Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 159

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Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 485-486).


CLIX

Négatives sur négatives


Entre la mort de Quincas Borba et la mienne, il faut intercaler tous les événements que j’ai déjà racontés dans la première partie de ce livre. Le principal fut l’invention de l’emplâtre Braz Cubas, dont j’emportai le secret dans la tombe. Divin emplâtre, tu m’aurais donné la première place parmi les hommes ; tu m’aurais placé au-dessus des savants et des riches, étant comme tu l’étais une inspiration directe du ciel. Le hasard en décida autrement, et l’humanité demeurera éternellement hypocondriaque.

Ce dernier chapitre est rempli de négatives. Je n’obtins pas la célébrité que me méritait la découverte de l’emplâtre ; je ne fus ni ministre, ni calife, et j’ignorai les douceurs du mariage. Il est vrai que, comme fiche de consolation, je n’ai pas eu besoin de gagner mon pain à la sueur de mon front. Ma mort fut moins cruelle que celle de Dona Placida, et j’échappai à la demi-démence de Quincas Borba. Quiconque fera cet inventaire trouvera que la balance est égale, et que je sors quitte de la vie. Et ce sera une erreur ; car, sur le mystérieux rivage, il y a un petit solde à mon préjudice : et c’est la dernière négative de ce chapitre de négatives. Je mourus sans laisser d’enfants ; je n’ai transmis à aucun être vivant l’héritage de notre misère.

FIN