Mémoires extraits des recueils de l’Académie royale de Berlin/Sur le Problème de la détermination des orbites des comètes d’après trois observations
SUR LE PROBLÈME
DE LA
DÉTERMINATION DES ORBITES DES COMÈTES
D’APRÈS TROIS OBSERVATIONS.
de Berlin, années 1778 et 1783[1].]
PREMIER MÉMOIRE.
Le fameux Problème de la détermination de l’orbite d’une Comète d’après trois observations, sur lequel Newton s’est exercé le premier et dont il ne nous a laissé que des solutions imparfaites, a occupé depuis plusieurs grands Géomètres ; mais leurs efforts n’ont presque abouti jusqu’à présent qu’à varier et à simplifier à quelques égards les méthodes proposées par Newton, sans les rendre plus exactes et plus commodes pour la pratique.
Je me propose d’exposer, dans ce Mémoire, l’état de la question et le résultat des principales recherches qu’on a faites pour la résoudre.
Le Problème, considéré analytiquement, n’a point de difficulté, rien n’étant plus aisé que de le ramener à deux équations algébriques entre deux inconnues. Car chaque observation de la Comète donne immédiatement la position de la droite visuelle qui joint les centres de la Terre et de la Comète ; de sorte qu’en prenant les distances de la Comète à la Terre au temps des deux premières observations pour les deux inconnues du Problème, on peut déterminer algébriquement les lieux de la Comète par rapport aux lieux du Soleil qu’on suppose connus par les Tables. Ayant ainsi la position de deux points de l’orbite de la Comète pour deux instants donnés, on détermine 1o la position du plan de cette orbite, c’est-à-dire le lieu du nœud et l’inclinaison ; 2o les distances de la Comète au Soleil, ou les rayons vecteurs de l’orbite, avec l’angle intercepté entre ces rayons ; d’où, par les propriétés connues du mouvement parabolique, on déduit aisément le paramètre de la parabole, la position de son grand axe et l’instant du passage de la Comète par son sommet ou par le périhélie ; et enfin l’expression du temps écoulé entre les deux observations, expression qui, étant égalée à l’intervalle observé, fournit une première équation algébrique.
On trouve ensuite une seconde équation, par le moyen de la troisième observation, en comparant le lieu observé de la Comète avec celui qu’on trouve pour le même instant d’après les propriétés du mouvement parabolique. Et l’on voit même que cette comparaison doit fournir deux équations, l’une relative à la longitude de la Comète, et l’autre à sa latitude ; en sorte qu’il suffit, pour la détermination du Problème, que l’on connaisse seulement la longitude ou la latitude géométrique de la Comète au temps de la troisième observation.
Au lieu d’employer pour inconnues les deux distances de la Comète à la Terre au temps de deux observations, on pourrait prendre d’autres quantités quelconques, pourvu que ces quantités combinées avec les données déterminassent entièrement la position des deux lieux de la Comète dans son orbite autour du Soleil. On pourrait, par exemple, prendre pour inconnues les deux rayons vecteurs de l’orbite, ou les deux longitudes héliocentriques de la Comète, ou, etc. ; ou enfin le lieu du nœud et l’inclinaison de l’orbite à l’écliptique, ce qui paraît au premier aspect plus simple et plus naturel, puisque ces deux dernières quantités sont indépendantes des lieux de la Comète aux temps des observations ; mais il est facile de se convaincre que ce dernier choix des inconnues rendrait le calcul plus long et plus compliqué.
Ayant ainsi réduit le Problème à deux équations algébriques entre deux inconnues, il ne s’agit plus que de traiter ces équations par les règles connues de l’Algèbre il faudra donc éliminer d’abord une des deux inconnues et ensuite résoudre l’équation finale. Mais : 1o les deux équations, auxquelleson parvient par l’analyse précédente, se présentent sous une forme très-compliquée et embarrassée de radicaux qu’il faudrait faire disparaître avant d’entreprendre l’élimination ; 2o cette élimination demanderait des calculs très-longs et ferait monter l’équation finale à un degré si élevé qu’il serait absolument impossible d’en tirer aucun parti.
Tels sont les obstacles qui rendent la méthode directe tout à fait impraticable et qui ont forcé les Géomètres à recourir aux méthodes d’approximation. Mais l’approximation même présente de grandes difficultés ; car, pour pouvoir l’employer avec succès, il faut connaître d’avance les premières valeurs approchées des inconnues dont on cherche la valeur exacte ; or dans le Problème des Comètes rien ne peut nous faire connaître à priori ces valeurs approchées dont il faut partir ; ainsi il ne reste qu’à tâcher de simplifier le Problème par le moyen de quelque supposition convenable ; et celle qui se présente le plus naturellement est de regarder la portion de l’orbite décrite dans l’intervalle des trois observations comme rectiligne et parcourue d’un mouvement uniforme. Cette hypothèse doit même paraître d’autant plus plausible qu’elle a été pendant longtemps l’hypothèse favorite des Astronomes, pour le mouvement des Comètes, avant que Newton eût démontré que ces astres étaient soumis aux lois générales du mouvement des planètes, et que leurs orbites étaient à très-peu près paraboliques. Le grand avantage de cette hypothèse est de réduire la recherche des vrais lieux de la Comète, au temps des observations, à des équations du premier degré ; si l’on n’emploie que des observations de la longitude il en faut quatre, ainsi qu’on le voit dans le Problème LVI de l’Arithmétique universelle ; mais en tenant aussi compte des latitudes, trois observations suffisent pour la solution du Problème ; et, ce qu’il y a de singulier, c’est que si l’on prend pour inconnues le lieu du nœud et l’inclinaison de l’orbite, on tombe dans une équation finale du neuvième degré, au lieu qu’en prenant pour inconnues deux distances de la Comète à la Terre, on parvient directement à des équations du premier degré, comme on le voit par la solution que M. Bouguer a donnée le premier de ce Problème dans les Mémoires de l’Académie des Sciences de Paris pour 1733.
Il est visible que l’hypothèse dont il s’agit s’écartera d’autant plus de la vérité que l’arc parcouru par la Comète dans l’intervalle des observations sera plus grand ; mais aussi, par la raison contraire, elle doit s’en approcher d’autant plus que cet arc sera moindre ; ainsi en employant des observations peu distantes entre elles, il semble qu’on pourrait du moins trouver de cette manière les premières valeurs approchées des inconnues du Problème. Mais malheureusement ce moyen si simple d’arriver à ce but est trop défectueux pour qu’on puisse s’en servir sans s’exposer à de très-grandes erreurs. C’est ce que quelques Géomètres ont déjà remarqué et que je me propose de prouver rigoureusement dans le cours de ce Mémoire.
L’hypothèse dont nous venons de parler en renferme réellement deux, l’une que la portion de l’orbite de la Comète soit rectiligne, l’autre qu’elle soit parcourue d’un mouvement uniforme ; voilà pourquoi cette hypothèse seule suffit pour déterminer tout d’un coup les deux inconnues du Problème. Si l’on n’adoptait qu’une partie de cette hypothèse, on ne pourrait alors déterminer qu’une seule inconnue ; et il faudrait chercher l’autre, ou par la résolution directe d’une équation fort élevée, ou par plusieurs fausses positions.
