui était impossible. Cette vie a duré dix-sept jours sans aucun adoucissement.

Ma triste station accomplie, je me rendis à l’appartement de la Reine. Tandis que j’interrogeais Lapointe sur son état, elle passa devant moi, me regardant sans me voir, et je n’eus plus de questions à faire : c’était un spectre diaphane. Je ne comprends pas comment un si petit nombre de jours peut amener un si grand changement et un tel amaigrissement. Je me sentis le cœur navré.

Madame Adélaïde était auprès du Roi ; je ne pus la voir. La famille royale se tenant exclusivement entre elle et presque constamment autour du Roi, personne n’était admis dans son intimité, pas même les dames résidant à Neuilly. Les ministres ne voyaient que le Roi ; le chancelier seul arrivait jusqu’au salon de la Reine.

Pénétré, comme nous tous, de la pensée que, ni elle, ni les autres membres de la famille royale ne pourraient supporter la douleur, sans cesse activée, de ces funérailles prolongées dont on s’était comme enveloppé, monsieur Pasquier, de concert avec les ministres, demanda l’exposition du corps du prince au Louvre, selon les usages de la monarchie ; mais la Reine s’y refusa, et même avec colère. Elle se rappelait avoir visité les catafalques de Louis xviii et de monsieur le duc de Berry, où le public ne voyait qu’un spectacle. Elle en conservait un souvenir pénible et ne voulait pas exposer des restes si chéris à une pareille exhibition.

Si elle avait pu l’obtenir, elle aurait désiré que le cercueil de son fils fût conduit directement de Neuilly à Dreux. Elle céda enfin pour la cérémonie de Notre-Dame ; mais il fut impossible de lui enlever un seul de ces jours du mois de juillet qu’elle avait tout d’abord réclamés.

Vainement, on lui représenta les souffrances de tous les siens ; vainement, on l’alarma sur la santé du Roi. Pour la première et la seule fois de sa vie, l’excès de son malheur la rendait égoïste.

À la vérité, la nécessité des affaires ayant forcé le Roi à s’en occuper, il y trouvait une assez puissante distraction pour permettre à la Reine de rentrer en possession de la plénitude de son désespoir.

L’arrivée de madame la duchesse d’Orléans, accompagnée de ses deux belles-sœurs et précédée de celle de ses enfants, avait accompli la réunion de la famille royale. La force d’âme de la princesse se déployait dans cette circonstance et soutenait sa débile santé.

Elle avait accompli son cruel voyage mieux qu’on n’osait l’espérer, et, loin de vouloir du repos en arrivant à Neuilly, elle ne cherchait que de nouveaux déchirements en visitant la chapelle, et en sollicitant des détails sur l’horrible catastrophe qui détruisait son bonheur d’une façon si imprévue.

Avant de prendre la route de Plombières, la princesse Clémentine avait remis au Roi des papiers confiés à ses soins par monsieur le duc d’Orléans. C’étaient plutôt des notes qu’un véritable testament.

La première se trouvait datée de 1832, lorsqu’il était parti pour le siège d’Anvers. Avant d’entreprendre de grands voyages, de nouvelles campagnes, aussi bien qu’en devenant époux et père, il avait ajouté d’autres instructions et conservé l’usage de les déposer dans les mains de ses sœurs.

La princesse Clémentine en était restée la dernière chargée. Le papier le plus récent lui avait été remis lors du départ de monsieur le duc d’Orléans pour l’Afrique, en 1840.

Les notes, lues en conseil des ministres, furent jugées d’une nature trop intime pour être publiées. Avouons aussi qu’écrites, en partie, à des époques où les idées de monsieur le duc d’Orléans n’avaient point encore acquis la maturité où elles sont parvenues dans les dernières années de sa vie, elles n’auraient pas fait à sa mémoire tout l’honneur qu’elle méritait d’obtenir.

Dans le plus nouveau de ces documents mortuaires, le prince demandait au Roi de confier à madame la duchesse d’Orléans l’éducation de ses enfants, en prenant pour elle l’engagement solennel de les élever dans les sentiments les plus orthodoxes de l’Église catholique, en même temps qu’il se prononçait fortement et catégoriquement contre la régence entre les mains d’aucune femme, disant textuellement, si je suis bien informée, que « d’ici à bien longtemps le chef du gouvernement en France devait toujours être prêt à monter à cheval dans le quart d’heure. »

Ces pièces furent immédiatement communiquées à madame la duchesse d’Orléans ; elle les accepta et y a réglé sa conduite. Il est probable, cependant, qu’elle n’avait pas connaissance de ces dispositions du prince ; car, dès avant son arrivée à Neuilly, son esprit, en s’occupant de la série d’infortunes qu’un si grand malheur lui préparait s’inquiétait des soins de sa régence ; et, se reportant aux troubles de la minorité de Louis xiv, aux difficultés du gouvernement pour Anne d’Autriche, elle les rappelait en comparant ces temps, soi-disant agités, à ceux bien autrement bouleversés où nous vivons, et en tirait un motif de plus à la mortelle douleur dont elle était frappée.

