Mémoires de la ville de Dourdan/Texte entier
MEMOIRES
DE LA VILLE
de Dovrdan.
IACQVES DELESCORNAY
AV ROY,
Sire,
A l’heure meſmes que ie feus honoré de la charge de voſtre Aduocat à Dourdan, douze ans y a, ie pris reſolution de l’exercer, non ſeulement ſans donner ſuiet de correction, mais encores auec tout l’honneur & l’vtilité qu’on en pourroit ſouhaiter ; & pour y paruenir & m’en acquitter plus dignement, i’entrepris vne exacte recherche de l’ancienne conſiſtance de voſtre Domaine & de l’eſtenduë de voſtre Iuſtice : en quoy i’ay trauaillé auec tant d’aßiduité & d’affection, que ie ſuis paruenu au but de mes intentions & i’ay merité l’agreable fecondité de laquelle Dieu recompence le plus ſouuẽt ceux qui tendent à bonne fin, c’eſt à dire vne grande lumiere dans l’antiquité du païs de laquelle ie n’auois rien peu apprendre iuſques à lors, meſmes des plus anciens qui l’auoient touſiours ignorée & meſpriſée : Ceſte premiere ouuerture m’a dõné l’enuie & l’adreſſe de paſſer outre & m’a fait apprẽdre que Dourdan pouuoit entrer en paralleles auec les lieux les plus renommez de la France, tant à cauſe de ſon ancienne vnion à la Couronne, que pour l’aduantage qu’il a touſiours eu d’eſtre chery & frequenté par les Roys & Princes de leur ſang, comme eſtant plein de delices & tres-propre pour la Chaſſe leur ordinaire déduit : Ceſte cognoiſſance m’eſtoit vn threſor caché, que ie n’oſois deſcouurir craignant d’eſtre accuſé d’impoſtures, & que le peu d’eſtat qu’en ont fait les Roys vos predeceſſeurs depuis quelques années ne ſeruiſt de condamnation contre tout ce que i’en euſſe peu dire. Pendant que ie me forçois à ce ſilence le hazard ayant fait voir le païs à voſtre Maieſté, & elle en ayant fait le iugement que ſa ſituation & ſes diuerſitez pouuoient meriter, i’ay commencé d’eſtre eſmeu & prendre quelque courage, mais lors que la Royne voſtre Mere a fait voir qu’elle y vouloir engager vos affections comme en choſe qui luy appartenoit, i’ay pris l’effort, & comme l’vn de ſes principaux Officiers ſur le lieu, i’ay penſé deuoir ſeconder ſes pieuſes intentions & contribuer de ma part à l’accompliſſement de ce loüable deſſein, en monſtrant à voſtre Maieſté, par les exemples de ſes deuanciers, que ce païs luy eſtoit naturellement dedié, & qu’elle ne le pouuoit meſpriſer ſans ſe priuer d’vne infinité de plaiſirs & de tres-agreables paſſe-temps. Par ce diſcours (Sire) vous verrez tous les Roys vos ayeuls depuis Huë Capet iuſques à S. Louys, eſtre attachez de paßion à Dourdan : vous y remarquerez des teſmoignages de tres-grande affection de Louys Comte d’Eureux, duquel vous eſtes deſcendu du coſté de Nauarre à cauſe de Philippes le Bon ſon fils : vous y apperceurez Marie d’Eſpagne femme de Charles Comte d’Eſtampes & depuis de Charles Comte d’Alençon, de laquelle vous eſtes pareillement yſſu du coſté de Vendoſme, y faire toutes ſes couches (marques infaillibles de la pureté & ſalubrité de l’air) & vous y deſcouurirez, que de tous ceux qui l’ont poſſedé, il n’y en a eu aucun qui ne l’aye außitoſt choiſi pour ſa principale demeure. Cecy ſeruira (Sire) pour vous confirmer d’autant plus en l’eſlection que vous en auez fait, & ſera admirer par tous les François la ſolidité de voſtre iugement & les empeſchera de s’eſtonner ſi auec tant de facilité & ſans autre conſideration ny de baſtiments ny d’autres artifices voſtre Maieſté s’y eſt trouuée engagée, puiſque la naturelle beauté du lieu a de tout temps eu d’aſſez puiſſants charmes pour y retenir les Ames Royales, & que s’il a eſté aucunement negligé depuis quelques années par vos predeceſſeurs, ç’a pluſtoſt eſté faute d’eſtre cogneu que pour aucune imperfection qui s’y feuſt remarquée. En fin, ce petit ouurage, mais ce grand trauail (Sire) me ſeruira pour vous monſtrer qu’à l’imitation de mes anceſtres qui ont depuis quatrevingts-douze ans continuellement ſeruy en qualité de domeſtiques les Maieſtez Royales, Ie n’ay autre inclination ny autre volonté que de rendre à la voſtre tous les ſeruices que luy doibt
MEMOIRES
DE DOVRDAN.
Le nom.
La plus-part des Eſcriuains employent ſouuent pluſieurs lignes à diſcourir de l’origine & ſignification des noms des choſes dont ils veulent parler, mais ie me contenteray de dire que Aimoïnus Monachus Hiſtorien nomme Dourdan Dordinga, que dans vn vieil tiltre de Long-pont il eſt appellé Dordingtum, & que par la Legende de ſaincte Meſme i’apprend qu’anciennement vn Seigneur du pays eſtoit qualifié Rex Dordanus : mais pource que ces termes ſont equiuoques ſignifiants Roy Dourdain & Roy de Dourdan, ie ne puis dire s’il a fait baſtir Dourdan & luy aye donné ſon nom, ou ſi Dourdan eſtant auparauant luy il en aye porté le nom pource qu’il en eſtoit Seigneur.
Le payſage.
Le payſage peut eſtre dict vn racourcy des beautez de la France, tant à cauſe de ſa ſituation que de ſes diuerſitez : Il n’eſt qu’à dix lieuës de Paris, au midy, compoſé d’vn vallon aſſez large & eſtendu qui va du couchant au leuant, dans le milieu duquel coule vne petite riuiere nommée Orge, qui prend ſon origine d’vne fontaine de Bertrandcour (vulgairement Breteucourt) & ſe groſſit par vne infinité de ſources & fontaines qu’elle rencontre en ſon chemin, leſquelles (auec la prairie, quelques eſtangs & quantité de petits boſquets entremeſlez) fourniſſent de grandes delices, & charment merueilleuſement ceux qui les ont vne fois veuës : Aux deux coſtez de ceſte prairie, & ſur les pendants du vallon, ſont terres labourables qui continuent juſques à la foreſt, laquelle s’eſtend au deſſus & couure les deux coſtaux en la largeur de demie lieuë ou enuiron : dans ceſte foreſt y a vn triage nommé Mineré, ainſi appellé à cauſe des mines de fer qui y ont eſté, & deſquelles les veſtiges reſtent encores aujourd’huy. A l’endroit de la ville de Dourdan ceſte agreable diuerſité eſt interrompuë par vne autre non moins plaiſante & profitable, qui eſt telle que de là en aual au lieu de foreſt les deux coſtaux ſont garnis de vignes qui produiſent de tres-bon vin, celles principalement du territoire de Chaſteau-pers (qui eſtoit anciennement nommé Cremaux,) pource que le ſoleil de midy les regarde directement & à plomb : Au delà de la foreſt & des vignes (du coſté de Septentrion) ſont petites campagnes entremeſlées de vallons & boccages, où ſe trouuent quantité de fruicts à cildre, & autres, & ſe nomme ce pays Hurpoix : & du coſté du Midy eſt vne raze campagne de dix-huict lieuës de long, & plus de large, nommée Beaulce, de la fertilité en bleds, de laquelle ie ne parleray point, pource qu’elle eſt aſſez cogneuë.
La ville.
La ville de Dourdan eſt baſtie dans le fonds de ce vallon, ſinon qu’elle ſ’eſtend dauantage ſur la pente Septentrionale, en telle ſorte que la riuiere ne paſſe dedans que par vn bout, où ayant fait tourner vn moulin qui dépend du Domaine, & trauerſé cinq ou ſix maiſons, elle en ſort & coule le long des murailles pour ſeruir à pluſieurs Tanneurs & Megiſſiers. Sa figure eſt ronde : elle eſt compoſée de deux parroiſſes, l’vne (& la principale) ſoubs l’inuocation de Sainct Germain Eueſque d’Auxerre, laquelle fut dés l’année mil cent cinquante donnée par Goſlenus Eueſque de Chartres aux Chanoines de Sainct Cheron lez Chartres (peu de temps auparauant par luy regulariſez) & l’autre ſoubs le tiltre de Sainct Pierre. Dans le milieu de la ville eſt vn chaſteau bien baſty, flanqué de bonnes tours & enuironné d’vn large foſſé, à fonds de cuue, reueſtu de pierres taillées : L’vne de ces tours (plus groſſe & haute que les autres) eſtoit cy-deuant deſtachée du chaſteau, & poſée dans le milieu du foſſé pour ſeruir de dongeon & s’y retirer en cas de neceſſité, (auſſi ſe trouue-elle accommodée de toutes choſes neceſſaires en tels accidents, comme d’vn puis & d’vn four pris dans l’eſpoiſſeur du mur, d’vn moulin à bras, & autres pareilles commoditez :) On y entroit du chaſteau en temps de paix à l’aide d’vn pont, & en temps de guerre par vne caſemate, juſques en l’année mil ſix cens huict que Monſieur de Sully vſufruictier de Dourdan fit faire vne terraſſe par le moyen de laquelle elle eſt à preſent vnie & jointe au chaſteau en telle ſorte, qu’on y peut aller de pied ferme comme en toutes les autres : En ceſte tour reſide toute la Seigneurie de Dourdan, & ſont dicts les vaſſaux releuer du Roy à cauſe de la groſſe tour de ſon chaſteau de Dourdan : Toutes les autres tours furent couuertes de thuille en l’année mil quatre cens cinquante, & ont duré telles juſques en l’année mil cinq cens quatrevingts-vnze, que ceſte couuerture fut ruinée par le Mareſchal de Biron, lors qu’auec l’Armée Royale il aſſiegea le chaſteau. Deuant la porte de ce chaſteau eſt vne grande place, en laquelle eſtoit autresfois vn jardin qui y auoit eſté fait depuis peu d’années par vn grand apport de terres qui le rendoit plus haut que le rez de chauſſée : & de faict lors du ſiege le Capitaine Iacques en ayant fait oſter quantité de terre pour fortifier le chaſteau, dans lequel il commandoit : & eſtant paruenu juſques à l’ancien ſolage on y a trouué des foyers & autres choſes, qui font cognoiſtre qu’auparauant y auoit eu des baſtiments qui auoient (peut-eſtre) eſté ruinez pour y pratiquer la commodité de ce jardin : Or de dire quand cela ſ’eſt fait, ie n’en ay peu rien apprendre : bien ſçay-ie que ce jardin eſtoit deſia en nature dés l’année mil quatre cens huict, que Iean Duc de Berry le donna par ſon teſtament au Prieur de Sainct Germain. Au bas de ceſte grande place eſt vne tres-belle halle, en laquelle ſ’eſtalent toutes ſortes de marchandiſes chacun iour de Samedy, & ſ’y vend grande quantité de bled qui y eſt apporté de toute la Beaulce, & principalement en la ſaiſon de ſemer, d’autant que tous les laboureurs de là à Paris y viennent querir des ſemences qui ſ’y trouuent tres-bonnes : Ceſte halle eſtoit deſia baſtie en l’année mil trois cens quinze, car en ce temps le Seigneur de Dourdan donna lettres d’admortiſſement au Prieur de Sainct Pierre pour le recompenſer du droict qu’il y pretendoit auoir à cauſe de quatre eſtaux, mais elles ont eſté augmentées ez années mil quatre cens cinquante & mil quatre cens quatrevingts-ſix.
Le trafic.
Le principal trafic qui ſe face à Dourdan eſt de bas d’eſtame & de ſoye, qui y a eſté introduit nouuellement enuiron l’an mil cinq cens ſoixante, qu’vn officier de l’Eſcurie que Monſieur de Guyſe Seigneur vſufruictier y auoit eſtably, voyant vn jeune garçon trauailler habilement à faire des bonnets de laine, & jugeant ſon eſprit aſſez eſueillé pour comprendre choſe nouuelle, il luy fit naiſtre l’enuie de faire vn bas, (duquel les points n’eſtoient autres que ceux du bonnet :) & pour luy ouurir le chemin, luy en donna vn vieil de ſoye ſur lequel il pourroit ſ’instruire & prendre patron : Ceſte entrepriſe reüſſit ſi heureuſement, que ce nouuel apprenty rendit vn bas d’eſtame fait en perfection, & fut capable d’en enſeigner la methode à ſes compagnons bonnetiers, (deſquels y auoit grand nombre en ceſte ville, pource que lors on n’vſoit point encores de chapeaux, ains ſeulement de bonnets :) A leur exemple tous ceux de la ville ſ’y appliquerent, & en fin furent imitez par les villages circonuoiſins, voire par tous ceux de la Beaulce, juſques à huict ou neuf lieuës loing. Quelques années apres les ouuriers de la ville plus ſubtils que les autres ſ’adonnerent aux bas de ſoye (en la façon deſquels ils ne cedent en rien à Milan) & laiſſerent la laine aux Beaulcerons, les ouurages deſquels toutesfois les marchands de Dourdan vont achepter ſur les lieux, pour (après les auoir appreſtez) les vendre à ceux de Paris.
Les armoiries.
Les armoiries de Dourdan ſont trois pots, & n’ay autre raiſon pourquoy elles ont eſté priſes telles, ſinon qu’anciennement il s’y en faiſoit grande quantité, comme i’apprends par les vieux comptes du Domaine, dans leſquels il y a article de recepte du droict qui appartenoit au Roy ſur chacun four à cuire pots, joinct que dans le pays la terre propre à tel ouurage ſe trouue en abondance.
Les Iuriſdictions.
Dourdan eſt honoré & tiré du commun par les diuerſes Iuriſdictions qui y ont touſiours eſté, ſçauoir eſt le Baillage qui eſt ſi ancien, que ie n’en ay peu trouuer la premiere inſtitution, mais bien ay-ie dequoy monſtrer que depuis l’année mil trois cens vingt neuf il a eſté aſſez recogneu, comme il ſera plus particulierement déduit cy-apres, ne pouuant ſeruir au contraire l’ordre des ſceances qui s’eſt tenu aux Eſtats de Paris, eſquels les Deputez de Dourdan ont preſque tenu le dernier lieu & marché après aucuns deſquels les Baillages ont eſté erigez depuis l’année mil trois cens vingtneuf, d’où ſ’en ſuiuroit que celuy de Dourdan ne ſeroit ſi ancien : d’autant que cecy n’a autre fondement, & n’eſt arriué que par obmiſſion & vice de clerc : Car aux Eſtats d’Orleans, à l’appel qu’on fit de tous les Baillages ſelon leur ordre, Dourdan ayant eſté oublié, Michel Deleſcornay mon ayeul qui y auoit eſté député, remonſtra que Dourdan recogneu pour l’vn des Baillages de la France ayant eſté conuoqué aux Eſtats, il y auoit eſté enuoyé, & ſ’eſtonnoit qu’il n’auoit eſté appellé en ſon rang, lors la faute ayant eſté recogneuë, & qu’il euſt eſté trop long de rechercher ſon lieu, on l’adjouſta en fin de la liſte, c’eſt pourquoy il ſe trouue à preſent le dernier de tous ceux qui eſtoient lors : Mais ſi on en vouloit prendre la peine, il ſeroit aiſé de le faire mettre en lieu plus honorable. Pour concluſion, l’ancienneté de ce Baillage paroiſt aſſez, puis qu’on n’en trouue point l’origine, laquelle doit eſtre referée au temps de toutes les autres : & ſa qualité ſe remarque ſuffiſamment par ſa Couſtume particuliere ; Qui fait juger que Dourdan eſt auſſi bien chef de Prouince que Paris & Orleans, & ne recognoiſt pour ſuperieur que la Cour de Parlement, ſinon qu’ez cas du Preſidial les appellations ſe releuent à Chartres.
La Preuoſté y a auſſi eſté de tout temps, mais ſoubs diuerſes conditions : car elle ſ’eſtoit touſiours baillée à ferme comme par tout ailleurs, juſques enuiron l’année 1500 qu’elle fut erigée en tiltre d’office : Or qu’elle ne ſoit tres-ancienne, il n’y a lieu d’en douter, puisqu’elle eſtoit du temps de Philippes Auguſte, qui la chargea de ſeize liures pariſis pour la dotation de la Chapelle de ſon chaſteau de Dourdan, comme il ſe verra cy-apres.
Les Eaux & Foreſts y ont auſſi eu leur Iuſtice particuliere dés l’heure meſme que Philippes de Valois les deſmembra des Baillages, car le Maiſtre particulier qui fut pourueu pour les pays de France, Brie & Champagne, eſtablit vn ſiege à Dourdan comme il fit en chacun Baillage de ces Prouinces, pour y exercer ſa Iuriſdiction, & y commit vn Lieutenant pour terminer les differends qui naiſtroient en ſon abſence : & a duré ceſte façon de viure juſques en l’année mil cinq cens cinquante-quatre, que par Edict on crea des Maiſtres en chacun de ces Baillages au lieu des Lieutenants qui y eſtoient, en telle ſorte, qu’au lieu d’vn Maiſtre qu’il y auoit pour ces trois Prouinces, on y en eſtablit douze ou quinze, & particulierement vn à Dourdan.
L’Eſlection y eſt auſſi fort ancienne : car ie trouue que dés l’année 1486. Nicolas Picquet eſtoit qualifié Procureur du Roy, tant au Baillage, que ſur le faict du Domaine & Aydes de Dourdan : Il eſt bien vray qu’il n’y auoit point encores lors de Bureau de recepte, & que les Collecteurs des parroiſſes portoient leurs deniers à celuy de Chartres ; mais pourtant l’Eſlection de Dourdan ne dépendoit aucunement de celle de Chartres, car elle receuoit ſes mandements particuliers pour les tailles, faiſoit ſes departements & jugeoit tout ainſi que celle de Chartres : en fin elle fut en l’année 1577. augmentée d’vn bureau de recepte, auſſi bien que toutes les autres.
Outre ces Iuriſdictions Royales celle du grand Archidiacre de Chartres y eſt encores exercée pour les Eccleſiaſtiques, de laquelle les appellations ſont releuées pardeuant l’Official de l’Eueſque de Chartres.
Il y a pareillement eu de tout temps quelqu’vn de pourueu pour la garde du chaſteau ſoubs la qualité de Capitaine, ſans auoir pris celle de Gouuerneur, qui eſtoit reſeruée à celuy de l’Iſle de France, dont Dourdan eſt membre : ainſi l’ont pratiqué pluſieurs Gentils-hommes & Seigneurs de marque, entre autres le Seigneur de Vendoſme Prince de Chabanays & Vidame de Chartres, apres luy le Seigneur de Montgommery, & en ſuitte le Seigneur de Choiſy, tous leſquels n’ont pris autre tiltre que Capitaines du chaſteau de Dourdan, & en ceſte qualité ont eſté employez dans les comptes du Domaine, en tel ordre toutesfois, que les Baillifs paſſent deuant ; marque infaillible que la preſceance & les prerogatiues d’honneur leur ſont deferées comme chefs de la Prouince, ſauf aux Capitaines de commander & prendre toute ſorte d’honneurs dans leur chaſteau. Soubs chacun de ces Capitaines il y auoit encores vn Concierge, qui auoit la charge de la porte & des priſons qui eſtoient dans le chaſteau, aucuns deſquels ſe trouuent qualifiez Gentils-hommes & Eſcuyers.
L’origine.