Dans la solution que Newton propose à la fin de son petit Traité De systemate mundi, il regarde l’orbite de la Comète comme rectiligne, mais il suppose que les parties décrites dans les deux intervalles entre les trois observations soient parcourues avec les vitesses réelles que la Comète doit avoir aux temps de la première et de la seconde observation ; vitesses qui par la théorie du mouvement parabolique sont en raison inverse des racines des distances de la Comète au Soleil aux temps de ces observations ; et il emploie la méthode de fausse position pour déterminer une des distances de la Comète à la Terre.
Mais si l’on évite, par ce moyen, une partie de l’inexactitude attachée à l’hypothèse du mouvement rectiligne et uniforme, il y reste néanmoins encore une trop grande source d’erreur pour qu’on puisse l’employer avec succès. C’est apparemment ce qui a engagé Newton à donner une autre solution du Problème des Comètes, entièrement indépendante de l’hypothèse dont il s’agit, et dans laquelle on aurait égard en même temps à la courbure de l’arc parabolique et à la variation du mouvement.
Telle est celle qu’on lit à la fin du troisième Livre des Principes, et dans laquelle le génie inventeur ne brille pas moins que dans le reste de cet admirable Ouvrage.
Newton y donne d’abord un moyen de couper la corde qui sous-tend l’arc parabolique parcouru entre la première et la troisième observation, de manière que les parties soient à très-peu près proportionnelles aux aires parcourues, et par conséquent aux temps employés par la Comète à décrire deux portions quelconques de cet arc ; et il remarque que cette proportion devient rigoureusement exacte, lorsque le point qui sépare les deux parties de l’arc tombe au sommet du diamètre qui partage la corde donnée en deux également. Il détermine ensuite la vitesse avec laquelle la même corde pourrait être parcourue uniformément dans un temps égal à celui que la Comète emploie à décrire l’arc ; enfin il détermine la force accélératrice qui dans le même temps ferait décrire, d’un mouvement uniformément accéléré, une ligne égale à la flèche du même arc, comprise entre le sommet de l’arc et la corde. Newton n’emploie dans ces déterminations d’autres données que la distance du sommet de l’arc au foyer de la parabole, et la longueur de la corde, ou celle de la flèche ; de sorte que, comme par les propriétés de la parabole la flèche est égale au carré de la corde divisée par seize fois la distance du sommet de l’arc au foyer, et que cette distance plus la flèche est égale à la demisomme des distances des extrémités du même arc au foyer, on peut par le moyen de ces Théorèmes déterminer immédiatement le temps employé à décrire l’arc parabolique, par la corde qui sous-tend cet arc, et par la somme des rayons vecteurs qui répondent aux deux extrémités de l’arc. C’est ce que M. Lambert a fait depuis dans son beau Traité De orbitis Cometarum, où il est parvenu à un des Théorèmes les plus élégants et les plus utiles qui aient été trouvés jusqu’ici sur ce sujet, et qui a en même temps l’avantage de s’appliquer aussi aux orbites elliptiques.
Pour en revenir à la solution de Newton, voici comment il la déduit des principes qu’il a posés. Il choisit trois observations de la Comète, dont les intervalles soient peu différents, afin qu’au temps de la seconde observation la Comète se soit trouvée peu éloignée du sommet de l’arc décrit entre la première et la troisième. Il mène, dans un plan qu’il regarde comme celui de l’écliptique, trois droites qui soient les projections des rayons visuels tirés de la Terre à la Comète dans les trois observations, et dont la position est par conséquent connue. Il prend dans la droite qui répond à la seconde observation un point arbitraire pour la projection du lieu de la Comète ; de ce point il coupe, dans la droite qui va au Soleil, une partie égale à la projection de la flèche qui doit soustendre l’arc parcouru dans l’intervalle donné entre la première et la troisième observation ; et par l’extrémité de cette partie coupée il mène une droite dont les parties, coupées par les deux lignes qui sont les projections des rayons visuels dans la première et dans la troisième observation, soient entre elles comme les intervalles entre ces observations et la seconde. Il est visible que cette droite serait la projection de la corde qui sous-tend le véritable arc parabolique décrit par la Comète depuis la première jusqu’à la troisième observation : 1o si le point pris arbitrairement pour le lieu de la Comète dans l’écliptique au temps de la deuxième observation était le véritable ; 2o si la Comète au temps de cette observation s’était trouvée précisément au sommet de l’arc ; 3o si la corde qui sous-tend cet arc était coupée par le rayon vecteur du sommet en deux parties exactement proportionnelles aux temps employés à décrire les deux parties de l’arc qui sont de part et d’autre du sommet. Comme ces deux dernières conditions ont lieu à peu près, Newton se sert de cette première détermination de la corde pour en trouver une plus exacte, au moyen du Théorème qu’il a donné pour couper la corde dans une raison très-approchante de celle des temps.
Connaissant ainsi la longueur et la position de la corde projetée, il en déduit, au moyen des latitudes observées, celles de la véritable corde dans l’orbite, et il compare cette longueur avec celle que la même corde doit avoir pour répondre au temps écoulé entre la première et la troisième observation. Si ces deux quantités s’accordent, c’est une marque que les déterminations précédentes sont exactes ; et il n’y a plus qu’à décrire l’orbite parabolique par la condition qu’elle passe par les deux extrémités de la corde ; ce qui est un Problème déterminé et résoluble par les principes que Newton a établis dans le premier Livre. Mais comme il est presque impossible que cet accord ait lieu dans la première opération, Newton prescrit de réitérer la même opération en prenant deux différents points pour le lieu de la Comète dans l’écliptique au temps de la seconde observation ; ensuite il coupe, dans les cordes projetées, des parties respectivement égales aux erreurs des opérations, et faisant passer un arc de cercle par les points correspondants, il prend l’intersection de cet arc de cercle avec la droite qui est la projection du rayon visuel dans la première ou dans la troisième observation, pour le vrai lieu de la Comète dans l’écliptique au temps de cette observation. De cette manière Newton détermine les lieux de la Comète dans l’écliptique au temps de la première et de la dernière observation, et de là il déduit ensuite par un calcul direct tous les éléments de l’orbite.
Ce procédé de Newton serait sans doute plus exact, si au lieu d’un cercle il faisait passer une ligne parabolique par les points correspondants aux erreurs des différentes opérations ; mais il faudrait alors avoir un plus grand nombre d’erreurs, et par conséquent multiplier davantage les opérations, ce qui allongerait considérablement la recherche dont il s’agit. D’ailleurs Newton ne regarde encore ces résultats que comme des approximations, et il enseigne ensuite à les corriger par des doubles parties proportionnelles.