On peut donc conjecturer, sans aucune témérité, que la régence lui apparaissait au nombre des devoirs qui lui restaient à remplir. Éprouva-t-elle toujours du soulagement à en avoir été éloignée ? C’est ce que personne ne saurait affirmer ; mais elle n’en témoigna aucun regret et accepta sans réclamations la place assignée par les volontés de son mari.

Ne pouvant parvenir jusqu’aux princesses, je retournai à la campagne et, craignant que mon assiduité ne devînt importune, je ne reparus à Neuilly que la semaine suivante.

Je le regrettai lorsque Lapointe me dit que la Reine ne m’avait pas reconnue à ma dernière visite, ce qui s’explique par son agitation, par le lugubre costume dont nous étions toutes semblablement enveloppées et par l’obscurité que la chaleur imposait.

Il avait ordre de la prévenir lorsque je me présenterais. Je n’étais pas préparée à l’idée de la voir et je fus tentée de me sauver, sous prétexte de discrétion. Lapointe ne me le permit point. J’attendis donc la sortie de la reine Christine, admise pour la première fois auprès de sa tante, et je fus introduite dans le salon.

Il me serait impossible de raconter les premiers moments de cette cruelle entrevue ; j’étais trop troublée pour conserver le souvenir des détails.

Je suppose que la reine d’Espagne avait employé ses soins à obtenir de la Reine d’abréger l’horrible existence qu’elle imposait à tous les siens, car je la trouvai encore toute irritée, et elle continua vis-à-vis de moi à se refuser à des sollicitations que j’avais dans le cœur, mais que je n’avais pas eu le temps de formuler.

« On aurait beau faire, on n’obtiendrait pas du Roi de lui manquer de parole ; et elle ne céderait pas une seule des heures où il lui était permis de garder Chartres… N’était-ce pas assez de trois jours à en faire un spectacle pour amuser la multitude ! »

Je me hasardai à lui dire qu’il y avait peu de sa justice accoutumée dans cette expression ; sa trop légitime douleur trouvait de l’écho dans tous les cœurs.

« Oui, ma chère, c’est vrai, on aime Chartres… Je le sais… Je le sais… j’ai tort… mais que voulez-vous ?… Et puis c’est la pensée de Chartres. Il a toujours détesté la représentation, les étiquettes dans l’intérieur de la famille, et qu’est-ce qui appartient plus à la famille qu’un pareil malheur ? »

Son irritation s’étant un peu apaisée, elle me raconta alors cette cruelle matinée du 13, aussi bien que la promenade de la veille au soir, où elle avait sollicité le retour à Neuilly :

« J’entends toujours Chartres me dire : « Hé bien, chère majesté, puisque vous le voulez, je reviendrai demain matin ! »… et je l’ai voulu… et il y est venu… comme il est là ! » en désignant le côté de la chapelle.

La Reine pleurait beaucoup par instants ; mais évidemment ces larmes convulsives ne la soulageaient pas, l’excitation était trop grande. Elle s’asseyait un instant et se relevait presque immédiatement pour reprendre la marche perpétuelle que l’agitation lui imposait.

On vint l’avertir que le conseil finissait ; elle me quitta précipitamment. Je lui demandai la permission de revenir le lendemain parce qu’elle m’avait dit que mes paroles lui avaient été salutaires.

« Non, ma chère, ne venez pas, cela se saurait et me causerait des difficultés… Je ne veux… je ne peux voir personne par obligation… Ne revenez pas avant le départ de Chartres… »

Ces mots, qui échappèrent à la constante préoccupation de la Reine, prononcés d’un ton de voix parfaitement simple, me firent frissonner.

Ce jour-là encore, je ne pus voir madame Adélaïde. Elle aussi s’était rendue chez le Roi à la levée du conseil, et, comme mes rapports avec les autres princesses ne m’autorisaient pas à me présenter chez elles, je repris le chemin de Châtenay.

Respectant la défense de la Reine, je ne retournai point à Neuilly ; mais, pensant bien qu’elle accompagnerait le Roi à Paris le jour de l’ouverture des Chambres, je me présentai aux Tuileries. À peine le canon annonçait le départ pour la cérémonie, j’entrai au palais.

Je ne voulais que m’informer en détail, aux gens de l’intérieur, de la santé de la Reine ; mais toutes les portes étaient ouvertes, et je l’aperçus elle-même, allant et venant dans son appartement, uniquement occupée à la recherche d’un portefeuille que je compris, à des explications données à ceux qui l’assistaient dans ce soin, devoir contenir des dessins faits par monsieur le duc d’Orléans, dans sa petite enfance.

