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Mémoires de madame la comtesse de La Boutetière de Saint-Mars/1

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INTRODUCTION


Ce petit livre vient modestement grossir le nombre des Mémoires publiés sur l’émigration. C’est le récit, fait par une noble Vendéenne, des événements qui amenèrent son exil volontaire, et qui lui arrivèrent en France et à l’étranger, avant et après qu’elle fut réunie à son mari déjà émigré.

Une chose sera surtout remarquée dans ce récit, c’est le peu d’accueil fait par les Allemands à ces Français devenus fugitifs de leur patrie, pour mettre leur vie en sûreté. Les tracasseries, les persécutions même ne leur manquaient pas. Ce ne fut que chez des particuliers qu’ils trouvèrent une réception sympathique ; de la part des gouvernements, ils éprouvèrent souvent de l’hostilité, toujours une indifférence à peine tolérante.

Ces Mémoires ont été écrits en 1816, longtemps après l’émigration, par une mère pour ses enfants, compagnons de son exil. Ils n’étaient destinés qu’à être lus au foyer de la famille : ce qui explique la naïveté des détails, l’incorrection du style et le long intervalle qui s’est écoulé avant leur publication.

Cette mère était Mme la comtesse de La Boutetière et de Saint-Mars, seigneuries de Vendée. Elle était née au château de Bessay (Vendée), le 30 septembre 1753, de Louis-Dominique, marquis de La Fare, etc., maréchal des camps et armées du roi, et de Gabrielle-Pauline-Henriette de Gazeau. Elle reçut au baptême les noms d’Adélaïde-Paule-Françoise. Elle eut pour frère Anne-Louis-Henri de La Fare, devenu évêque de Nancy en 1787, puis ministre du roi Louis XVIII, pendant la Révolution, à la cour de Vienne, et après la Restauration, archevêque de Sens et cardinal.

Mlle de La Fare avait été admise, avant son mariage, dans le chapitre de chanoinesses des Dames-Comtesses de Largentière, au diocèse de Lyon, après avoir fait les preuves de noblesse exigées pour y être reçue, qui étaient de huit générations, tant du côté paternel que du côté maternel.

Elle épousa Jean-François Prevost, comte de La Boutetière et de Saint-Mars, chevalier de Saint-Louis, capitaine de cavalerie au régiment d’Orléans, dont elle eut un fils et deux filles. Elle mourut le 1er juin 1823.

Son fils, Louis-François, dont il est parlé dans ces Mémoires, devint colonel d’infanterie. Il est l’objet d’une notice intéressante composée par son fils Louis-Jean.

C’est ce dernier qui avait eu la pensée de publier ces Mémoires et qui les avait préparés pour l’impression. Il fut malheureusement empêché par une mort prématurée, arrivée le 26 décembre 1881, de mettre à exécution son pieux dessein.

Le lecteur ne nous en voudra pas de lui faire connaître ce vaillant soldat, ce savant érudit, ce chrétien sincère. Nous ne pouvons mieux faire que de reproduire ici la notice nécrologique publiée sur Louis-Jean, comte de La Boutetière, dans la Revue de Bretagne et de Vendée, du mois de janvier 1882.


« Issu d’une des plus anciennes maisons du Poitou, le comte de La Boutetière n’avait point voulu démentir son origine, et, comme la plupart de ses ancêtres, avait embrassé la carrière militaire. Au sortir de l’école de Saint-Cyr, dont il avait été un des brillants élèves, il était entré dans l’armée en qualité d’officier de cavalerie. Après quelques années de service, il l’avait abandonnée, en 1860, à l’occasion de son mariage avec Mlle de Lépineraie.

« Ce n’était point pour passer ses jours dans une douce et molle oisiveté qu’il avait pris cette résolution. Rentré dans la vie privée, il partagea son temps entre les devoirs de la famille, les affaires domestiques, et une étude qui avait pour lui un charme tout particulier, celle des questions historiques et archéologiques de sa province. Dès l’année 1862, les Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, dont il était un des membres les plus laborieux, lui ouvrent leurs colonnes, et les années suivantes, les articles qu’il y insère sont si nombreux qu’il serait trop long d’en faire l’énumération. En 1868, il publia : Le Chevalier de Sapinaud et les Chefs Vendéens du Centre, avec notes, lettres et documents pour servir à l’histoire des cinq premiers mois de la guerre de la Vendée, travail consciencieux où se révélait déjà, chez son auteur, ce besoin de recherches et de documents indispensables à ceux qui veulent écrire sérieusement l’histoire.