Telle est en substance la méthode de Newton, que la plupart de ceux qui ont traité le Problème des Comètes après lui ont passée sous silence, ou n’ont regardée que comme une méthode graphique peu exacte et d’un usage difficile. Par le détail où nous venons d’entrer sur cette méthode, il est facile de juger que les difficultés qu’elle renferme naissent du fond même du sujet, et qu’on ne saurait employer plus de sagacité et d’adresse pour les surmonter. Le but de Newton est de réduire le Problème à une seule inconnue, et il y parvient par la considération de la corde qui soustend l’arc parcouru entre la première et la troisième observation, et par le moyen qu’il donne pour la partager en deux parties proportionnelles aux aires paraboliques correspondantes. Si Newton avait voulu se contenter de supposer que le rayon vecteur qui répond à la seconde observation partage la corde en parties proportionnelles aux intervalles de temps entre cette observation et les deux autres, sa solution serait devenue beaucoup plus simple ; mais il a peut-être regardé cette supposition comme trop peu exacte, et il ne s’en est servi que pour trouver une première approximation, qu’il a soin de corriger aussitôt.
Cependant, comme dans toute cette Recherche il ne s’agit à proprement parler que de trouver des valeurs approchées qu’il est facile de corriger ensuite, il paraît qu’on peut s’en tenir à cette supposition, qui revient dans le fond à prendre, à la place des vrais secteurs paraboliques décrits entre les deux premières et les deux dernières observations, les secteurs triangulaires formés par les mêmes rayons vecteurs et par les cordes des arcs parcourus entre ces observations ; car il est aisé de voir que ces secteurs sont exactement en raison des parties de la corde qui sous-tend l’arc entier, décrit entre la première et la troisième observation.
Cette remarque importante est due à M. Lambert, qui en a fait le plus heureux usage dans son Traité déjà cité. Mais, avant de parler de cet Ouvrage, je dois faire mention de celui que M. Euler a donné en 1744 sous le titre de Theoria motus Planetarum et Cometarum, et qui paraît être le prernier où le Problème des Comètes ait été traité analytiquement.
M. Euler suppose d’abord que l’arc parcouru par la Comète dans l’intervalle des observations est très-petit, moyennant quoi il prouve facilement, par la théorie des forces centrales, que dans les points intermédiaires la corde de l’arc est coupée par le rayon vecteur en raison des temps, et il donne une formule assez simple, mais seulement approchée, pour exprimer la flèche correspondante.
D’après ces principes et en prenant pour inconnue la distance de la Comète à la Terre dans la seconde observation, il détermine la position et la longueur de la corde qui sous-tend l’arc parcouru entre la première et la troisième observation ; par conséquent il trouve les lieux de la Comète dans son orbite aux temps de ces observations ; d’où il conclut ensuite tous les éléments de l’orbite.
Jusqu’ici la solution de ill. Euler est analogue à celle de Newton ; mais, pour déterminer la valeur de l’inconnue, M. Euler demande une quatrième observation, et, en comparant le lieu donné par cette observation avec celui que la Comète doit avoir dans le même instant dans l’orbite trouvée, il parvient à la détermination dont il s’agit par la méthode ordinaire de fausse position.
Cette manière de trouver la valeur de l’inconnue est peut-être plus exacte que celle de Newton, surtout si, comme M. Euler le prescrit, on choisit une observation assez distante des premières. Mais en même temps on doit avouer qu’elle est moins directe, puisqu’on y emploie plus de données qu’il ne faut pour la solution complète du Problème.
L’hypothèse de la proportionnalité des parties de la corde aux temps correspondants est aussi la base de la solution que M. Lambert a donnée du Problème des Comètes dans le Traité déjà cité ; mais deux choses distinguent surtout cette solution l’une, c’est le beau Théorème que M. Lambert y donne pour exprimer le temps employé à parcourir un arc quelconque, au moyen de la corde qui sous-tend cet arc et de la somme des deux rayons vecteurs qui répondent aux extrémités du même arc, Théorème qui, par sa simplicité et par sa généralité, doit être regardé comme une des plus ingénieuses découvertes qui aient été faites dans la Théorie du système du monde ; l’autre, c’est le moyen que M. Lambert a imaginé pour se dispenser de tenir compte de la flèche de l’arc parcouru, en considérant la projection des lieux de la Terre et de la Comète sur un plan perpendiculaire à celui dans lequel la Terre, le Soleil et la Comète se trouvent au temps de la seconde observation, et qui est déterminé par les deux lignes qui vont de la Terre au Soleil et à la Comète. Car il est visible que la projection du rayon vecteur de la Comète sur le plan dont il s’agit doit se confondre avec la projection de la ligne visuelle menée de la Terre à la Comète et dont la position est connue par l’observation. D’ailleurs il est clair que si la corde est coupée par le rayon vecteur qui répond à la seconde observation en parties proportionnelles aux intervalles de temps, la projection de cette corde sur un plan quelconque doit être coupée de même par la projection du rayon vecteur. Donc la projection de la corde sur le plan dont nous venons de parler sera coupée en parties proportionnelles aux temps, par la projection de la ligne menée de la Terre à la Comète dans la seconde observation. Il s’ensuit de là qu’il n’y a qu’à prendre pour inconnue la partie de cette ligne projetée qui est comprise entre le lieu de la Terre et le point d’intersection de la corde projetée, et mener par ce point dans le plan de projection une droite telle, qu’elle soit coupée par les lignes visuelles menées de la Terre à la Comète dans la première et dans la troisième observation, et projetées également sur le même plan, de manière que les parties soient proportionnelles aux temps écoulés entre les trois observations. Cette droite sera la projection de la corde, dont on connaîtra par conséquent la position et la grandeur. De là on trouvera les valeurs des deux rayons vecteurs qui joignent cette corde, et enfin le temps que la Comète a dû employer à parcourir l’arc sous-tendu par la même corde. Ce temps étant comparé avec l’intervalle entre la première et la troisième observation donnera une équation qui servira à déterminer l’inconnue.
M. Lambert trouve que, lorsque l’arc parcouru est assez petit, l’équation dont il s’agit ne monte qu’au sixième degré ; mais nous verrons plus bas qu’il est impossible d’abaisser l’équation finale au-dessous du septième degré, quand même on supposerait les intervalles écoulés entre les trois observations infiniment petits. Ayant examiné d’où peut venir l’inexactitude de ce résultat, j’ai reconnu que c’est uniquement parce que M. Lambert prend la distance du point du milieu de la corde au Soleil pour la demi-somme des distances des extrémités de la même corde au Soleil, c’est-à-dire pour la demi-somme des rayons vecteurs ; ce qui n’est pas rigoureusement exact. Il est vrai que l’erreur doit être d’autant moindre que la corde est plus petite, de sorte qu’il semble qu’elle devrait disparaître dans l’infiniment petit ; mais comme cette erreur a toujours une proportion finie avec les autres quantités qui deviennent aussi infiniment petites et d’où dépend la solution du Problème, il n’est pas plus permis de la négliger, qu’il ne le serait de négliger les carrés des différences premières dans les équations différentielles du second ordre.
