Mémoires secrets d’un tailleur pour dames/03

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(Auteur présumé)
Gay et Doucé (p. 35-44).
Le ciel de lit de Mme de Wisberg

Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, médaillon de début de chapitre
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, médaillon de début de chapitre


LE CIEL DE LIT
DE Mme DE WISBERG

Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, séparateur de texte
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, séparateur de texte



T iens, une voiture qui s’arrête devant le château !

Comte, allez donc voir qui nous arrive. Vous permettez, M. le Curé !

— Ma chère Comtesse, c’est votre amie Mme de Wisberg.

— Entrez donc, ma toute belle, comme vous devenez rare :

Et les deux dames de s’embrasser à qui mieux mieux, à tel point que le Curé regardait tout attendri, admirant cette fraternité féminine.

— Nous parlions de vous quand vous êtes arrivée, chère belle.

— Ah !

— Mais à propos, comment se porte votre mari.

— Pas très bien, ma chère.

— Ce n’est pas comme le Comte, dans ce cas, il va trop bien, lui ; n’est-ce pas, mauvais sujet ? Il mange comme quatre, boit de même et court à travers champs toute la journée. Aussi il se porte comme un charme malgré ses cinquante ans sonnés ; mais revenons à M. de Wisberg.

Nous espérons qu’il pourra venir dîner au château dimanche. M. le Curé sera des nôtres, il serait trop peiné de ne pas le rencontrer.

— Vous êtes trop bonne, ma chère, mon mari voudra, j’en suis certaine.

— Allons, tant mieux. Ne partez pas encore, M. le Curé. Diane est de la maison et comme j’ai de grands reproches à lui adresser, je le ferai en votre présence. Figurez-vous que cette chère amie qui peint comme un ange (il faudra lui demander une sainte pour notre église, M. le Curé), m’a fait cadeau d’un délicieux petit tableau, un clair de lune des plus charmants. Mais M. le Comte, qui, pourtant, est un amateur de peinture, n’a pas voulu placer ce tableau dans la galerie sous prétexte que le jour ne tombe pas directement dessus.

— Ah !

— C’est ainsi, ma chère, mais à propos, ôtez donc votre chapeau et votre manteau. Ayez la bonté de monter dans la galerie avec le Comte, d’y choisir vous même une place et de lui prouver qu’il n’y entend rien du tout. Quant à nous, M. le Curé, nous continuerons à causer de notre église.

— À vos ordres, Madame.

— Voulez-vous accepter mon bras, Madame ?

— Volontiers, cher Comte. (Excunt.)

Voilà que tout à coup, au détour que fait le salon en se reliant à l’antichambre, le Comte serre le bras de sa compagne et lui dit mezza voce.

— Enfin, te voilà donc, chère Diane, comme tu as été longtemps sans venir, méchante ! Sais-tu bien que j’allais tous les jours comme un amoureux de vingt ans, errer le long de la villa, mais comme sœur Anne, je ne voyais rien venir. Il était donc malade, ton imbécile de mari ? Ah ! que je regrette Paris, nous y étions libres au moins !

Diane souriait.

Elle était flattée de ces propos amoureux. Elle oubliait qu’elle avait atteint la quarantaine et lui la cinquantaine.

— Allons à la Galerie, Edgard !

Mais pour aller à la Galerie, il fallait traverser les bâtiments.

Dans l’autre aile du château se trouvait une chambre bleue tendue à la Pompadour, qui donnait d’un côté sur l’aile et de l’autre sur un petit escalier dérobé dans une tourelle. Cette chambre, nos amoureux la connaissaient bien.

Le Comte, qui pensait à toute autre chose qu’au tableau de la Galerie, pria, supplia tant et si bien que la belle oublia le Clair de lune et se rendit aux instances de son galant.

Ils étaient en train… de parler politique, je crois ? lorsqu’ils entendirent grincer les serrures.

La clef était pourtant bien en dedans.

— Rassure-toi, ma chère, il n’y a pas de danger.

Et Monsieur continuait à prouver à Madame que la peinture est une belle chose. Tout à coup, le bruit redouble.

Cette fois du côté de la tourelle.

Le grincement d’une clef rouillée se fait entendre de nouveau.

Edgard et Diane voulurent se lever précipitamment, mais dans leur ardeur, ils ne s’étaient pas aperçu que les rideaux ne tenaient pas solidement.

Au moment où la porte s’ouvrait, patatras ! le ciel de lit tombait et enfouissait Monsieur et Madame qui gigotaient, gigotaient encore, gigotaient toujours, et ne pouvaient sortir de cet amas d’étoffes.

Il fallut que Joseph, le vieux domestique, car c’était lui, vint au devant de son noble maître pour le tirer de cette affreuse position et l’aider à remettre le vêtement que les Anglaises n’osent pas nommer.

De son côté, Monsieur rabattait le vêtement léger de Madame, vêtement qui laissait voir des formes, ma foi, très séduisantes.

