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Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette/Tome 1/15

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ÉCLAIRCISSEMENS HISTORIQUES

ET PIÈCES OFFICIELLES.

Note (A), page 34.


Le duc d’Aiguillon, petit-neveu du cardinal de Richelieu, était l’ami intime du dauphin ; et ce que ce prince ne pouvait que penser, à cause de la discrétion nécessaire à l’héritier de la couronne, le duc d’Aiguillon l’exécutait. Choiseul, au contraire, né Lorrain, et fils d’un ambassadeur de l’époux de Marie-Thérèse, étranger à la France, sujet et parent de l’empereur, était tout dévoué aux intérêts de la cour de Vienne, fort de la puissance de madame de Pompadour que l’impératrice avait enivrée de gloire et de vanité, en lui donnant le titre de ma cousine et des cadeaux analogues ; appuyé du crédit des parlemens dont il se disait le protecteur, ennemi déclaré des jésuites, depuis qu’il avait manifesté sa haine à leur général, à Rome.

Ces circonstances et sa vanité singulière le rendaient peu soucieux de faire sa cour au dauphin qui professait, sur l’autorité du roi envers les parlemens, et sur la politique française à l’égard de la maison d’Autriche, des principes absolument opposés. Audacieux et vain, cependant réfléchi et profond, avec beaucoup de suite et de ténacité dans ses plans, il avait toutes les qualités requises, dans un temps où le roi paraissait maîtrisé par la crainte, pour devenir en France, très-impunément, le premier commis de la cour de Vienne ; pour resserrer les nœuds de l’alliance de 1756, éloigner l’abbé de Bernis d’un ministère où il n’avait pas assez fait pour la cour de Vienne, et détruire, à tout prix, les obstacles qui s’élèveraient à ses plans. Né avec une fortune au-dessous de la médiocre, et ayant peu à perdre, son système lui offrait la perspective de cette pompe et de cette puissance que nous lui avons vues. Pour s’y élever et s’y maintenir, il avait dans la légation de Vienne, dans madame de Grammont, sa sœur, femme profonde et hardie, et dans la favorite du roi, un conseil pourvu de moyens assez puissans pour arriver à ses fins.

Le duc d’Aiguillon, son ennemi, avait des principes bien différens. Toujours appuyé en secret du dauphin, pour toutes les oppositions contre la nouvelle politique, héritier des maximes de Richelieu, son grand-oncle, qui avait établi en France le despotisme, et qui était le fondateur de la haine des Bourbons contre la maison d’Autriche, il était peu capable d’administrer les affaires d’État, autrement qu’en suivant le système du gouvernement militaire : ami du dauphin, il gémissait chaque jour avec lui, mais en silence, de l’alliance autrichienne ; il aimait les jésuites, il était l’ennemi secret des parlemens qui montraient une plus grande inclination pour la liberté. Il haïssait les philosophes novateurs, et il formait un parti puissant à la tête des jésuites de St.-Sulpice et des dévots de la cour. Le parti de Choiseul avait tout à craindre ; le parti d’Aiguillon avait tout à espérer d’un changement de règne et de l’avénement du dauphin à la couronne. Tels étaient les deux personnages et les deux systèmes contradictoires du gouvernement, qui agitèrent la France vers la fin du règne de Louis XV.

