Mémoires secrets de Bachaumont/1763/Décembre
Ier Décembre. — Voici ce que nous recueillons concernant M. de La Harpe et sur quoi, il paraît qu’on peut se fonder. M. de La Harpe est fils d’un porteur d’eau et d’une ravaudeuse, un enfant trouvé enfin, qui, ayant eu occasion d’être connu de M. Asselin, principal du collège d’Harcourt, fut reçu comme pensionnaire, sans payer pension, M. Asselin, homme de mérite, et connu par de très-bonnes productions, se fit un plaisir de cultiver le mérite naissant du jeune de La Harpe. Celui-ci répondit à ses soins, et s’est distingué d’une façon supérieure ; il a remporté presque tous les prix de l’Université. La satire est la première qualité qui se développe ordinairement dans un jeune poète. Celui-ci l’exerça d’une façon indécente envers ses maîtres, et même envers M. Asselin. Il trouva le secret de faire imprimer une pièce en vers où il s’égayait sur le compte de ces messieurs. M. Asselin, moins piqué pour ce qui le concernait, que jaloux de réprimer une licence qui pouvait faire tort à son pupille, obtint du lieutenant de police qu’il fût mis au Fort-l’Évêque ; ce qui a été exécuté. Il a depuis fait des héroïdes ; elles ont eu un médiocre succès. On a surtout trouvé très-mauvais que dans une préface il ait décidé impérieusement du mérite de tous les auteurs anciens et modernes. Il semble s’être corrigé depuis d’une morgue qui ne va point à un auteur naissant. Il a changé de ton dans la lettre à M. de Voltaire, dont on a parlé ci-dessus.
2. — La littérature vient de perdre M. l’abbé Prévost, mort il y a quelques jours subitement, en allant à une maison de campagne qu’il avait près de Chantilly. On doit regretter cet auteur estimable. Ses productions feront long-temps les délices des cœurs sensibles et des belles imaginations.
3. — Lettre d’un Quakre à Jean-George Le Franc de Pompignan, évêque du Puy en Velay, etc., digne frère de Simon Le Franc de Pompignan.
Au titre seul on doit juger à qui on attribue cette épître. M. de Voltaire cherche à y être plaisant. Il revient sur l’Instruction pastorale qui le blesse fort, et dont il parlerait moins si elle ne remplissait pas son objet. Il fait de vains efforts pour la rendre ridicule ; elle triomphe de tous ses sarcasmes, dont la plupart tombent à faux absolument. À ce titre de quakre il se permet des réflexions philosophiques trop connues pour avoir le mérite de la nouveauté, ainsi que la plupart de ses épigrammes.
5. — Le sieur Moreau, connu par son Observateur Hollandais, et qui depuis a fait bruit par différentes lettres écrites aux parlemens au nom du chancelier[1], vient d’être gratifié par le roi d’une charge de conseiller à la cour des Aides et chambre des Comptes d’Aix en Provence. Sa Majesté paie jusqu’aux frais de réception. Il est en outre depuis plusieurs années avocat des finances, charge dont il retire des honoraires considérables.
6. — On avait vu jusqu’à présent avec surprise que le célèbre Rameau ne fût pas décoré du cordon de Saint-Michel, honneur accordé aux gens qui s’illustrent dans les arts. Le plaisir que ses opéras ont fait à Fontainebleau, dans le dernier voyage, a renouvelé l’indignation publique sur un oubli aussi injurieux. L’honneur que lui a fait le roi de lui témoigner combien il avait été satisfait de sa musique, a enfin ouvert les yeux. Sa Majesté a ordonné qu’on lui expédiât des lettres de noblesse dont elle fera tous les frais. Il doit être aussi décoré du premier cordon qui sera vacant.
8. — L’Anti-Financier, ou Relevé de quelqu’unes des malversations dont se rendent journellement coupables les fermiers-généraux, et des vexations qu’ils commettent dans les provinces servant de réfutation d’un écrit intitulé : Lettre servant de réponse aux remontrances du Parlement de Bordeaux, précédée d’une Épître au Parlement de France, accompagnée de notes historiques, vol. in-8o de 107 pages.