Quelque exacte recherche que i’aye peu faire depuis vnze ans, ſi n’ay-ie peu paruenir juſques à vne cognoiſſance certaine ny du temps ny de celuy qui a fait baſtir le chaſteau de Dourdan : mais quoy qu’il en ſoit, ie conjecture & par ſon aſſiete & par ſa conſtruction, qu’il eſt tres-ancien, & fait en vn temps auquel l’vſage de la mine n’eſtoit encores pratiqué ; car il a eſté fait pour vne place imprenable, contre laquelle ny les beliers, ny l’eſcalade, ny les autres machines de guerre ne pouuoient profiter : & neantmoins eſt ſi fort ſubject à la mine, (eſtant aſſis ſur vn petit tertre duquel le terrain n’eſt que ſable, qui peut eſtre fouïllé aiſément) qu’en moins de quinze toizes de mine on ſe peut loger ſoubs les fondements, comme le monſtra bien Monſieur de Biron lors qu’il l’aſſiegea en l’année 1591. Or il eſt certain que ſi lors qu’il a eſté baſty on euſt eu l’adreſſe de la mine, on l’euſt garenty, ou du moins n’y euſt-on laiſſé ceſte grande facilité.
Rex Dordanus.
En ſecond lieu, i’apprend par la Legende de Saincte Meſme, que ce Rex Dordanus, dont i’ay parlé cy deuant, homme Payen, demeuroit au lieu dict Saincte Meſme, demie lieuë au deſſus de Dourdan, & auoit vne fille nommée Meſme, laquelle fit profeſſion du Chriſtianiſme à ſon deſceu : à cauſe de quoy (& pour n’eſtre deſcouuerte) elle ſe retiroit ordinairement prez d’vne fontaine, où elle faiſoit ſes ſecrettes prieres ; mais en fin, ayant eſté deſcouuerte, & n’ayant peu eſtre diuertie, il luy fit trencher la teſte par la main propre de Meſmin ſon frere, lequel (adjouſte le vulgaire) ayant recogneu ſa faute, fut baptiſé, & ſe relegua quelque temps dans la foreſt prez d’vne fontaine où il fit penitence.
La difficulté que ie trouue en ceſte Hiſtoire eſt de ſçauoir, ſi Rex Dordanus doit eſtre interpreté Roy Dourdain : auquel cas ie croirois qu’il auroit eſté l’autheur de Dourdan, & luy auroit donné ſon nom : ou bien ſi on doit expliquer Roy de Dourdan, (car l’vn ſe peut dire auſſi toſt que l’autre :) & lors il faudroit conclure neceſſairement que Dourdan auroit eſté le plus ancien ; mais quoy qu’il en ſoit de cecy, on peut eſtablir pour fondement, que Dourdan eſtoit du temps que le Paganiſme regnoit en France, puiſque Rex Dordanus eſtoit Payen.
Ie ne doute pas que quelque poinctilleux n’accuſe ceſte Legende de ſuppoſition, à cauſe de ces termes Rex Dordanus, n’eſtant croyable qu’en ce pays y aye eu vn Roy, & que ce mot Dordanus ne reſſent point vne ſi grande antiquité, au contraire ſemble auoir eſté fabriqué nouuellement ſur la dénomination moderne de Dourdan, qui eſtoit autrement appellé par les plus vieux (comme i’ay dit cy-deuant) Dordinga & Dordingtum, ſuiuant quoy vn Autheur celebre (parlant de la riuiere de Dourdan) dit, Orgia alluit Dordingam, quam vulgò Dordanum incolæ vocant. Mais ie reſpondray trois choſes. La premiere, que ceſte Legende eſt approuuée de l’Eueſque, & ſe lit dans l’Egliſe aux iours de la feſte de Saincte Meſme, c’eſt pourquoy il n’y a apparence de ſuppoſition, joinct qu’il n’y a aucune memoire ny par tradition ny autrement, depuis quand elle a eſté introduite, & qu’elle a touſiours eſté curieuſement conſeruée par les Seigneurs du lieu, qui la reſeruent comme vn precieux threſor. La ſeconde, que ce tiltre Rex ne veut ſignifier que Seigneur de qualité : ainſi en a vſé l’Euangeliſte, Regulus quidam ; & Monſieur de Thou en ſon Hiſtoire (parlant d’vn Comte, Baron, ou autre) ſe ſert de ce terme Regulus. Quant à Dordanus, il ſe peut faire que quand on a fait vne ſeconde copie de ceſte Legende, quelqu’vn voulant faire le ſçauant, a ſupprimé l’ancien mot qu’il croyoit eſtre barbare ou fautif, pour y mettre ce nouueau. La troiſieſme & derniere, à laquelle ie ne preuoy point de reſponſe, eſt, que toutes les marques circonſtanciées de ceſte Hiſtoire ſe trouuent encores aujourd’huy ſur le lieu : car joignant le village de Saincte Meſme (la prairie neantmoins entre-deux) ſe trouue vn grand champ dans lequel (ſi on fouïlle vn pied & demy) on trouue vn lict de chaux & ciment ſur le terrain qui n’eſt que ſable, & ſur ce lict du carreau blanc entremeſlé de noir large comme l’ongle, à la moſaïque, qui fait juger qu’en cét endroit eſtoit la ſalle de quelque ſomptueux Palais, & que quelque Seigneur de grande qualité y demeuroit ; veu meſme qu’on y trouue tous les iours des pieces de marbre ouuré, & encores depuis peu vne main fort bien taillée. Or n’y ayant autre Hiſtoire ny tradition qui parle de celuy qui a habité ce Palais, & d’ailleurs l’eſtat preſent des choſes faiſant aſſez juger de ſon ancienneté, pource que tant de terres ne pourroient auoir eſté amaſſées ſur ſes ruines qu’apres pluſieurs ſiecles eſcoulez, joinct qu’en ce lieu ſe monſtre vne fontaine fort bien entretenuë, qu’on dit eſtre celle vers laquelle ſe retiroit Saincte Meſme, & au deſſus dans la foreſt vne autre pres laquelle on dit que Meſmin faiſoit penitence apres auoir eſté conuerty, il n’y a plus lieu de combattre ceſte Legende, ny rejetter l’Hiſtoire que i’en tire, pour marquer l’ancienneté de Dourdan.
Hugues le Grand.
Apres auoir parlé de la fondation de Dourdan auec incertitude & par preſomption & conſequences ſeulement, il eſt raiſonnable de diſcourir de ſon progrez auec plus d’aſſeurance & ſelon la cognoiſſance que i’ay eu de la verité des choſes. Il eſt donc à remarquer que Dourdan apres pluſieurs mutations depuis ſon eſtabliſſement, en fin arriua à Hugues le Grand Comte de Paris, qui ſ’en eſt ſeruy comme d’vn lieu de plaiſance, tant à cauſe de la beauté du pays, que de la ſalubrité de l’air, & pour la rencontre qu’il y fit de toute ſorte de chaſſes (principal deſduict des Grands & des Roys :) On n’y manque pas de lapin, à cauſe des garennes qui y ſont : le lievre y peut eſtre couru & auec leuriers & chiens courants, tant dans la plaine de la Beaulce, que dans le pays boſſu de Hurpoix : les renards ſe trouuent abondamment dans les petits bois qui ſont ez enuirons : les teſſons & blereaux ont pluſieurs taſnieres dans la foreſt pour exercer les pionniers à les fouïller & prendre au giſte : en fin la foreſt fournit de quantité de cerfs, ſangliers & cheureuls, qui peuuent donner infinis paſſe-temps auſſi bien que les loups qui ſe rencontrent ſouuent dans le pays : Mais le comble des plaiſirs arriue quand ces grandes beſtes ſe rembuchent dans des petits bois ou buiſſons qui ſont au milieu de la Beaulce eſloignez de la foreſt : pource qu’apres auoir eſté lancées, & qu’elles ont battu ces petits forts, elles ſont contraintes de ſortir & courir en plaine campagne, car lors on les voit auec toute la chaſſe, & les peut-on conduire de l’œil juſques à perte de veuë ſans aucun obſtacle. Outre cecy la volerie y eſt tres-belle, tant pour les herons & canars que retiennent les eſtangs & la pairie, que pour les perdrix, corneilles, & tous autres oyſeaux qui y ſont en quantité : Mais ce qui rend ce plaiſir de chaſſe plus accomply, eſt, qu’en quelque temps que ce ſoit on en peut joüir ſans incommodité : car en eſté les vallons fourniſſent de rafraiſchiſſement aux coureurs, & en hyuer la courſe n’eſt que plus aiſée, à cauſe des ſablons qui y ſont en abondance ; C’eſtoient les cauſes qui y attiroient ce grand Comte, & les appas qui depuis ont tellement charmé nos Roys & autres Seigneurs qui l’ont cogneu, qu’ils n’ont pas eſtimé qu’il ſ’en peuſt trouuer prez Paris vn plus propre pour leurs plaiſirs & paſſe-temps : auſſi l’ont-ils ſouuent frequenté, comme on peut juger par deux articles de recepte que i’ay remarqué dans les anciens comptes du Domaine, l’vn deſquels eſt des pains que debuoient les habitans des Granges-le-Roy tous les ans à Noël ; & l’autre des gelines qu’ils debuoient quand le Roy venoit à Dourdan, car le pain ſeruoit pour nourrir les chiens qui eſtoient ordinairement ſur le lieu, & les gelines ſeruoient pour les oyſeaux de proye, qui n’y eſtoient apportez qu’auec les Roys : A quoy faut adjouſter, que par ces comptes ſe fait recepte de grande quantité de foins & d’auoines, & que par deux chapitres de deſpenſe il eſt clairement monſtré qu’ils auoient accouſtumé d’eſtre conſommez ſur le lieu par les cheuaux de l’Eſcurie des Roys. Or ſi les Roys n’y fuſſent allez que rarement, pourquoy y euſſent-ils eu des chiens ? & pourquoy euſſent-ils voulu ſ’aſſeurer de paſture pour leurs oyſeaux & pour leurs cheuaux ? Neantmoins (afin que ceſte propoſition demeure pour certaine, & ſoit ſans doute) ie déduiray cy-apres des exemples qui l’eſtabliront de tout poinct. Mais pour reuenir à Hugues le Grand : il auoit vne ſi grande paſſion pour Dourdan, qu’il la voulut eterniſer, & en laiſſer des teſmoignages à la poſterité, y rendant les derniers ſouſpirs de la vie, ou ſoit qu’il ſ’y fuſt fait porter eſtant malade, pour (à l’aide de la pureté de l’air) y recouurer ſa ſanté, ou qu’y eſtant pour ſes plaiſirs, la maladie l’y euſt ſurpris.Huë Capet.
Dourdan juſques icy auoit eſté poſſedé par Seigneurs particuliers : mais auſſi toſt que Huë Capet (auquel il appartenoit en propre par la ſucceſſion de Hugues le Grand ſon pere) fut appellé à la Couronne, il l’y reünit, & y eſt touſiours demeuré, horſmis quelque temps qu’il a ſeruy d’appanage à des enfans de France, comme il ſera remarqué en ſon lieu. Ie n’ay autre preuue pour juſtifier que ce Roy a honoré Dourdan de ſa preſence ſinon qu’eſtant ſon heritage propre, & ſ’y eſtant habitué (comme il eſt vray-ſemblable) auparauant qu’eſtre Roy, à l’exemple de ſon pere, & pour les meſmes raiſons on ne dira pas qu’il l’aye oublié & meſpriſé apres qu’il a eſté Roy, puiſque ſes ſucceſſeurs Roys ne l’ont deſdaigné.
Robert, Henry, et Philippes I.
Tout ainſi que ie me ſuis ſeruy de l’exemple de Hugues le Grand & des moyens generaux que i’ay touché (en paſſant) parlans de luy, pour induire que Huë Capet ſon fils auoit aymé Dourdan, i’employeray le meſme diſcours & la meſme concluſion pour les Roys Robert, Henry I. & Philippes I. pour leſquels ie n’ay rien peu trouuer de particulier, tant à cauſe du long temps qui ſ’eſt eſcoulé depuis leur regne, que de la perte de tous les tiltres de Dourdan & des lieux circonuoiſins, qui me contraignent de me tenir dans ces moyens generaux : neantmoins j’adjouſteray que la preuue claire que i’ay pour leurs ſucceſſeurs immediats jointe à l’exemple de Hugues le Grand leur predeceſſeur, fera conclure que Dourdan eſtoit vn lieu Royal & deſtiné pour le plaiſir des Roys, & conſequemment que ces trois icy l’ont frequenté comme les autres, ou en tout cas, que leur eſtant reſerué, ils y ont touſiours eſté reputez preſents.
Louys le Gros.
Il ne ſera pas beſoin de beaucoup de diſcours ny de grands artifices, pour juſtifier que Louys le Gros a chery & frequenté Dourdan, quand on aura veu vn vieil chartulaire ou repertoire des tiltres du Prieuré de Long-pont ſoubs Montlehery, (que i’ay recouuré par le moyen de Monſieur Ducheſne, l’vn des plus curieux & plus ſçauants de ce temps en l’Hiſtoire, auquel i’en refere l’honneur) dans lequel il eſt parlé d’vne donation qui y a eſté faite par Bernard de Cheureuſe, confirmée & ratifiée par Marie au profit de Regnault de Brayolo ſon pere, & laquelle fut paſſée à Dourdan dans la chambre du Roy (qui conſequemment y eſtoit) & amortie par Guy fils de Guy de Rochefort qui viuoit au temps de ce Roy : Voicy l’extraict du regiſtre.
Louys le Ieune,
autrement le Pieux.
Louys le Ieune, à l’imitation de ſon pere, ſ’eſtant attaché d’affection à Dourdan, y attira les Religieux (dits Bons-Hommes) de l’Ordre de Grandmont (qui floriſſoient lors & eſtoient en tres-grande eſtime) & les logea au lieu nommé Louye qui n’en eſt qu’à vn quart de lieuë, afin de pouuoir plus ſouuent & plus aiſément jouyr de leur entretien ſpirituel, receuoir des conſolations en ſes afflictions, & employer leurs interceſſions enuers Dieu en ſes neceſſitez, & particulierement pour auoir lignée maſculine qui luy auoit eſté deſniée juſques à lors : Ce ſont eux deſquels veut parler du Haillan lors qu’il dict que le Roy & Alix ou Adelle fille de Thibault Comte de Champagne ſa femme ſe voyãts hors d’eſperance d’auoir des enfans maſles, eurent recours à Dieu, & joignirent à leurs deuotions les prieres & ſuffrages des Religieux de leur temps, leſquelles furent de ſi grande efficace, que peu de temps apres la Royne accoucha d’vn fils qui fut nommé Philippes, & ſurnommé Dieudonné : Ceſte rencontre fut cauſe que la bonne opinion que la Royne auoit auparauant conceu de leur bonne vie augmenta de telle ſorte, qu’elle les veit depuis plus volontiers, & leur fit les grands biens dont ie parleray cy apres. Ainſi Louys XI. eſtablit les Minimes (eſquels il auoit grande croyance) dans ſon Parc du Pleſſis lez Tours & dans l’enclos du bois de Vincennes, lieux de ſon ſejour ordinaire & auſquels il paſſoit la meilleure partie de ſa vie.
DONATION DE LOVYE.
Encores que ces lettres ſoient dattées d’Eſtampes, ſi eſt-ce que le Roy eſtoit à Dourdan, & la choſe eſt arriuée de ceſte ſorte, pource que Dourdan n’eſtant aſſez ample & ne pouuant contenir plus que la maiſon du Roy auec les Seigneurs qui approchoient de ſa perſonne & faiſoient partie de ſes diuertiſſements, le Chancellier & autres de la ſuitte du Conſeil logeoient à Eſtampes, qui n’en eſt qu’à trois lieuës, où ils expedioient toutes affaires.
Louye eſt vn lieu d’aſſez plaiſante ſituation, à vn quart de lieuë de Dourdan, compoſé d’vne grande planade de terres labourables enuironnées de toutes parts de la foreſt ſur des coſtaux qui repreſentent vn amphitheatre : à l’vn des bouts de ceſte plaine plus releué que le reſte & joignant les bois, ſont les baſtiments & l’Egliſe, leſquels par leur ſtructure, font bien juger que c’eſt vn œuure Royal : le vulgaire tient par tradition que ce lieu fut premierement dedié à Dieu & ainſi nommé par vn Roy qui en chaſſant ſ’eſtoit eſgaré dans la foreſt (lors de beaucoup plus grande eſtenduë qu’à preſent) & qui n’auoit peu eſtre oüy ny ſecouru des ſiens que lors qu’il ſe trouua en ce lieu, en conſideration de quoy il y fit baſtir vne chappelle à laquelle il affecta & les terres labourables & quantité de bois à l’entour, ſuiuant les bornes & foſſez, deſquels il les diſtingua & ſepara du reſte de la foreſt, & luy donna le tiltre de Noſtre-Dame de Louye, pource qu’à l’aide du ſens de louye il auoit eſté tiré du peril : Or que ceſte tradition ſoit vraye ou fauſſe, i’en laiſſe le jugement à la diſcretion de chacun ; ſeulement diray-ie qu’outre que ce n’eſt choſe impoſſible, qu’elle eſt encores appuyée par les termes de la donation cy deſſus, leſquels expriment aſſez clairement que lors qu’elle fut faite, ce lieu auoit eſté deſia retranché du Domaine, & deſtiné à quelque autre choſe : locum de Loya cum nemore & terris ſicut foſſatis vndique cingitur.Philippes Auguſte,
autrement Dieu-donné.
Si Dourdan a deu receuoir quelque aduentage pour auoir eſté le ſejour des Roys, c’a eſté particulierement en conſideration de Philippes Auguſte, qui y a laiſſé beaucoup plus de marques de ſon affection que les autres, & lequel recogneu grand en toutes ſes actions, ne ſera iamais preſumé ſ’eſtre attaché à vn lieu qui ne le meritaſt & qui n’euſt toutes les circonſtances neceſſaires, pour arreſter le plaiſir d’vn cœur Royal : Vne ſeule choſe l’incommodoit, & reſtreignoit ſes plaiſirs ; ſçauoir eſt la donation des bois de Louye cy-deſſus, d’autant qu’iceux ſeruants de retraitte à la plus-part de toute ſorte de beſtes, (pource qu’ils ſont dans le milieu de la foreſt,) & luy par vne tres-grande retenuë n’y voulant aller, il perdoit pluſieurs bonnes occaſions de ſa chaſſe. C’eſt pourquoy, & afin d’auoir pleine liberté dans le pays, il les retira & les reünit à ſon Domaine, apres toutesfois auoir recompenſé d’ailleurs les Religieux : La preuue de ceſte reünion ſera cy-apres inſerée ſoubs Sainct Louys, qui remit les choſes en leur premier eſtat.
Sa pieté & ſa retraitte ordinaire à Dourdan l’inuiterent à faire baſtir vne Chappelle dans le chaſteau laquelle il dota de quinze liures pariſis à prendre ſur ſa Preuoſté du lieu, & laquelle il ordonna eſtre deſeruie par l’vn des Religieux qui ſeroit au Prieuré de ſainct Germain, ayant prealablement fait entre ſes mains le ſerment de fidelité. Voicy le tiltre de ceſte fondation, tel que ie l’ay peu recouurer.
I’ay long temps douté de la validité de ceſte piece, pource que ie ne l’ay veuë en forme, & que d’autant plus vne choſe eſt deciſiue, elle doit eſtre eſpluchée, & exactement conſiderée : Mais i’en ay eſté eſclaircy par vn acte capitulaire que i’ay trouué en bonne forme au Threſor des Chartres de la Couronne dans la layette de Chartres 2 num. 5. par lequel l’Abbé Prieur & Conuent de ſainct Cheron lez Chartres, (d’où depend le Prieuré de ſainct Germain,) acceptent ceſte fondation & ſ’obligent pour deſeruir ceſte Chappelle de fournir l’vn des Religieux de leur Prieuré de Dourdan qui fera le ſerment de fidélité.