D’un côté, le duc de Choiseul, avec son alliance autrichienne, ses jansénistes, ses parlemens et ses philosophes, attaque les jésuites dans l’intérieur, et sacrifie au-dehors la gloire et la prépondérance de la France, aux intérêts et à la vanité de la maison d’Autriche. D’un autre côté, le duc d’Aiguillon, s’unissant aux jésuites, soit pour les sauver, soit pour les rétablir après leur chute, travaille avec eux à la ruine du parlement et à l’établissement de l’autorité absolue. En donnant des fers à la nation, d’Aiguillon voulait retirer les puissances secondaires, amies de la France, de la gêne où les tenait la monstrueuse union des grandes puissances, la France, la Russie et l’Autriche. Le duc de Choiseul, en formant cette union, préparait de loin des fers à la Pologne, à la Prusse et à la Turquie. Ainsi, le duc de Choiseul, par ses principes, devenait le tyran des puissances subalternes, terrorisées par la grande alliance, et il favorisait la liberté dans l’intérieur de la France, tandis que d’Aiguillon tendait à soulager les puissances secondaires, et à tyranniser l’intérieur ; et c’est ainsi qu’avec des Choiseul, des Grammont et des Pompadour, le duc de Choiseul anéantit le système des Henri IV, des Richelieu, des Davaux, des Mazarin, des Louis XIV, des Servien, des Belle-Isle, et même du cardinal de Fleury qui fit deux fois la guerre à la maison d’Autriche, et lui enleva, soit de vive force, soit par négociation, le royaume de Naples et des Deux-Siciles, la Lorraine et le Barrois. C’est ainsi que d’Aiguillon, d’un autre côté travaillait à consolider le despotisme que son grand-oncle avait établi dans l’intérieur. (Mém. hist. et polit. du règne de Louis XVI, par Soulavie ; tom. I.)


Note (B), page 48.

« Quelque temps avant le départ de l’ambassadeur, il m’arriva (dit l’abbé Georgel) une aventure devenue la source des plus importantes découvertes, et dont les suites heureuses ont été un des plus grands services rendus par l’ambassade du prince Louis de Rohan.

