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Mémoires inédits de l’abbé Morellet/Lettres/X

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LETTRE X.

8 Octobre.

Nous avons eu hier notre élection, nous étions vingt-cinq ; ainsi que je l’avais prévu, Laujon à remplacé Portalis, et Raynouard Lebrun. Ainsi, le projet d’appeler parmi nous quelques membres de la première classe a échoué, au moins pour cette fois. Il est même arrivé pire ; car, Suard ayant fait, avant de procéder aux élections, quelques observations fort sages et très-mesurées sur les avantages que nous trouverions à puiser dans cette source, il a été combattu avec aigreur et avec véhémence par plusieurs opposans, à la tête desquels était Chénier, qui ont voulu faire craindre plusieurs inconvéniens de cette pratique, laquelle n est pourtant que l’exercice d’un droit donné à la classe par ses statuts et exercé par l’Académie française, utilement pour elle. Mais cette discussion a amené un étrange résultat ; les opposans faisant flèche de tout bois, ayant argumenté d’abord contre l’admission des sujets indiqués dans les observations de Suard (seulement comme exemples), et qui étaient Lacépède, Laplace, Delambre et Cuvier, ont dit qu’ils n’étaient pas au nombre des candidats, qu’ils ne s’étaient pas présentés. Suard a répondu que la formalité des visites ayant été supprimée, il avait été réglé qu’il suffirait, pour être censé candidat, d’avoir inscrit son nom comme tel à la secrétairerie, ou qu’un membre déclarât à la compagnie qu’il était chargé de son vœu, et que cette déclaration, il venait de la faire pour ces Messieurs.

Sur cela, et pour oblitérer autant qu’il était en eux les traces que pouvait laisser la citation honorable que Suard avait faite de ces quatre noms, voilà-t-il pas qu’Arnault, Regnault, Bigot établissent qu’on n’a dû désigner, ou nommer, ou louer personne ; que tous les membres de l’Institut doivent être regardés comme candidats nés ; qu’il faut supprimer pour eux, même la petite formalité de se faire inscrire ou présenter par un académicien, etc.

On leur a répondu qu’en indiquant quelques membres distingués des autres classes, on n’en excluait aucun ; que tout membre pouvait ajouter à ces noms ceux qu’il jugerait à propos, les Fourcroi, les Dacier, les Daunou, etc.

On leur a dit que les autres classes ne donnaient pas à la seconde les mêmes facilités ; qu’au moins faudrait-il attendre que la réciprocité fût établie, etc.

On leur a demandé s’il faudrait, à chaque élection, lire la liste de tous les membres des trois autres classes. On leur a enfin représenté que leur système était une violation positive d’un des articles de nos statuts, qui porte que la nomination à une place vacante ne pourra tomber que sur l’un de ceux qui seront inscrits comme candidats au secrétariat, ou qui se seront fait inscrire par un des membres de la classe, et qui seront compris dans une liste formée par le secrétaire, régl. de la 2º classe, art. 10 ; et qu’il n’était ni raisonnable, ni décent d’abolir, par une délibération subite, un règlement compris dans nos statuts.

Rien de tout cela ne les a arrêtés, et ils sont parvenus à faire décider que tout membre de l’Institut était candidat né pour la deuxième classe ; décision qui est vraiment ridicule par l’absurdité dont elle est, et par son inutilité pour ceux-là même qui l’ont obtenue[1].

Voilà assez de futilités dont je vous entretiens. Je finirai par me plaindre à vous-même de ce que je n’ai jamais de vos nouvelles. Ne pourriez-vous pas me dire, en peu de mots, nous faisons tel ou tel bien à ce peuple, nous faisons faire tel et tel progrès à sa civilisation, le gouvernement se fait aimer ? Je désirerais aussi que vous me rassurassiez sur la crainte qui me tourmente, que ma correspondance ne soit point du tout goûtée. Voilà mes souhaits, mais je comprends qu’il est possible que vos occupations ne vous laissent pas le pouvoir de les satisfaire.

Je salue humblement Votre Excellence, en la priant de mettre mon hommage aux pieds de mon auguste bienfaiteur.

Morellet.
  1. Deux des académiciens proposés par M. Suard ont bien prouvé qu’ils étaient non-seulement candidats nés, mais académiciens nés, puisqu’ils ont consenti à s’asseoir à la place de collègues qui n’étaient pas morts. (Note de l’Editeur.)