« Non, disait-elle, ce bleu est le portefeuille de Joinville ; celui de Chartres est couvert en rouge. »

Je m’esquivai sans être aperçue d’elle, mais bien frappée de cette préoccupation exclusive qui l’absorbait, d’un intérêt si minime dans une circonstance où, les autres années, elle tremblait constamment pour la sûreté du Roi et où, ce jour-là, il subissait, en outre, une si rude épreuve.

Je trouvai madame Adélaïde, en revanche, dans un état de douleur, de prostration de forces, d’anxiété impossible à décrire : « Ne me jugez pas sur aujourd’hui, ma chère madame de Boigne, me disait-elle, j’ai plus de courage que cela ordinairement… » Chaque bruit la faisait frissonner.

Un valet de chambre étant venu lui dire qu’on l’attendait dans son cabinet, elle s’y précipita en s’écriant, avec une terreur qui me gagna : « Mon Dieu, qu’est-il arrivé ? » C’étaient des lettres d’affaires que son secrétaire lui apportait à signer. Incapable de guider une plume, elle l’avait remis après la séance et revint à moi.

Bientôt, le canon annonça la sortie du Roi de la Chambre des députés. Madame se jeta à genoux et en prière fervente. Je restai debout, et assez embarrassée de ce qu’il convenait de faire ; mais je pensai que le mieux était de la laisser seule, avec le Dieu qu’elle invoquait, jusqu’à ce qu’il lui eût ramené son frère.

Je sortis sans bruit et allai attendre chez madame de Dolomieu la rentrée du Roi aux Tuileries ; car les terreurs de madame Adélaïde m’avaient atteinte.

« Ce n’est pas encore assez, me disait-elle, de la calamité qui nous déchire le cœur ; il faut de plus qu’elle redouble notre effroi sur la sûreté de ce qui nous reste. »

Il est certain que, logiquement parlant, les assassinats, trop souvent essayés, devenaient bien autrement utiles à la haine des partis par la mort de monsieur le duc d’Orléans.

Ainsi que me l’avait dit madame Adélaïde, elle se livrait rarement à ces paroxysmes de douleur. Elle a été admirable de courage, de dévouement, d’abnégation d’elle-même dans ces cruelles circonstances, se multipliant auprès du Roi, de la Reine, de madame la duchesse d’Orléans, de façon à ce qu’on pût la croire exclusivement occupée de chacun d’eux. Sa santé, très altérée, était redevenue forte, pour satisfaire aux exigences de son dévouement ; et elle mettait en action ce précepte de l’équité dans la douleur qu’elle avait professé dès le premier moment.

Le discours si touchant prononcé par le Roi, à l’ouverture de la session, était uniquement de lui. Il en avait montré la minute, écrite de sa main, au chancelier, dès le lendemain du jour où la convocation des Chambres avait été décidée, c’est-à-dire le 16.

Le ton dont il le débita, sa voix émue, son attitude, celle de ses fils, le prodigieux changement de monsieur le duc de Nemours surtout, produisirent un grand effet et beaucoup de sympathie dans l’assemblée, et les voitures, qui reconduisirent à Neuilly tant de cœurs brisés, furent saluées de marques de respect trop souvent refusées à leur prospérité.

Citons ici une bizarre anomalie de la douleur. Ces mêmes personnes qui vivaient, pour ainsi dire, sous le drap mortuaire du catafalque, qui achetaient la cahute où le prince était mort pour y élever un monument, qui avaient eu un moment la pensée de faire reconstruire la petite maison, pierre pour pierre, dans leur jardin, qui ne voulaient d’autre son dans leur demeure que les prières des morts, ces mêmes personnes, par leurs propres ordres, donnés soigneusement et directement par le Roi, allongèrent leur route d’un tiers, en se rendant à Paris, afin d’éviter la chaussée de la porte Maillot qui passait à plus de cinq cents pas du lieu où la catastrophe s’était accomplie. Tant il est vrai que nul ne peut calculer d’avance les diverses répugnances d’une immense douleur.

Rappelant les expressions du discours du Roi, un homme de mes amis disait, le lendemain, à monsieur le duc d’Aumale que l’aspect de ces quatre princes, entourant encore le trône, avait été d’un bon effet.

« Hélas, répondit-il, avec ce jugement précoce qui le distingue, hélas, il est vrai, nous sommes quatre, mais nous n’étions qu’un. Aucun de nous n’avait une pensée individuelle. Nous travaillions tous pour Chartres. Nous cherchions à faire notre devoir, à nous distinguer, s’il se pouvait ; mais pas une idée d’intérêt, d’ambition, même de gloire personnelle ne pouvait approcher de nous ; tout lui était rapporté. Maintenant où sera notre centre commun ? Ce ne peut être ce pauvre enfant dont la direction deviendra peut-être une pierre d’achoppement entre nous ! »

Il est certain que, malgré l’union qui a toujours régné parmi les frères, ils ont des instincts, des goûts, des avis différents ; mais tous déféraient à monsieur le duc d’Orléans.