» En rentrant un soir à l’hôtel, le suisse me remit un billet bien cacheté à mon adresse, et je lus en toutes lettres : Trouvez-vous ce soir, entre onze heures et minuit, à tel lieu sur le rempart, on vous y révélera des choses de la plus haute importance… Un billet anonyme ainsi conçu, avec toutes les formes du mystère, l’heure indue de ce rendez-vous, tout pouvait paraître dangereux et suspect. Mais je ne me connaissais point d’ennemis, et ne voulant pas avoir à me reprocher d’avoir manqué une occasion peut-être unique pour le bien du service du roi, je me décidai à me trouver au lieu désigné. Cependant, à tout événement, je pris des précautions de prudence, en plaçant à une certaine distance, et sans pouvoir être vues, deux personnes sûres qui pourraient voler à mon secours à un cri convenu. Je trouvai au rendez-vous un homme en manteau et masqué. Il me remit des papiers à voix basse et contrefaite… « Vous m’avez inspiré de la confiance ; je veux, en conséquence, concourir au succès de l’ambassade de M. le prince de Rohan. Ces papiers vous diront les services essentiels que je puis vous rendre. Si vous les agréez, revenez demain à la même heure (à tel autre endroit ; il l’indiqua), et apportez-moi mille ducats. » Rentré à l’hôtel de France, je m’empressai d’examiner les papiers qui venaient de m’être remis. Leur contenu me causa la plus agréable surprise. Je vis que nous avions le pouvoir de nous procurer deux fois la semaine toutes les découvertes du cabinet secret de Vienne, le mieux servi de l’Europe. Ce cabinet secret avait, au dernier degré, l’art de déchiffrer en peu de temps les dépêches des ambassadeurs et des cours qui correspondaient avec sa cour. J’en eus la preuve par le déchiffrement de nos propres dépêches et de celles de notre cour, même celles qui étaient écrites avec le chiffre le plus compliqué et le plus récent ; que ce cabinet avait trouvé le moyen de se procurer les dépêches de plusieurs cours de l’Europe, de leurs envoyés et de leurs agens, par l’infidélité et l’audace des directeurs et maîtres de poste des frontières, soudoyés. À cet effet, on m’avait remis des copies de dépêches du comte de Vergennes, notre ambassadeur à Stockholm ; du marquis de Pons à Berlin ; des dépêches secrètes du roi de Prusse à ses agens secrets à Vienne et à Paris, agens auxquels seuls il confiait la vraie marche de sa politique, et dont la mission était entièrement ignorée de ses envoyés en titre. Ce même cabinet avait découvert la correspondance très-secrète de la politique privée de Louis XV, correspondance parfaitement ignorée de son conseil, et surtout de son ministre des affaires étrangères. Le comte de Broglie, qui avait succédé au feu prince de Conti, était le ministre privé, et surtout très-caché d’une diplomatie aussi extraordinaire. Il avait pour secrétaire M. Favier auquel ses ouvrages diplomatiques ont fait une réputation, et enfin M. Dumouriez, élève de Favier. Le mystère de cette politique n’était pas confié à tous nos ambassadeurs. Quelquefois c’était le secrétaire d’ambassade ou tout autre Français, qui, voyageant sous différens prétextes, était trouvé propre à jouer ce rôle. Le comte de Broglie ne confiait le fil de ce labyrinthe qu’à des personnes dont il avait éprouvé l’attachement et la discrétion. Une confiance si marquée et des rapports si intimes avec le roi qui gratifiait lui-même sur sa cassette ce travail mystérieux, ne pouvaient que flatter ceux qui s’en trouvaient honorés. Le comte de Broglie, ennemi de la maison de Rohan, s’était bien gardé d’initier le prince Louis de Rohan ou moi dans une semblable correspondance. Sa défiance était apparemment bien motivée, et je ne veux pas l’en blâmer. Au nombre des papiers qui me furent remis au rendez-vous nocturne, se trouvait la correspondance déchiffrée du comte de Broglie avec le comte de Vergennes, notre ambassadeur à Stockholm. Muni de ces pièces et des preuves indubitables qui m’en assuraient l’authenticité, je me rendis sans délai et avec la plus grande vitesse chez l’ambassadeur pour lui en rendre compte. J’étalai devant lui les échantillons du trésor politique où nous pouvions puiser. Le prince en sentit d’autant mieux le prix, pour lui personnellement, que cette grande découverte devait nécessairement effacer les impressions fâcheuses que le duc d’Aiguillon n’avait pas manqué de faire sur l’esprit du roi en cherchant à lui persuader que le prince Louis, trop léger et trop occupé de ses plaisirs, n’avait point à Vienne la surveillance qu’exigeait le bien du service. Cet événement lui fit reprendre toute la sérénité qu’avait altérée la persécution sourde et continuelle de ce ministre acariâtre et haineux. Il envisagea le nouveau rôle qu’il allait jouer comme une voie certaine pour arriver à la considération que devaient lui assurer sa conduite et son travail.

» Je reparus le lendemain au rendez-vous de l’homme masqué. Je lui donnai les mille ducats : il me remit d’autres papiers dont l’intérêt allait toujours croissant, et pendant tout le temps de mon séjour à Vienne, il a gardé sa parole. Les rendez-vous avaient lieu deux fois la semaine, et toujours vers minuit. M. l’ambassadeur jugea sagement que le travail relatif à cette découverte devait être concentré entre lui et moi avec un ancien secrétaire dont nous connaissions la discrétion à toute épreuve. Le secrétaire copiait pour la cour les papiers de l’homme masqué à qui il fallait les rendre.