Au reste M. Lambert ne fait point usage de cette équation approchée, ni même de l’équation générale, pour déterminer l’inconnue. Il abandonne au contraire l’Analyse et lui substitue une construction dans laquelle, au moyen de la description d’une courbe qu’il fait passer par différents points déterminéspar plusieurs opérationssucessives, il détermine les vrais lieux de la Comète et les éléments de son orbite ; ensuite il corrige ces valeurs approchées par la méthode différentielle connue. On trouve cette méthode plus détaillée et appliquée en même temps à différents exemples dans la troisième Partie des Beyträge zum Gebrauche der Mathematik, etc.
Ce que M. Lambert n’a point fait a été entrepris depuis, avec succès, par M. Tempelhoff dans la Pièce qui vient de partager le prix de l’Académie. En partant du même principe de la proportionnalité des parties de la corde aux temps, et en employant le Théorème de Lambert pour déterminer le temps par la corde et par la somme des rayons vecteurs, M. Tempelhoff parvient à une équation finale qui ne contient qu’une seule inconnue et qu’il résout par la méthode ordinaire de fausse position. L’application qu’il a faite de sa solution à la Comète de 1769 en prouve la bonté et l’utilité.
Les découvertes de M. Lambert, dont nous venons de rendre compte, ne sont pas les seules dont la Théorie des Comètes lui ait obligation. Ce Savant a donné depuis dans le volume de l’Académie pour l’année 1771 un moyen très-ingénieux pour trouver directement les distances de la Comète au Soleil dans la seconde observation, en considérant la déviation du lieu apparent de la Comète dans cette observation, par rapport au grand cercle de sphère qui passerait par les deux lieux apparents de la première et de la troisième observation. Lambert remarque que cette déviation est l’effet combiné de la courbure de l’arc parcouru par la Terre et de celle de l’arc parcouru par la Comète dans le même temps. Or la première courbure est connue ; la seconde l’est aussi à très-peu près par la théorie des forces centrales, du moins tant que l’arc est supposé fort petit ; ainsi l’on peut former une équation qui servira à déterminer le vrai lieu de la Comète. M. Lambert réduit le Problème à trouver sur une droite donnée de position un point tel, que la partie déterminée par ce point fasse avec le cube de la distance de ce même point à un autre point, donné hors de la droite dont il s’agit, un solide donné ; et il est facile de se convaincre, en réduisant ce Problème au calcul, qu’il conduit à une équation du septième degré ; ce qui confirme ce que nous avons déjà avancé plus haut touchant la limite du degré de l’équation finale. On trouve un exemple de cette méthode dans les Éphémérides de 1777.
Tels sont les principaux pas que l’on a faits jusqu’ici dans la solution du Problème des Comètes. Comme la solution directe et rigoureuse est impossible, du moins dans l’état d’imperfection où est encore la Théorie des équations, le seul objet qu’on puisse se proposer est de résoudre le Problème par approximation. On ne manque pas de méthodes pour corriger par des approximationssuccessives les premières valeurs trouvées. Ainsi la difficulté ne consiste qu’à parvenir à une première approximation, et c’est le but des différentes méthodes dont nous venons de rendre compte. Mais ces méthodes, quelque ingénieuses qu’elles soient, me paraissent laisser encore beaucoup à désirer. Car : 1o ces méthodes ne sont pas assez directes, n’étant pas tirées des principes de la question envisagée d’une manière générale et rigoureuse, mais plutôt de considérations particulières et de suppositionsprécaires ; 2o elles sont assez compliquées et ne peuvent donner que des résultats incertains, puisqu’on n’y apprécie point l’effet des erreurs qui doivent naître des suppositions sur lesquelles elles sont fondées. La seule circonstance, d’où l’on puisse déduire une première approximation, est que les observations soient peu distantes entre elles ; il faut donc faire voir à priori et par la nature même des équations fondamentales du Problème, comment cette supposition seule peut servir à trouver des valeurs approchées des inconnues ; ensuite il faut encore assigner des limites entre lesquelles on soit assuré que doivent tomber les véritables valeurs. Ce n’est qu’en observant ces conditions qu’on peut se flatter de parvenir à une solution satisfaisante du Problème des Comètes ; et c’est l’objet que l’Académie avait eu en vue en proposant ce Problème pour le sujet du dernier prix de Mathématiques. Quoique les deux Pièces couronnées et celles qui ont eu l’accessit aient répandu beaucoup de nouvelles lumières sur cette question, il paraît néanmoins qu’elle n’y a pas été envisagée sous le point de vue dont je viens de parler, et qu’on peut à cet égard la traiter encore comme un sujet entièrement nouveau ; ce sera l’objet d’un autre Mémoire.
DEUXIÈME MÉMOIRE.
Après avoir donné dans le Mémoire précédent une analyse succincte des différentes méthodes qui ont été proposées jusqu’ici pour la solution du Problème de la détermination des orbites des Comètes d’après trois observations, et fait voir ce que ces méthodes laissent encore à désirer, je me propose dans celui-ci de rendre compte des tentatives que j’ai faites de mon côté pour parvenir à une méthode directe et analytique, qui donne d’abord, et sans tâtonnement, les premières valeurs des inconnues du Problème, et par laquelle on puisse ensuite corriger ces valeurs et les rendre aussi exactes qu’on voudra. Une telle méthode est peut-être le seul but auquel l’état actuel de l’Analyse permette d’atteindre, dans la solution du Problème qui fait l’objet de ces recherches.
1. Je rapporte le lieu de la Comète dans son orbite au plan de l’écliptique et à la ligne des équinoxes, par le moyen de trois coordonnées rectangles qui aient leur origine dans le centre du Soleil ; sera l’abscisse prise dans la ligne de l’équinoxe du printemps ; sera la première ordonnée perpendiculaire à dans le plan de l’écliptique et dirigée vers l’orient ; sera la seconde ordonnée perpendiculaire au plan même de l’écliptique, et du côté du pôle boréal. On prendra ces différentes lignes négatives lorsqu’elles auront des directions contraires à celles de l’hypothèse.
Il est visible que la distance de la Comète au Soleil ou le rayon vecteur de son orbite, que je désignerai par sera exprimé par
Soient de plus l’abscisse et l’ordonnée du lieu de la Terre dans l’écliptique rapportées aux mêmes axes que les et on aura de même
pour la distance de la Terre au Soleil, ou pour le rayon vecteur de l’orbite de la Terre que je désignerai par
Enfin soient les trois coordonnées rectangles du lieu apparent de la Comète relativement au centre de la Terre, l’abscisse prise depuis le centre de la Terre dans une droite parallèle à celle des équinoxes, l’ordonnée perpendiculaire à dans le plan de l’écliptique, et l’ordonnée perpendiculaire à l’écliptique ; on aura pareillement
pour la distance de la Comète à la Terre, que je désignerai par
Et il est facile de concevoir qu’on aura
Soit maintenant la longitude de la Terre au même instant, la longitude géocentrique de la Comète, et sa latitude géocentrique que nous supposerons boréale ; l’angle sera connu par la Théorie du Soleil, et les angles et le seront par l’observation.
Il est visible qu’on aura
Ces formules sont si connues que je ne crois pas devoir m’arrêter à les démontrer.