« Le comte de La Boutetière devait bientôt quitter la plume pour reprendre l’épée. La fatale guerre de 1870 venait d’éclater. L’ancien officier de hussards n’hésita pas ; il dit adieu à sa femme et à ses enfants, qu’il s’exposait à ne plus revoir, pour voler à la défense de la France envahie. Ce fut à la tête du 3e bataillon de mobiles Vendéens, qu’il fit cette terrible campagne. Enfermé dans Paris, il eut pendant le siège à combattre trois fléaux : la famine, l’émeute et l’ennemi, dont les forces étaient bien supérieures aux nôtres. Dangereusement blessé à Champigny, il laissa le commandement de son bataillon à M. Amédée de Bejarry, son capitaine adjudant-major, qui devait, lui aussi, recevoir de glorieuses blessures.

« À peine convalescent, il reprenait la plume pour écrire l’histoire du 3e bataillon des mobiles Vendéens. Nul n’était plus apte à cette œuvre, car, mieux que personne, il pouvait dire :


............ Quæque ipse miserrima vidi
Et quorum pars magna fui.

Dans cette intéressante publication, où il fait ressortir la valeur de ses hommes, officiers et soldats, le comte de La Boutetière n’oublie qu’un nom, celui du commandant. Il se borne à dire : « En l’essayant (un mouvement tournant), le chef de bataillon, et tout ce qui l’entourait, tomba sous une grêle de balles. » Et voilà tout sur sa personne. N’est-il pas vrai que cette modestie de l’historien rehausse encore le mérite de l’officier ? Le Ministre de la guerre ne pouvait pas le laisser passer inaperçu ; il lui décerna la croix de la Légion d’honneur, qu’il avait si bien gagnée, et cette distinction reçut l’approbation générale.

« La même année, la Société d’Émulation de la Vendée, dont il devint un des collaborateurs les plus zélés et où sa mort va laisser un grand vide, publiait une notice sortie de sa plume, sur le prieuré de la Sébrandière. Membre aussi de la Société des Archives du Poitou, il l’enrichit de ses recherches, entre autres du Cartulaire de l’Abbaye Saint-Jean d’Orbestier.

« Les services militaires du comte de La Boutetière et la noblesse de son caractère devaient naturellement appeler l’attention des électeurs de la Vendée. Aussi, en 1871, avait-il été candidat à la députation, en remplacement du général Trochu, qui, nommé dans plusieurs collèges, avait opté pour un autre département. M. Beaussire lui ayant été opposé, il succomba dans la lutte. À partir de ce moment, renonçant à la vie publique, il rentra dans le cercle de ses études favorites, pour n’en plus sortir. Désormais sa seule ambition sera, en fouillant les archives : archives départementales, archives communales, archives particulières, – celles de M. B. Fillon, par exemple, des communications duquel il se montre très reconnaissant, – en compulsant les poudreux registres, en déchiffrant les vieux parchemins, de s’armer de pièces authentiques avec lesquelles il pourra dissiper l’erreur, rétablir la vérité trop souvent altérée, faire revivre un passé dont nous ne voyons que les ruines, fournir enfin tous les éléments de la science historique.

« Homme de convictions profondes, ayant des idées politiques bien arrêtées, le comte de La Boutetière était un esprit trop large et trop élevé pour se montrer exclusif. Naturellement bienveillant pour tout le monde, il ne bornait point ses relations de société à quelques fidèles. Il comptait des amis dans les rangs les plus opposés. J’en sais un, dont les vues et les aspirations sont tout autres que les siennes, et qu’il laisse inconsolable. Ce n’est pas seulement de ceux de ces amis que je veux parler, quand je dis que les regrets sont unanimes. Sa mort doit être considérée comme un deuil public.

« Obéissant au sentiment de l’honneur et du devoir, il laisse dans des angoisses mortelles les êtres qui lui sont les plus chers au monde ; prêt au sacrifice de sa vie pour sauver la France, quand la paix le ramène dans ses foyers, que ses blessures sont à peine fermées, il consacre le reste de sa vie à des travaux du plus grand intérêt pour sa province. Si donc, dans la république romaine, on disait des héros qui ne quittaient le champ de bataille que pour labourer la terre avec le soc de la charrue : Ils ont servi l’État ense et aratro ; ne peut-on pas dire du comte de La Boutetière : Il a servi son pays ense et calamo ?

« Louis de Kerjean. »

Le petit-fils, en préparant ces Mémoires pour l’impression, avait respecté le style parfois incorrect du récit de son aïeule. Il avait voulu lui laisser même ses imperfections, lui conservant ainsi un caractère plus frappant de sincérité.

Nous, que l’amitié, dont nous honorait le regretté défunt, a fait choisir pour accomplir son pieux dessein, nous imiterons sa prudente retenue, et nous faisons paraître ces Mémoires, tels que les avait préparés M. le comte de La Boutetière.

L. Sandret.