» Un courrier extraordinaire fut sur-le-champ expédié à Versailles pour y porter les prémices du trésor découvert. Il eut ordre de ne coucher nulle part, et de porter sur lui jusqu’à sa destination le paquet particulier des dépêches secrètes. Cet envoi contenait deux paquets ; l’un adressé au roi, sous seconde enveloppe, par l’entremise du prince de Soubise, ministre d’État, ami de Louis XV, et cousin de l’ambassadeur. Le prince de Soubise devait le remettre à Sa Majesté elle-même sans intermédiaire. On suppliait le roi de vouloir bien faire passer ses ordres en conséquence par ce même canal, à l’abri de toute indiscrétion. Ce premier paquet contenait les preuves de la correspondance mystérieuse du comte de Broglie, autorisée par Sa Majesté. On assurait Louis XV que, dans l’envoi des autres découvertes, adressé au duc d’Aiguillon, on avait pris les précautions les plus sévères, afin que ce ministre ne pût avoir aucun indice de la correspondance privée dont le roi avait jugé à propos de lui dérober la connaissance. Le second paquet secret fut adressé directement au ministre. C’était la copie des dépêches prussiennes interceptées, ainsi que d’autres dépêches particulières du ministère autrichien à l’ambassadeur impérial à Paris. Dans ces dernières on traçait au comte de Mercy la conduite publique ou secrète qu’il devait tenir dans telle ou telle circonstance, soit à l’égard du roi, soit à l’égard de madame la dauphine et de notre ministère. Une lettre séparée rendait compte de la manière dont s’était faite cette révélation : cette lettre informait le ministre que j’en étais l’agent intermédiaire. Le retour de notre courrier fut prompt. Je dois déclarer ici la vérité et rendre une justice entière au duc d’Aiguillon. Le prince de Soubise manda à son cousin comment ce ministre s’était expliqué au conseil de la manière la plus énergique et la plus flatteuse sur l’importance de cette découverte et sur le service signalé rendu par l’ambassadeur à l’État. La dépêche officielle de M. d’Aiguillon, et une lettre de sa main, dont j’ai l’original, s’expriment en des termes qui semblent effacer jusqu’aux moindres traces du froid et de l’aigreur jusqu’alors manifestés.

« Je partage avec sensibilité, disait-il, et la satisfaction que le roi a de vos services, et la gloire que cette découverte fait rejaillir sur votre mission. » Il est ensuite recommandé à l’ambassadeur de conserver, à tout prix, le fil de cette secrète et importante relation. Carte blanche lui est donnée, ainsi qu’à moi, pour les sommes que nous jugerions utiles et nécessaires à cette conservation.

» Le roi, qui avait mis le prince de Soubise dans le secret de sa politique privée, lui avoua que notre découverte avait jeté l’alarme parmi les premiers agens de ce ministère secret. Le comte de Broglie surtout en était très-alarmé. Il craignait, d’après le caractère connu de Louis XV, tous les inconvéniens qui pourraient en résulter, si le duc d’Aiguillon venait à percer ce voile jusqu’alors impénétrable à ses yeux. Sa Majesté le rassura en lui disant les précautions prises et l’ordre formel donné de sa part au prince Louis, pour garder sur cet objet le secret le plus inviolable. Cet ordre fut en effet transmis par le prince de Soubise avec les témoignages les plus flatteurs et les plus honorables de la satisfaction et de la bienveillance du roi.

» Depuis cette découverte, tous les quinze jours un courrier extraordinaire partait pour les nouveaux envois avec les mêmes formes et les mêmes précautions. L’absence et les voyages de l’ambassadeur, et même son retour, n’interrompirent point, pendant un an que je restai seul chargé des affaires du roi, et n’apportèrent point d’obstacles au départ de courriers si intéressans. L’homme masqué semblait même redoubler de zèle à chaque rendez-vous. »


Note (C), page 48.