2. Faisant donc ces substitutions, on aura
d’où l’on voit que les trois coordonnées ne dépendent que d’une seule inconnue qui est la distance de la Comète à la Terre. C’est à quoi se réduisent les données que chaque observation peut fournir. Le reste des données nécessaires pour la solution du Problème dépend de la figure parabolique de l’orbite de la Comète et de l’intervalle de temps écoulé entre les observations.
3. Pour mettre dans nos calculs le plus d’ordre et de clarté qu’il est possible, nous désignerons toujours les mêmes quantités par les mêmes lettres dans chaque observation ; mais nous marquerons celles qui se rapportent à la première observation par un trait, celles qui se rapportent à la seconde par deux traits, et ainsi de suite. De cette manière seront les coordonnées rectangles du lieu de la Comète dans la première observation, sa distance à la Terre, sa longitude et sa latitude géocentriques, etc.
4. Cela posé, avant de faire entrer dans le calcul la considération de la parabole, nous commencerons par ne considérer que la condition qui exige que tous les lieux de la Comète soient dans un même plan passant par le Soleil. La manière la plus simple et la plus directe d’exprimer cette condition analytiquement est de considérer l’équation générale d’un plan passant par l’origine des coordonnées, qu’on sait être de cette forme
Substituant donc dans cette équation les valeurs de du no 2, on aura
d’où l’on tire sur-le-champ
et, substituant cette valeur de dans les mêmes expressions de on aura
Si donc l’on a trois observations d’une Comète, on aura, en marquant seulement toutes les lettres d’un trait pour la première, de deux pour la seconde et de trois pour la troisième, à l’exception des quantités et qui sont les mêmes pour toutes les observations d’une même Comète, on aura, dis-je, les valeurs des coordonnées pour les trois lieux de la Comète dans son orbite, exprimées par des quantités toutes connues et par les seules inconnues
Pour déterminer ces inconnues, il faudra employer la considération du temps écoulé entre les observations ; or si l’on nomme le temps écoulé entre la première et la seconde observation, ce temps étant exprimé par l’arc du mouvement moyen du Soleil réduit en parties du rayon, et l’angle parcouru par la Comète autour du Soleil dans le même temps, on a pour la parabole la formule (voyez plus bas le no 16)
Or on a
et l’on trouve facilement (voyez le no 24)
et par conséquent
à cause de
donc, substituant ces valeurs dans l’équation précédente, et mettant ensuite à la place de leurs valeurs en et on aura une équation dans laquelle il n’entrera que ces deux inconnues.
On trouvera une pareille équation en considérant le temps écoulé entre la seconde observation et la troisième ; et l’on pourra en avoir une troisième en comparant la première et la troisième observation mais comme il n’y a que deux inconnues et deux équations suffisent pour les déterminer et c’est à cette détermination qu’est maintenant réduite toute la difficulté du Problème.
Mais pour peu qu’on considère la forme des équations qu’il s’agit de résoudre, on verra aisément que la difficulté dont nous venons de parler est absolument insurmontable, par les méthodes connues ; car quoique ces équations soient algébriques, elle sont néanmoins si compliquées que si l’on voulait prendre la peine de les réduire à une forme rationnelle, et ensuite d’éliminer une des deux inconnues, on parviendrait, après des calculs immenses, à une équation finale d’un degré très-élevé, dont on ne pourrait tirer aucun parti.
Cette manière donc d’envisager le Problème des Comètes, quoiqu’elle paraisse la plus directe et la plus simple, est néanmoins celle qui promet le moins de succès ; et cela, non-seulement à l’égard de la solution rigoureuse, mais aussi à l’égard d’une solution seulement approchée, puisque rien ne saurait faire connaître d’avance les valeurs approchées de l’inclinaison et du lieu du nœud de la Comète, qui sont les deux inconnues qui entrent dans les équations à résoudre.
Si pour parvenir à ces valeurs on voulait faire usage de l’hypothèse du mouvement rectiligne et uniforme dans l’intervalle des trois observations, ainsi qu’en ont usé plusieurs Auteurs, alors il n’y aurait qu’à considérer que dans cette hypothèse les différences des coordonnées
seraient aux différences
dans une même raison, qui est celle de l’intervalle écoulé entre les deux premières observations à l’intervalle écoulé entre les deux dernières. De sorte qu’en nommant cette raison qui est connue par les observations, on aura
et par conséquent
et de même
Il n’y aura donc qu’à substituer dans deux de ces équations (la troisième étant déjà une suite des deux autres, à cause que nous avons précédemment fait entrer dans le calcul la considération de l’orbite plane) les valeurs trouvées ci-dessus de et l’on aura deux équations rationnelles en et qui étant délivrées des fractions monteront chacune au troisième degré ; en sorte que l’équation finale montera généralement parlant au neuvième.
Il est possible que cette équation finale s’abaisse d’elle-même à un degré moindre, et même cela paraît nécessaire, puisqu’on sait d’ailleurs que le Problème n’est que du premier degré ; ce qu’on peut aussi démontrer par nos formules, en prenant pour inconnues les distances de la Comète à la Terre aux temps des trois observations.
En effet, si dans les trois équations ci-dessus on substitue pour les premières valeurs du no 2, qui sont indépendantes de la considération du plan de l’orbite, on aura trois équations linéaires entre les trois inconnues par lesquelles on pourra déterminer ces inconnues ; de là on aura les valeurs de et les deux équations
donneront ensuite, si l’on veut, les valeurs de et de qui étaient les inconnues cherchées d’abord.
Mais nous venons plus bas que l’hypothèse sur laquelle est fondée cette solution n’est point admissible, même en supposant les intervalles entre les observations infiniment petits ; de sorte qu’on ne peut pas même employer cette solution pour avoir les premières valeurs approchées des inconnues.
5. Puisque la manière précédente de traiter le Problème des Comètes, en y prenant pour inconnue la position du plan de l’orbite, n’est point propre à fournir une solution approchée ; que, même dans le cas le plus simple, elle conduit à des équations beaucoup plus compliquées qu’il ne faut, il s’ensuit qu’il est nécessaire de s’y prendre autrement pour réduire le Problème en équations ; et comme la condition, que les trois lieux de la Comète soient dans un même plan avec le Soleil, est la plus simple de toutes celles que la question renferme, il paraît naturel de commencer par y satisfaire ; mais il faudra employer pour cela d’autres moyens que ceux dont on a fait usage plus haut.
Je considère donc que si l’on désigne par et l’abscisse et l’ordonnée de l’orbite de la Comète, prises dans le plan de cette orbite et ayant leur origine au centre du Soleil, et qu’on cherche à en déduire les coordonnées dont l’origine est pareillement au centre du Soleil, on trouvera des expressions de cette forme
les coefficients étant constants et ne dépendant que de la position du plan de l’orbite par rapport au plan des et et de la position de l’axe des abscisses par rapport à l’axe des abscisses
Nous nous dispenserons ici de donner la démonstration de ces formules, qui doit être très-facile pour quiconque est tant soit peu versé dans l’Analyse des courbes ; nous nous contenterons seulement de remarquer que comme, par l’hypothèse, la distance de la Comète au Soleil doit être exprimée par il faudra que l’on ait
par conséquent
équation qui doit être identique, et d’où l’on tire par conséquent ces trois déterminations
Il ne restera donc plus parmi les six constantes que trois indéterminées ; ce seront celles qui dépendent de la position de la ligne des nœuds de l’orbite, de son inclinaison et de l’angle de l’axe des avec la ligne des nœuds ; mais il nous suffira, pour le présent, de considérer les formules précédentes sous la forme où elles se présentent.