La fabrique de ſainct Germain de Dourdan eſt en tres-ancienne poſſeſſion du droict de meſurage dans la ville & fauxbourgs, qui luy vaut ordinairement ſix cens liures par an, ſans qu’aucun ſçache qui l’a donné ny d’où il eſt venu, à cauſe de la perte des regiſtres & tiltres de ceſte Egliſe : Mais quant à moy, ie conjecture que c’a eſté Philippes Auguſte, d’autant que le martirologe ou liſte de ceux qui y ont bien fait, commence par Nous prierons pour le Roy Philippes, à quoy ie crois qu’il faut adjouſter, Auguſte, d’autant que ie ne trouue point qu’aucun autre Philippes ſe ſoit tant arreſté à Dourdan pour y faire ceſte liberalité.
La Royne Alix ou Adelle mere du Roy continua apres la mort de Louys ſon mary ſes voyages à Dourdan, y eſtablit ſa principale demeure comme en vn lieu Royal qui auoit eſté chery par ſon mary, & qui eſtoit ſouuent frequenté par le Roy ſon fils : qui fut cauſe que les Religieux de Louye (qui auoient meilleur moyen de la gouuerner) gaignerent tellement ſes bonnes graces, qu’elle leur donna vingt muids de bled de rente à prendre ſur la ſeigneurie de Chalou, qu’elle donna à ceſte charge aux Cheualiers de l’Ordre de ſainct Iean de Hieruſalem, qui en paſſerent à l’heure meſme vne recognoiſſance par acte capitulaire que i’ay icy tranſcript.
Louys VIII.
Ie n’ay rien veu qui m’oblige particulierement à croire que le Roy Louys VIII. aye frequenté Dourdan, ſinon que par les lettres de reſtitution des bois faite par Sainct Louys aux Religieux de Louye, Il eſt enoncé qu’il auoit continué la reünion de ces bois commencée par ſon pere Philippes : ce qu’il n’euſt fait s’il n’y euſt eu les meſmes intereſts ; & d’ailleurs ſon pere y auoit rendu trop d’aſſiduité pour croire que le fils l’euſt abandonné.
Sainct Louys,
neufieſme du nom.
Le Roy Sainct Louys imitant ſes predeceſſeurs a paſſé vne partie de ſon temps à Dourdan, comme i’apprend par deux conſequences. La premiere, de ce qu’en l’an 1253. il achepta de Meſſire Berthault Cocaloguon, certains heritages, cenſiue & champarts qu’il auoit aux enuirons de Dourdan, & les donna à Iean Burguignel ſon Chambellan, d’où ſ’enſuit que Burguignel eſtoit ſon fauory, puis qu’il faiſoit des acquiſitions pour luy, & que les faiſant pres Dourdan, c’eſtoit ſigne qu’il y prenoit plaiſir & eſtoit bien aiſe que celuy qu’il aymoit euſt quelque ſujet en ſon particulier de l’y ſuiure & ſe tenir touſiours pres de luy : Car ſans ceſte conſideration pourquoy achepter pour luy donner ? c’euſt eſté pluſtoſt fait, & l’obliger dauantage de luy bailler l’argent que couſtoient ces choſes & luy laiſſer la liberté de l’employer à ſa volonté, ſans le reſtraindre en certain lieu. La ſeconde conſequence eſt tirée de ce qu’en l’année 1255. le Roy rendit aux Religieux de Louye les bois que Philippes Auguſte & Louys VIII. leur auoient oſté : Car il eſt à preſumer que ce reſtabliſſement ne ſe feit qu’en conſideration de l’affection qu’il auoit pour eux, & laquelle ſ’eſtoit formée en luy par le ſejour qu’il faiſoit à Dourdan.
Donation de Sainct Louys à Iean Burguignel.
Reſtitution des bois de Louye.
Il eſt bien vray que long temps auparauant ceſte donation & reſtitution le Roy auoit aliené le domaine de Dourdan, d’où ſembleroit ſ’enſuiure qu’il n’y auroit apporté ſi grande aſſiduité comme i’ay dit : Mais quand on conſiderera que ceſte alienation fut au profit de la Royne Blanche ſa mere pour partie de l’aſſignat de ſa dot & de ſon doüaire, tant ſ’en faut qu’on en induiſe vn refroidiſſement & vne retraitte, qu’au contraire on en conjecturera vne plus grande affection & vne plus grande frequentation, en conſequence de la charité de la mere & de la pieté du fils aſſez recogneuës & publiées par tous les Hiſtoriens de leur temps.
En l’année 1260. le 30. Iuin, apres le decés de la Royne Blanche, le Roy aſſigna le doüaire de Marguerite fille du Comte de Prouence ſa femme ſur Dourdan, Corbeil, Meullent, & autres lieux exprimez par les lettres qui en furent expediées, & en deſchargea le Mans & Orléans, ſur leſquels il auoit eſté auparauant aſſigné, ſans toutesfois que cela aye peu apporter d’obſtacle aux plaiſirs qu’il y prenoit lors qu’il en auoit le loiſir.
Philippes II.
dict le Hardy,
et Philippes III.
dict le Bel.
Les Roys Philippes le Hardy & le Bel portoient trop d’honneur & de reſpect à la memoire de Sainct Louys, pour ne pas aymer ce qu’il affectionnoit, & pour ne le pas imiter en tout ce qu’ils pourroient : quand il n’y auroit autre conſideration, ie pourrois à bon droict aſſeurer qu’à ſon exemple ils ont fait grand eſtat de Dourdan, & l’ont ſouuent viſité. Mais paſſant par deſſus les conjectures, cecy eſt clairement enſeigné par vn tiltre du droict de chaſſe, tranſcript ſoubſ Louys Comte d’Eureux, par lequel il eſt rapporté que par le paſſé le pays de Dourdan eſtoit reſerué pour le plaiſir des Roys, & retenu comme pour leur garenne, à cauſe dequoy ils auoient fait de tres-eſtroites defenſes aux habitans d’y chaſſer, voire y auoient eſtably des officiers particulierement pour les en empeſcher, à cauſe dequoy les beſtes auoient tellement multiplié par la ſuite des années, que le pays en eſtoit tout perdu, & ſe reſoluoient les habitans de l’abandonner, ſ’il ne l’eur euſt eſté pourueu : car il eſt certain que ſans la conſideration du plaiſir de leurs Majeſtez, ce lieu n’euſt eſté ſi ſoigneuſement gardé & conſerué au prejudice meſme de la Nobleſſe, à laquelle la chaſſe n’a iamais eſté interdite. Il eſt bien vray que ce tiltre ne parle point des Roys, mais ſeulement de ce Prince qui ſembleroit de prim’ abord auoir eſté l’inſtituteur de ceſte garenne : Mais quand on conſiderera que ce tiltre eſt de l’an mil trois cens dix, & qu’il n’a eſté ſeigneur de Dourdan qu’en l’an mil trois cens ſept, trois ans auparauant, & que dans ce peu de temps (ſ’il euſt eſté le premier inſtituteur de ceſte garenne) les beſtes n’euſſent peu tant multiplier pour incommoder le pays. D’ailleurs faut remarquer que par ce meſme tiltre il declare que pluſieurs fois auparauant ceux du pays ſ’eſtoient plaints de ce deſordre & y auoient demandé remede, dont ſ’enſuit qu’auparauant qu’il fuſt ſeigneur de Dourdan, c’eſt à dire du temps de ces Roys auſquels il a ſuccedé, ceſte garenne auec ces officiers y eſtoit deſia eſtablie.
Phillippes le Bel a encores bien teſmoigné qu’il cognoiſſoit Dourdan & le tenoit pour vne maiſon Royale, lors qu’il le choiſit pour retraitte de la femme du Comte de Poictiers ſon fils, pendant qu’elle ſe purgeoit de l’accuſation d’adultere dont elle auoit eſté fauſſement chargée.
Dourdan eſtoit touſiours demeuré attaché à la Couronne depuis qu’il y auoit eſté annexé par Huë Capet : mais en fin il en fut deſüny par Philippes le Bel qui le bailla à ſon frere Louys Comte d’Eureux pour partie de quinze mil livres de rente en aſſiette qu’il luy accorda pour ſon appanage.
Hilippus Dei gratia Francorum Rex, notum facimus vniuerſis, tam præſentibus, quàm futuris, quod cum nos tam ex donationibus & aßignationibus per inclitæ recordiationis dominum & progenitorem noſtrum Philippum quondam Regem Franciæ, quàm per nos factis charißimo & fideli fratri noſtro Ludouico tenemur eidem fratri noſtro aßidere in terra cum nobilitate & baronia quindecim milia librarum turonenſium annui & perpetui redditus per eundem fratrem noſtrum & ſucceſſores ſuos in perpetuum ex ſuo corpore deſcendentes hæreditarié poßidendas nóſq ; dudum per dilectos & fideles Ioannem Chaiſelli & Ioannem Venatorem milites noſtros informationem fecimus fieri diligentem de valore eorum quæ habebamus in locis infrà ſcriptis, & eorum pertinentijs in quibus locis aßidere dictum annuum redditum dicto fratri noſtro volebamus facta nobis diligenti relatione per dictos milites, &c. In primis fecimus & facimus dictum fratrem noſtrum Comitem Ebroicenſem, & tradidimus & tradimus & aßidemus ſibi ciuitatem, præpoſituram & caſtellaniam Ebroicenſem cum earum pertinentijs, & item aßidemus & tradimus ſibi præpoſituram de Albiniaco, &c. Item aßidemus & tradimus ſibi caſtrum & caſtellaniam de Gieno ſupra ligerim, &c. Item aßidemus & tradimus locum & præpoſituram & caſtellaniam de Feritate Aleſis, &c. Item aßidemus & tradimus villam, præpoſituram & caſtellaniam de Stampis, &c. Item aßidemus & tradimus modo & forma premißis caſtrum & præpoſituram & caſtellaniam de Dordano cum earum pertinentijs pro mille 260 libris decem & octo ſolidis & nouem denarios. Item aßidemus & tradimus præpoſituram de Meulento & caſtellaniam, &c. Prædicta igitur omnia modo & forma præmißis & nunc ſibi aßidemus & tradimus pro redditu ſupra dicto, retinemus tamen nobis & ſucceſſoribus noſtris Regibus Francia in prædictis omnibus ciuitate, comitatu, caſtris, caſtellanijs, præpoſituris, villis & carum pertinentijs ſuperius expreſſatis & aßignatis dicto fratri noſtro, ſuperioritatem, reſortum & homagium ligium & omnia iudeorum bona quæ habebant iudei ipſo tempore expulſionis eorum, iuſtitiam, gardam, reſſortum & ſuperioritatem omnium Eccleſiarum & Eccleſaſticarum perſonarum & quorumque aliorum, in perſonis & bonis eorum qui ſunt priuilegiati, &c. Actum Pyßiaci, anno Dommi 1307. menſe Aprili.
Louys Comte
d’Eureux.
Le plaiſir ordinaire que les Roys auoient auparauant pris à Dourdan (qui leur tenoit lieu de garenne) les auoit inuitez à y deffendre eſtroittement les chaſſes, d’où eſtoit arriué que les beſtes y viuants en pleine liberté auoient tellement multiplié qu’elles deuoroient tous les gaignages & perdoient tout le pays : Cela fut cauſe que les habitans de Dourdan & Saincte Meſme preſenterent leurs plaintes à leur nouueau ſeigneur, & obtinrent de luy pouuoir de chaſſer dans leurs heritages aux beſtes à pied clos, aux conditions & moderation portées par ſes lettres pour ce expédiées & tranſcriptes cy apres, & ce moyennant quatre vingts liures pairiſis de rente dont ils ſe chargerent chacun à proportion de la quantité de leurs heritages.
Ce bon ſeigneur ne ſe contentant pas d’auoir bien fait au general des habitans de Dourdan auec leſquels il vouloit paſſer vne bonne partie du temps, il voulut encore terminer vn different qui eſtoit entre luy & le Prieur de ſainct Pierre, qui pretendoit quelque droict en la terre des murs, en l’eſtang & en quatre eſtaux de la halle : Pour quoy faire, & le deſintereſſer de toutes ſes pretentions, afin qu’il ne reſtaſt aucun ſujet dans le pays qui peuſt trauerſer les plaiſirs & douceur de vie qu’il y vouloit pratiquer, il luy donna lettres d’admortiſſement general pour tout le bien de ſon Prieuré.
Tiltre pour la chaſſe.
Ce bon Prince ayant eſpouſé Marguerite fille de Philippes Comte de Flandre fils du bon Robert : il eut d’elle d’eux fils & vne fille, Philippes, Charles & Ieanne : Philippes comme aiſné fut Comte d’Eureux, & eſpouſa la fille & vnique heritiere du Roy Louys Huttin, à laquelle appartenoit le Royaume de Nauarre à cauſe de ſon ayeule femme de Philippes le Bel, duquel toutesfois il n’entra en poſſeſſion que ſoubs le regne de Philippes de Valois, qui luy en fit la deliurance pour l’engager à ſon party contre Edoüard Roy d’Angleterre. Il merita le tiltre de Bon, & en luy recommença le Royaume de Nauarre d’eſtre gouuerné, par ſes propres Roys, juſques à Henry le Grand ſon ſucceſſeur, qui l’a reüny à la France.
A Charles eſcheut pour partage Eſtampes, Dourdan, Gien & autres lieux : & Ieanne fut fiancée au Duc de Neuers fils du Comte de Flandre, lequel la delaiſſa pour eſpouſer Marguerite ſeconde fille du Roy Philippes le Long : mais elle ne perdit rien au change, car le Roy Charles le Bel l’eſpouſa l’année ſuiuante, duquel elle n’eut qu’vne fille qui fut mariée au Duc d’Orleans.
Charles d’Eureux,
Comte d’Estampes.
Auſſi toſt que Charles puiſné de la maiſon d’Eureux eut Dourdan pour ſon partage, il y aſſigna ſa principale demeure, & ſ’y faiſoient les couches de ſa femme, comme i’apprend par les teſmoignages qu’en rend ſon fils aiſné par diuers actes, qui ſeront tranſcripts lors que ie parleray de luy cy apres : D’où on doit faire à mon aduis vn jugement tres aduantageux pour la temperature de l’air de Dourdan : car autrement on ne l’euſt pas choiſi en des rencontres ſi importantes. Ceſte circonſtance ſeroit aſſez forte pour prouuer le ſejour de Charles à Dourdan, mais i’en ay encores beaucoup d’autres tirées du threſor des Chartres, où ſont pluſieurs tiltres d’acquiſitions par luy faites de terres, prez, maiſons & droict de criage de vins & autres bruuages de Dourdan, ez années 1329. 1330. 1331. 1333. la pluspart de tous leſquels portent qu’ils ont eſté paſſez à Dourdan : & du threſor de ſainct Cheron lez Chartres, où i’ay veu des lettres d’admortiſſement qu’il feit expedier à Dourdan en l’an 1335. au profit du Prieur de ſainct Germain : d’où reſultent deux choſes ; l’vne, qu’en ces années il eſtoit à Dourdan ; & l’autre, qu’il en auoit vn grand ſoing, puis qu’il y faiſoit tant d’acquiſitions, & vouloit que les Eccleſiaſtiques ſe reſſentiſſent de ſa liberalité. Ie n’augmenteray point ce recueil de tous ces tiltres, ſinon de celuy de l’admortiſſement.
La Baronnie d’Eſtampes fut en ſa faueur erigée en Comté par le Roy Philippes de Valois.
Il eſpousa Marie d’Eſpagne fille de Ferdinand d’Eſpagne, à laquelle le meſme Roy Philippes de Valois donna en dot cinq mil liures de rente, ſçauoir eſt deux mil en fond de terre, & trois mil ſur le Threſor.
Il fut tué en la bataille d’entre le Duc de Bourgongne & Iean de Chaalons, & fut enterré aux Cordeliers de Paris.
Sa vefue ſe remaria au Comte d’Alançon, duquel elle eut pluſieurs enfans, par le moyen deſquels & des alliances par eux faites auec la Maiſon de Vendoſme, Anthoine de Bourbon Roy de Nauarre & ayeul de Louys le Iuſte, ſe trouue eſtre deſcendu d’elle.
Il laiſſa deux enfants maſles, Louys & Iean : quant à Iean, apres auoir eſté l’vn des oſtages en Angleterre pour le Roy Iean, il feit vn voyage à Rome où il mourut, & Louys reſta ſeul heritier.
Il ne ſe contenta pas d’auoir monſtré pendant ſa vie quel eſtat il faiſoit de Dourdan, mais encores en voulut-il laiſſer des preuues apres ſa mort, lors que par ſon teſtament il fonda dans l’Egliſe ſainct Germain vn anniuerſaire, pour lequel il legua au Prieur dix ſols pariſis de rente à prendre ſur ſa Preuoſté du lieu. Il eſt bien vray que ie n’ay point veu ce teſtament, mais ſeulement les lettres patentes de la Royne Ieanne ſa ſœur vefue de Charles le Bel qui en eſtoit executrice auec ſa vefue, l’Eueſque de Chaalons, & Marguerite Comteſſe de Bologne, par leſquelles il en eſt fait mention.
Lettres d’admortiſſement.
Lettres patentes de la Royne Ieanne.
Louys. Comte
d’Eſtampes.
Apres la mort de Charles Comte d’Eſtampes, Loys ſon fils & vnique heritier, ne luy ſucceda pas ſeulement en tous ſes biens, mais auſſi en l’affection qu’il auoit touſiours eu pour Dourdan, à laquelle il fut encore d’autant plus conuié, qu’en ce lieu il auoit pris naiſſance, & y auoit receu le S. Sacrement de Bapteſme. L’ordinaire ſeiour qu’il faiſoit à Dourdan, donnerent moyen à frere Robert Ioudouin Prieur de S. Germain, de l’entretenir, & gaigner tellement ſes bonnes graces, qu’il obtint de luy pluſieurs gratifications & aduantages pour ſon Prieuré, & particulierement droict de chauffage, paiſſon, & de prendre bois à baſtir dans la foreſt, auec vn admortiſſement general de tous les heritages qui auoient eſté acquis au Prieuré, depuis celuy qui auoit eſté donné par Charles Comte d’Eſtampes ſon pere : Et qui plus eſt, il merita d’eſtre nommé pour executeur de ſon teſtament, teſmoignage certain & irrefragable d’vne cognoiſſance de ſa preud’hommie, & de la bonne volonté qu’il auoit pour luy : ce qui n’auoit peu ſe faire que par vne grãde hantiſe & familiarité : à quoy faut adiouſter le legs qui eſt fait au Prieuré par le meſme teſtament. En fin ce bon Prince ne creut pas que feuſt aſſez pour ſignaler l’amour qu’il auoit pour Dourdan de faire du bien à ces particuliers, il le voulut encores faire eſclater par vne communication de ſes faueurs à tout le general, lors qu’il deſchargea le pays de la rente de quatre-vingts liures pariſis cy deſſus conſtituée pour le droict de Chaſſe, moyennant cinq cens liures, dont il ſe contenta pour le rachapt. En conſequence duquel il maintint les habitans en ce droict, & leur en confirma les priuileges.
Lettres pour le droict du Prieur dans la Foreſt.
Lettres d’admortiſſement pour le Prieur de Dourdan.
Admortiſſement de la rente de quatre-vingts liures pariſis, & confirmation du droict de chaſſe.