« À une grande défiance de ses propres forces, dit l’abbé Georgel, à un abandon total de volonté dans les affaires du gouvernement de son royaume, Louis XV joignait une excessive curiosité de connaître le secret des intrigues de sa cour, les propos de Paris, la vie privée de ses ministres, et leur conduite dans les relations de leur ministère. Indépendamment du lieutenant de police, il avait à Versailles et à Paris des agens secrets. Laroche, un de ses valets de chambre, était l’intermédiaire de cette inquisition clandestine : l’intendant de la poste aux lettres, Jeannet, et, après lui, le baron d’Ogny, avaient, tous les dimanches, un travail avec Sa Majesté, pour lui rendre compte de ce qu’ils avaient découvert par l’ouverture des lettres. Ces deux hommes de confiance intime faisaient des extraits, pour le roi, des lettres qu’ils jugeaient à propos de décacheter. Les ministres eux-mêmes étaient soumis à cette inconcevable inquisition. On sent tout le danger d’un pareil ministère, quand, ou l’animosité, ou l’intérêt personnel, ou enfin des considérations particulières, dirigeaient de tels extraits. Vingt commis, inconnus à l’administration, étaient, nuit et jour, secrètement occupés à intercepter les lettres et à faire les extraits. C’est par ce moyen que Louis XV découvrit la correspondance du comte d’Argenson avec une de ses maîtresses favorites, et dans laquelle ce ministre, si favorisé de son maître, s’exprimait, avec peu de retenue et de respect, sur le caractère du roi. Sa disgrâce subite et inattendue suivit de près la violation du secret des lettres.

» Par une suite de son caractère défiant et curieux, ce monarque s’était aussi ménagé, près des cours de l’Europe, un ministère secret, absolument ignoré du ministre des affaires étrangères. Le roi, pour qui ce mystère était une véritable jouissance, voulait, de cette manière, juger la conduite de son ministre dans les différentes cours, et comparer les rapports que celui-ci faisait avec ceux que lui transmettait son ministère secret : les agens et les correspondans de cette ténébreuse politique étaient soudoyés par le roi lui-même sur sa cassette particulière. Ils étaient du choix du ministre secret qui travaillait directement avec Sa Majesté, et lui répondait de la discrétion des personnes à qui, par son intermédiaire, ses instructions étaient confiées. Le voile le plus épais couvrait cette obscure diplomatie. Le ministre secret arrivait chez le roi, par des détours connus du valet de chambre de confiance qui l’introduisait, aux jours et heures convenus.

» On donnait, pour cette correspondance, la préférence, soit à un ambassadeur, soit à un secrétaire, quand on avait la certitude de leur discrétion ; mais si l’on croyait leur en devoir dérober à tous deux la connaissance, on prenait des mesures pour faire arriver et séjourner près d’eux les suppôts de cette ligue anti-ministérielle. C’est ainsi que, pendant l’ambassade du prince de Rohan, le comte de Broglie fit voyager en Allemagne le jeune comte de Guibert, qui, sous divers prétextes, fit de longs séjours à Vienne.

» Dans les recherches que j’ai été à portée de faire sur cette étrange politique de Louis XV, il m’a été assuré, par des personnes bien instruites, qu’elle lui avait été suggérée par le vieil abbé de Broglie, oncle du maréchal et du comte. »

À ces renseignemens curieux, il faut joindre ceux que donne l’abbé Soulavie sur le ministère secret de Louis XV, sur l’espionnage des cours et la violation du secret des lettres. Par ce qu’on vient de lire, on reconnaîtra que l’abbé Soulavie était souvent bien instruit, et quelquefois véridique : les deux témoignages se prêtent un appui mutuel.

« La maison d’Autriche était parvenue à se procurer la communication de nos dépêches politiques du nord et du midi ; mais le prince Louis de Rohan, notre ambassadeur, habile dans le secret des ruelles, avait réussi de même à se procurer des copies des lettres intimes de l’empereur au roi de Prusse et de celles du prince de Kaunitz au comte de Mercy, ambassadeur de Marie-Thérèse à Versailles. Les deux cours dépensaient des sommes prodigieuses, non pour se rapprocher, vers la fin du règne du feu roi, mais pour s’épier, se sonder, se connaître, surtout relativement aux affaires de Pologne.

