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Mémoires inédits de l’abbé Morellet/Poésies/Pour le jour de ma fête, Stances

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POUR LE JOUR DE MA FÊTE,

STANCES,

OU SI L’ON VEUT,

Couplets sur l’air des Revenans.

Depuis que la parque indulgente
Me laisse compter par huitante
Me laiLes pas du temps,
Mes amis trouvent merveilleuse
La course prolongée, heureuse,
Me laiDe mes vieux ans.

Mais si mon modeste partage
Peut mériter aux yeux du sage
Me laiD’être envié,
C’est par le flatteur avantage
D’être le bienfait de l’ouvrage
Me laiDe l’amitié.

Quand, des liens qu’elle nous mesure,
Loin de moi la sage nature
Me laiPorte le cours ;
Que tout autre plaisir s’envole
L’amitié me reste, et console
Me laiMes derniers jours.

C’est l’amitié que j’ai servie,
Qui prête à l’hiver de ma vie
Me laiQuelque chaleur,
Et dont la bienfaisante flamme
Entretient encor dans mon âme
Me laiQuelque vigueur.

C’est elle dont la main prudente
Offre à ma marche chancelante
Me laiUn sûr appui,
Et dont l’œil vigilant me guide
Au chemin où mon pied timide
Me laiM’aurait trahi.

Pour fêter mon humble naissance,
De qui me vient cette abondance
Me laiD’aimables fleurs ?
C’est l’amitié qui fait éclore,
Sous les frimas, ces dons de Flore,
Me laiEt leurs couleurs.

Mais des fleurs la plus agréable,
Et que voit couronnant ma table
Me laiToute saison ;
Jouissance douce et durable,
Amis, c’est une nièce aimable
Me laiÀ la maison.

On me dit que c’est chose rare,
Et dont la nature est avare ;
Me laiJe le crois bien :
Un lot, comble de la fortune,
Est donc d’en avoir deux pour une ;
Me laiEt c’est le mien.

En 1815, ses chants ont quelque tristesse ; il déplore les malheurs de sa patrie ; mais l’espoir d’un meilleur avenir anime encore sa muse octogénaire :


Dans le cours d’une longue vie,
Par l’amitié que j’ai servie,
J’ai vu fêter mon jour natal ;
Et moi-même, enhardi par elle,
Sur ma modeste chalumelle,
Je l’ai fêté tant bien que mal.

Ma quatre-vingt-neuvième année
Va finir avec la journée,
Et je n’ai point fait de chanson.
Nous voulons votre anniversaire,
Disent mes amis en colère,
En couplets de votre façon.

Hélas ! j’ai pu les satisfaire
Tant que les fléaux de la guerre
Loin de nous étaient écartés ;
Aujourd’hui ma lyre craintive
N’a plus qu’une corde plaintive,
Echo de nos calamités.

Captif aux terres étrangères,
Loin de la tombe de ses pères, ·
L’Hébreu détendait son cinnor ;
En nos propres foyers esclaves,
Chargés de pesantes entraves ;
Comment chanterions-nous encor ?

Ô France ! les jours de ta gloire,
Ces jours d’éternelle mémoire,
Vivront à jamais dans nos cœurs :
Malheur au citoyen impie
Qui peut, en la voyant flétrie,
S’abstenir de verser des pleurs ?

Dans les stances de l’année suivante, il s’exprime avec plus de confiance sur les destinées de son pays, dont la prospérité avait fait pendant soixante et dix ans l’objet de ses travaux :


Chef d’une race auguste et chère,
Un roi, de ses sujets le père,
À nos vœux est enfin rendu ;
Et la présence salutaire
D’une déité tutélaire
À notre attente a répondu.

De sa lutte avec l’infortune
Il a la gloire peu commune
De revenir victorieux ;
Noble et vertueux caractère,
Digne du respect de la terre
Et des récompenses des cieux.

Victime promise à la hache,
Il faut malgré lui qu’on l’arrache
Aux fureurs d’un peuple égaré ;
Il s’éloigne, ô douleur profonde !
Sans pouvoir épargner au monde
Le crime aux enfers préparé.

Poursuivi d’asile en asile,
Et devenu l’hôte tranquille
D’un peuple libre et généreux,
Il en rapporte les maximes
Qui, sous leurs princes légitimes,
Ont rendu leurs sujets heureux.

Une charte conservatrice,
Présent de sa main bienfaitrice,

Fixe nos droits et nos devoirs,
Et, règle aussi juste que sage,
Détermine l’heureux partage.
Et les bornes des trois pouvoirs.