Louys Comte d’Eſtampes & Seigneur de Lunel : A tous ceux qui ces preſentes lettres verront, ſalut. Comme des long temps à noſtre tres cher ſeigneur & ayeul dont Dieu ait l’ame, Monſeigneur Loys Comte d’Eureux, lors ſeigneur de Dourdan, ſçachant & conſiderant pluſieurs grands griefs & dommages que les beſtes de ſa garenne lors eſtant à Dourdan, faiſoient aux gens d’Egliſe, clercs, nobles, bourgeois & habitans de ladite ville de Dourdan & parroiſſe de ſainct Germain, de ſainct Pere, & de la Chappelle ſaincte Meſme, & en leurs heritages, leſquels griefs & dommages ils ne pouuoient plus ſupporter ſans laiſſier leſdits heritages & partir du pays : A iceux, à leur ſupplication, & meu de pitié enuers eux, octroya que ladite garenne, quant aux beſtes à pied clos, cheiſt du tout à touſiours perdurablement en leurs terres gaignables, vignes, prez, couſtils, & en tous les autres heritages qu’ils ont ou terrouer de Dourdan & ez trois parroiſſes deſſuſdites, en tous les friſches qu’ils ont enclos entre leurs vignes & terres gaignables, parmy ce qu’ils deuoient rendre & payer chaſcun an à luy & à ſes ſucceſſeurs, ou chaſtel de Dourdan le iour de la feſte aux Mors quatre-vingts liures pariſis de rente, leſquels ils luy aſſignerent chacun pour ſa portion ſur les heritages ſituez audit terrouer de Dourdan & ez trois parroiſſes deſſuſdites & ez appartenances, deſquels heritages chaſcune piece fut chargée par portion de ladite rente de quatre-vingts liures pariſis : Et auec ce leur octroya qu’ils peuſſent chacier en leurs terres, vignes, prez, jardins & autres heritages en la forme & maniere & conditions plus à plein contenuës ez lettres ou priuilege ſur ce fait & ſcellé en lacs de ſoye & cire vermeille, dont la teneur enſuit. Loys fils de Roy de France, Comte d’Eureux : A tous ceux qui verront ces preſentes lettres, &c.
Et il ſoit ainſi que pour les guerres & mortalitez qui depuis ont eſté ou pays, leſdits gens d’Egliſe, clercs, nobles, bourgeois & habitans ſoient tellement diminuez en nombre & les heritages ſur leſquels ladite rente eſtoit aſſiſe demourez en telle ruyne & deſert, que ladite rente dont le droict nous appartient comme à ſeigneur de Dourdan, ne nous reuient pas à plus de quarante liures pariſis ou enuiron, ſur leſquels heritages nous auons auſſi perdu grande partie de nos cens qui anciennement nous eſtoiẽt deubs pour noſtre fond de terre, par la rayne d’iceux heritages qui delaiſſiez & demourez ſont en friſche pour leſdites charges & autres cauſes deſſuſdites, dont encores pour la pauureté du commun peuple dudit pays il eſt grand doute qu’ils ne deuiennent de petite ou nulle valuë, & que nos autres cens, rentes & droicts que nous prenons ſur aucuns heritages qui à preſent ſont fertiles, ne diminuent & viegnent à neant par les grandes pertes, pauuretez & miſeres qu’ont ſouffert iceux habitans pour ledit faict des guerres & autrement, leſquels ils ne peuuent bonnement ſupporter, ſi comme de ce nous deuëment acertenez, ſupplians que ſur ce vueillons pouruoir de noſtre grace en telle maniere que les habitans en icelles paroiſſes ſe puiſſent multiplier & paiſiblement viure ſoubs nous, les heritages qui ſont chargez de ladite rente labourer, & releuer noſtre juriſdiction, & autres droicts augmenter : Sçauoir faiſons à tous preſens & à venir, que nous ces choſes conſiderées & par grande & meure deliberation de noſtre Conſeil, pour eſcheuer plus grand pertes & dommages qui nous pouroient avenir, à iceux gens d’Egliſe, clercs, nobles, bourgeois, habitans, auons expoſé en vente le droict de ladite rente de quatre-vingts liures, à nous appartenant (comme dit eſt) auec leſquels nous auons traité accordé pour noſtre proufit faire & dommage eſcheuer, par grand & meure deliberation de noſtre Conſeil, & afin qu’ils ne ſoient deſerts, & que le pays en demeure plus habitable, & que par ce leſdits heritages qui ſont en ruyne ſe puiſſe releuer nos cens anciens recouurer & noſtre peuple multiplier en augmentation de noſtre Iuriſdiction & autres droicts & proufits de noſtre terre, que eux & tous leurs heritages chargez de ladite rente pour telle portion comme ils en peuuent eſtre chargez, demeurent francs, quittes & deſchargez de toute ladite rente de quatre-vingts liures pariſis qui de preſent ne reuiennent pas pour les cauſes deſſuſdites à plus de quarante liures pariſis ou enuiron comme dit eſt : Et pour cauſe de ce les gens d’Egliſe, clercs, nobles, bourgeois & habitans nous ont payé & nombré tout à vne fois la ſomme de cinq cens liures tournois, moyennant laquelle ſomme ainſi par nous receuë (comme dit eſt) à iceux pour pitié & compaſſion de eux, & qu’ils puiſſent viure ſoubs nous, auons quitté & remis, quittons & remettons à touſiours ladite rente, & d’icelle voulons que eux & leurs hoirs & ſucceſſeurs, leurs terres & heritages & de leurſdits hoirs & ſucceſſeurs ſoient & demourent francs & quittes & deſchargez à touſiourſmais perpetuellement, & auec ce leur auons octroyé & octroyons de noſtre certaine ſcience, & de tous les droicts qu’ils ont eu & ont de chacier ou faire chacier par leſdites lettres deſſus tranſcriptes, en la maniere contenuë en icelles, ils & leurs hoirs & ſucceſſeurs ioïſſent & puiſſent ioïr ſans contradiction aucune : Et quant à ce entant comme meſtier eſt loons, greons, ratifions & approuuons leſdites lettres deſſus tranſcriptes, & d’abondant les confirmons par la teneur de ces preſentes. Promettant en bonne foy pour nous, nos hoirs & ſucceſſeurs, que contre la vente & choſe deſſuſdite nous ne irons ne venir ferons par nous ne par autres, ainçois garantirons, deliurerons & deffendrons leſdites gens d’Egliſe, clercs, nobles, bourgeois & habitans qui à preſent pocedent, & pour le temps avenir poſſederont leſdits heritages enuers tous entant comme il nous touche & peut toucher. Si donnons en mandement à tous nos officiers preſens & aduenir, que les habitans eſdites parroiſſes ils laiſſent & facent ioïr & vſer paiſiblement des choſes deſſuſdites & en la maniere que dit eſt : Et à nos amez & feaux les gens de nos Comptes, que par rapportant copie de ces preſentes vne fois tant ſeulement ils extraient & mettent hors de nos Comptes & Regiſtres, & oſtent de noſtre Domaine leſdits quatre-vingts liures par an, & en tiennent quittes & deſchargez nos Receueurs & Preuoſt de Dourdan qui à preſent ſont & qui pour le temps à venir ſeront : & nous meſmes par ces preſentes les en quittons & deſchargeons à plein. Et pource que ce ſoit choſe ferme & ſtable a touſiourſmais, nous auons fait ſceller ces preſentes de noſtre grand ſcel en lacs de ſoye & cire vert, ſauf en autres choſes noſtre droict & en toutes l’autruy. Ce fut fait & donné en noſtre chaſtel de Dourdan deſſuſdit, le 21. iour d’Auril apres Paſques, l’an de grace 1381. Et ſur le reply eſt eſcrit, Par Monſieur le Comte, à la relation de ſon Conſeil, Porel, & ſcellé.
Teſtament de Louys Comte d’Eſtampes.
I’ay inſeré ce teſtament vn peu plus au long que ne deſiroit mon deſſein : mais ie l’ay fait pour publier la pieté de ce Prince qui y eſt naïfuement repreſentée, & pour donner vn eſchantillon de la ſimplicité & frugalité de ſon temps, beaucoup eſloignez de la ſuperfluité & prodigalité du noſtre.
Dans la remarque que i’ay fait cy deuant des circonſtances qui pouuoient ſeruir pour faire croire qu’il faiſoit ſon ſejour ordinaire au chaſteau de Dourdan, i’en ay obmis vne qui n’eſt pas moins conſiderable que toutes les autres, laquelle ie tire de l’article de ce teſtament, auquel il eſt parlé de ſon Breuiaire à l’vſage de Chartres, qu’il donne au ſieur Thorel : Car de là il eſt aiſé de juger que ſa principale demeure eſtoit dans l’Eueſché de Chartres, puiſque ſes prieres en eſtoient à l’Vſage, & conſequemment à Dourdan, puis qu’il n’auoit autre chaſteau dans l’eſtenduë de cét Eueſché.
Ce bon Prince n’ayant aucuns enfans, & deſeſperant d’en auoir, & d’ailleurs ſe voulant reſſentir de l’amitié que luy auoit touſiours teſmoignée le Duc d’Anjou fils du Roy Iean, & en conſideration de ce que ſon fils aiſné auoit eſpouſé la fille du Comte d’Alençon ſa niepce, il luy donna tous ſes biens par donation entre-vifs, la joüiſſance toutesfois reſeruée ſa vie durant, & outre aux clauſes & conditions amplement contenuës au contract cy deſſoubs tranſcriptes.
Mais quatre ans apres, & en l’année 1385. ſe feit vne tranſaction entre la vefue du Duc d’Anjou (qui depuis ladite donation auoit eſté fait Roy de Sycile) & le Duc de Berry, par laquelle elle luy tranſporta tout le contenu en ceſte donation en contreſchange de la remiſe qu’il feit des pretentions qu’il auoit ſur la principauté de Tarente, en ſuitte dequoy le Duc de Berry deſirant s’aſſeurer pendant la vie du donateur, obtint de luy conſentement pour ſe faire receuoir deſlors en foy par le Roy, à la charge neantmoins de l’vſufruict cy deſſus, & des autres clauſes & conditions portées par le contract de donation.
En fin noſtre Comte d’Eſtampes apres auoir longuement veſcu, mourut ſubitement diſnant auec le Duc de Berry, & expira ſi doucement, que le Duc le conſiderant appuyé ſur la table, creut qu’il dormoit, & le voulut eſueiller, mais en vain.
Il fut enterré aupres de ſa femme à ſainct Denys en France, dans la Chappelle de noſtre Dame blanche. Mais ie croy qu’on reſerua ſon cœur ou autres parties pour Dourdan : Car ie trouue que dans l’Egliſe de S. Germain, derriere l’hoſtel de ſaincte Barbe il y a vne eſpece de tombeau qui porte les armes de ſa maiſon, par les reſtes duquel on remarque contre la muraille à la hauteur de cinq ou ſix pieds, vne ſaillie de pierres de taille, & ſur icelles vn empatement de croix (auſſi ay-ie appris des anciens du pays qu’il y auoit vn fort beau crucifix, qui fut ruiné pendant les troubles de l’année 1567.) Ie luy attribuë cét ouurage, encore qu’il conuienne auſſi bien à ſes pere & ayeul : mais ie n’ay point veu qu’ils euſſent tant de deuotion à ceſte Egliſe que luy, qui y auoit eſté baptiſé, à cauſe dequoy il auroit auſſi voulu y laiſſer quelque partie de ſon corps. Ou en fin ſi on veut nier que ſoit vn tombeau, à tout le moins faudra-il aduoüer que c’eſtoit vn crucifix, que luy ou ſes predeceſſeurs auoient fait mettre en ce lieu, afin de l’auoir pour perpetuel obiect lors qu’ils ſeroient dans leur banc, qui eſtoit en cét endroit, au lieu duquel depuis on a baſty l’autel de ſaincte Barbe, d’où ie tire encores vn argument de leur aſſiduité à Dourdan.
En luy finit la branche d’Eſtampes, iſſuë de la maiſon d’Eureux de laquelle il ne reſtoit plus que les deſcendants de Philippes Comte d’Eureux & Roy de Nauarre ſon oncle, leſquels luy euſſent ſuccedé auec Blanche Ducheſſe d’Orleans, fille du Roy Charles le Bel, & de Ieanne d’Eureux ſa tante, s’ils n’en euſſent eſté excluds par la donation cy-deſſus, au moyen de laquelle Dourdan tomba és mains du Duc de Berry.
Donation de Dourdan au Duc d’Anjou.
Tranſaction entre la veufue du Duc d’Anjou, & le Duc de Berry.
Iean Duc de Berry.
Si la maiſon d’Eureux a eu vne particuliere inclination pour Dourdan en ſuite de ſes ayeuls Roys de France, ce n’a point eſté par habitude ny par autre conſideration que de la beauté & bonté du pays : puiſque tous ceux qui depuis en ont eſté Seigneurs & qui en ont peu joüir ont eu les meſmes affections & l’ont eu en pareil eſtime : Le Duc de Berry n’en fut pas pluſtoſt Seigneur, qu’il y transfera & ſon habitation & ſes affections, comme on peut juger de ce que dés le mois de Feurier 1400. Incontinent apres la mort de Loüis Comte d’Eſtampes, il decerna ſes lettres patentes données à Dourdan au profit du Prieur de ſainct Germain, deux ans apres confirma le droict qui luy auoit eſté donné dans la foreſt : & en fin feit deux teſtaments à Dourdan, l’vn du 2. Iuillet 1408. paſſé pardeuant Simon Bonnet Tabellion à Dourdan, par lequel il nomma pour executeur ce Prieur, & luy donna le jardin qui eſtoit deuant le chaſteau (au lieu duquel eſt à preſent la place dont a eſté parlé cy-deſſus) & l’autre du 17. Ianuier 1412. paſſé pardeuant Loüis le Ricordeau auſſi Tabellion à Dourdan, par lequel il donna au meſme Prieur le jardin qui ſe trouue encores aujourd’huy ſur le rempart dependant du Prieuré : & en furent executeurs Guillaume Beaumaiſtre Eueſque de Conſerant & Iean Dauid Chancelier du Duc d’Orleans, & Bailly de Dourdan. Il eſt bien vray que ie n’ay pas encores peu voir ny les deux lettres patentes, ny les deux teſtaments, mais ie les ay trouué enoncez dans l’inuentaire des tiltres de ſainct Cheron lez Chartres : C’eſt pourquoy ie les puis alleguer hardiment.
Peu de temps apres la tranſaction cy deſſus le Duc de Berry qui n’auoit aucuns enfans maſles, feit vne remiſe generale au Roy Charles VI. ſon nepueu de tous ſes biens, meſmes des villes d’Eſtampes & Dourdan, en cas qu’il decedaſt ſans enfans : à la charge que le Roy donneroit cent mille liures à Bonne ſa fille Comteſſe de Sauoye & ſoixante mil à Marie femme du fils du Comte de Blois ſon autre fille (mariée en ſeconde nopce à Iean de Bourbon Comte de Clermont) mais depuis il obtint ceſte grace du Roy que de pouuoir (nonobſtant la remiſe) diſpoſer d’Eſtampes, Gien, & Dourdan, & en conſequence de ce les donna (l’vſufruict toutesfois reſerué ſa vie durant) à ſon frere Philippes le Hardy Duc de Bourgongne en faueur de ſon fils aiſné, duquel il eſtoit parrain (diſent les Memoriaux de la Chambre des Comtes au liure E. fueillet 77.)
Donation du Duc de Berry.
Philippes le Hardy, Duc de Bourgongne.
Encores que dés l’inſtant de cette donation, & de la confirmation du Roy qui fut en l’année 1397. Philippes le Hardy euſt eſté faict Seigneur direct de Dourdan, ſi eſt-ce qu’il n’en iouït pendant ſa vie, pource qu’il mourut dés l’année 1404. long temps auparauant le Duc de Berry, qui s’en eſtoit reſerué l’vſufruict, mais il en laiſſa le droict à ſes enfans.
Iean Dvc de Bourgongne.
En fin le Duc de Berry eſtant eſtant mort ſans enfans maſles en l’an 1416. Iean Duc de Bourgongne, fils de Philippes le Hardy, commença à iouïr de Dourdan : mais ayant eſté tué à Montreau-faut-Yonne, en l’année 1419. trois ans apres, il n’eut le loiſir ny de l’affectionner particulierement, ny meſme de le frequenter.
Philippes II. Duc de Bourgongne.
Apres la mort de Iehan Duc de Bourgongne, Philippe 2. ſon fils & vnique heritier, qui a poſſedé Dourdan, n’a peu, non plus que luy laiſſer à la poſterité de grands teſmoignages d’affection qu’il en aye eu, d’autant qu’il ne le garda que quinze ans, pendant leſquels il eut aſſez d’autres occupations ſerieuſes & importantes, qui l’empeſcherent de s’y arreſter, & de ſonger à ſes paſſe-temps. En fin il le donna, auec Eſtampes, en l’année 1434. à ſon couſin germain Iean de Neuers, duquel il auoit eſpouzé la mere, qui eſtoit veufue de Philippes Comte de Neuers, troiſieſme fils de Philippes le Hardy, cy deſſus.Iean de Nevers, Comte d’Eſtampes, & depuis nommé Iean Sans-terre.
Auſſi toſt que cette donation fut faicte, Iean de Neuers prit la qualité de Comte d’Eſtampes, & choiſit Dourdan pour ſa demeure ordinaire, à l’exemple de ſes deuanciers, ſans toutesfois qu’il en aye laiſſé aucune preuue, qui du moins iuſques à preſent ſoit venuë à ma cognoiſſance, ſinon que i’ay trouué par les anciens comptes du Domaine, que de ſon temps il y auoit quantité de Paons & Paonneſſes gardez dans le Chaſteau : Ce qui ne ſignifie autre choſe, ſinon que c’eſtoit vn lieu qu’il cheriſſoit : car autrement il n’y euſt pas entretenu ces oyſeaux rares & de delices.
Il joüit de Dourdan juſques en l’an 1446. que le Procureur general qui pretendoit qu’Eſtampes & Dourdan dependoient de la Couronne, & faiſoient partie du Domaine du Roy, les feit ſaiſir, le meit en procez, & en fin obtint Arreſt contre luy en l’année 1477. par lequel ces terres luy furent oſtées & revnies à la Couronne, d’où veint qu’il fut nommé Iean Sans-terres, pource qu’il ne luy reſtoit autres biens.
Il faut aduoüer que ie n’ay aucune autre preuue preciſe de cette donation à Iean de Neuers, ny de la ſaiſie & Arreſt contre luy donné, que le diſcours qu’en fait Coquille, en ſon Hiſtoire de Niuernois : mais la celebrité de ſon nom, & la qualité qu’il a euë de Procureur Fiſcal au Duché de Neuers, à cauſe de laquelle il a veu les chartres & tiltres de la maiſon, m’ont fait hardiment ietter des fondemens ſur ſon rapport : ioinctes les preſumptions que i’en auois deſia : Car pour ce qui eſt de la donation, ie voyois bien qu’elle auoit eſté faite par le Duc de Bourgongne : d’autant qu’entre ſes deputez au traicté d’Arras en l’an 1435. i’en trouue vn qualifié Comte d’Eſtampes, & par les iugemens & ſentences renduz au Bailliage de Dourdan en ce temps là, les officiers ne ſont plus dicts officiers du Duc de Bourgongne, comme auparauant, ains du Comte d’Eſtampes, ſeigneur de Dourdan. Et pour le regard de la ſaiſie, ie n’en pouuois douter apres auoir veu le compte du domaine de l’année 1450. qui ſe trouue auoir eſté rendu pardeuant deux Commiſſaires deputez par la Cour de Parlement, pour l’adminiſtration des domaines d’Eſtampes & Dourdan. Coquille ne cotte point le temps de ceſte ſaiſie, mais i’ay appris par vne requeſte tranſcripte au commencement de ce compte qu’elle eſt de l’année 1446.