Tendre, amical, fraternel avec eux jusqu’à la camaraderie la plus intime, il avait pourtant établi son autorité de chef de famille de façon à les préparer à reconnaître en lui leur roi et à recevoir ses ordres avec soumission.

Il n’ignorait pas combien cet entourage de quatre princes, tous distingués par leurs qualités morales, leur belle tournure, leur brillante et valeureuse jeunesse, donnerait de lustre à son trône, et eux comprenaient toute l’importance de former un faisceau bien uni dans les circonstances données.

Peut-être la force de la nécessité maintiendra-t-elle cette union. Mais le lien principal est irrévocablement rompu ; car on ne peut se dissimuler que l’aîné des quatre princes restants est loin d’avoir sur les autres la supériorité que tous se plaisaient à reconnaître dans monsieur le duc d’Orléans, et ne saurait prétendre à exercer la même autorité.

Il arriva enfin ce triste jour du départ de Chartres, si déploré par la Reine et si souhaité par tous les entours.

Le Roi et la Reine avaient passé la nuit dans la chapelle. Madame la duchesse d’Orléans y arriva à six heures et, bientôt après, les autres princes et princesses. Le clergé récitait les prières des morts.

À neuf heures, on était prêt pour l’enlèvement du corps. Le cortège attendait dans la cour ; mais tous les membres de cette famille désolée, groupés autour du catafalque, y semblaient cloués, et les avertissements réitérés ne paraissaient pas arriver jusqu’à eux.

On se décida enfin à procéder aux tristes préparatifs en leur présence, espérant qu’ils s’éloigneraient ; mais le Roi s’empara de l’urne qui contenait le cœur de son fils ; la Reine se précipita sur le cercueil retiré du catafalque ; et les sanglots des autres étaient dominés par leurs cris. Dès les premiers apprêts, l’inconsolable veuve avait perdu connaissance.

À la suite de nouvelles et inutiles exhortations, on s’entendit instinctivement pour agir de vive force. L’archevêque de Paris enleva l’urne des mains du Roi, qui résistait ; l’évêque d’Évreux arracha la Reine de dessus le cercueil, où elle se cramponnait, et l’emporta dans ses bras.

On forma un groupe autour de chacun d’eux, et les cris poussés par la Reine décidèrent le Roi à la suivre. On hâta l’enlèvement du corps, accompagné des quatre jeunes princes, et les portes de cette chapelle dépouillée se refermèrent sur madame la duchesse d’Orléans, gisante sur son pavé et toujours évanouie. Elle fut transportée dans son appartement sans avoir repris connaissance.

Ces lugubres violences, où l’on ne s’était résolu qu’à la dernière extrémité, n’avaient pas empêché un long retard. Le cortège attendait depuis plus de deux heures. Il se mit en route. La Reine avait exprimé la volonté de le suivre jusqu’aux grilles du parc ; mais son état lui rendit impossible cette dernière entreprise qu’elle aurait certainement tentée.

Les jeunes princes, avec la pleine approbation du Roi et surtout de leur mère, prétendaient accompagner le corps à pied de Neuilly à Notre-Dame. La pauvre reine n’admettait pas que les forces humaines pussent défaillir aux manifestations d’une immense douleur.

Mais les ministres s’opposèrent formellement à cette volonté de famille. Hélas ! aux temps où nous vivons, il eût été peut-être imprudent d’exposer ces quatre jeunes hommes, si longuement et si obstinément, aux coups des partis. J’aime à croire que leur pieux désespoir les aurait protégés, même contre les scélérats les plus fanatiques.

Mais, indépendamment de ce danger politique, cette pénible course, par un soleil de juillet de l’été le plus chaud dont je conserve souvenance, aurait été accablante, surtout pour monsieur le duc de Nemours dans l’état où le chagrin l’avait réduit. On monta donc en voiture en atteignant la grande route.

Paris vit, avec un douloureux étonnement, rapporter dans ses murs le corps de ce brillant prince qui, dix-huit jours avant, en était sorti plein de vie et d’espérances.

La catastrophe n’était ignorée de personne ; elle faisait le fond des discours de chacun, et pourtant on avait peine à se persuader de sa réalité. Le silence respectueux et consterné de la foule était fort imposant, m’a-t-on dit. Les flots du peuple s’ouvraient d’eux-mêmes pour laisser passer le cortège.