6. On aura donc, dans chaque observation, trois équations analogues à celles qu’on vient de donner, les coefficients , étant partout les mêmes.
Ainsi, pour trois observations différentes, on aura d’abord ces trois équations
d’où l’on peut éliminer et
Cette élimination faite, et les termes étant ordonnés par rapport à on aura l’équation
On aura de même ces trois autres équations
d’où, éliminant et on aura
enfin on aura aussi
d’où l’on tirera pareillement
7. Donc, si l’on fait, pour abréger,
on aura ces trois équations semblables
Qu’on substitue dans ces équations les valeurs de en celles de en et enfin celles de en données par les formules du no 2, en marquant successivement toutes les lettres d’un trait, ou de deux, ou de trois, pour les rapporter à la première observation, à la seconde, ou à la troisième ; on aura, comme l’on voit, trois équations linéaires en par lesquelles on pourra déterminer ces trois quantités. De sorte que le Problème serait résolu si l’on connaissait les valeurs des trois quantités ou seulement leurs rapports, puisqu’en divisant les trois équations par il ne s’y trouvera que les deux quantités
8. En effet on aura, par les substitutions dont il s’agit, ces trois équations
Qu’on multiplie la première par et qu’on en retranche la seconde multipliée par on aura
Qu’on multiplie encore la première par et qu’on y ajoute la seconde multipliée par on aura
Qu’on multiplie maintenant celle-ci par et qu’on la retranche de la troisième multipliée par on aura
Qu’on multiplie enfin la première réduite, trouvée ci-dessus, par
et qu’on en retranche l’équation précédente multipliée par
D’où, en faisant, pour abréger,
on tire
On trouvera de même les valeurs de et de et pour cela il n’y aura qu’à changer, dans l’expression précédente, d’abord en e en et ensuite en et en et vice versâ.
Donc, si l’on fait de plus
on aura
Or on a, en général (3),
de sorte que, par la substitution des valeurs précédentes de on aura celles de c’est-à-dire des trois rayons vecteurs de l’orbite.
9. Supposons que dans l’intervalle des trois observations le mouvement de la Comète soit rectiligne et uniforme, il est clair que nommant l’intervalle entre la première et la seconde, et l’intervalle entre la seconde et la troisième, on aura ces deux proportions
d’où l’on tire
Qu’on substitue ces valeurs dans les expressions de et de on aura
Par conséquent et quantités connues par les observations. Dans cette hypothèse donc le Problème ne sera que du premier degré, ce qui s’accorde avec ce que M. Bouguer a trouvé par une autre voie.
10. Mais voyons jusqu’à quel point l’hypothèse dont il s’agit peut s’accorder avec les principes connus du mouvement des Comètes autour du Soleil. Comme on sait que les Comètes sont attirées vers le Soleil en raison inverse du carré des distances et qu’en vertu de cette attraction elles décrivent des orbites à très-peu près paraboliques, il est clair que l’hypothèse du mouvement rectiligne et uniforme doit s’éloigner d’autant plus de la vérité que l’arc décrit par la Comète sera plus grand ; ce n’est donc que dans les arcs très-petits, c’est-à-dire lorsque les intervalles et seront très-petits, qu’on pourra regarder cette hypothèse comme approchante de la vérité, et le maximum d’approximation devra par conséquent avoir lieu dans l’infiniment petit. Or nommant, en général, le temps on aura dans l’infiniment petit
et de même en désignant par et l’abscisse et l’ordonnée qui répondent à la première observation, on aura
or l’équation
se réduit à
donc
ou bien
et de même l’autre équation en u deviendra
Mais par la Théorie des forces centrales on a, en nommant la force attractive du Soleil à la distance les deux équations
En général, on sait par la Théorie du Calcul infinitésimal que lorsqu’on ne considère que deux points consécutifs et infiniment proches d’une courbe, on peut regarder l’arc intercepté comme une ligne droite, mais que cela n’est plus permis lorsqu’on veut considérer trois points consécutifs ; car la position de ces trois points détermine alors la courbure de l’arc, qu’on ne peut regarder comme nulle, à moins qu’il n’y ait là un point d’inflexion ; ce qui n’a point lieu dans les trajectoires décrites par des forces centrales. Voilà la vraie raison métaphysique par laquelle il n’est pas permis de supposer que l’orbite d’une Comète soit rectiligne, même dans un intervalle de temps infiniment petit, dès qu’on veut employer trois observations, c’est-à-dire qu’on veut considérer trois points consécutifs de la même orbite.
M. de Laplace m’a mandé, il y a quelque temps, qu’il avait fait une pareille remarque à l’occasion d’une solution du Problème des Comètes présentée à l’Académie par l’Abbé Boscovich. On trouve au reste, dans le volume des Éphémérides de 1779, un Mémoire de M. Lambert qui contient encore d’autres remarques intéressantes sur l’hypothèse rectiligne et sur les méthodes de MM. Cassini et Bouguer.
11. Pour jeter encore un plus grand jour sur ce que nous venons de démontrer, et pour faire voir en même temps de quelle manière on doit traiter la question, sans manquer à l’exactitude nécessaire, je considère que les abscisses ainsi que les ordonnées correspondantes peuvent être regardées, en général, comme des fonctions du temps écoulé depuis une époque donnée, et qu’ainsi en nommant le temps de la seconde observation, et par conséquent et les temps de la première et de la troisième, les quantités deviendront et en y changeant en et
Or on sait que, si est une fonction quelconque de , elle devient
lorsque devient et
lorsque devient
Donc on aura
Mais on a par la théorie des forces centrales, en prenant pour constante,
Donc les expressions précédentes deviendront
Il est aisé de voir que, dans l’hypothèse du mouvement rectiligne et uniforme, on ne prend que les deux premiers termes de chacune de ces formules ; en effet si des deux équations
on élimine il vient
et de même si l’on élimines des équations
on a
formules identiques avec celles qu’on a trouvées directement dans l’hypothèse dont il s’agit (8).
Il est donc nécessaire d’avoir égard, dans les valeurs des quantités précédentes, aux termes où les quantités montent au second degré.
En substituant les valeurs ci-dessus dans les formules du nno 7, on trouve
où le terme est l’effet de la courbure de l’orbite.
Or, quoique ce terme devienne très-petit du second ordre vis-a-vis de lorsque sont des quantités très-petites du premier ordre, il n’est pas néanmoins permis de le négliger dans les valeurs des quantités des expressions de du no 8.