Tel est le titre d’une brochure fort recherchée et contre laquelle on fait les perquisitions les plus vives, ce qui en rend le prix très-cher. On y épuise contre la gent financière tous les traits de la critique la plus amère, et on y rapporte assez de faits, quoique très-succincts, pour justifier ce qu’on en dit. Cet ouvrage, où l’auteur exhale peut-être un peu trop sa bile, n’est point dénué de mérite. La forme d’y traiter la matière est assez dure ; mais le fond en est de la plus grande vérité. Il y a des endroits sublimes. Il paraît que son vœu est un impôt unique ; il en déduit un intérêt réciproque très-avantageux au roi et à l’État.
— À la fin du Mercure de décembre on a mis pour satellite les observations du marquis de Ximenès en faveur de la tragédie de M. de La Harpe[2]. Il a pris un prête-nom. C’était, sans doute, la seule façon de débiter cette fade production.
10. — Fréron, auteur de l’Année Littéraire, a été arrêté avant-hier après midi, par ordre de M. le duc de Choiseul, et conduit au Fort-l’Évêque. C’est pour avoir inséré dans son journal n° 34, il y a quinze jours, une lettre à lui adressée sur une famille d’Alsace, en route pour se rendre à Rochefort, et passer à Cayenne, arrêtée dans sa marche le 17 du mois dernier par la plus excessive misère, qu’un citoyen généreux a soulagée. Cet acte d’humanité rendu public n’a pas été vu du même œil à la cour ; on en a fait un crime politique à l’éditeur. M. le dût de Choiseul, étant à table, entend parler de cette feuille : « Ce gueux, s’écrie-t-il, s’avise de parler de Cayenne ! Qu’on m’apporte le n° 34. » On lui lit l’endroit. « Il couchera au Fort-l’Evêque, » s’écrie de nouveau le ministre courroucé. On ne doute pas que M. Thomas n’ait couvert sa vengeance sous le voile du bien public.
12. — Il paraît dans le monde Un conte manuscrit de M. de Voltaire, qui a pour titre Ce qui plaît aux Dames. Il est dans le goût de la Pucelle, narré avec une naïveté charmante, orné de toutes les grâces de son style. Il a environ cinq cents vers ; il a toute la fraîcheur, tout le velouté de la jeunesse. Ses amis ne dissimulent pas que M. de Voltaire a cet ouvrage depuis plus de trente ans dans son porte-feuille[3].
15. — Fréron a été élargi hier. Il avait écrit une lettre à M. de Choiseul, où il lui représentait d’une façon pathétique combien peu il avait lieu de s’attendre à un traitement aussi injuste de la part d’un ministre qui l’avait honoré de sa protection.
Le ministre a répondu avec détail, en cherchant à justifier sa conduite, et en donnant à entendre quel crime politique c’était de dévoiler ainsi les négligences et l’inattention du ministère. Il a paru même révoquer en doute la vérité du fait conté par Fréron. Il a fini par dire qu’il verrait M. de Sartines, et qu’il lui procurerait son élargissement. Fréron a riposté, et, en récriminant sur les imputations de M. le duc, il lui a donné à entendre qu’on abusait étrangement de sa crédulité et de sa confiance. Toute cette correspondance, est des plus risibles ; elle est aussi indécente d’une part que de l’autre.
20. — Le Caleçon des Coquettes du jour ; La Haye, 1763, in-8o. Cet ouvrage ordurier se désigne assez par son titre, et ne mérite pas une plus grande analyse.