Deux cents prêtres, le cierge en main, psalmodiaient les prières des morts. Ce spectacle, absolument nouveau pour la génération actuelle, car cela ne s’était vu ni aux obsèques de monsieur le duc de Berry, ni à celles du roi Louis XVIII, fut accueilli avec respect par le deuil général qui remplissait tous les cœurs et s’associait à ces religieuses manifestations.

Les premiers artistes de Paris s’étaient spontanément offerts pour exécuter une messe et un Requiem en musique. Leur zèle avait été accueilli et les répétitions étaient en train, lorsque la Reine, qui se faisait rendre un compte exact de tous les plus petits détails de ces funèbres apprêts, en fut informée.

Elle s’éleva vivement contre cette musique profane. On crut devoir insister dans la crainte que, cette répugnance se trouvant attribuée à madame la duchesse d’Orléans, l’hostilité des partis ne s’appliquât à y découvrir une tendance aux formes protestantes.

La Reine eut de nombreuses objections à combattre, mais elle persista ; et, personne ne se sentant le courage d’aggraver par la contrariété un si profond désespoir, elle l’emporta.

Au reste, il est apparemment des circonstances si poignantes qu’elles désarment même les haines les plus acharnées. Car je ne crois pas que les commentaires redoutés aient été exprimés par aucun des organes accoutumés des plus fanatiques oppositions, quoique le plain-chant résonnât seul sous les voûtes de la cathédrale dont la sombre décoration était fort imposante..

Les étoffes noires ayant manqué, par suite d’une demande si générale et si imprévue, l’architecte conçut l’idée d’y suppléer en collant du papier noir sur toutes les parties planes et en réservant en blanc les moulures, les voussures, les colonnettes, enfin tous les détails d’ornement et d’architecture gothique de cet imposant monument. On m’a dit l’effet de cette décoration infiniment plus frappant que ne l’auraient pu être des draperies.

Pendant les deux journées de l’exposition à Notre-Dame, l’église fut constamment visitée par une population décente et silencieuse, témoignant de son respect et de ses regrets, aussi bien que la foule au moment du cortège. On entrait par la porte à la gauche du portail, et l’on faisait le tour de l’église à pas lents pour ressortir par celle de droite.

Cette procession durait sans interruption depuis six heures du matin jusqu’à la nuit, sans le plus léger tumulte, sans le moindre désordre, sans se croiser, sans se heurter, obéissant aux signes muets des agents placés pour la diriger. On m’a raconté que cela était également imposant et touchant. Je n’ai rien vu par moi-même de ces cérémonies.

Ainsi que le jour de l’ouverture des Chambres, monsieur le duc de Nemours obtint un suffrage général. On remarqua la bonne grâce et la dignité de son maintien en montant à l’absoute, et son abattement, sa profonde tristesse, son excessif changement excitaient d’autant plus de sympathie qu’on s’y attendait moins, accoutumé qu’on était à lui voir une physionomie à peu près impassible.

Il faut ajouter que les personnes appelées par situation à causer avec ce prince, dans ces premiers moments, lui reconnurent une grande justesse d’esprit et un jugement fort sain.

Il comprenait sa nouvelle situation et l’acceptait avec un amer chagrin, mais sans découragement. Jamais on ne put surprendre en lui une étincelle d’ambition personnelle ; il n’apercevait que de pénibles devoirs à remplir dans la haute position que la mort venait de lui faire.

Le mardi 2 août, le corps de monsieur le duc d’Orléans fut transporté de Paris à Dreux, accompagné de ses frères. Le Roi s’y rendit de son côté, pour recevoir ces tristes dépouilles du fils dont, à juste droit, il était si fier, et leur donner la dernière sépulture.

La rentrée du Roi et des princes à Neuilly, au milieu de la nuit, leur réception par les tristes princesses qui, réunies, attendaient leur retour furent la conclusion de ces funérailles qui, pour les habitants de ce palais, duraient depuis vingt et un jours et avaient épuisé toutes les forces, hormis celles de la Reine que l’excitation fébrile soutenait. Elles cédèrent immédiatement après.

Je ne retournai à Neuilly que vers la fin de la semaine. La Reine était seule ; j’entrai dans sa chambre. Je la trouvai entourée de papiers, de dessins, de portraits, de modèles, de projets de statues, de monuments, etc., et accablée par sa douleur.

Elle ne l’acceptait pas, elle n’y était pas résignée ; elle la subissait et pliait sous son poids. Cela était exact, même au physique. Sa tête s’appuyait sur ses genoux, des torrents de larmes coulaient jusque sur ses pieds ; toute sa personne fléchissait.

Le sopha où elle était assise se trouvait couvert de lettres. Elle mettait en ordre toutes celles que monsieur le duc d’Orléans lui avait écrites depuis sa petite enfance et que l’amour maternel avait précieusement conservées. Elle en était arrivée à celles du voyage en Allemagne, en 1835.

