Mémoires secrets d’un tailleur pour dames/13

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(Auteur présumé)
Gay et Doucé (p. 97-99).
Les cachemires de la comtesse et le Mont-de-Piété

Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, médaillon de début de chapitre
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, médaillon de début de chapitre


LES CACHEMIRES DE LA COMTESSE
ET LE MONT-DE-PIÉTÉ.

Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, séparateur de texte
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, séparateur de texte



M adame avait des cachemires, mais des cachemires !… Il en pleuvait.

Cachemires de l’Inde, cachemires français, brodés, rouges, noirs, blancs, bleus, jaunes, enfin de quoi draper toute une maison.

Ces cachemires, d’ailleurs, aidaient à son revenu.

Comment cela ?

Patience !

Retournons un peu en arrière. Nous avons dit que son mari l’admirait parce qu’elle menait un grand train de maison et n’avait que vingt-cinq mille livres de rentes !

C’était vrai, — littéralement vrai, — et voici comment elle s’y prenait.

Elle avait d’abord la grosse « planète » qui payait le rôti ; mais le hors d’œuvre, comment se le procurer ?

Au moyen d’un petit stratagème qui nous fait revenir aux cachemires.

Elle avait donc une collection de cachemires, dont les uns valaient deux mille, d’autres trois mille francs, d’autres davantage.

Elle les portait dans cet endroit qu’on appelle administrativement le Mont-de-Piété et vulgairement « ma tante »

Puis, un beau jour, où quelque papillon de nuit, auquel elle avait accordé ses faveurs, arrivait, elle le recevait les yeux rouges, la figure contractée.

Lorsque le bénêt lui demandait la cause de son chagrin, elle lui montrait du doigt la reconnaissance d’un de ses cachemires, reconnaissance dont la valeur était toujours proportionnée à la position de fortune du pigeon.

Cela fait, elle se sauvait rougissante.

Le monsieur prenait la reconnaissance, allait dégager l’objet, puis le rapportait discrètement dans un coin du salon.

La farce était jouée, puis on passait à un autre cachemire et à un autre pigeon.

Lorsque tous les cachemires étaient ainsi rentrés au bercail, la comtesse allait les réengager… et le même manège recommençait.

Le fait est authentique.

Il m’a été raconté par un employé du Mont-de-Piété, auquel la comtesse l’avait confié dans un moment… d’expansion.

Le Comte n’avait-il pas raison de louer l’économie de sa femme.


Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, vignette de fin de chapitre
Mémoires secrets d’un tailleur pour dames, vignette de fin de chapitre