Voici ce qui était arrivé :

Joseph, en faisant le matin une tournée dans le château, s’était aperçu que le ciel de lit de cette chambre ne tenait plus guères, et il s’était promis de venir le consolider dans la journée. Trouvant la porte fermée, il avait cru avoir laissé par mégarde la clef en dedans. Puis, s’étant souvenu du petit escalier par lequel on ne montait jamais, il avait été chercher dans un trousseau de clefs rouillées une de celles qu’il croyait pouvoir ouvrir cette petite porte.

C’est ainsi qu’il avait fait tomber le ciel sur nos deux amoureux.

La belle amie de la Comtesse ayant rajusté son désordre retourne au salon où elle assure que le tableau avait trouvé sa place. Elle continue à parler bonnes œuvres avec le Curé et la châtelaine et cela avec une émotion édifiante.

Le Comte de Recht qui connaissait le dévouement du vieux domestique sortit tout rassuré de la chambre bleue.

Mais il avait compté sans son hôte ; il possédait un sacripant de fils âgé de vingt et un ans qu’il sermonnait sans cesse et auquel il parlait toujours du danger que lui feraient courir les femmes, en usant sa bourse et sa santé.

Joseph aimait son maître, mais il adorait M. Jean, comme il l’appelait.

Celui-ci après le départ de son père, voyant l’escalier ouvert grimpa et trouva le domestique occupé à réparer le désordre.

— Que fais-tu là, Joseph ?

— Monsieur Jean… et la figure du bonhomme s’épanouissait au souvenir du tableau charmant qu’il avait vu sans monter à la galerie.

— Mon petit Joseph, il y a quelque chose, conte moi cela vîte… vîte.

Et Joseph, en dépit des promesses faites au Comte, raconta tout.

— Ah ! Monsieur mon père, vous me faites des sermons, vous me refusez cinquante louis dont j’ai besoin, et vous… nous verrons bien…

Le dimanche suivant, grand dîner au château.

Le Curé, le Maire, la belle Diane accompagnée cette fois de son mari, un long sec avec des lunettes bleues !

Et au dessert, la gaîté ayant montré son visage, la comtesse s’adressa à Jean qui, à chaque instant, riait aux éclats.

— Qu’as-tu donc ? mon enfant, tu es bien gai ce soir.

— Oui, chère Maman, c’est une histoire bien drôle, si vous saviez, et le jeune fou de rire encore davantage.

— C’est donc très comique, eh bien ! contez-nous ça.

— Oh je n’oserai jamais, surtout devant M. le Curé.

— Bah ! dit M. de Wisberg, contez-nous celà en gazant.

— Oui, gazez, gazez !

— Vous le voulez, eh bien ! soit : Il y avait une fois un ciel de lit.

— Bravo ! un ciel de lit ! continuez, continuez ! Le Comte regarda Diane qui rougissait sous son maquillage, puis son fils qui riait.

— Jean, tais-toi ; dit-il, et pas d’histoires inconvenantes devant ces dames.

— Mais laissez-le continuer, mon ami, il ne dira rien d’inconvenant, soyez en sûr.

— Oui, oui, dit le mari de Diane, laissez le continuer, l’eau m’en vient à la bouche. (Mari va !)

Passons au salon, et il continuera son épopée.

Dans le mouvement qu’on fit pour quitter la salle à manger, le Comte s’approcha furtivement de son fils.

— Je vous défends de continuer, fit-il.

— Ah ! papa, mes cinquante louis ou je continue.

— Non, Monsieur, jamais !

— Soit, Mesdames et Messieurs, le ciel de lit dont j’ai eu l’honneur de vous parler était…

Mme de Wisberg, prête à se trouver mal, jetait des regards suppliants sur son Edgard, qui enfin dit à demi voix : « je cède, tu es un affreux chenapan, tu auras les cinquante louis, mais tu me le paieras, ajouta-t-il mentalement. »

— Eh bien ! eh bien ! Jean, l’histoire ! l’histoire !

— Mesdames et Messieurs, par respect pour les personnes honorables de cette honorable société, nous avons l’honneur de vous annoncer la suite au prochain numéro. Sur ce, pendant que M. le Curé va faire son whist, nous allons danser.

Et prenant la taille de la belle Diane.

— Valsons, voulez-vous ?

— Ah ! méchant, vous m’avez fait une peur… vous vous tairez, n’est-pas ?

— Oui, mais à une condition.

— Laquelle ?

— C’est que moi aussi j’irai voir la galerie avec vous, mais sans le ciel de lit par exemple.

Est-ce assez régence, pensait-il en lui-même, prendre à papa cinquante louis et sa femme par-dessus le marché.

Et M. de Wisberg de dire :

— C’était une scie, n’est-ce pas, mon ami, que tu nous montais là ?

— Vous l’avez deviné, M. le Baron.

— C’était une scie carabinée !

— Tiens, le Mari qui a fréquenté aussi les ateliers de peinture.


Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, vignette de fin de chapitre
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, vignette de fin de chapitre