Elle m’en fit lire de bien tendres et charmantes ; j’en ai retenu cette phrase : « Chère maman, je prétends au droit de vous aimer plus encore que vos autres enfants, car je suis l’aîné et je vous dois quelques années de plus de bonheur. »

« Hélas, s’écriait la pauvre mère, je l’aimais tant ! trop peut-être ! je lui ai dit bien souvent : « Chartres, lorsque je me présenterai devant Dieu, j’aurai à répondre de la faiblesse que j’ai pour toi !… » Mais il m’aimait bien aussi ! Nous nous entendons sur toutes choses, car Chartres et moi nous sommes toujours d’accord ! »

La Reine retombait sans cesse dans des locutions qui continuaient l’existence de monsieur le duc d’Orléans. Aussi me disait-elle que ces derniers événements lui apparaissaient comme un épouvantable cauchemar dont elle se devait réveiller :

« Je sais tout, j’ai tout vu, ah oui, mon Dieu, reprenait-elle en frissonnant, j’ai tout vu, et elle joignait les mains, et elle fermait les yeux comme pour revoir encore intérieurement ce lugubre spectacle, j’ai tout vu, et je ne puis y croire ! »

Elle me fit de nouveau le récit de la fatale matinée, appuyant derechef sur les cruelles paroles de la veille : « Chère majesté, je viendrai, puisque vous le voulez », les dernières que lui eût adressées cette voix si chérie.

Mais, du moins, cette fois, ses larmes coulaient en abondance, et semblaient la soulager. Elle me parla un peu du Roi, beaucoup de madame la duchesse d’Orléans, mais seulement dans leurs rapports avec monsieur le duc d’Orléans.

Le nom de Chartres se trouvait constamment sur ses lèvres ; et rien ne lui arrivait qu’à travers cette mémoire qui absorbait toutes ses pensées.

Je restai longtemps avec la Reine et passai ensuite chez madame Adélaïde. Elle me confirma ce qui m’avait paru. La Reine avait moins d’excitation et plus d’accablement. D’après les vives instances du Roi, elle s’était soumise à voir le docteur Fouquier. Il lui avait trouvé de la fièvre, et elle promettait de se soumettre à ses ordonnances.

Madame me témoigna un grand désir de quitter Neuilly. On avait eu la pensée de s’établir à Saint-Cloud, mais l’espoir de pouvoir aller au château d’Eu très promptement y avait fait renoncer, d’autant que la répugnance de la Reine à quitter le lieu sanctifié par ses douleurs était partagée par madame la duchesse d’Orléans. La santé de celle-ci, à la grande surprise de tous, semblait se fortifier.

La première impression de la famille entière, me disait Madame, avait été que « la pauvre Hélène périrait sous le coup ». On avait été presque étonné de la voir arriver vivante à Neuilly.

Cependant elle ne s’épargnait rien. Son courage était exploité par sa douleur, et le petit comte de Paris lui retournait sans cesse le poignard dans le sein, par ses discours enfantins. Au jour des funérailles, lorsque le canon proclama l’arrivée du corps à Notre-Dame, ce bruit, trop bien prévu, provoqua cependant une explosion de douleur de la part de la princesse. L’enfant était présent.

Accoutumé à voir recourir à son père dans toutes les difficultés, il se mit à crier de toutes ses forces : « Papa, papa, appelez papa, allez chercher papa ; maman a du chagrin, maman se trouve mal. »

Elle se trouvait mal, en effet, car un nouvel évanouissement, assez prolongé pour alarmer, suivit cette pénible scène.

Peu de jours après, madame la duchesse d’Orléans fit appeler le valet de chambre allemand de monsieur le duc d’Orléans, qu’elle savait désespéré. Lorsque ses enfants rentrèrent chez elle, elle demanda à l’aîné :

« Paris, as-tu vu ce pauvre Bechre ?

— Oui, maman, il est venu chez nous. »

Puis, après un moment de silence, employé probablement à réfléchir qu’il voyait toujours Bechre dans l’appartement de son père, l’enfant se rapprochant de sa mère lui dit : « Mais, maman, pourquoi mon papa n’a-t-il pas de chez lui ici ? »

La pauvre princesse ne put que serrer sur son cœur le trésor qui lui restait de tant de biens perdus, en lui expliquant que le chez lui de papa était désormais dans le ciel.

Mais tout cela n’était encore rien. Le matin même, les deux petits cousins, le comte de Paris et le prince Philippe de Wurtemberg, jouaient ensemble à un bout de ce triste salon où toute la famille était réunie.

Le prince Philippe s’en vint droit à la Reine : « N’est-ce pas, bonne maman, que Paris n’a plus de papa, et que moi je n’ai plus de maman ? »

À cette question naïve de la cruelle indifférence du jeune âge, la Reine resta muette. Monsieur le prince de Joinville enleva le petit Philippe dans ses bras et l’éloigna. Chacun se dispersa pour aller cacher son trouble.