Requeſte tranſcripte au compte de l’année 1450.
En fin pour ce qui eſt de l’Arreſt il eſt bien à preſumer qu’il a eſté donné, puis que le domaine eſt rentré en la main du Roy : Mais ie ne puis demeurer d’accord du datte que luy attribuë Coquille, lors qu’il le met de l’année 1477. d’autant que le Roy auoit diſpoſé long tẽps auparauant de ce domaine, au profit du ſieur de Gobaches, & qu’il n’eſt à preſumer qu’il l’euſt fait, ſi premierement il ne luy euſt eſté adiugé. Or pour dire mon aduis, d’vn coſté ie voy par le compte du Domaine de l’année 1535. qu’en l’année 1471. la ſaiſie duroit encores, & que les Commiſſaires deputez par le Roy pour le gouuernement de Dourdan (pendant ceſte ſaiſie) reduiſirẽt la rente de quatre muids de bled froment, qu’auoit droict d’y prendre le Prieur du Grand-Beau-lieu de Chartres, à deux muids, leſquels ils éualuerent à raiſon de quatre ſols huict deniers pariſis le ſeptier : Et d’autre coſté, ie trouue par pluſieurs ſentences & actes de Iuſtice, que le Seigneur de Gobaches eſtoit ſeigneur de Dourdan, dés l’année 1473. C’eſt pourquoy ie ne doute point de conclure, qu’il faut datter cét arreſt de l’ãnée 1472. puis qu’il n’eſtoit pas encores donné en 1471. & qu’il l’eſtoit deſia en 1473.
Pendant ceſte ſaiſie, & qu’il n’y auoit point de Seigneur à Dourdan qui ſe peuſt formaliſer ſi d’autres y chaſſoient, Tous les Seigneurs qui aymoient la chaſſe s’y alloient ſouuent exercer, comme en vn lieu qui y eſtoit tres-propre : Mais l’Hiſtoire ne nous remarque que Louys Seneſchal de Normandie à cauſe de l’accident qui luy arriua par l’impudicité de Charlotte ſa femme fille baſtarde de Charles VII. & de la belle Agnes, qui fut tel, qu’vn iour (laſſé de la chaſſe) s’eſtant couché à part, & ayant eſté aduerty par ſon maiſtre d’hoſtel que ſa femme auoit fait venir auec elle Iean Lauerne ſon ruffien ordinaire, il ſe leua, & entrant dans la chambre les ſurprit, tua l’adultere, & pourſuiuant ſa femme qui s’eſtoit cachée dans la chambre de ſes enfants, la poignarda ſans reſpect de ſa naiſſance & ſans eſtre eſmeu ny de ſes pleurs ny du pardon qu’elle luy demandoit en conſideration de leurs enfants, au milieu deſquels elle s’eſtoit refugiée comme dans vn azile plus aſſeuré.Le ſieur de Gobaches.
Quelque exacte recherche que i’aye peu faire, ſi n’ay-ie encores peu paruenir juſques à vne certaine cognoiſſance du ſujet pour lequel Dourdan fut baillé au ſieur de Gobaches : ſeulement ay-ie trouué qu’il en a joüy, & que pendant ſa joüiſſance il bailla à rente le moulin de Poſtellet & la terre des Meurs, & encores qu’il reduiſit à cent ſols la rente deuë au Prieur de Beaulieu, laquelle, comme i’ay dict cy deſſus, les commiſſaires auoient eualué à cent dix ſols. En fin, & en l’année 1484. le Roy retira Dourdan, & le reünit à la Couronne, & commença à en joüir comme auoit eſté fait auparauant qu’il feuſt baillé en appanage.
Charles VIII.
Encores que le Roy Charles VIII. feuſt rentré en la joüiſſance de Dourdan, ſi eſt-ce que ie n’ay point trouué qu’il l’aye frequenté : Et ne s’en faut eſtonner, car ſes voyages eſtrangers & les grandes affaires qu’il eut en ſon eſtat luy donnerent aſſez d’autres diuertiſſements : joinct qu’il ne le cognoiſſoit point, à cauſe de la longue alienation qui en auoit eſté faicte.Louis XII.
Le Roy Louis 12. ne feit pareillement aucun voyage à Dourdan, pource qu’il ne le cognoiſſoit point, mais en l’année 1513. ayant vne grande deſpenſe à faire pour l’entretenement de ſes gens de guerre, & n’ayant moyen d’y ſubuenir : d’ailleurs, ne voulant ſurcharger ſon peuple de plus grandes tailles & ſubſides, il ayma mieux engager ſon Domaine, & diminuer ſon reuenu ordinaire, au moyen de quoy l’Admiral de Grauille achepta Melun, Dourdan, & Corbeil 80000. liures.L’Admiral de Grauille.
L’Admiral de Grauille ne fut pas pluſtoſt ſeigneur de Dourdan, qu’il s’y engagea d’affection, & en voulut laiſſer des marques aux ſiecles à venir : pourquoy faire il ne trouua point de meilleur ſubiect que de contribuer à l’embelliſſement de l’Egliſe de S. Germain, à l’entrée de laquelle il fit baſtir deux hautes tours ou clochers, & au dedans feit refaire la voûte de la nef telle qu’elle ſe trouue auiourd’huy : Il eſt bien vray que ie n’ay point de preuue preciſe de cette propoſition : mais i’ay appris des anciens du pays que ces Clochers furent baſtis enuiron ſon temps. Et quant à la voûte, ſes armes (qui ſont trois boucles d’or) ſe trouuent grauées en la troiſieſme clef, d’où on peut conclure qu’elle fut auſſi faite de ſon temps, car autrement on ne ſe fuſt iamais aduiſé d’y mettre ſes armes : Ioinct que l’ordre qui y eſt obſerué fait aſſez cognoiſtre qu’elles y ont eſté miſes pource qu’il eſtoit ſeigneur vſufruictier de Dourdan : d’autant qu’en la premiere clef ſont les armes du Pape, ſeigneur ſpirituel : En la deuxieſme, celles du Roy, ſeigneur temporel direct : Et en la troiſieſme celles de noſtre Admiral, comme ſeigneur vſufruictier. Or qu’il n’y aye apporté du ſien, ie n’en veux autre preuue que la grandeur des ouurages, à la deſpenſe deſquels les ſimples parroiſſiens n’euſſent peu ſubuenir, ſans l’ayde de quelque puiſſant, & qu’il ne ſeroit croyable que luy qui eſtoit porté à la pieté, comme ſe verra par ſon teſtament, cy apres, euſt permis qu’vn autre s’en fuſt entremis.
Apres ſa mort qui fut en 1515. on trouua vn Codicile, par lequel il remettoit au Roy, purement & ſimplement, & ſans reſtitution de deniers, les Domaines de Melun, Dourdan & Corbeil, pour les cauſes & aux charges y contenuës, ſur leſquelles ie ne m’eſtendray dauantage, attendu qu’elles y ſont amplement déduictes, & que ie l’ay tranſcript en ce lieu, tant pour honorer la memoire de ce bon ſeigneur & la garantir de l’oubly, que pour le propoſer au public, comme vn exemplaire de iuſtice & de vertu.Codicile de Meſſire Louys Sire de Grauille Admiral de France, de l’an 1513.
Et plus bas eſt eſcrit de la main dudit Admiral,
Et ſupplie au Roy mon ſouuerain Seigneur, qu’il luy plaiſe auoir agreable le contenu cydeſſus eſcrit, en deſchargeant ſon ame & la mienne comme i’en ay en luy ma parfaite fiance. Fait de ma main le iour deſſuſdit. Signé Loys de Graville, auec paraffe. Scellé en cire rouge du ſcel de ſes Armes, qui ſont trois fermaux d’or.François I.
Le Roy François I. rentra en la jouïſſance de Dourdã, au moyẽ de ce Codicile, mais depuis voulant aucunement recõpenſer les ſeruices du ſieur de Montgommery, ſeigneur de Lorges, & grand Capitaine, il luy en accorda pour dix ans la jouïſſance, auec ſon habitation dans le Chaſteau, & ſon chauffage dans la foreſt ſur le bois mort & mor-bois, ainſi qu’il eſt contenu en ſes lettres patentes du 4. Decembre 1522. tranſcrites au compte du Domaine de la meſme année. Et au meſme temps, Louis de Vendoſme, Prince de Chabanais luy en donna la Capitainerie, de laquelle il auoit eſté pourueu auparauant : D’où ie tire vne conſequence que Dourdan meritoit d’eſtre chery, puis qu’vn ſeigneur & grand Capitaine, comme le ſieur de Montgommery, le demandoit pour ſon habitation, & que le Prince de Chabanais en auoit bien daigné prendre la Capitainerie.
Henry II.
Le Roy ayant pris reſolution de recouurer les places que tenoient encores les Anglois dans la Picardie, & d’ailleurs n’ayant fond ſuffiſant en ſes finances pour entretenir les gens de guerre qui luy ſeroient neceſſaires : il fut contraint d’engager partie de ſon Domaine l’vn deſquels fut celuy de Dourdan.Le Duc de Guyſe.
L’aduantage que i’ay en mon entrepriſe de releuer l’honneur de Dourdan eſt que i’y ſuis fauoriſé par tous ceux qui l’ont poſſedé, leſquels l’ont chery comme à l’enuy & en ont voulu donner des teſmoignages certains : en quoy Monſieur de Guyſe ne voulut manquer de ſa part : Il ne l’eut pas pluſtoſt recogneu qu’il le feit gardien des choſes qui luy eſtoient les plus cheres, y eſtabliſſant ſon eſcurie, à cauſe de laquelle il y eſtoit touſiours preſumé demeurer, puis que les Princes guerriers (comme il eſtoit) n’ont point de treſor plus precieux que leurs cheuaux, ny d’entretien plus charmant que celuy de ces animaux, propres inſtruments de leurs victoires & triomphes. De cét eſtabliſſement arriua vn autre bien à Dourdan, lors que par le ſoin de l’vn des officiers de ceſte eſcurie le traffic de bas d’eſtame & de ſoye ſ’y eſt introduit, comme i’ay remarqué cy deſſus.
Dourdan juſques en l’an 1567. ſ’eſtoit peu dire heureux, tant pour l’honneur qu’il auoit eu de tout temps d’eſtre frequenté & aymé des Roys, Princes & autres grands Seigneurs, que pour l’augmentation qu’il en auoit receu, ſi la priſe du chaſteau que feirent les ſieurs de Montgommery & Viſdame de Chartres Chefs de ceux de la Religion pretenduë reformée, ne l’euſſent difformé & mis à ſac : l’inſolence de ces Religionaires ne ſe contenta pas de piller & ruyner la ville, mais encores porta leurs mains ſacrileges juſques dans l’Egliſe, d’où ils rauirent les precieux ornements qui y eſtoient en grande quantité, auec l’or & l’argent & autres richeſſes eſquelles eſtoient enchaſſez pluſieurs os ſaincts & reliques qui furent impieuſement jettez à l’abandon : ils n’oublierent pas meſme l’eſtoffe des Orgues qui y eſtoient auſſi belles qu’en aucun autre lieu de France. En ceſte rencontre Dourdan experimenta à ſes deſpens que les choſes du monde ne ſont gouuernées que par viciſſitudes, & que les plus grandes proſperitez ne ſeruent que de but aux malheurs qui les abattent à la fin les reduiſant comme au premier poinct de leur naiſſance : car en bien peu de iours il ſe veit deſpoüillé de tout ce que les ſiecles paſſez & la liberalité de ſes Seigneurs y auoient apporté de riche & d’ornement.
Si la deffaite des Reiſtres à Aulneau, qui fut faite en l’an 1587. apporta quelque accroiſſement d’honneur à Monſieur de Guyſe, Dourdan de ſon coſté en peut tirer quelque recommendation, puis qu’il en fut l’vn des principaux inſtruments : Monſieur de Guyſe qui auoit touſiours coſtoyé auec ſes troupes ceſte armée Allemande, ſe vint loger à Dourdan lors qu’elle prit Aulneau diſtant de quatre lieuës pour ſon departement, qui fut le 20. Nouembre : Il diſpoſa ſes troupes & leur aſſigna le rendez-vous dans la pleine Beauce à vne lieuë de Dourdan entre Corbreuze & Groſlieu, à vn orme qui eſt encores appellé l’Orme du rendez-vous : Toutes choſes ainſi ordonnées, il feit mettre le Clergé & tout le peuple en deuotion, & luy-meſme aſſiſta à la Meſſe qui fut dicte ſolemnellement à my-nuict, & auſſi toſt monta à cheual aſſiſté de tous ceux de Dourdan capables de porter les armes, leſquels naturellement affectionnez à leur Seigneur, ne pouuoient permettre qu’il ſ’engageaſt à vne ſi haute entrepriſe ſans eſtre de la partie & le ſeconder de leurs armes, pendant que les autres trop vieux ou trop jeunes auec les femmes luy prepareroient la victoire par leurs vœux & prieres. Si toſt que ce grand & ſage Capitaine ſe veit aſſeuré de la victoire ſans perte d’aucun des ſiens, & recognoiſſant qu’elle luy venoit de Dieu, il renuoya à Dourdan le ſieur du Mont mon pere (qu’il auoit choiſi pour eſtre pres de ſa perſonne en ceſte action à cauſe de la cognoiſſance particuliere qu’il en auoit & qu’il le voyoit ſouuent chez la Royne Mere, de laquelle il eſtoit Officier de pere en fils) & le chargea d’y faire chanter le Te Deum, afin que Dieu feuſt remercié de cét heureux ſuccés par ceux meſmes à l’inſtance deſquels il l’auoit accordé.
Apres le ſiege de la ville de Chartres, en l’an 1591. le Mareſchal de Biron pere aſſiegea le chaſteau de Dourdan, dans lequel il trouua le Capitaine Iacques qui y commandoit depuis deux ans pour la Ligue, lequel le deffendit ſi courageuſement & judicieuſement, qu’apres auoir ſouſtenu ſix ſepmaines durant, & eſtant contraint d’entrer en compoſition à cauſe de deux de ſes tours qu’il voyoit ja eſbranlées par la mine à laquelle il ne pouuoit remedier à cauſe de la nature du lieu, il la receut autant aduantageuſe & honorable que la gentilleſſe de ſon courage l’auoit meritée.
Articles accordez par Monſeigneur de Biron Mareſchal de France au Capitaine Iacques, commandant au chaſteau de Dourdan.
Pour le reſpect de l’artillerie, celle du Roy ayant tiré, elle eſt à celuy qui commande à l’artillerie de ſa Majeſté.
Monſeigneur le Mareſchal fera conduire le Capitaine Iacques & ſes compagnons en lieu de ſeureté, par perſonnes notables.
Que ſi aucuns ſoldats de la compagnie du Capitaine Iacques, tant de cheual que de pied, habitans de cette ville de Dourdan, le veulent ſuiure, ne leur ſera fait aucun deſplaiſir.
Pour le reſpect du Receueur des Tailles ſera ſuiuy l’ordonnance que le Roy a faite ſur ce, le Roy ne perd point ſes tailles.
Les habitans de ceſte ville de Dourdan pourront retourner en leurs maiſons & biens en faiſant les ſubmiſſions & ſerment de fidelité portez par les ordonnances du Roy, & ſeront traitez comme ſubjects de ſa Majeſté, & joüiront doreſenauant de leurs biens.
Pour les droicts & reuenus de Madame de Nemours, ſera renuoyé au Roy qui y fera touſiours ce qu’il luy ſemblera eſtre à faire pour ſa bonne parente.
Le Capitaine Iacques ſortira du chaſteau de Dourdan auec les gens de guerre qui y ſont, & remettra la place en l’obeiſſance du Roy Lundy prochain au matin : Cependant il ne fera trauailler en aucune façon aux fortifications de ladite place, & pour ſeureté de cela baillera hoſtages à Monſeigneur le Mareſchal.
Faict au Camp de Dourdan, le Vendredy 17. de May 1591. Ainſi ſigné Biron. Et plus bas, Par Monſeigneur le Mareſchal, Ivlien. Et ſcellé du cachet dudit ſieur.Ce ſiege fut vne ſeconde fatalité & à la ville & à l’Egliſe de ſainct Germain : car outre le pillage vniuerſel & la perte des ornements & treſors qui auoient peu eſtre amaſſez dans cette Egliſe depuis ſa premiere ruyne, elle receut encores vn notable dommage par le faict propre du Capitaine Iacques, lequel preuoyant le ſiege & craignant que la commodité de ceſte Egliſe & des clochers qui commandoient dans le chaſteau ne ſeruiſt pour loger les ennemis, il feit premieremant rompre vne partie de la voûte de la Nef qui l’incommodoit, puis apres feit froter la charpenterie de l’Egliſe & des clochers de poix & raiſine, y adjouſtant quantité de pailles & autres matieres propres pour allumer vn feu lors qu’il verroit l’armée approcher : & ſuiuant ce project il ne veit pas pluſtoſt les auant-coureurs qu’il y feit porter le feu, lequel embraſa en vn inſtant le plus bel edifice qui ſe veiſt à bien loin de là, & duquel n’a eſté reſerué à la poſterité que l’image qui ſ’en trouue encores aujourd’huy au parement de l’Autel de ſainct Eſtienne de la meſme Egliſe, à laquelle ie renuoye le curieux, pour ne m’eſtendre à en faire la deſcription.
En fin, en l’an 1596. en execution de l’Edict du mois de Septembre 1591. pour la vente & reuente du Domaine du Roy juſques à 200000. celuy de Dourdan fut reuendu à faculté de rachapt perpetuel, & adjugé au ſieur Imbert de Dieſbaſch gentil-homme Bourgeois & du Conſeil de la ville & Canton, de Berne, & Colonel d’vn Regiment Suiſſe, moyennant la ſomme de 40000 liures : mais depuis, & le 2. Ianuier 1597. il feit ſa declaration au profit du ſieur de Sancy, par laquelle il luy quittoit tout le droict qu’il y pouuoit auoir, recognoiſſant qu’il ne ſ’en eſtoit rendu adjudicataire que pour luy & qu’il en auoit payé le prix.
Le ſieur de Sancy.
Auſſitoſt que le ſieur de Sancy eut recogneu & la beauté du païs & la bonté de l’air de Dourdan, il le jugea tres-propre pour diuertir & recreer ſon eſprit, lors que trop trauaillé des plus importantes affaires de l’Eſtat qu’il digeroit, il luy voudroit donner quelque relaſche, & pour cét effect il y feit faire les logemens qui ſ’y trouuent à preſent à main gauche, & en deſignoit de plus grands ſi l’occaſion ne ſe feuſt preſentée lors qu’il fut deſchargé des affaires publiques & qu’elles furent tranſmiſes au ſieur de Roſny de le luy vendre & le faire ſon ſucceſſeur au plaiſir comme il l’eſtoit deſia au trauail.
Le ſieur de Roſny, depuis Duc de Sully.
La meſme raiſon qui auoit meu le ſieur de Sancy à affectionner Dourdan, feit naiſtre l’enuie au ſieur de Sully de le tirer de ſes mains, & en joüit juſques en l’année 1610. qu’il fut rembourſé par le Roy Louys le Iuſte, qui le reünit à la Couronne, de laquelle il auoit eſté demembré depuis 61 an.
Pendant ceſte domination du ſieur de Sully il ne ſ’y eſt rien fait de nouueau, ſinon que (comme i’ay deſia dit) la groſſe tour fut jointe au reſte du chaſteau, par le moyen de la terraſſe qui y eſt à preſent.Louys le Iuſte.
