Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 100

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Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 342-343).


C

Le cas probable


Si le monde n’était pas composé d’esprits inattentifs, il serait inutile de rappeler au lecteur que les lois que j’affirme sont vraiment indiscutables. Quant aux autres, je les laisse dans le domaine de la probabilité. L’une d’elles fera l’objet de ce chapitre, que je recommande à la lecture des personnes qui s’intéressent aux phénomènes sociaux. Il semble, et ce n’est pas improbable, qu’il existe entre les faits de la vie publique et ceux de la vie privée une certaine action réciproque, régulière et périodique, — ou pour user d’une image, c’est quelque chose qui ressemble aux marées de la plage du Flamengo ou d’autres également houleuses. Quand l’onde envahit le sable, elle le couvre, pour revenir ensuite sur elle-même avec une force variable, et va grossir la vague nouvelle qui se comportera comme la première. Telle est l’image ; voyons-en l’application.

J’ai dit ailleurs que Lobo Neves, nommé président d’une province, avait refusé sa nomination à cause de la date du décret : le 13. Ce fut un acte grave, dont la conséquence fut de séparer du ministère le mari de Virgilia. Ainsi l’antipathie pour un nombre produisit un phénomène de dissidence politique. Il nous reste à apprendre comment, longtemps après, un acte politique détermina dans la vie particulière une cessation de mouvement. La méthode employée dans ce livre ne permet pas de décrire immédiatement cet autre phénomène. Je me limite à déclarer que quatre mois après notre rencontre au théâtre, Lobo Neves se réconcilia avec le ministère. C’est un fait que le lecteur ne devra pas perdre de vue, s’il veut pénétrer toute la subtilité de ma pensée.