Madame Adélaïde était encore sous l’impression de cette interpellation lorsqu’elle me la raconta. La Reine ne m’en avait pas parlé.

C’était un épisode inaperçu dans sa douleur continuelle. Une bien plus pénible se méditait. La Reine annonça la résolution de visiter les caveaux de Dreux. Toutes les princesses la voulurent accompagner et accomplir ce douloureux pèlerinage.

Le départ pour Eu (que la santé de madame la duchesse d’Orléans et l’indisposition d’un des enfants firent ensuite retarder) ayant été fixé au soir du lundi qui suivit le pieux voyage à Dreux, j’allai prendre congé ce matin-là même.

Je restai confondue de voir le changement survenu dans l’état de la Reine. Elle s’était redressée, ses vêtements se trouvaient strictement épinglés, aucun laisser-aller ne se remarquait plus dans son maintien solennel et froid. Au lieu de m’admettre dans sa chambre, elle me reçut dans son salon.

Rien autour d’elle ne rappelait l’anéantissement où je l’avais laissée si peu de jours avant. Ses discours étaient aussi contenus que sa personne était guindée : plus de larmes, plus d’abandon. Elle s’était imposé un rôle et le remplissait avec un bien pénible effort.

Elle me parla principalement du Roi et des enfants, espérant que le séjour au château d’Eu leur serait favorable. Le seul mot qui rappelât son récent langage fut : « Chartres croit les bains de mer très salutaires à ses enfants », mais dits avec un œil sec et une voix sans émotion.

Déconcertée d’un changement dont rien ne m’avait prévenue et ne sachant quel diapason prendre pour me mettre à l’unisson d’un état si évidemment factice, ne m’attribuant pas assez d’importance pour avoir pu personnellement m’attirer les froideurs de la Reine, dans l’abstraction de toutes choses où elle vivait, j’abrégeai ma visite. La Reine ne chercha pas à me retenir.

Je témoignai à madame Adélaïde mon étonnement de ce changement si prompt : « Vous ne pouvez en être plus surprise que nous, me dit-elle ; la métamorphose s’est opérée dans le caveau de Dreux. » Madame me fit alors le récit de la journée.

Parties de grand matin, les princesses étaient descendues de voiture à l’église. La Reine, encore alors, se montrait telle que je l’avais vue, affaissée, accablée, inattentive à toute chose, exclusivement occupée de ses souvenirs, de ses regrets.

Tandis que les princesses catholiques assistaient à la messe, madame la duchesse d’Orléans, accompagnée de la grande-duchesse de Mecklembourg, descendait au caveau d’où il avait bientôt fallu emporter la jeune veuve, tombée évanouie au pied du cercueil.

La Reine s’y dirigea après la messe, suivie seulement de madame Adélaïde. Celle-ci me dit le frisson qu’elle avait ressenti en voyant cette pauvre mère entrer sous cette voûte qui renfermait déjà trois de ses enfants et venait de s’ouvrir une quatrième fois pour recevoir les restes de ce premier né, objet de ses plus chers amours.

Elle se prosterna sur le marbre en jetant des cris et des sanglots. Au bout d’un certain temps, ils s’apaisèrent presque subitement, et le silence devint si grand, si solennel, si prolongé que toutes sortes de craintes sinistres traversèrent l’esprit de madame Adélaïde, et elle se rapprocha suffisamment pour entendre une respiration contenue.

Quoiqu’un peu rassurée, elle hésitait à interrompre cette longue et immobile méditation, lorsque la Reine se releva, se redressa, et sortit d’un pas ferme du caveau.

Ses filles l’attendaient pour lui succéder dans les pieux devoirs qu’elle venait d’accomplir. « N’entrez pas là dedans, Victoire, dit-elle (Madame la duchesse de Nemours relevait de couche), sans mettre un châle. »

Chacun se regarda. C’était la première fois, depuis la fatale catastrophe du 13 juillet, que la Reine semblait s’occuper de quelqu’un ou de quelque chose qui n’y eût pas directement rapport.

À dater de cet instant, la Reine avait repris ses habitudes d’abnégation d’elle-même et d’occupation des autres. Madame la duchesse d’Orléans ayant eu une forte attaque de nerfs dans la voiture au retour, elle s’était empressée autour d’elle, et s’inquiétait aussi de la crainte de voir le Roi tourmenté du retard causé par cet incident.

Que s’est-il passé dans ce caveau ? C’est ce que personne ne sait. La mère a-t-elle fait au salut de son fils bien-aimé le sacrifice de cet égoïsme de douleur où elle s’était livrée jusque-là, et cet immense holocauste lui a-t-il paru seul digne d’une si chère victime ? ou bien quelque révélation intime a-t-elle annoncé à cette âme sincèrement pieuse, éminemment chrétienne, que les fautes étaient pardonnées, ainsi qu’elle l’avait si ardemment, si passionnément demandé au moment où le prince exhalait son dernier soupir ?