Le Roy Lovys le Ivste ne fut pas pluſtoſt paruenu à la Couronne, qu’il retira Dourdan des mains du ſieur de Sully, & l’année ſuiuante le donna à la Royne ſa Mere pour partie de l’aſſignat de ſes dot & doüaire, aux clauſes & conditions portées par les lettres patentes qui en furent expediées, leſquelles ie ne tranſcriray icy, parce qu’elles ſont aſſez cogneuës.
Marie de Medicis Royne Mere du Roy.
Auſſitoſt que Philippes le Bel eut démembré Dourdan de la Couronne pour le bailler en appanage à ſon frere Louys Comte d’Eureux, & qu’en conſequence de ce il ſ’en fut du tout retiré pour luy en laiſſer l’entiere joüiſſance ; il fut retranché du nombre des Maiſons Royales, & peu à peu à la faueur de ſa longue alienation, eſt tombé dans l’oubly en telle ſorte, que quand huict vingts ans apres il y a eſté reüny, c’a eſté comme vne choſe indifferente & qu’on ne croyoit pas auoir aſſez de recommendation pour eſtre aymée des Roys, leſquels à ceſte cauſe l’ont negligé, voire meſmes abandonné à toutes les alienations qui en ont eſté faites. Ces traitements luy ont eſté tres-rudes & inſupportables, luy ont fait perdre ſon luſtre & en fin l’ont plongé dans les malheurs, qui depuis l’ont detenu ſi longues années ſoubs leur tyrannique domination. Il eſtoit au plus fort de ſon mal & ſur le poinct du deſeſpoir de plus recouurer les honneurs qu’il auoit perdus & qu’il pouuoit juſtement ſouhaiter, lors qu’vn nouueau ſujet de conſolation luy eſt ſuruenu, par l’eſtabliſſement en France du Regne de Iuſtice, dans lequel ſeul il pouuoit eſperer remede à ſon mal, & reſtauration de ſa bonne fortune ; il n’a eſté déceu de ſon eſperance, & en euſt à l’heure meſme reſſenty l’accompliſſement, ſi la loy des choſes du monde, euſt permis ceſte extremité : le brillant eſclat du Soleil ne ſe monſtre dans l’eſpoiſſeur des tenebres de la nuict, il ſeroit importun aux hommes, au lieu qu’il leur eſt donné pour principe de reſioüiſſance : & au lieu qu’ils deuroient ouurir les yeux pour en admirer les effects, ils ſeroient contraints de les fermer, ſe cacher de luy, & ſe refugier dans les ſombres cauernes pource qu’ils ne pourroient ſouſtenir l’effort de ſes rayons ; il donne premierement vne certaine attente de ſon arriuée, par la diminution des tenebres, puis apres il enuoye l’agreable aurore qui doucement diſpoſe les yeux à ſupporter la grandeur de ſa lumiere. Ainſi en a-il eſté à Dourdan, ce bon Roy, ce Soleil de Iuſtice, n’y a pas voulu de prim-ſault paroiſtre en ſa majeſté, les eſprits encores languiſſants & abattus par les miſeres paſſées feuſſent demeurez ſtupides dans vne ſi grande abondance d’honneurs & inſenſibles aux aduantages qu’ils en euſſent receu, il luy a premierement donné certains augures de ſa venuë lors que par vne premiere action de juſtice il l’a reüny à la Couronne comme en eſtant l’vn des plus anciens fleurons & de laquelle il n’auoit peu eſtre ſeparé que par vn violent effort, puis apres luy en a donné toutes ſortes d’aſſeurance & ſ’y eſt comme obligé, lors qu’à l’imitation de S. Louys ſon progeniteur & ſon phare continuel qui le delaiſſa à la Royne Blanche ſa mere, il l’a baillé à la Royne ſa mere, la conſideration de laquelle eſtoit aſſez puiſſante pour l’y attirer vn iour, & la beauté du lieu aſſez charmante pour l’y retenir à iamais lors qu’il l’auroit vne fois veu : A ceſte ſecõde action Dourdan commença à reſpirer vne plus douce vie & à eſperer vne meilleure fortune, il releue ſon courage, il ſ’accouſtume au nom Royal & ſe tient deſia tout aſſeuré d’vne parfaite guariſon de ſon mal, par les ſalutaires influences de ſon Soleil de Iuſtice. Toutes choſes luy ſemblent venir à ſouhait : le ſieur du Marais luy eſt donné pour Gouuerneur, mais pluſtoſt pour Pere & Protecteur, car il ſ’intereſſe dans ſa fortune & ſ’y monſtre ſi paſſionné, qu’en toutes occaſions il contribuë de ſa part à l’augmenter. Ie ne rapporteray en particulier les teſmoignages qu’il en a rendu, ſeulement diray-ie que pendant les mouuements de l’année 1616. encores qu’il fiſt profeſſion de la Religion pretenduë reformée, ſi eſt-ce qu’il ne voulut pas que le iour de Noël les chefs de la ville feuſſent diuertis des prieres & de la Meſſe de my-nuict pour faire leurs rondes ordinaires, luy-meſmes en prit le ſoin & quitta ſon chaſteau pour paſſer toute la nuict dans les corps de gardes & le long des courtines de la ville : apres quoy il ne faut plus demander de preuues de ſa bonté & de ſon affection enuers ce peuple. Au milieu de ces rauiſſements Dourdan reſſentit vn grand reuers de fortune par la mort de ce bon Gouuerneur, & luy euſt eſté ce mal beaucoup plus cuiſant, ſ’il n’euſt eſté adoucy par le genre de ceſte mort pleine de gloire & de trophées acquis par ſa valeur, & bien-heureuſe par l’abjuration qu’il feit de l’erreur de ſa Religion, & incontinent apres du tout oſté par la venuë de Monſieur de Buy ſon ſucceſſeur, lequel d’autant plus affectionné à ceſte ville, qu’il y auoit eſté nourry jeune & que ſon pere l’auoit auſſi autresfois gouuernée, y apporta tout ce que ſa qualité & ſa naturelle bonté en pouuoient faire eſperer. Mais la Royne en voulant prendre vn ſoin plus particulier, elle le donna à gouuerner à Monſieur de Montbazon ſon Cheualier d’honneur, afin qu’eſtant touſiours pres de ſa perſonne il deſcouuriſt plus aiſement ſes intentiõs, appriſt les inclinations qu’elle auoit pour l’aduãcement de ce lieu, & que de ſa part il apportaſt tout ce qu’il jugeroit neceſſaire pour l’accompliſſement de ce deſſein : c’eſt ce qu’il a fait depuis, & auec tant de diligence, qu’il l’a rendu beaucoup plus heureux qu’il n’auoit eſté long temps auparauant. Toutes ces faueurs abondantes ayants fortifié ſes eſprits luy donnerent aſſez de hardieſſe en l’année 1621. que ceſte benigne aurore auant-couriere de ſon bien paſſa par ſainct Arnoul, de faire vn eſſay de ſes forces & eſprouuer ſ’il pourroit d’vne veuë aſſez arreſtée contempler ſa majeſté, & en ceſte reſolution le corps de la ville ſe trouua à ſainct Arnoul eut l’honneur de la ſaluër & luy faire les ſubmiſſions qu’il deuoit à ſa Dame & Maiſtreſſe & par vn preſent de quelques fruicts aduoüer qu’il ne poſſedoit rien que ſoubs ſa faueur & par ſa liberalité. Ce fut à la verité vne haute entrepriſe & qui euſt peu tourner à confuſion, ſi ceſte grande Princeſſe conſiderant pluſtoſt ſes bonnes intentions que la temerité de ſes actions ne ſe feuſt accommodée à ſa foibleſſe, couurant ſa Majeſté Royale d’vn manteau de douceur & d’humanité. Mais quoy que c’en ſoit, ce doux accueil & la fauorable acceptation de ſes ſubmiſſions & de ſes offres luy augmenta tellement le courage & l’eſpoir, que de là en auant il n’auoit plus de penſée ny d’entretien qui n’euſt pour but la venuë de ſon Roy.
En l’année 1623. le Roy ayant eſté contraint par la contagion, de ſortir de Paris & ſe retirer à S. Germain, il fut obligé pour ſe deſennuyer d’eſtendre ſes promenades dans le païs circonuoiſin, meſmes juſques à Rochefort, qui n’eſt qu’à vne lieuë de Dourdan pour voir les baſtiments de Mõſieur de Montbazon & experimẽter les plaiſirs de la chaſſe qu’on luy auoit dict y eſtre tres-grands : le lendemain de ſon arriuée les Veneurs feirent leur rapport d’vn cerf qu’ils auoient deſtourné dans vn petit bois qui eſt en pleine Beauce, à demie lieuë de la foreſt de Dourdan : On ſe reſout de le chaſſer, & pour ce faire d’aller diſner à Louye où deuoit eſtre l’aſſemblée : le Roy part du matin de Rochefort, les nouuelles en viennent à Dourdan par où il deuoit paſſer, vn allegreſſe generale ſe met dans les cœurs, on ſe diſpoſe à le receuoir, & par harangues & acclamations publiques luy teſmoigner combien eſtoit agreable ſon arriuée, depuis combien d’années elle eſtoit attenduë, & combien ce peuple eſtoit affectionné au nom Royal : Il les eſcoute benignement, admire la reſioüiſſance commune, remarque la ville, paſſe outre, conſidere le païs, & ſe rend à Louye, où il eſt receu par le ſieur du Lac qui en eſt Prieur Commendataire, lequel luy ayant repreſenté que ceſte maiſon auoit eſté fondée par Louys le Pieux, & reſtablie par Louys le Sainct ſes ayeulx, & qu’il eſtoit conuenable que Louys le Iuſte leur ſucceſſeur au ſang, au nom, au ſceptre & aux bonnes intẽtions à cauſe deſquelles il auoit merité ſon tiltre aduantageux, y apportaſt du ſien & les imitaſt en cecy comme en toutes autres leurs vertueuſes actions, Il eſt eſmeu par les exemples de ces bons Roys ſes deuanciers & reſpond qu’il en veut eſtre protecteur & bien-faicteur, & conſiderant les grandes reparations qui y auoient eſté faites par le Prieur, il luy accorde ſix mil liures à prendre ſur les hauts bois qui dependent du Prieuré, pour eſtre employez tant en la perfection d’vn baſtiment ja commencé qu’en la conſtruction d’vn eſtang dans lequel on puiſſe retenir des eaux ſuffiſamment pour reparer le deffaut qu’il y en a en ce lieu. Apres diſner on va lancer le cerf, cét animal conduit par le bon genie de Dourdan, au lieu de tirer droit à la foreſt comme tous les autres, prend ſa courſe vers la Beauce, afin que courant en pleine campagne il ſoit touſiours veu auec la chaſſe & donne plus de plaiſir au Roy, & par ce moyen luy face recognoiſtre que ce païs eſt veritablement deſtiné pour ſes paſſe-temps, puis que meſmes les brutes eſſayent de les luy augmenter. La chaſſe finie par la priſe du chef au milieu d’vn village, le Roy retourne coucher à Rochefort auec vne ſi grande ſatisfaction de ce qui ſ’eſt paſſé tout ce iour qu’il reſout de coucher le lendemain dans Dourdan, afin de conſiderer plus à loiſir ſa ſituation, la pureté de l’air, la nature des eſprits, & recognoiſtre ſi le païs pourroit fournir à la diuerſité de ſes eſbatements. Ce fut alors que Dourdan ſe trouua eſſeuré de ſa bonne fortune, Il ſçauoit bien qu’il abondoit en tout ce qui pouuoit arreſter vn cœur royal, il n’en craignoit pas l’eſpreuue, au contraire la deſiroit, & ſe plaignoit que les ſiecles paſſez il auoit ſeulement eſté negligé pource qu’il n’auoit pas eſté cogneu. Le Roy y demeura trois iours, & y pratiqua tous ſes exercices ordinaires auſquels il trouua le païs fort diſpoſé : Le matin apres la Meſſe il ſ’entretenoit dans les armes faiſant faire l’exercice à ſes Mouſquetaires dans vn champ à la porte de la ville qui ſemble auoir eſté aplany expres, apres le diſner faiſoit deux ou trois ſortes de chaſſes & ſ’il reuenoit de bonne heure, acheuoit la journée au jeu de longue paulme, & ſur le ſoir faiſoit faire la curée aux chiens de ce qui auoit eſté pris le jour : Et en toutes ces choſes receut vn contentement ſi parfaict qu’il jugea bien que ce lieu luy eſtoit naturellement dedié & ſ’y lia encores plus d’affection quand il ſceut qu’il eſtoit du Domaine de la Royne ſa mere, à cauſe de laquelle il le meit au rang de ſes plus fauoriſez, tellement que Dourdan ſe veid en jouyſſance de ce qu’il auoit eſperé, mais autrement qu’il n’auoit preueu, car le hazard luy amena le Roy, ſa beauté l’y arreſta & la conſideration de la Royne l’y engagea, laquelle pour d’autant plus confirmer le Roy en ceſte reſolution ne ſe contenta pas ſeulement de luy teſmoigner de bouche le contentement qu’elle en receuoit, mais encores luy voulut faire cognoiſtre par effect lors qu’elle contribua à la deſpence du baſtiment d’vn corps de garde qu’il ordonna eſtre fait à la porte du chaſteau pour ſes Mouſquetaires.
Apres ceſte premiere deſtination de Dourdan, qui fut au mois d’Aouſt, le Roy y feit pluſieurs autres voyages, pendant leſquels & en diuerſes rencontres il monſtra bien qu’il eſtoit Miſericordieux, mais veritablement Iuſte, tous ſes mouuements eſtants beaucoup eſloignez de violence & de volonté abſoluë, & reglant toutes ſes actions par le niueau de la Iuſtice. Vne femme auoit eſté par arreſt de la Cour rẽuoyée à Chaſtres pour eſtre executée à mort, & y fut conduite le meſme iour que le Roy arriua à Dourdan, qui donna ſujet à ſa mere accompagnée de ſix de ſes enfans, de venir toute nuict à Dourdan pour ſe preſenter au Roy & obtenir quelque traict de ſa miſericorde : Ces pauures affligez ſ’eſtans adreſſez à moy, ie leur feis vne requeſte qu’ils luy preſenterent à l’iſſuë de la Meſſe, & laquelle i’ay icy tranſcripte, pource qu’elle contient ſuccinctement le faict & les raiſons ſur leſquelles eſtoit fondée la grace qu’ils demandoient.
Au Roy.
Louyſe Creſtot vefue de feu Regnault Cochet, chargée de ſix enfans & de ſa mere plus que octuagenaire, vous remonſtre tres-humblement que cy deuant Iacques Poirier ſon nepueu & deux autres ayant eſté condamnez à eſtre pendus & eſtranglez par arreſt de la Cour, ils auroiẽt eſte conduits à Chaſtres pour en ſouffrir l’execution qui commença par l’vn d’eux, lors de la mort duquel le Curé qui les aſſiſtoit ayant dict à haute voix que ledit Poirier & l’autre qui reſtoit à executer eſtoient innocens icelle ſuppliante ſe ſeroit trouuée d’autant plus eſmeuë que ſes reſſentiments naturels y contribuoient de leur part, & à l’heure meſme ſe ſeroit efforcée d’enleuée ſon nepueu du ſupplice, ce qu’elle auoit fait ſans aucune reſiſtance des officiers du lieu & ſans autre effort que de couper les cordes deſquelles il eſtoit lié, laquelle facilité auroit donné ſuiet à quelques autres de ſauuer pareillement le troiſieſme : pour raiſon de quoy elle auroit auſſi eſté par autre arreſt condamnée à eſtre penduë & eſtranglée, apres qu’elle auroit premierement eſté appliquée à la queſtion, pour l’execution dequoy elle a eſté conduite à Chaſtre ſans autre eſperance de ſalut que celle qu’elle a en la clemence de voſtre Majeſté.
Ce conſideré (Sire) attendu qu’il n’y va que de l’intereſt de voſtre Majeſté, & que la ſuppliante a eſté portée à ceſte entrepriſe par le rapport qu’auoit fait le Curé de l’innocence de ſon nepueu, & y a eſté comme forcée par les mouuements naturels qui ſe preualants de l’imbecilité de ſon ſexe, violentoient ſon humeur, d’ailleurs fort eſloignée de temerité : Il vous plaiſe, preferant miſericorde à juſtice, luy donner la vie, & elle ſera obligée & tous les ſiens de continuer leurs vœux & prieres à Dieu pour voſtre proſperité & ſanté.Ceſte requeſte ayant eſté leuë deuant le Roy, il ne ſe trouua aucun des Courtiſans qui ne ſuppliaſt pour ceſte pauure femme, & demandoient la pluſpart que d’authorité abſoluë le Roy l’enuoyaſt querir par vn exempt de ſes gardes pour luy donner & la vie & la liberté : mais tant ſ’en faut qu’il vouluſt vſer de ceſte voye, qu’au contraire il ſe contenta de mander les officiers de la Cour pour apprendre la verité de la choſe auparauant que d’en reſoudre : Vn exempt monte à cheual, le Roy commande au Prieur de Louye qui luy auoit leu la requeſte de l’aſſiſter, & d’autre coſté Monſieur de Bautru charitablement porté en ceſte affaire qui craignoit que l’execution ſe feiſt auant l’arriuée de l’Exempt, pource qu’il eſtoit deſia tard & qu’il y a quatre lieuës de diſtance, feit monter ſur l’vn de ſes coureurs le Preſident de l’Eſlection mon frere, & le chargea de faire telle diligence, qu’en bref on en peuſt auoir bonnes nouuelles : Ces couriers arriuez à Chaſtres trouuerent ceſte femme entre les mains de l’executeur preſte d’eſtre appliquée à la queſtion & en ſuitte attachée au gibet deſia planté pour cét effect, & feuſſent arriuez trop tard ſi elle-meſme ne ſe feuſt aidée pour gaigner du temps, & n’euſt declaré lors qu’on luy ſignifia l’arreſt qu’elle eſtoit groſſe du faict de celuy qui ſollicitoit pour elle pendant ſa priſon, car ceſte declaration feit ſurſeoir l’execution juſques à ce qu’elle euſt eſté viſitée & que la verité du faict euſt eſté recogneuë : Le commandement du Roy apporté, les officiers de la Cour viennent à Dourdan, le Roy ſ’enquiert ſi la requeſte qui luy auoit eſté preſentée eſtoit veritable, le greffier recognoiſt qu’il n’y auoit dans tout le procés plus de charges contre ceſte femme & que la Cour ſ’eſtoit peut-eſtre portée à ceſte condamnation rigoureuſe pource que deſia meſme choſe eſtoit arriuée à Chaſtres & qu’il falloit reprimer la legereté de ce peuple par vne punition exemplaire : au meſme temps chacun importune le Roy de donner la vie à ceſte femme, on repreſente qu’elle n’eſt perſonne d’exemple & qu’il ſembloit que Dieu la vouluſt ſauuer, puisqu’il luy auoit facilité le moyen de rechercher ſa grace amenant ſa Majeſté à Dourdan à meſme iour qu’elle eſtoit arriuée à Chaſtres, ſans laquelle rencontre il n’y euſt iamais eu lieu de rien eſperer pour elle, & qu’il la falloit enuoyer querir par le meſme Exempt : Toutes ces importunitez ne peuuent porter le Roy à rien faire contre les voyes ordinaires de la Iuſtice, il ſ’y veut arreſter & y tenir ferme ſans toutesfois rendre ſa miſericorde infructueuſe : Il louë le Parlement & approuue ſon arreſt, mais auſſi penſe-il eſtre obligé de faire grace en ceſte rencontre, toutesfois n’en veut reſoudre qu’auec toutes les formes, C’eſt pourquoy il commande aux officiers de remener ceſte femme dans la Conciergerie, & dire à la Cour qu’elle differe l’execution de ſon arreſt juſques à ce qu’elle l’aye informé du faict du procés & qu’il aye deliberé en ſon Conſeil ce qu’il en deura faire. Apres ceſte prononciation chacun demeure eſtonné, on admire les mouuements du Roy & les juſtes moyens par leſquels il veut mettre en pratique ſa Clemence, il la veut reſtraindre dans les bornes de ſon legitime pouuoir & improuue ce que quelques flatteurs ont autresfois dict, qu’à la verité les Roys ne pouuoient faire mourir ſans cognoiſſance de cauſe, mais bien pouuoient donner la vie ſans autre ceremonie : Il a appris vne autre leçon beaucoup plus veritable, qui eſt que les Roys n’ont eſté donnez principalement aux hommes que pour leur faire obſeruer les loix & les juger ſuiuant icelles, en conſequence de quoy Dieu commanda à Ioſüé Prince de ſon peuple d’auoir touſiours deuant ſes yeux le liure de la Loy afin qu’il la ſceuſt, & ne jugeaſt rien contre ce qu’elle decidoit, condamnaſt à la mort ou feiſt grace ſelon les cas qui y eſtoient exprimez, ſans les pouuoir eſtendre ny reſtraindre en quelque façon que ce feuſt, cela n’appartenant qu’à ſa diuine Majeſté qui auoit fait la loy & qui eſtoit au deſſus d’elle, c’eſt pourquoy on n’a point veu qu’il aye iamais recommandé aux Roys de pardonner & faire miſericorde, mais bien de condamner & faire juſtice (ſi ce n’eſt aux offences particulieres qui leur ſont faites :) Si Saül euſt entierement executé les commandements de Dieu mettant au fil de l’eſpée Agag auec tout ſon peuple & tous les beſtiaux, & qu’il n’euſt point fait le miſericordieux contre la loy, il eſt certain qu’il n’euſt pas eſté priué de ſon Royaume comme indigne d’eſtre Roy puis qu’il ne ſçauoit pas executer la rigueur de la loy : encores que les Roys Payens qui n’auoient autres loix que celles qu’ils auoient eux-meſmes fait, euſſent aucunement peu ſ’en diſpencer, ſi eſt-ce que l’antiquité nous a fourny tant de vertueux exemples de pluſieurs d’entre eux qui n’ont pas meſme eſpargné leurs plus proches, voire leur ſang, lors qu’il a eſté queſtion de les executer, que ſeroit choſe honteuſe & reprochable aux Chreſtiens qui ne ſont autheurs des loix, mais qui recognoiſſent les auoir receuës de Dieu qui leur en recommande l’execution & à laquelle ils ſ’obligent lors de leur ſacre, d’en vouloir vſer autrement, laiſſer le mal impuny, & ſ’abandonnants à vne compaſſion humaine, oublier leurs qualitez ſureminentes à cauſe deſquelles ils ſont eſleuez de la terre & deſia naturaliſez dans le Ciel. Ce ſont les raiſons qui empeſcherent le Roy de rien definir en ceſte affaire, quoy que pleine de commiſeration & que chacun l’en importunaſt, tant il auoit peur de bleſſer en rien le tiltre de Iuſte duquel il eſſaye par toutes ſes actions de ſe rendre digne.
