Mémoires secrets et inédits pour servir à l’histoire contemporaine/Tome 1/1
PARMI cette foule de Mémoires qui sortent de la plume des contemporains, il serait assez difficile de faire un choix, si l’on ne s’en rapportait qu’au jugement de la critique quotidienne. N’est-elle pas toujours plus ou moins partiale, plus ou moins intéressée, soit au succès, soit à la non réussite de ces sortes de publications, selon qu’elles ont telle ou telle tendance ? Aussi est-ce le public qui prononce en dernier ressort, et il juge presque toujours sainement dans les matières historiques, où l’autorité des faits l’emporte sur les passions du moment. Le mérite des Mémoires contemporains consiste moins dans le talent qui préside à leur rédaction que dans la nature et l’importance des particularités qu’on y livre à la curiosité publique. De la clarté et un style facile suffisent à ce genre de composition, où les modernes semblent surpasser les anciens, si supérieurs dans le genre plus régulier de l’histoire grave.
Nul doute que les Mémoires historiques ne se prêtent aux écarts, qu’ils n’admettent des détails d’un intérêt purement local et personnel : tel est même leur caractère propre.
À chaque révolution politique, à chaque grande époque de l’histoire, les relations contemporaines se multiplient, et jettent un plus grand jour sur les événemens dont elles dévoilent les particularités ou les turpitudes ; elles en révèlent assez souvent les causes. Ainsi, les temps de la Ligue et de la Fronde, le règne si anecdotique de Louis XIV, et plus près de nous, le long drame de la révolution française, ont fait naître et font éclore chaque jour des Mémoires plus ou moins remarquables, soit par leur originalité, soit par leur importance.
Caustiques ou indulgens, justificatifs ou accusateurs, ils sont généralement en possession d’exciter la curiosité ou l’intérêt. Quoiqu’ils émanent presque toujours de l’esprit de parti, ou des préventions de l’orgueil, plus que du sentiment d’une vérité scrupuleuse, ils n’en sont pas moins les vrais arsenaux de l’histoire proprement dite. C’est à leur source qu’elle puise les traits qui la vivifient, les portraits qui l’animent, les couleurs qui l’embellissent, et les récits privés qui la rendent si attachante.
C’est donc uniquement dans l’intérêt de l’histoire que nous avons recueilli et mis en ordre les deux volumes des Mémoires secrets et inédits que nous présentons au public dans cette première livraison. Elle se compose de plusieurs Mémoires particuliers qui, par leur variété et la différence des caractères, épargneront aux lecteurs l’ennui qui pourrait résulter de trop d’uniformité et de monotonie. Le premier traite de l’expédition de Bonaparte en Égypte, et il a été écrit originairement par un témoin oculaire, par Jean-Gabriel de Niello-Sargy, attaché à l’état-major général. Cet officier, moissonné trop tôt sans doute, a retracé avec une grande candeur ce qu’il avait vu ou entendu dans le cours de cette expédition célèbre. Employé ensuite à une autre expédition, encore moins heureuse, celle de Saint-Domingue, il y a péri à la fleur de l’âge.
Le second tome se compose 1o de deux Mémoires sur l’expédition de Russie, en 1812 ; l’un par le comte de Beauvollier, attaché à l’intendance générale de l’armée ; et l’autre, par Jean Gazot, de Genève, attaché aux convois du grand quartier-général. Tous les deux témoins oculaires, ils envisagent l’expédition de Russie par Napoléon sous des rapports qui avaient échappé jusqu’ici aux investigations et à la curiosité des contemporains. 2o Viennent ensuite des Mémoires sur l’exil et les infortunes des princes de la Maison royale, tirés du journal et des papiers du vicomte d’H***, maréchal-de-camp, aide-de-camp de Louis XVIII. Ceux-ci offrent également des particularités curieuses et attachantes. Ils sont suivis d’une relation circonstanciée de la guerre civile du bas Anjou et de la haute Bretagne, et notamment des différentes missions royalistes de madame la vicomtesse Turpin de Crissé, pour concilier à cette époque les partis armés. La relation particulière de l’enlèvement du sénateur Clément-de-Ris, en 1801, termine cette livraison des Mémoires inédits. Ils sont précédés, la plupart, d’introductions historiques, ou de notices biographiques, selon que le réclamait la nature du sujet, ou la position des personnes à qui nous sommes redevables de ces souvenirs contemporains, que nous mettons avec confiance sous les yeux du public.