Cela reste un secret entre la Reine et Dieu ; mais j’incline pour la dernière version.

La pensée que son malheureux fils n’avait pas obtenu un moment pour se réconcilier avec Dieu causait, j’en suis persuadée, l’irritation fébrile où elle était en proie. Je le crois davantage, en me rappelant les puissantes consolations que je lui ai vu puiser dans la fin si dévotement catholique de la princesse Marie. Sans doute, la perte n’était pas semblable, ni la douleur comparable ; mais enfin c’était aussi un enfant bien chéri.

Je revis la Reine à son retour d’Eu. Elle était mieux. Sa figure avait repris son expression naturelle de bienveillance ; elle avait perdu cette rigidité factice de traits et de maintien, remarquée à notre dernière entrevue.

Elle pleura beaucoup, me parlant librement de Chartres, de l’amour qu’elle lui portait, de la fierté qu’elle en tirait, de la confiance avec laquelle elle prévoyait le sort de sa famille et de la France entre ses mains.

Ses larmes coulaient avec amertume, mais sans irritation… « Enfin, disait-elle, après avoir exprimé chaque motif de ses justes regrets, enfin, ma chère, Dieu l’a voulu… »

Malgré ces expressions de résignation pieuse, la pauvre Reine est atteinte au cœur à ne s’en point relever. Elle m’a dit : « Il y a un moi intime qui est tué pour toujours ; l’autre moi cherchera à remplir les devoirs de sa situation jusqu’à la fin, et c’est celui-là seul qu’on verra à l’extérieur. »

Bien des mois se sont écoulés depuis ces paroles, et la Reine n’a point fait le moindre progrès. L’anxiété même, produite par les dangers où s’exposent ses autres enfants, glisse sur sa douleur et ne détourne pas le poids du souvenir sous lequel elle est écrasée. Mais il faut être avant dans sa confidence, aussi bien que façonnée à la deviner, pour s’en apercevoir.

Je n’ai pas encore eu l’honneur d’approcher madame la duchesse d’Orléans qui vit dans la plus profonde retraite. Elle ne voit que sa royale famille. On lui rend des soins empressés. La grande-duchesse douairière, de Mecklembourg ne la quitte pas.

On me dit sa santé améliorée, ce qui s’explique par la vie régulière que les circonstances lui imposent, tandis que le désir d’accompagner son époux et de lui plaire la faisait souvent manquer au régime conseillé par les médecins.

Exclusivement occupée de ses enfants qu’elle ne supporte pas un instant éloignés, elle trouve en eux sa seule consolation, et peut-être y prévoit par instinct son importance à venir. Sa douleur est intense, mais fière et courageuse ; elle perd tout, le sait et l’apprécie.

Monsieur le duc d’Orléans était le plus tendre des époux. L’amour, l’estime, les convenances réciproques unissaient ce ménage qui s’entendait de tous points. Je crois, de plus, et je suis loin de lui en faire un tort, que madame la duchesse d’Orléans prisait fort le haut rang où elle était appelée. On s’apercevait facilement qu’en tout lieu elle voulait être reconnue la seconde dame de France, en attendant qu’elle en devînt la première.

La perte de cette situation lui doit être sensible. Il faut admettre aussi qu’elle ne peut se sentir suffisamment identifiée à la famille royale, si intimement unie entre elle, pour ne point éprouver un grand sentiment d’isolement, maintenant que le puissant lien qui l’y rattachait se trouve si cruellement brisé.

Je n’ai pas la pensée de jouer ici le rôle ingrat de prophète, mais il n’est pas difficile de prévoir qu’avec la distinction de son esprit, madame la duchesse d’Orléans ne se contentera pas du rôle de bonne de ses enfants, et que, si on ne lui fait pas une place politique dans l’État, elle devra être accessible aux ambitions qui ne manqueront pas de s’agiter autour d’elle.

Voici un mot de cette princesse, qui m’a fort touchée. Monsieur de Rémusat, admis dernièrement auprès d’elle, me racontait qu’en revenant sur le passé elle lui avait dit :.

« Lorsque je me suis décidée à venir en France, j’y avais longuement réfléchi. On ne m’avait pas épargné les avertissements sur les difficultés, sur les dangers même, où je m’exposais. D’autre part, je savais les brillantes qualités du prince royal, les vertus, l’union de la famille où je devais entrer…

« J’avais beaucoup pensé, beaucoup raisonné, je me croyais préparée à toutes les éventualités. Il y a une seule chose que je n’avais pas prévue… c’est que je serais la femme la plus heureuse qu’il y eût au monde ! »

Châtenay. — Mai 1843.