» Le prince Louis, depuis cardinal de Rohan, était parvenu, à cet égard, à des découvertes importantes. Il avait fait passer à sa cour les pièces secrètes relatives aux entrevues de Frédéric et de Joseph II à Neiss et Neustadt, en se procurant, à prix d’argent, des intelligences directes dans sa chancellerie. Le prince de Kaunitz qui en entretenait lui-même à Versailles, dans notre cabinet, parvint jusqu’à la source de la trahison de ses bureaux, et fit noyer un commis dans le Danube. Le prince Louis, sans s’en étonner, en gagna d’autres dans les bureaux du prince de Kaunitz et jusque dans l’intérieur des appartemens de l’impératrice et de son fils. Il apprit que l’Autriche allait s’unir à la Russie contre la Porte et la France, et eut le bonheur de prévenir ces désastres que l’Autriche pouvait préparer à notre alliée. Le prince Louis réussit à intercepter les lettres de Kaunitz au comte de Mercy, ambassadeur autrichien en France ; il apprit par-là que la cour de Vienne s’était procuré des copies des dépêches du prince de Rohan au duc d’Aiguillon. Le comte de Mercy payait à la cour auprès de Louis XV, et dans les bureaux du duc d’Aiguillon, des traîtres qui préféraient les récompenses pécuniaires du comte de Kaunitz à la satisfaction sentimentale qu’éprouve un bon Français dans sa fidélité. Louis XV, indigné, ordonna à chacun de ses ministres, séparément, de lui faire connaître par écrit leurs soupçons, pour parvenir à dévoiler ce courtisan autrichien.

» Le prince Louis, de son côté, se procura des copies de la correspondance du prince de Kaunitz avec l’ambassadeur autrichien à Pétersbourg. La politique de la maison d’Autriche avec Catherine II y était encore mise au jour. Le comte de Mercy, qui eut communication de ces pièces envoyées par Rohan à Louis XV, en avertit Marie-Thérèse ; et Rohan avertit sa cour que le prince de Kaunitz, dépaysé, avait porté la précaution au point de faire changer les serrures de son cabinet, ne confiant qu’à son secrétaire exclusivement le dépôt des dépêches les plus sérieuses. Ces anecdotes diplomatiques démontrent les défiances et les sollicitudes des deux cours de Vienne et de Versailles, pendant le ministère du duc d’Aiguillon, et motivent le courroux ultérieur de Marie-Antoinette contre lui, quand elle fut devenue reine de France.

» Le 10 janvier 1774, le prince Louis avertit la cour que le prince de Kaunitz était parvenu à acheter les chiffres de sa correspondance avec le roi et avec nos ambassadeurs à Constantinople, Stockholm, Dantzick, Pétersbourg. Il fit plus : il prouva à Louis XV que la cour de Vienne avait le déchiffrement de toutes les dépêches entre le duc d’Aiguillon et les ministres de toutes les cours de l’Europe. Pour le prouver, il envoya, par extrait, des copies des lettres du duc d’Aiguillon à Berlin, à Munich, à Dresde, à Pétersbourg. Il apprit que les bureaux d’interception étaient à Liège, à Bruxelles, à Francfort, à Ratisbonne, et que le mécanisme de nos chiffres était tel aujourd’hui, que les déchiffreurs autrichiens parvenaient, sans beaucoup de difficulté, à mettre au net nos dépêches. « De mon cabinet, disait le prince Louis, je lis toutes les correspondances dont je viens de parler ; j’apprends les secrets que les ministres croient devoir me taire dans les lettres qu’ils m’écrivent. C’est là que j’ai connu et révélé dans une lettre secrète, remise au roi par le prince de Soubise, que le comte de Broglie avait, par l’autorisation même de Sa Majesté, continué pendant son exil sa correspondance secrète et particulière avec M. Durand à Pétersbourg, et avec d’autres ministres. À cette lettre étaient joints les chiffres dont on se servait… Depuis ces connaissances, heureusement acquises et communiquées avec empressement à notre ministère, je n’ai cessé d’insister sur la nécessité d’un changement de chiffres ; je suis toujours sans moyens sûrs pour les avis secrets que j’avais à transmettre à Constantinople, Stockholm et Pétersbourg. Toutes les dépêches du prince de Kaunitz, toutes celles des princes étrangers interceptées, passent par ce qu’on appelle ici le cabinet des déchiffreurs. Le baron de Pichler en est le directeur. Il travaille seul avec l’impératrice, et ne rend compte qu’à elle. Ce directeur lui remet cinq copies, une pour l’empereur, une pour le grand-duc de Toscane, successeur éventuel de la monarchie autrichienne ; une à Bruxelles, au prince de Stharemberg, désigné pour remplacer le prince de Kaunitz, et une au comte de Rosemberg, homme de confiance. Chacun renvoie ces copies à l’impératrice, avec des observations à mi-marge ; et c’est de ces observations combinées ou discutées, que se forment les projets et les résolutions. L’impératrice fait quelquefois ajouter ou retrancher, dans les dépêches interceptées, lorsqu’elle veut faire parvenir à l’empereur des conseils ou des avis dont elle ne voudrait pas paraître l’auteur. » (Mém. hist. et polit. du règne de Louis XVI, par Soulavie ; tom. III.)