Suiuant la reſolution du Roy ceſte pauure condamnée ayant eſté remiſe dans la Conciergerie, veint vne nouuelle à Dourdan deux iours apres, que la Cour la vouloit faire executer le lendemain au matin nonobſtant le commandement du Roy qui luy auoit eſté porté par ſes officiers, le Roy qui juge que ceſte affaire eſt remiſſible de droict ſ’enquiert des moyens qu’il peut auoir pour la fauoriſer, on n’en trouue point à cauſe de la briefueté du temps, il n’y a que Monſieur de Bautru qui y peut apporter remede, la viuacité de ſon eſprit luy en donne l’inuention & la grandeur de ſa charité luy donne la volonté de l’effectuer : Il propoſe au Roy qu’il luy donne commandement d’aller toute nuict à ſainct Germain pour prendre lettres de Monſieur le Chancellier qui y eſtoit & les porter le lendemain du matin à la Cour, apres leſquelles elle ſeroit obligée de differer : Cét aduis eſt trouué bon, le Roy l’approuue, louë ſa bonne volonté & luy donne ſon commandement : Il eſtoit ſept heures du ſoir, le temps eſtoit couuert & pluuieux, mais cela ne le peut empeſcher d’effectuer ſa propoſition, non plus que l’aſpreté des chemins par leſquels il deuoit paſſer : il monte à cheual apres auoir ſouppé, & par ſa diligence aſſeura encores pour ce coup la vie à ceſte pauure miſerable, à laquelle en fin apres pluſieurs deliberations du Conſeil lettres de grace ont eſté expediées & depuis entherinées à la Cour.
Preſque en meſme temps le Roy eſtant à la chaſſe vn pauure homme ſ’adreſſe à luy, ſe plaint de quelque mauuais traitement que luy auoit fait vn ſergent qui ſaiſiſſoit ſes biens, repreſente les outrages & violences & demande juſtice, tout à l’heure le Roy enuoye quelques-vns de ſa ſuite pour ſ’enquerir de la verité de la plainte, prendre le ſergent & les records & les luy amener à Dourdan pour les mettre entre les mains de la Iuſtice & les faire chaſtier ſelon leurs demerites.
Vn autre homme ſe vient jetter aux pieds du Roy, luy expoſe les grandes rigueurs de ſon creancier, remonſtre qu’en effect il ne doibt rien, mais qu’il n’a moyen de ſe faire deſcharger de ſon obligation, demãde quelque delay pour payer, & repreſente pluſieurs papiers par leſquels il pretend juſtifier les raiſons de ſa plainte : le Roy luy donne audience & voit vne grande partie de ſes papiers, mais pource que ceſte affaire eſtoit fort broüillée & pleine d’intrigues, elle me fut renuoyée pour l’eſclaircir & en faire rapport, & l’eſclairciſſement n’ayant eſté qu’à la confuſion de celuy qui ſe plaignoit, il n’en remporta autre fruict que d’auoir experimenté la debonnaireté du Roy & l’inclination qu’il auoit à rendre la Iuſtice à tous ceux qui la luy demandoient.
Voicy autre traict de la Iuſtice du Roy, apres lequel il faut que l’antiquité ceſſe de vanter ſon Monarque qui pour preuue de ſon equité & de ce qu’il ne condamnoit perſonne ſans l’oüir, eſtoupoit l’vne de ſes oreilles lors qu’on luy faiſoit quelque plainte d’vn abſent auquel il la vouloit reſeruer entiere : Il y auoit long temps qu’aucuns des plus releuez de Dourdan auoient conjuré la ruyne de l’vn des principaux Officiers qui ſans conſideration de leurs qualitez les aſſubjectiſſoit egalement comme tous les autres aux loix de la Iuſtice : Il ſe preſenta quelque ſujet qui ſembloit fauoriſer leur deſſein, & meſmes intereſſer le Roy, ils prennent l’occaſion au poil, ſement ſourdement quelques mauuais bruits de ſa vie, preuiennent les eſprits des courtiſans, & à certain iour qu’ils voyent toutes choſes à leur poinct, font qu’vn homme de paille ſe jette aux pieds du Roy, fait de grandes plaintes contre luy & les circonſtancie de telle ſorte, qu’elles ſont receuës quaſi par tous les aſſiſtans pour veritables & juſtes, & ſemble qu’il ne reſte plus qu’à prononcer vne condemnation, les conjurez d’autre part voyans les eſprits eſchauffez commencent à paroiſtre, confirment les plaintes & ſe mettent à deſchiffrer & à deſpeindre ſa vie de ſi eſtranges couleurs, qu’il y en a peu qui ne le condemnent & qui ne preſſent le Roy de l’abandonner à vn juſte chaſtiment (ceſte chaleur eſtoit pardonnable à des hommes, les choſes eſtoient trop bien concertées pour ne pas eſmouuoir les eſprits meſmes les plus retenus, il falloit auoir quelque choſe de celeſte & de ſurnaturel pour y reſiſter :) Il n’y a que le Roy qui demeure froid au milieu de ce grand feu, l’intereſt qu’on dict qu’il y a n’a point d’aiguillon pour l’irriter, Il demeure dans le calme & ſe reſerue de condemner quand il aura entendu l’accuſé. Monſieur de Bautru qui ſemble n’auoir autre plaiſir que d’aſſiſter les affligez, prend la peine d’aller chez luy pour l’aduertir de ce qui ſ’eſtoit paſſé afin d’apprendre par ſa bouche la verité des choſes, & que ſ’il y a de la faute il l’adouciſſe, & ſi au contraire il ſe trouue de l’innocence il la face paroiſtre & au Roy & à toute la Cour : Et ayant recogneu que toutes ces plaintes & diſcours qu’on auoit fait eſtoient autant de calomnies qui n’auoient autre fondement que la faction des conjurez, il le mena au ſupper du Roy afin d’y faire eſclater ſon innocence & deſraciner la mauuaiſe opinion qu’on auoit peu conceuoir de luy par ce qui ſ’eſtoit paſſé : Le Roy le reçoit humainement, luy donne la plus longue & la plus benigne audiẽce qu’il euſt peu ſouhaiter, & apres l’auoir oüy, teſmoigne que ſa defenſe luy a pleu & qu’il luy continuë l’honneur de ſes bonnes graces : Mais le Roy reçoit en ſon ame vn extreme contentement quand il voit les fruicts de ſa retenuë & qu’il n’a pas condamné l’innocent, quoy que toutes choſes ſemblaſſent luy conuier, & ſe confirme en ceſte reſolution de ne iamais condamner aucun ſans l’oüir, puiſque le menſonge reſſemble ſi fort à la verité qu’il y pourroit eſtre ſouuent trompé, & que Dieu meſmes luy en a fait des leçons lors qu’il ne voulut pas juger Adam & Eue ſans leur demander les raiſons de leur tranſgreſſion de ſes commandements, ny les baſtiſſeurs de la tour Babel, que premierement il ne feuſt deſcendu & n’euſt veu leurs vanitez pour les conuaincre dauantage, & finalement lors qu’il inſpira Ioſüé à interoger l’anatheſme Acham auparauant que de prononcer contre luy.
Apres auoir parlé de la Iuſtice du Roy ie ne puis paſſer ſoubs ſilence vn traict qui ſignale du tout ſa Charité : I’eus vn iour l’honneur d’entretenir fort long temps Monſieur de Bautru non de vanitez & flatteries (eſquelles ſe plaiſent aſſez ſouuent les Courtiſans) pource que i’en cognois ſon humeur fort eſloignée, & que d’ailleurs ie n’y euſſe eu bonne grace, pource que ie n’y feus iamais inſtruit : mais de la trop veritable pauureté du païs, & de la ſomme exceſſiue à laquelle la ville de Dourdan eſtoit taxée par le Conſeil pour la taille, à cauſe dequoy elle ſe dépeuploit de iour à autre, & demeureroit en fin deſerte : Et ſur la difficulté qu’il faiſoit de croire ce que ie luy diſois à cauſe du grand peuple qu’il y voyoit, ie luy monſtray par les roolles des tailles que de 800 qui y eſtoient compris, il y en auoit 450 ſi miſerables, qu’ils n’eſtoient taxez chacun, qu’à vn double, vn ſol, deux ſols, & ainſi en montant juſques à vingt ſols, & que toutes leurs taxes enſemble ne reuenoient qu’à huict vingts liures, qui faiſoit que la ville n’en eſtoit gueres ſoulagée, & qu’en effect toute la taille n’eſtoit payée que par vn petit nombre qui ne pouuoit plus ſubſiſter. Tout ce diſcours ne tendoit qu’à luy faire gouſter la juſtice qu’auroit ceſte ville de demander vne diminution des tailles, afin qu’il feuſt ſon moyenneur lors qu’elle en importuneroit le Roy : Il feit bien autrement, car il ne ſ’obligea pas ſeulement de l’aſſiſter à l’aduenir lors qu’elle ſe voudroit plaindre, mais voyant vn ſujet d’exercer la charité du Roy, il luy en parla le ſoir meſme & exagera tellement ceſte miſere, qu’il receut commandement de me laiſſer 200 liures, tant pour deliurer au Collecteur de la taille en l’acquit de ces pauures gens, que pour faire des aumoſnes à ceux que ie trouuerois en auoir le plus de neceſſité.
Apres cecy qui ne dira Dourdan tres-heureux d’eſtre teſmoin de tãt de bõnes actions de ſon Roy, voire de les reſsẽtir en ſon particulier ? qui ne dira la France trois fois heureuſe d’eſtre gouuernée par vn Monarque ſi Iuſte & ſi Equitable ? Mais qui ne benira ce ſiecle d’auoir produit vn Prince ſi accomply, & auquel on peut auec raiſon dõner les tiltres d’honneur qu’ont autresfois merité tous ſes predeceſſeurs : Debonnaire comme Louys I. Pieux comme Louys VII. dict le Ieune, Auguſte & Conquerrant comme Philippes II. Hardy comme Philippes III. Bien-aymé comme Charles VI. Sage comme Charles V. Victorieux comme Charles VII. Pere du peuple comme Louys XII. & Grand comme Henry IIII. ſon Pere de tres-heureuſe memoire.
Sa Debonnaireté n’eſt point incogneuë à ceux qui ont l’honneur d’approcher de ſa Perſonne.
Sa Pieté paroiſt aſſez par l’innocence de ſa vie & par le zele qu’il a à l’augmentation de la gloire de Dieu & à l’aduancement de la Religion.
Sa bonne fortune & ſes conqueſtes ont deſia volé par toute la terre habitable, & l’ont rendu redoutable à tous ceux qui en ont oüy la nouuelle.
Sa hardieſſe ne peut eſtre ignorée apres la deroute de Riez, en laquelle ſa preſence majeſtueuſe feit tomber les armes des mains des rebelles & leur oſta la hardieſſe de faire aucune reſiſtance, quoy qu’ils ſ’y feuſſent preparez long temps auparauant : Les villes qu’il a aſſiegé depuis quelques années, ne l’accuſeront iamais de coüardiſe ny de timidité, apres l’auoir veu ſi ſouuent à la portée de leur canon & dans les trenchées qu’il faiſoit pour les approcher & les forcer à le recognoiſtre pour leur Roy & naturel Seigneur.
Sa Sageſſe a eſté amplement repreſentée cy deſſus par les exemples de retenuë que i’y ay rapporté, & ſe recognoiſt tous les iours lors qu’à l’exemple de ce grand Empereur Titus on ne voit perſonne ſortir d’auec luy mal content.
L’amour du peuple enuers le Roy a aſſez paru lors qu’il n’a peu eſtre eſbranlé, ny porté à la rebellion par les artifices de ceux qui depuis l’année 1614. ont pris les armes contre ſon Authorité, leſquels ſont demeurez ſeuls & ſans autres villes de retraite, que celles qu’ils tenoient par force, & ont eſté contraints en bien peu de temps de mettre les armes bas & ſe ranger à leur deuoir.
Ses victoires & ſes triomphes ſont repreſentées au public par des volumes ſi amples, que ſeroit porter vn flambeau en plein midy que d’en parler dauantage : Seulement diray-ie, qu’il ne fut pas fort difficile à Charles VII. de chaſſer les Anglois de la France apres que les peuples eurent commencé à ſ’ennuyer de leur domination, & que ſe deſüniſſants d’auec eux ils les eurent laiſſé ſans force & ſans ſeure retraite, voire meſme ſe reuoltants contre eux, leur eurẽt fait reſſentir les effects de leurs armes, à la faueur deſquelles ils ſ’eſtoient aggrandis dans le Royaume : Au contraire les victoires de noſtre Roy ſont vrayes victoires, obtenuës par la ſeule force de ſes armes & par la ſageſſe de ſes conſeils : Il ne combattoit pas contre des eſtrangers abandonnez de toutes parts, mais contre ſes ſubjects obſtinément rebellez (deſquels les efforts ſont beaucoup plus violents) qui n’eſpargnoient aucunes defenſes pour luy ſecoüer le joug & faire vn autre Eſtat dans ſon Eſtat, & à quoy ils auoient ſi bien trauaillé depuis ſoixante ans, qu’ils ſ’eſtoient rendus maiſtres abſolus d’vne infinité de places & bonnes villes, voire de Prouinces toutes entieres dans leſquelles ſon authorité n’eſtoit recogneuë qu’en tant qu’il leur plaiſoit & par forme ſeulement juſques à ce qu’ils euſſent ouuertement fait eſclorre leurs deſſeins, à cauſe dequoy & du pretexte de Religion qu’ils y auoient meſlé auec la liberté publique qu’ils ſe promettoient deſia, ils eſtoient ſi animez qu’il falloit tout gaigner pied à pied, chacun village eſtoit vne forte ville & chacun ſoldat eſtoit vn Capitaine & chef de party.
La paternité du Roy enuers ſon peuple ſe recognoiſt par ſon affableté, ſa douceur, ſa clemence, & par les exercices de charité cy deſſus & autres qui ſe remarquẽt en l’obſeruation de ſa vie : toutes leſquelles choſes jointes à ſa bonté naturelle doiuent faire eſperer à toute la France vn grand ſoulagement & vne deſcharge generale du peſant fardeau qui la tient cõme accablée, ſi toſt que les affaires ſeront tirées du mauuais eſtat, auquel les guerres cauſées par la rebellion d’aucuns de ſes ſubjects les auoiẽt fait tomber.
Sa Grandeur eſt-elle pas ſuffiſamment appuyée par les actes genereux & valeureux que la France luy a veu faire és années dernieres, ſa grande jeuneſſe en laquelle il a entrepris & executé vn ſi puiſſant ouurage que de ſe rendre Maiſtre abſolu en ſon Royaume (ce que n’auoient peu faire tant de grands Roys ſes predeceſſeurs, non pas meſme ſon Pere,) luy a-elle pas acquis vne triple Couronne de lauriers & vn ſurnom de Triſmegiſte (c’eſt à dire trois fois Grand :) Ce tiltre de Grand n’a pas ſeulement eſté donné à ſon Pere pour les frequentes victoires qu’il a obtenuës, mais encores pour les grãds traicts de proüeſſe qu’il y a fait paroiſtre en perſonne & pour les parfaictes habitudes qu’il auoit à la guerre : Ainſi noſtre Roy ne ſ’eſt pas contenté de faire la guerre par ſes Lieutenants, il y a voulu eſtre en perſonne, en prendre le ſoin, ſ’expoſer au peril pour conuier les ſiens à le meſpriſer, eſtre le premier en armes & en ſortir le dernier, & en fin faire tout ce que rapportent les Hiſtoires des plus grands & des plus vieux Capitaines des ſiecles paſſez, & cecy l’a tellement accouſtumé aux exercices & à la fatigue de la guerre, qu’en pleine paix il ne peut viure ſans ſ’y entretenir : Pour les exercices, les Soldats de ſes Gardes & ſes Mouſquetaires en ſçauent bien que dire ; Et quant à la fatigue, elle luy eſt fournie par la chaſſe, à laquelle il ſ’applique auec tant de ſoin, qu’il ne demeure pas vne heure de repos, ſ’il n’y eſt obligé, en telle ſorte que la Guerre & la Paix luy ſont vne meſme choſe : auſſi n’y a il point de trauail (dict Xenophon) qui approche tant de celuy de la Guerre que celuy de la Chaſſe, dans lequel & le corps eſt exercé par la courſe, & l’eſprit par les diuerſes ruſes que la nature enſeigne aux beſtes pour la conſeruation de leur vie : C’eſt pourquoy de tout temps la Chaſſe a eſté eſtimée comme quelque choſe de releué & reſerué à ceux qui eſtoient deſtinez pour commander & faire la guerre : Dans la Geneſe lors qu’on veut parler de Nembrot & dire qu’il eſtoit vn grand Roy on le nomme vn grand Chaſſeur, & Eſaü qui a eſté Roy y eſt repreſenté comme vn Chaſſeur ordinaire : de meſme Virgile ne manque pas ſi toſt qu’il a abouché Ænée & Didon enſemble, de les faire aller à la chaſſe, ny le petit Iule qui deuoit eſtre vn grand Roy à l’heure meſme qu’il fut entré dans l’Italie de le repreſenter au milieu d’vne meutte de chiens à la pourſuitte d’vn Cerf.