En effet si l’on substitue dans ces quantités les valeurs précédentes de et qu’on suppose, en général,
qu’ensuite on dénote par les valeurs de correspondantes à on aura
Or en supposant que les intervalles et entre les observations soient très-petits du premier ordre, il est visible que la quantité devient très-petite du troisième ordre ; par conséquent on pourra, dans les expressions précédentes, négliger les termes affectés de cette quantité, à moins que dans la même supposition les quantités ne deviennent aussi très-petites du même ordre.
12. Je considère donc que, l’orbite de la Terre étant à très-peu près circulaire et décrite d’un mouvement uniforme, les rayons peuvent être sans erreur sensible supposés égaux, et les différences de longitude du Soleil supposées proportionnelles aux intervalles de temps et ces suppositions seront d’autant plus exactes que ces intervalles seront très-petits.
On aura donc ainsi
et
par conséquent
Mais et étant très-petits, on a
Donc, substituant et négligeant les quantités des ordres supérieurs au troisième, on aura
quantité qui est, comme l’on voit, du troisième ordre.
Donc, faisant successivement pour avoir les valeurs de et substituant ensuite ces valeurs dans les expressions de du numéro précédent, on aura
Substituant donc ces valeurs ainsi que celles de dans les expressions de du no 8, et faisant, pour abréger,
Il est visible que ces expressions ne sauraient être réduites davantage, si ce n’est en négligeant dans le dénominateur de le terme du second ordre vis-à-vis de ce qui donnera
Or la quantité est donnée en par la formule
Donc, si l’on fait cette substitution dans la dernière équation, on aura une équation où il n’y aura d’inconnue que et qui servira à la déterminer.
13. Soit, pour abréger,
on aura
donc
prenant les carrés et substituant la valeur de en on aura l’équation
laquelle étant développée et ordonnée par rapport à montera au huitième degré.
Or je remarque que étant la force attractive du Soleil à la distance sera l’action du Soleil sur la Terre à la distance si donc on regarde l’orbite de la Terre comme circulaire, il faudra que soit égale à la force centrifuge de la Terre ; mais on a supposé que dénotait la vitesse angulaire de la Terre ; donc sa vitesse réelle sera et la force centrifuge donc donc
Mais si l’on veut tenir compte de l’excentricité de l’orbite de la Terre, on remarquera que par les Théorèmes de Newton la même force absolue qui fait mouvoir la Terre dans une ellipse dont est le rayon vecteur, pourrait lui faire décrire en même temps un cercle dont le rayon serait égal au demi-axe de l’ellipse, et avec une vitesse égale à celle que la Terre a dans l’ellipse à la même distance du Soleil, c’est-à-dire au sommet du petit axe. Nommant donc le demi-axe de l’ellipse ou la distance moyenne de la Terre, et sa vitesse angulaire moyenne, on aura également or étant la vitesse angulaire dans le cercle, sera la vitesse réelle, laquelle est égale à la vitesse réelle dans l’ellipse au sommet du petit axe ; donc nommant le demi-petit axe, on aura pour la vitesse circulatoire autour du foyer, et pour la vitesse angulaire ; mais par la loi des aires il est visible que les vitesses angulaires sont réciproquement proportionnelles aux carrés des distances ; donc la vitesse angulaire à la distance sera à la vitesse angulaire à la distance comme est à donc
Si l’on prend, pour plus de simplicité, la distance moyenne de la Terre pour l’unité, et qu’on exprime les temps par le mouvement moyen du Soleil, on aura alors
donc
or l’excentricité de l’orbite du Soleil étant
on aura
donc en prenant on ne commettra qu’une erreur presque insensible.
Nous ferons donc et moyennant quoi le dernier terme de l’équation en lequel est deviendra et sera par conséquent nul lorsque c’est-à-dire lorsque la seconde observation aura été faite dans les moyennes distances de la Terre ; mais comme l’orbite de la Terre est presque circulaire, sera toujours à trèspeu près égal à par conséquent si le dernier terme de l’équation en n’est pas exactement nul, il sera du moins toujours extrêmement petit, et pourra être pris pour nul, d’autant plus qu’il ne s’agit ici que d’une détermination approchée.
L’équation en s’abaissera donc par là au septième degré, et aura nécessairement une racine réelle ; et il est facile de se convaincre que cette équation ne pourra s’abaisser davantage ; car son dernier terme sera
quantité qui ne peut être nulle, en général,.
Voilà donc la limite fixée par la nature même du Problème, et au-dessous de laquelle il est impossible de le rabaisser, quelque petits qu’on suppose les intervalles entre les trois observations ; car il est facile de se convaincre que la quantité demeure toujours finie, même en supposant et infiniment petites, puisqu’alors les différences entre devenant infiniment petites du même ordre, ainsi que celles entre la quantité devient infiniment petite du premier ordre, et la quantité infiniment petite du troisième ; en sorte que sera nécessairement une quantité finie.
Il est visible que la solution précédente sera entièrement rigoureuse dans l’infiniment petit, mais que son exactitude diminuera à mesure que les intervalles entre les observations seront plus grands ; on pourra cependant l’employer dans tous les cas comme une solution approchée, pour en tirer les premières valeurs des inconnues ; et c’est la seule solution directe dont le Problème proposé soit susceptible. C’est ce que nous confirmerons plus bas par une analyse encore plus rigoureuse.
14. Il n’est pas difficile au reste de ramener cette solution à la Géométrie. Car, ayant tiré la droite infinie (fig. 1) et pris dans cette
droite la partie qu’on mène par le point la droite qui fasse l’angle tel que
la question sera réduite à trouver dans la droite un point tel que l’on ait
et l’on aura alors
Car il est visible que l’on a par la construction
et que la proportion précédente donne
savoir
mais nous avons vu que donc
ce qui est l’équation trouvée dans le no 13.
Or étant la distance de la Terre au Soleil au temps de la seconde observation, la distance de la Terre à la Comète et le rayon vecteur de la Comète, il est visible que les trois points représenteront les lieux de la Terre, du Soleil et de la Comète au temps de la seconde observation et la solution précédente reviendra à celle que M. Lambert a proposée dans les Mémoires de 1771, et dont nous avons déjà fait mention dans le premier Mémoire. La méthode de M. Lambert est fondée uniquement sur la considération synthétique de l’orbite apparente de la Comète, et n’en est que plus ingénieuse ; mais elle ne fait pas voir que la solution qui en résulte a réellement le dernier degré de simplicité qu’on puisse donner au Problème des Comètes envisagé directement, et il n’y avait qu’une analyse telle que la précédente qui pût lui procurer cet avantage ; sur quoi, voyez les nos 20 et suivants.
15. Après avoir considéré le Problème des Comètes, pour ainsi dire, dans l’infiniment petit, il est nécessaire de l’envisager sous un point de vue plus général, en supposant les intervalles entre les observations d’une grandeur quelconque.