21. — L’histoire arrivée en Angleterre à M. d’Eon de Beaumont[4] donne lieu de faire des recherches sur son compte, et voici ce qui en résulte. Il passe pour avoir été employé dans les négociations de la paix plutôt par intrigue que par véritable choix du ministère. Sa première mission en Russie a été celle d’un spadassin. Le grand-duc voulait un maître-d’armes : on choisit M. d’Éon, qui avait ce talent, dans la confiance qu’il ménagerait le retour d’un ministre de France à Saint-Pétersbourg. Ce qu’on avait prévu arriva ; il s’insinua dans l’esprit du grand-duc, fut de ses parties de plaisir ; il fit entrevoir que la France enverrait volontiers un ambassadeur… Il fut secrétaire d’ambassadeur, et enfin d’ambassade. On lui donna un brevet de capitaine de dragons. Dans cet intervalle, il publia quelques écrits sur le commerce, dont il se fit honneur. Ils pouvaient en faire à son auteur, mais il n’était que prête-nom, à ce qu’on prétend. On veut que ces écrits soient de son oncle et de M. Dupin, qui n’ont pas voulu réclamer. Quoi qu’il en soit, il était comblé de grâces, avait deux mille écus de pension, le titre de ministre plénipotentiaire, et la croix de Saint-Louis, lorsqu’il a eu une rixe en Angleterre, chez le lord Halifax, contre un Français, M. de Vergy, à l’occasion de la paix dernière, que ce dernier prétendait honteuse, et qu’il a soutenue nécessaire. M. de Guerchy, ambassadeur, ayant voulu interposer son autorité, M. d’Éon n’en a tenu compte ; ce qui l’a obligé à porter des plaintes à la cour de France. Depuis, M. d’Éon a passé dans la cité de Londres, et, malgré toutes les réclamations du ministère, il est inviolable. Le roi d’Angleterre ne peut le faire enlever de son asile. Il était important de conter une anecdote toute politique, mais qui regarde un homme de lettres.
22. — M. Marmontel a prononcé aujourd’hui son discours de réception à l’Académie Française. Malgré son ton pédantesque, et qui semblait exiger des applaudissemens, il n’en a reçu que quelques-uns en certains endroits. Il a fait valoir, comme il devait, la nécessité indispensable des hommes de lettres pour transmettre à la postérité les belles actions. Il a détaillé, d’une manière vraie et naturelle, les embarras, les inquiétudes d’un auteur isolé et qui ne trouve point dans ses amis les ressources dont il aurait besoin pour être éclairé dans la carrière qu’il parcourt. Ces deux morceaux, et une très-belle image sur l’Académie des Belles-Lettres, sauveront de l’oubli ce discours consacré, comme tous les autres, à la fadeur et à l’adulation. M. Bignon, directeur, a répondu d’une façon maigre et d’un ton rauque. Ensuite, M. de Marmontel a repris la parole, et a lu une épître en vers de dix syllabes, sur la force et la faiblesse de l’esprit humain. Ce morceau de poésie, qui n’a rien de neuf que la difficulté vaincue à l’égard de plusieurs systèmes de physique, rendus d’une manière assez pittoresque, n’est que d’un très-faible mérite, après les Discours Philosophiques de M. de Voltaire.
23. — M. l’abbé de Marsy vient de mourir. Il avait été Jésuite, et s’était distingué alors par plusieurs poésies d’une élégance et d’un goût exquis. Il était sorti de cet ordre d’une façon assez désagréable, et il en courait de très-mauvais bruits[5]. Il a fait, depuis, plusieurs autres ouvrages, entre autres l’Analyse raisonnée de Bayle, qui a eu les honneurs de la brûlure, et toutes les censures cumulées des Facultés de Théologie, de la Sorbonne et des évêques.
Simon Le Franc, qui toujours se rengorge,
Traduit en vers tout le Vieux Testaments :
Simon les forge
Très-durement :
Mais pour la prose, écrite horriblement,
Simon le cède à son puîné Jean-George.