Note (D), page 67.

Cette notice de personnages de la cour décèle l’esprit de parti que l’impératrice alimentait en France. Elle avait chargé le comte de Mercy d’en avoir soin : elle indiquait, sans exception, tous les Lorrains nés dans une province qui avait été le berceau de son mari, François Ier, et dans laquelle la maison d’Autriche conservait soigneusement un parti qui n’oublia jamais ses anciens souverains. C’était, dans la politique de la maison d’Autriche, une pierre d’attente. L’attachement, sans trop d’impegno, est digne des formes délicates d’une femme habile, qui savait nuancer et couvrir ses sentimens. Le duc de Choiseul, avec raison, est à la tête de la liste ; il était le chef du parti lorrain et autrichien ; il l’avait le premier organisé en France. Les Montazet étaient vendus totalement à ce parti, au point que depuis, l’abbé de Montazet fut archevêque de Lyon par la protection du duc de Choiseul, pour ses opinions jansénistes et pour l’esprit de persécution qu’il manifesta contre les sulpiciens, et en général contre le parti des jésuites.

Quant au comte de Broglie, l’impératrice aura été bien trompée par cet adroit politique. Il était chef de la fameuse correspondance secrète qui ne cessa de travailler contre les intérêts de Marie-Thérèse, en traversant, en secret, l’alliance autrichienne de 1756.

Le comte de Broglie n’était pas homme à vendre son secret et sa patrie. Il fut même persécuté par le prince de Kaunitz : la recommandation du comte de Broglie est donc le résultat de ces incompréhensibles conduites de plusieurs diplomates habiles dans l’art de contrefaire leurs principes, lorsqu’ils en ont, ou d’en professer une grande variété, suivant les circonstances. Le profond secret qui fut sans cesse gardé par les agens de la correspondance secrète, sous le comte de Broglie, invite à croire qu’il était du nombre des premiers. (Mém. hist. et polit. du règne de Louis XVI, par Soulavie.)


Note (E), page 69.

L’abbé Georgel, secrétaire d’ambassade à Vienne, homme habile, dont nous avons déjà parlé, page 68 de ce volume, raconte en ces mots, dans ses Mémoires, le rappel du cardinal. Son récit confirme, en quelques parties, celui de madame Campan. Rien n’éclaire plus l’histoire que cette concordance de témoignages différens.

« Au départ du prince Louis de Rohan pour Compiègne où le nouveau roi tenait sa cour, je restai à Vienne, chargé des affaires de France près le ministère autrichien. Je reçus en conséquence des instructions pour continuer les négociations, comme chargé de la correspondance politique avec notre ministère et l’ambassadeur du roi à Constantinople. Le prince Louis de Rohan apprit, à son arrivée, les plaintes de Marie-Thérèse, et les démarches déjà faites en son nom par Marie-Antoinette pour son rappel. Il eut une audience du roi : elle fut courte et ne dut pas le satisfaire. Louis XVI l’écouta quelques minutes, et lui dit ensuite brusquement : « Je vous ferai bientôt savoir mes volontés. »