Ie n’ay cy deuãt point parlé du tiltre glorieux de Sainct dõné à Louys IX. pource qu’il ne doit eſtre attribué qu’à ceux qui ayants perſeueré toute leur vie en bonnes actiõs, ont merité apres leur mort d’eſtre expoſez aux fidelles pour exẽplaires de vertu & de ſaincteté : mais ſ’il y a lieu de l’eſperer pour quelque viuant, ce doit eſtre pour noſtre bon Roy, lequel, à l’aide de la Royne ſa Mere & des bons conducteurs és mains deſquels elle l’a confié, ſ’eſtant porté à imiter ce ſainct Roy, ſ’eſt tellement attaché à ſa forme de viure, qu’il ſemble eſtre vn autre luy-meſme : & encores outre leur commune façon de viure il y a tant de rapport entre les rencontres de l’vn & de l’autre, qu’il ſemble auſſi que ceſte derniere, de Saincteté, leur doiue eſtre commune : Tous deux fils de meres eſtrangeres, mais ſi affectionnées à l’Eſtat, qu’elles en ont recherché l’aduencement autant qu’elles ont peu.
Delaiſſez orphelins par leurs peres, mais eſleuez & bien inſtruits par le ſoin de leurs meres, & particulierement en la Religion, de laquelle ils ont pris la protection & embraſſé la defenſe.
Guerroyez par leurs ſubjects pendant leur minorité ſoubs pretexte de mauuais gouuernement, & en ces troubles, ont couru fortune d’eſtre pris & enleuez d’entre les mains de leurs meres qui gouuernoient ſoubs leur authorité.
Forcez par les inſolences & rebellions des heretiques de leurs temps de prendre les armes pour les ranger à leur deuoir.
Portez d’affection pour les Religieux & fauoriſants leurs eſtabliſſements dans le Royaume.
Fort prompts à mettre la main aux armes & ſ’y porter en perſonne quand il eſt queſtion de l’aduencement de la Religion & de la gloire de Dieu, mais ſans cela fort retenus à faire la guerre, recherchants tous autres moyens d’accomodation, ſçachants bien qu’elle ne ſe peut faire ſans vne grande ruyne & oppreſſion des peuples.
Curieux de faire punir les hereſiarques & introducteurs de nouuelles ſectes & hereſies.
Sainct Louys ſ’entretenoit ordinairement auec des Eccleſiaſtiques, Religieux & autres gens de bien, & prenoit leur conſeil en ſes affaires.
Et Louys le Iuſte n’eſt iamais ſans tels perſonnages, voire a-il ſagement appuyé tout ſon conſeil ſur deux grandes colomnes de l’Egliſe ces grands Cardinaux de la Rochefoucault & de Richelieu qui ſont comme vn autre Atlas ſouſtenants tout l’Eſtat de la France, ferme & ſolide en leur pieté & reſolution de pluſtoſt mourir que de mãquer à leur deuoir, & haut eſleué en la grandeur & viuacité de leur eſprit qui penetre dans les affaires les plus difficiles & trouue moyen de les reſoudre aduantageuſement.
Sainct Louys eſloignoit de ſa Cour les meſchants & autres perſonnes de mauuais exemple.
Et Louys le Iuſte ne retient pres de ſa perſonne que des hommes deſquels il a recogneu les inclinations portées au bien & à la douceur & deſquels toutes les actions ne reſſentent rien moins que le vice & le peché.
Sainct Louys portoit ſes armes contre les heretiques pour abatre les murailles rebelles, mais pour gaigner les cœurs & les ramener au bon chemin il employoit la doctrine & la grande ſuffiſance de S. Thomas d’Aquin qui viuoit de ſon temps.
Louys le Iuſte apres ſ’eſtre rendu maiſtre par l’effort de ſes armes des places & villes des huguenots rebellez, il veut maintenant par des efforts de doctrine aſſaillir leurs eſprits, & par des armes de raiſons les contraindre de ſe rendre au giron de l’Egliſe : Il fait entendre ſa volonté aux chefs de l’Egliſe, ils ne ſ’y endorment, ils preparent vn fond de trente mil liures par an pour ſubuenir à la deſpence qui ſera neceſſaire, & deputent Monſieur l’Archeueſque de Rouen auec pluſieurs autres Prelats pour faire vne recherche d’hommes doctes qui puiſſent ſeruir en ce loüable deſſein : Premierement, ils appellent tous ceux qui deſia reçoiuent quelque gratification du Clergé, & leur ordonnent la lecture de tel Pere de l’Egliſe ou autre eſtude que chacun voudra choiſir ſelon ſon inclination, cela fait ils aſſignent certain iour de la ſepmaine, auquel tous ſ’aſſembleront l’apreſdiſnée dans le College Royal, pour y conferer de leurs eſtudes & rapporter ce que chacun aura trouué digne d’eſtre remarqué dans ſon liure, pour puis apres entreprendre vn plus grand ouurage & vn trauail plus vtil pour le deſſein, comme eſt la fidelle traduction de pluſieurs liures & la compilation de tous les paſſages des Peres, importants pour la deciſion des controuerſes de ce temps : Au bruit de l’eſtabliſſement de ceſte Conference & du profit qu’on y pouuoit faire, les eſprits curieux y accourent, la compagnie ſ’augmente, & ſe trouue-on ſi preſſé dans le lieu qu’on auoit premierement choiſi, qu’on eſt contraint de le quitter & tranſferer l’aſſemblée dans l’vne des ſalles des Auguſtins, eſtimant que c’eſtoit aſſez, d’auoir rẽdu ce premier honneur au College Royal, que d’y jetter les fondements d’vne Academie Royale : L’ordre qui ſe tient en ce concert eſt tel, que l’entrée eſt deſtinée pour la propoſition & reſſolution des difficultez qui naiſſent dans les eſprits de tous ceux ſ’y trouuent : En ſuitte on fait rapport des Peres Grecs, apres des Latins & de toute la doctrine de l’antiquité, à quoy on adjouſte des raiſonnements Theologiques pour conclure ceſte matiere.
En fin, & pour monſtrer que ceſte aſſemblée eſt veritablement Royale & faite par l’authorité du Roy, on y a voulu entremeſler quelque choſe pour le gouuernement de l’Eſtat, comme ſont les politiques d’Ariſtote, par le moyen deſquelles & de la verſion qui ſ’en fera, Meſſieurs les Prelats ſe rendront capables de la qualité de Conſeillers d’Eſtat qui leur eſt acquiſe, & les bons eſprits François ſe rendront dignes de l’acquerir vn iour pour y ſeruir vtilement & le Roy & l’Eſtat.
Apres tous ces entretiens difficiles & eſpineux, la Poëſie tient ſon rang, laquelle par ſa douceur & par la gentilleſſe de ſes rencõtres recrée & delaſſe les eſprits, leur fait oublier le trauail paſſé & leur fait renaiſtre l’enuie de le recommencer vne autre fois. Ainſi ont eſté prudemment diſtinguées & compaſſées les heures de ceſte aſſemblée, par ce tres digne & tres rare Prelat, choiſi ſur tous pour y preſider, leſquelles produiſent vne telle harmonie, qu’au ſon qui en a eſclaté, on la voit de iour en autre augmenter de perſonnages de qualité & d’erudition, tous leſquels ſe rendent admirables, tant en leurs diſcours, qu’en la propoſition des difficultez & en la reſolution qui ſ’en fait par aduis commun : Là on voit des eſprits pleins de viuacité, des memoires prodigieuſes, des jugements ſolides & de tres-grands eſtudes, qui ne peuuent faire eſperer qu’vn grãd fruict de ceſte genereuſe entrepriſe. Mais ce qui rauit les Auditeurs & qui les porte dans vn eſtonnemẽt de merueilles, ſont les raretez du chef de ceſte troupe heureuſe, lequel eſtant orné en ſon particulier & auec plus de perfection, de toutes ces bonnes parties qui ſe trouuent diuiſément en chacun des autres, eſt preſt de diſcourir & de reſoudre ſur toutes matieres qui ſe preſentent, à quoy il eſt encores aidé par l’vſage familier qu’il a de langues Grecque, Latine & Françoiſe, auec leſquelles il deueloppe ſi aiſément toutes difficultez & eſtale auec tant d’ordre l’abondance de ſes ſciences, qu’apres qu’il a parlé, il ne reſte plus rien à dire & ne laiſſe aucun doute qui ne ſoit entierement expliqué. Mais qu’eſt-il beſoin de parler de ſes merites, ils ſont aſſez ſignifiez par la commiſſion que luy ont donné Meſſieurs du Clergé de preſider en ceſte aſſemblée, laquelle eſtant compoſée de toutes ſciences, auoit beſoin d’vn chef qui en feuſt capable, voire tres-capable, qui feuſt zelé à l’augmentation de la gloire de Dieu & au ſeruice du Roy principal Autheur de ceſte Congregation, & qui euſt aſſez de courtoiſie & de ciuilité pour accortement aſſembler & entretenir ce corps compoſé de tant de membres ſi differends : Ie n’en diray rien dauantage, peur de ternir ſa gloire ne la repreſentant pas aſſez naïfuement, & me contenteray de rapporter ce qui en a eſté dict par l’vn de ſes Academiſtes.
Quanta per herboſas decurrunt flumina valles,
Cùm torrens alto vertice fudit aquas :
Eloquij nuper tantos ſpectauimus imbres,
Quos ſacro & docto Præſul ab ore dedit.
Præſule ſed maior, ſumma quem Neuſtria ſede
Præſulibus cunctis iure præire videt.
Cuius quinque viros ſimiles ſi noſtra dediſſet
Gallia, quam nũquam monſtra tuliſſe ferunt,
Heu ! quanto citiùs ceßiſſet Lerna malorum
Hæreſis, ad Stygios ire coacta lacus.
Quàm ſub Neſtoribus cecidiſſent Pergama quinque,
Nec Priamus tanti, Troia nec ipſa fuit.
De ſorte que par le moyen de ce bon chef & de tous ſes membres, la France ſe voit en termes d’auoir non vn S. Thomas, mais vn milier, à l’aide deſquels elle peut eſperer vn reſtabliſſement general au corps de l’Egliſe, de tous ſes peuples qui ſ’en ſont retranchez.
Sainct Louys n’adjouſtoit point de foy aux flatteurs & médiſans.
Louys le Iuſte a bien monſtré en la perſonne de l’Officier de Dourdan dont i’ay parlé cy deſſus, qu’il ne ſ’arreſtoit point aux rapports qu’on luy faiſoit.
Ie finiray ces paralleles par Dourdan, puis qu’il eſt le ſujet de ce diſcours, & diray que tout ainſi que S. Louys l’a frequenté, l’a donné à la Royne Blanche ſa Mere pour partie de ſes dot & doüaire & a donné des heritages qu’il y auoit achepté, à ſon Chambellan qu’il aymoit, pour l’engager à affectionner ce païs : De meſme le Roy ſe plaiſt à Dourdan, la Royne ſa mere en joüit pour partie de ſes dot & doüaire, & depuis vn mois, le Roy a trouué bon que Monſieur de Montbazon en aye donné le gouuernement à M. de Bautru l’vn de ſes Maiſtres d’Hoſtel, & duquel les vertueuſes inclinations l’õt eſmeu à luy vouloir du bien & luy donner vn plus familier accez pres de ſa perſonne : Tous ces rapports ſont à la verité de fortes conjectures d’vne fin heureuſe & glorieuſe de noſtre Roy, mais le tiltre de Iuſte qui luy a eſté donné comme en eſprit prophetique en ſa plus tendre jeuneſſe, par ce grand Preſidẽt de l’Academie Royale (de laquelle i’ay parlé cy deuant) & duquel il ſ’eſt depuis rendu tres-digne, eſt vn bien plus aſſeuré preſage d’vne couronne immortelle, à laquelle on ne peut paruenir que par la Iuſtice, qui comprend en ſoy toutes les autres vertus, leſquelles ne ſont que comme des eſchelons pour y paruenir.
Toutes ces conjectures & tous ces preſages ſont encores fortifiez par vne diſpoſition & vn ordre certain que Dieu a mis en la Monarchie Françoiſe (depuis qu’elle a eſté bien-heurée du Chriſtianiſme,) de laquelle il a touſiours comblé de toutes vertus les vingtieſmes Roys, afin qu’ils ſeruiſſent de bon exemple à leur peuple & le retiraſſent du vice auquel il ſe porte inſenſiblement, & en fin leur a donné le prix de leurs trauaux qui eſt la couronne de gloire : Ainſi Charlemagne qui eſt le vingtieſme Roy Chreſtien, a il merité d’eſtre recogneu pour Sainct, & Sainct Louys qui a eſté le vingtieſme apres luy, n’a pas eu moins de prerogatiues : C’eſt pourquoy nous n’en deuons pas moins eſperer pour noſtre Roy, puis qu’il eſt le vingtieſme apres Sainct Louys, & conſequemment ſe peut auec raiſon Dourdan dire heureux quand il ſe voit en poſſeſſion du plus grand Roy de la terre : il n’en peut eſperer que de grands aduantages & vn reſtabliſſement de ſa bonne fortune, puisque les Roys portent l’abondance & les richeſſes par tout où ils frequentent, comme meſmes ont recogneu les anciens lors qu’ils ont fabuleuſement controuué l’Hiſtoire du Roy qui conuertiſſoit en or toute ce qu’il touchoit, voulants ſignifier que la pauureté & l’indigẽce ſont touſiours chaſſées par la preſence des Roys qui apportẽt en leur lieu les biens & les commoditez : Mais trois fois heureux quand il ſe voit choiſi par vn Roy deſtiné à la gloire immortelle, pour y pratiquer l’innocence de ſa vie, y faire reluire la pureté de ſon ame & y exercer ſa pieté & ſa juſtice ordinaire : Ceſte preſence luy attirera infailliblement vne benediction de Dieu & vne plus particuliere communication de ſes graces comme ont fait autrefois Iacob à la maiſon de Laban & Ioſeph à toute la terre d’Egipte.
I’ay cy deuant touché en paſſant que Monſieur de Bautru auoit eſté fait Gouuerneur de Dourdan, maintenant il me reſte de dire que c’eſt l’vn des plus grands aduantages que Dourdan aye point encores receu : il ne doit plus douter ſ’il eſt deſtiné pour les plaiſirs du Roy, puisque le Roy en prend ſoin & luy donne pour Gouuerneur l’vn de ceux qu’il a choiſi pour eſtre pres de ſa Perſonne & pour l’entretenir dans ſes exercices de vertu : Ce choix eſt vne grande marque d’excellence & de rareté, auſſi a-il bien teſmoigné qu’il auoit quelque choſe par deſſus le commun, & qu’il meritoit des faueurs extraordinaires : La gentilleſſe d’eſprit eſt hereditaire en ſa maiſon, & il ſ’en ſert ſi dextrement, que perſonne n’a ſujet de ſ’en offencer : La bonté de ſa nature ſe deſcouure aſſez tous les iours par ſes actions de charité & de courtoiſie, deſquelles il ſe trouuera vne infinité de teſmoignages outre ceux que i’ay deſia repreſentez & le glorieux tiltre d’Aduocat des pauures qu’il a acquis de la voix commune de Dourdan : La franchiſe de ſon humeur eſt telle, qu’il ne refuſe iamais ſon aſſiſtance à ceux qui la luy demandent pour choſes juſtes, ne promet rien qu’il n’execute, & en fin, qu’il fait beaucoup plus qu’il ne promet : Sa pieté ſe peut conjecturer du gracieux accueil qu’il fait aux Eccleſiaſtiques & Religieux, & de l’honneur qu’il leur rend, mais encores bien plus par tous ſes déportements qui repreſentent naïuement l’amour & la crainte de Dieu : & pour comble de ſes perfections, le ſiege de Montpellier luy a ſeruy de theatre pour faire monſtre de ſa valeur & de ſon courage : les tranchées & le canon le voyoient plus ſouuent que ſa tente, l’vn des chefs de la ville, lors de la ſortie qui ſe feit pour la repriſe du fort de Sainct Denys, eſprouua à ſon malheur les effects de ſon adreſſe au faict de la guerre, & ſon cheual tué entre ſes jambes à coups de piques par les rebelles pour venger la mort de leur Capitaine, donna aſſez de teſmoignages de ſa reſolution & des approches qu’il faiſoit des ennemis : Si les autres occaſions de la guerre ne luy euſſent eſté deſniées, il euſt fait beaucoup d’autres proüeſſes dignes de la nobleſſe de ſes anceſtres, qui m’euſſent aidé à preſent, pour d’autant plus ſignaler ſa valeur : encores que depuis quelques années ſes predeceſſeurs ſe ſoient rangez à la robbe, ſi eſt-ce pourtant qu’ils n’ont abandonné la nobleſſe qui leur eſtoit acquiſe par le ſang, ils l’ont exercée dans leur profeſſion & l’ont conſeruée pour leur poſterité : le jeune frere de ce ſage Gouuerneur de Dourdan en a donné aſſez de preuue de ſon coſté, car ſe reſſentant de la generoſité naturelle de ſes anceſtres, il ne ſe portoit qu’à des choſes hautes & de difficile entrepriſe, comme fut le petardement de Clermont en Beauuoiſis pour le ſeruice du Roy, pendant les derniers mouvements, où il fut tué d’vn coup de mouſquet au grand regret de tous ceux qui l’auoient cogneu.
Voila l’eſtat preſent de Dourdan & le ſujet qu’il a de reſioüiſſance & d’eſpoir, reſte à y ſouhaiter l’accompliſſement de la viſſicitude ordinaire des choſes laquelle luy promet la continuation de ce bien par pluſieurs années & auſſi long temps comme il en a eſté priué & qu’il en auoit auparauant joüy : Depuis Huë Capet premier Roy que i’ay peu remarquer qui y aye pris ſon plaiſir, juſques à ce qu’il aye eſté démembré de la Couronne & baillé en appanage par Philippes le Bel à ſon frere Louys Comte d’Eureux, ſe ſont eſcoulez 320 ans, & depuis cét appanage, juſques à preſent que le Roy a recommencé à le frequenter ſe ſont auſſi paſſez 320 ans, c’eſt pourquoy il peut à juſte cauſe eſperer à ſon tour que ſa bonne fortune luy durera 320 autres années, mais ſur tout luy eſt-ce vn ſujet d’allegreſſe, de pouuoir eſperer vne longue vie au Roy ſon reſtaurateur, a l’exemple de ces deux Saincts Roys Charlemagne & Louys IX. (deſquels l’vn a regné 44 & l’autre 46 ans) puiſqu’il tient leur place & a eſté donné à la France pour meſmes effects, leſquels ne peuuent eſtre produits que par vne longue ſuitte d’années.
I’ay promis cy deuant d’adjouſter quelque choſe de l’ancienneté du Baillage de Dourdan, & n’ay creu qu’il y euſt meilleur moyen de la juſtifier que de repreſenter ceux qui en ont eſté pourueuz, mais ie ſuis demeuré court à cauſe de la perte de tous les regiſtres des greffes qui m’en euſſent peu donner certaine cognoiſſance, & m’a fallu contenter de ce que i’ay peu apprendre par les tiltres des particuliers : du moins en ay-ie trouué de 300 ans ou peu pres, qui fera juger de l’ancienneté de ce Baillage.