27. — On parle beaucoup de l’Instruction pastorale de M. l’archevêque de Paris au sujet de la dissolution de la Compagnie de Jésus. Une partie était déjà imprimée lorsque M. de Saint-Florentin est allé chez ce prélat de la part du roi, pour lui ordonner de remettre les imprimés et le manuscrit, avec défenses de rien imprimer à ce sujet, sous peine d’encourir l’indignation de Sa Majesté et d’être mis à Pierre-Encise. L’archevêque a obéi. Ce n’a pas été sans peine et sans réclamer les droits du sacerdoce. Il a depuis fait de nouvelles instances auprès du roi. Quoi qu’il en soit, on annonce deux exemplaires de cet ouvrage, qu’on assure très-bien fait comme littéraire.
Rousseau prenant toujours la nature pour maître,
Fut de l’humanité l’apôtre et le martyr ;
Les mortels qu’il voulait forcer à se connaître
S’étaient trop avilis pour ne pas l’en punir.
Pauvre, errant, fugitif et proscrit sur la terre,
Sa vie à ses écrits servit de commentaire.
La fière vérité dans ses hardis tableaux
Sut en dépit des grands montrer ce que nous sommes,
Il devait de nos jours trouver des échafauds ;
Il aura des autels quand il naîtra des hommes !
30. — On a donné aujourd’hui Turcaret. On remarque cet événement par rapport à la pièce de la Confiance trahie, supprimée avant-hier comme injurieuse aux financiers.
— M. Dorat se retranche sur les épîtres et les héroïdes. Il vient d’en faire une de Barnevelt, le Marchand de Londres. On sent de quel mauvais goût il est de mettre, en récit une pièce de cette espèce, un des plus beaux drames du théâtre anglais. Il cherche à s’excuser dans une préface, et il ne fait que montrer son tort dans un plus grand jour. Il y a beaucoup de vers dans cet ouvrage : quelques-uns sont pleins de sentiment.
31. — Il court un Noël très-piquant sur différens personnages de la cour.
Fit grand bruit à la cour :
Louis en diligence
Fut trouver Pompadour ;
Allons voir cet enfant, lui dit-il, ma mignonne.
Eh ! non, dit la marquise au roi,
Je ne vais voir personne. »
Cependant la nouvelle
Gagnant de tout côté,
Le fils de la Pucelle
De tous fut visité.
D’arriver des premiers un chacun se dépêche.
Le roi, la reine et leurs enfans,
S’en vont tous, chargés de présens,
L’adorer dans la crèche.
Les chanceliers de France,
Car il s’en trouva deux[6],
Pour droit de préséance
Eurent dispute entre eux :
C’est à moi, dit Maupeou, qu’est la chancellerie :
Qui pourrait me la disputer ?
On sait que j’ai pour l’acheter
Vendu ma compagnie.
Doué d’un esprit rare,
Mais mordant comme un chien,
Près des gens à simare
On aperçut d’Ayen :
Pourquoi donc, Messeigneurs, dit-il, entrer en lice ?
Grâce au conseil sage et prudent,
Entre vous deux tout incident
Est sauvé par un vice[7].
Rempli de son mérite,
Entrant le nez au vent,
Choiseul parut ensuite,
Et d’un ton turbulent,
Dit sans aucun égard : « Changeons cette cabane,
Je veux culbuter tout ici ;
Je réforme le bœuf aussi,
Et je conserve l’âne. »
En sa simple manière
Joseph dit à Praslin :
Défendez ma chaumière
Contre votre cousin.
Au moins de son projet que l’effet se retarde ;
Songez que je suis étranger,
Et que devant me protéger,
La chose vous regarde.
Praslin dit : Toute affaire
Est de l’hébreu pour moi ;
Ils m’ont au ministère
Mis sans savoir pourquoi.
Ainsi je n’y fais rien que porter la parole :
Le duc et sa sœur règlent tout ;
Mais d’elle vous viendrez à bout
Avec quelque pistole.
Ne se sentant pas d’aise,
Bertin dit en entrant :
Qu’on me donne une chaise,
Je veux bercer l’enfant.
Je suis ministre en pied, mais je n’ai rien à faire ;
Et pour occuper mon loisir,
Seigneur, je compte vous offrir
Mon petit ministère.