Pour cela je remarque d’abord que tout se réduit à connaître les valeurs des quantités du no 7. Or étant des coordonnées rectangles du lieu de la Comète dans la première observation, prises du centre du Soleil et dans le plan même de son orbite, et de même et étant les coordonnées rectangles des lieux de la Comète dans la seconde et dans la troisième observation, il est facile de voir que la quantité exprime l’aire du triangle formé par les deux droites menées du centre du Soleil aux lieux de la Comète dans la première et dans la seconde observation et par la corde qui joint ces deux lieux, c’est-à-dire qui sous-tend l’arc parcouru dans l’intervalle des observations ; triangle que nous nommerons dorénavant secteur triangulaire décrit par la Comète ; tandis que nous appellerons secteur parabolique l’espace compris par les mêmes rayons vecteurs et par l’arc parabolique parcouru par la Comète. Pareillement sera le secteur triangulaire décrit pendant l’intervalle de la seconde à la troisième observation, et sera par la même raison le secteur triangulaire décrit depuis la première jusqu’à la troisième observation. Ainsi les quantités ne sont autre chose que le double de ces différents secteurs triangulaires, et toute la difficulté se réduit à déterminer la valeur de es secteurs en connaissant le temps employé à les décrire. Mais il est visible que cette donnée ne suffit pas, et qu’il faut nécessairement y ajouter encore quelque autre quantité relative aux lieux de la Comète dans son orbite ; et nous allons voir qu’en supposant l’orbite parabolique, comme cela a lieu pour les Comètes, il suffit de connaître, outre le temps, encore la somme des deux rayons vecteurs qui comprennent le secteur cherché.
Il est facile de prouver par la Géométrie que, si l’on nomme l’angle intercepté par les deux rayons vecteurs et on aura pour l’aire du triangle formé par ces deux rayons et par la droite qui joint leurs extrémités, de sorte qu’on aura
Tout se réduit donc à trouver la valeur de l’angle par le temps employé par la Comète à le parcourir.
Or on sait que dans les sections coniques, décrites en vertu d’une force tendante à l’un des foyers et réciproquement proportionnelle au carré de la distance, le temps employé à parcourir un arc quelconque est toujours proportionnel à l’aire du secteur curviligne divisée par la racine carrée du paramètre, tant que la force attractive absolue demeure la même. Commençonsdonc par déterminer l’aire d’un secteur parabolique.
16. Soit, en général, le rayon vecteur d’une parabole dont le paramètre soit et soit l’anomalie correspondante, c’est-à-dire l’angle formé au foyer par le rayon et par la partie de l’axe comprise entre le foyer et le sommet. On aura
pour l’équation de la parabole ; donc l’élément du secteur parabolique sera
dont l’intégrale sera
c’est-à-dire, à cause de
donc le secteur compris entre deux rayons vecteurs et qui répondent aux anomalies et sera exprimé par cette formule
Or on a
en sorte que soit la moitié de l’angle intercepté entre les deux rayons et qui renferment le secteur dont il s’agit, on aura d’abord
d’où l’on tire
On a de plus
d’où l’on tire
Mais
en substituant la valeur précédente de ajoutons à cette quantité et l’on aura
donc
Maintenant, puisque
si l’on substitue pour sa valeur trouvée ci-dessus, on aura
et l’on trouvera de la même manière, à cause de
donc
et
Donc
égale
divisé par ce qui se réduit à cette quantité
on aura
pour le secteur parabolique renfermé entre les deux rayons vecteurs et qui comprennent l’angle
Cette expression est assez remarquable, parce qu’elle est indépendante du paramètre de la parabole et du lieu du périhélie. M. Lambert est le premier qui l’ait trouvée dans son beau Traité des Orbites des Comètes, d’où j’aurais pu l’emprunter si je n’avais cru faire plaisir aux Géomètres en la déduisant des formules ordinaires de la parabole.
Qu’on divise maintenant la quantité précédente par
on aura une quantité proportionnelle au temps employé par la Comète à décrire l’angle donc
le coefficient étant le même pour toutes les Planètes et les Comètes qui tournent autour du Soleil. De sorte que, nommant le temps périodique d’une Planète quelconque, l’aire de l’ellipse décrite par cette Planète et le paramètre de cette ellipse, on aura aussi
et par conséquent
En prenant la distance moyenne de la Terre au Soleil pour l’unité, c’est-à-dire en faisant le demi-grand axe de l’orbite de la Terre et le demi-petit axe on a de plus on a, par les propriétés de l’ellipse, donc
Donc, si l’on représente le temps par le mouvement moyen du Soleil, on aura et par conséquent
en sorte que l’équation ci-dessus deviendra
où devra être exprimé par l’arc du mouvement moyen, réduit en parties du rayon.
17. Or nous avons déjà trouvé ( 15)
donc, si l’on divise cette quantité par la valeur de du numéro précédent, on aura
et, divisant encore cette équation par celle qu’on a trouvée en dernier lieu, il viendra
Soit, pour abréger,
et, faisant de plus
et, substituant cette valeur dans la dernière équation du numéro précédent, elle deviendra
Cette équation, en faisant
se change en celle-ci
d’où l’on tirera la valeur de laquelle ne dépendra, comme l’on voit, que de celle de
D’où l’on conclura d’abord que, lorsque est proportionnel à la quantité sera constante, ainsi que la quantité et que par conséquent sera simplement proportionnelle à d’où résulte le Théorème suivant :
Le secteur triangulaire décrit par la Comète, dans un temps quelconque, est toujours exactement proportionnel à ce temps, lorsque le cube de la somme des deux rayons vecteurs qui comprennent ce secteur est proportionnel au carré du temps.
18. L’équation
peut se résoudre par approximation, au moyen des formules que j’ai données dans les Mémoires de 1768 ; et l’on peut avoir, par ces formules, non-seulement la valeur de mais encore celle d’une puissance quelconque Car en faisant, pour abréger,
les formules du Problème II du Mémoire cité[2], on aura
et dans le cas de
séries qui seront toujours convergentes tant que sera et par conséquent tant que
Or, comme la condition de est aussi celle qui rend réelles toutes les racines de l’équation
on pourra aussi employer dans ce cas la trisection de l’angle. En effet, si l’on considère l’équation
et qu’on la mette sous la forme
on aura, en la comparant à la proposée,
Mais cette solution, ainsi que la précédente, n’aura lieu que tant que sera dans les autres cas il faudra avoir recours à l’équation primitive
laquelle n’aura plus qu’une racine réelle.
19. Donc, si l’on fait
on aura
et la quantité sera déterminée par l’équation
laquelle, si
donne, par approximation,
ou bien, par la trisection de l’angle,
en faisant
Si donc on change dans ces formules en \theta et en et qu’on dénote par ce que devient alors la quantité il est aisé de conclure de ce qu’on a dit dans le no 15 qu’on aura pareillement
Enfin on aura par la même raison
en dénotant par ce que devient lorsqu’on y change en et en
Si donc on substitue ces valeurs dans les expressions de du no 8, et qu’on fasse, en général,
qu’ensuite on dénote par les valeurs de correspondantes à on aura
Donc enfin
la quantité étant (numéro cité)
Telles sont les formules rigoureuses du Problème des Comètes, présentées sous la forme la plus simple et en même temps la plus propre à fournir des approximations directes et faciles.
On se souviendra que dans ces formules