Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 157

La bibliothèque libre.
Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 481-482).


CLVII

Deux rencontres


Au bout de quelques années, trois ou quatre environ, j’en eus assez de ma charge, et je m’en démis en faisant un don de valeur, qui me mérita l’honneur de voir mon portrait mis dans la sacristie. Mais avant de passer à un autre ordre d’idées, je dirai que je vis mourir à l’hôpital de notre ordre, devinez qui… la belle Marcella. Et je la vis mourir le même jour où, en allant distribuer des aumônes dans un bouge, je rencontrai… je vous le donne en mille… je rencontrai la fleur du buisson, Eugenia, la fille de Dona Eusebia et de Villaça, boiteuse comme par le passé, et plus triste encore.

Elle pâlit en me reconnaissant et baissa les yeux. Mais aussitôt, elle releva la tête, et me considéra avec dignité. Je compris qu’elle ne recevrait pas l’aumône de ma poche, et je lui tendis la main comme j’eusse fait à la femme d’un banquier. Elle me salua et s’enferma dans son galetas.

Jamais je ne la revis. Jamais je ne sus rien de son existence, ni si sa mère était morte, ni quel désastre de sa vie l’avait ravalée dans une telle misère. Je sais seulement qu’elle était toujours aussi boiteuse et aussi triste. Ce fut sous cette impression profonde que j’entrai dans l’hôpital où Marcella avait été conduite la veille, et où je la vis expirer une demi-heure plus tard, laide, maigre et décrépite…