N’ayant de confiance
Qu’au poupon nouveau-né,
De L’Averdy s’avance
D’un air tout consterné,
Disant ; Puisque d’un mot vous levez tout obstacle,
Pour subvenir à nos besoins
Il me faut un miracle.
Courtisan sans bassesse,
Citoyen vertueux,
D’Estrée fendit la presse ?
Et dit au roi des cieux :
Veillez sur ma patrie, elle m’est toujours çhère :
Au conseil, sans ménager rien,
Tous mes avis tendent au bien,
Mais on ne les suit guère.
Nivernois prit sa place,
Apportant deux bouquets,
De lauriers du Parnasse,
D’olives de la Paix, ;
Puis d’un air gracieux à Jésus il les donne.
L’enfant dit : Je reçois ce don ;
Mais c’est pour orner votre front.
D’une double couronne.
Dans un coin de l’étable
Entendant du débat,
Quelque homme charitable
Vint mettre le holà.
C’était le Beaufremont, venu de sa province,
Pressant un page à Melchior[8],
Qui refusait cent louis d’or
De cet aimable prince.
En coudoyant la foule,
Le marquis de Puysieux
À grand’peine se coule
Auprès du fils de Dieu ;
Pour regarder l’Enfant ayant mis ses lunettes,
Pourtant la nouvelle n’est pas
Mise dans ma Gazette.
Richelieu, plein de grâce,
Apportait au poupon,
Des vers dignes d’Horace,
Et du miel de Mahon.
Enchanté de le voir, à l’entendre on s’arrête :
Mais voyant Marie, à l’instant
Il laisse là son compliment
Pour lui conter fleurette.
Lugeac, pour toute antienne,
Dit d’un ton impudent :
Faut à la prussienne
Élever cet enfant ;
Il aura, comme moi, le cœur impitoyable.
Joseph dit, en bouchant son nez :
Mon beau seigneur, quand vous parlez,
Vous infectez l’étable.
Écumant de colère
Lugeac vit en sortant
L’amour du militaire,
Monteynard et Brehan ;
Avec eux Talaru se tenait à l’entrée :
Approchez-vous, leur dît Jésus,
Vous serez toujours bien venus,
Ici comme à l’armée.
Un certain Surlaville,
Espèce de commis,
Se trouvant à la file,
D’un air bas et soumis,
Dit : Jésus, vous voilà dans un pauvre équipage ;
Mais je suis né plus indigent,
Jésus, prenez courage.
Un homme d’importance,
C’était monsieur Dubois,
Fort bouffi d’arrogance,
Dit en haussant la voix :
De ma visite ici, Seigneur, tenez-moi compte ;
Car à ma porte, plus d’un grand
Vient se morfondre en attendant,
Sans en rougir de honte.
Du fond de la masure
On voit dans le lointain
Une courte figure ;
C’était Saint-Florentin :
Il me fait, dit Joseph, une peur effroyable ;
Dans ses mains je vois un paquet ;
C’est quelque lettre de cachet
Pour sortir de l’étable.
Sur son abord sinistre
On ne se trompait pas ;
Je viens, dit le ministre,
Pour un très-fâcheux cas ;
La cour vous a donné l’Égypte pour retraite :
Au roi cet exil a déplu ;
Mais la marquise l’a voulu,
Sa volonté soit faite !
— Amusemens des Dames de Bruxelles. Les trois C… Je m’y attendais bien, histoire bavarde : par l’auteur du Colporteur. Ces trois ouvrages, qui sont autant de satires, n’ont pas moins de méchanceté que le Colporteur, mais ils attaquent des personnages moins connus, des espèces d’Allobroges ; ce qui émousse beaucoup le piquant de la satire. Le tout est terminé par des réflexions très-judicieuses sur les gens de lettres et dont ils devraient faire leur profit. On y fait valoir, comme de raison, la nécessité dont ils sont pour les grands et avec quelle facilité ils pourraient s’en passer.
— Dans la suite du Journal de ce qui s’est passé à Toulouse, on lit ces vers mémorables contre le duc de Fitz-James :
Fils indigne du sang qui t’a donné naissance,
Proscrit de ta patrie, adopté par la France,
Ministre détesté d’un monarque chéri,
Cesse de déchirer le sein qui t’a nourri,
Contre l’autorité du plus juste des princes,
Toi seul aurais déjà soulevé ses provinces,
Si du cœur des Français ta farouche fierté
Eût pu bannir le zèle et la fidélité.
Odieux étranger, apprends à te connaître.
Louis seul a le droit de leur parler en maître.
Dociles à sa voix, redoublant leurs efforts,
Ils prodiguent pour lui leur sang et leurs trésors.
Lorsque des publicains l’avidité cruelle
Impose sous son nom quelque charge nouvelle,
Père tendre, il permet la plainte à ses enfans,
Il écoute les cris des peuples gémissans ;
De sages magistrats, sans blesser sa puissance,
Des Français épuisés lui peignent l’indigence.
Sensible à leurs douleurs, attendri par leurs maux,
Il adoucit pour eux le fardeau des impôts.
Mais quand des vils flatteurs l’essaim qui l’environne
Ose à la vérité fermer l’accès du trône,
Quand la France aperçoit pour la première fois
L’appareil militaire à la place des lois,
Le soldat effréné d’une main téméraire
De Thémis profaner l’auguste sanctuaire,
Et mettre dans les fers par un lâche attentat
Les défenseurs du peuple et l’espoir de l’État :
Le plus soumis sujet, et s’indigne et s’enflamme
Contre les vils auteurs d’une coupable trame.
Tremble, ingrat ! le courroux d’un prince généreux
Sera le juste prix de tes exploits honteux :
Tu seras à jamais par ta fière imprudence
La fable de l’Europe et l’horreur de la France.
Le juste désespoir de ce peuple aux abois
Armera contre toi le bras du roi des rois.
Rappelle des Stuart la déplorable histoire ;
Vertueux, l’échafaud ne ternit pas leur gloire :
Barbare, ils t’ont tracé ce funeste chemin ;
Indigne de leur nom, redoute leur destin !
- ↑ V. septembre 1763. — R.
- ↑ Lettre aux auteurs du Mercure de France sur le Comte de Warwick, tragédie nouvelle en cinq actes et en vers, etc. ; 1763, in-12. Elle est signée Joubert. — R.
- ↑ Ses amis se trompent fort. Il me le dicta en le composant, et il fut fait en un jour et demi, vers la fin de novembre 1763. — W.
- ↑ Charles-Geneviève-Louise-Auguste-André-Timothée D’Éon de Beaumont, né à Tonnerre le 5 octobre 1738, mort à Londres le 21 mai 1810. Les aventures et les nombreux écrits de ce singulier personnage contribuèrent moins encore à sa célébrité que le voile mystérieux dont son véritable sexe fut si long-temps enveloppé. Comme tout devait être bizarre dans sa destinée, on a remarqué d’étranges contradictions sur les registres de la paroisse où il reçut le baptême ; on y lit : « né d’hier… a été baptisée par nous, » etc. — R.
- ↑ Il avait, selon Voltaire, estropié par ses énormes talens un enfant charmant de la première noblesse du royaume (le prince de Guéméné). Dans une lettre, en partie inédite, qu’il adressa le 16 mars 1765 à d’Alembert, Voltaire raconte le même fait en termes beaucoup plus énergiques, qu’aucun éditeur n’a encore osé reproduire. Le passage dont il s’agit et une note fort curieuse de Condorcet se trouveront dans l’excellente édition de M. Beuchot que publie en ce moment le libraire Lefèvre. — R.
- ↑ Lamoignon et Maupeou. Le premier était exilé. — R.
- ↑ V. 11 novembre 1763. — R.
- ↑ L’un des trois mages. — R.