» Jamais il ne put obtenir une audience de la reine, et, sans vouloir le recevoir, elle lui fit demander la lettre que lui avait remise pour elle sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse. Ses parens ne lui dissimulèrent pas que les préventions du roi et de la reine contre lui étaient très-fortes. Ils lui conseillèrent de ne point faire de tentatives pour son retour à Vienne ; qu’elles seraient à pure perte, et ne pourraient donner que plus de publicité à sa défaveur. Le nouveau ministre des affaires étrangères était encore à Stockholm, et celui qui avait l’interim n’avait pas assez de crédit pour appuyer avec succès la demande du retour à Vienne du prince Louis, qui se trouva dans cet état de perplexité et d’incertitude pendant plus de deux mois, et qui croyait son honneur intéressé à retourner à son ambassade. Il crut devoir écrire au roi une lettre où il lui retraçait sa situation avec des couleurs faites pour intéresser la justice et la sensibilité du monarque. Cette lettre demeura sans réponse : seulement Louis XVI dit à madame la comtesse de Marsan, cousine de l’ambassadeur, que l’ambassade de Vienne était destinée à un homme désiré par l’impératrice et désigné par la reine, qu’il n’avait pu refuser. Bientôt on apprit que cet homme était le baron de Breteuil. À cette nouvelle, le prince Louis ne put plus douter de sa disgrâce complète et des désagrémens qu’il aurait à essuyer sous le nouveau règne. »


Note (F), page 77.

L’archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, ardent apôtre des fréquentes communions, était arrivé de Paris dans l’intention de solliciter, en public, l’administration du roi, et de la retarder autant qu’il le pourrait secrètement ; cette cérémonie ne pouvait avoir lieu sans l’expulsion éclatante et antérieure de la concubine, suivant les canons de l’Église et le parti jésuitique dont Christophe était le chef : ce parti, qui s’était servi de madame Du Barry pour anéantir les parlemens, pour soutenir le duc d’Aiguillon, et pour ruiner la faction des Choiseul, ne consentait pas volontiers à la déshonorer canoniquement, après des services aussi éclatans. L’archevêque de Paris avait toujours dit très-haut, dans tous les temps, qu’elle avait rendu à la religion les plus signalés services[1]. À ce parti moliniste, se joignaient les ducs de Richelieu, de Fronsac et d’Aiguillon, Bertin, Maupeou et Terray. Madame Du Barry étant leur appui auprès du roi faible et pusillanime, ils devaient la défendre, prévenir un affront et les vengeances qu’avait méditées en pareil cas la duchesse de Châteauroux, en 1745.

Le parti opposé, celui des Choiseul, qui se montrait partout, brûlait, au contraire, d’accélérer une cérémonie religieuse qui devait faire rentrer dans le néant une favorite qui avait expulsé de la cour leur chef, le duc de Choiseul. Il était plaisant de voir le parti de celui-ci, qui fut en France le fléau de la religion, l’appeler à son secours, pendant la maladie du roi, pour se venger de madame Du Barry, tandis qu’on voyait le parti contraire, celui de l’archevêque et des dévots, se réunir pour empêcher la communion de Louis XV. Ils agitaient et trafiquaient de sang-froid, en ce moment, de la conscience et des remords du roi, me dit le cardinal de Luynes.

Il s’engagea donc une espèce de rixe à la cour. On mit en question : Si le roi devait ou ne devait pas être sur-le-champ administré. Faut-il, disait le maréchal de Richelieu, faut-il laisser renvoyer madame Du Barry avec ignominie, et pouvons-nous oublier ses services et nous exposer aux vengeances de son retour ? Ou bien devons-nous attendre l’état désespéré du malade pour effectuer un simple départ et procéder, sans bruit et sans éclat, à une simple administration de sacremens ? Telle était l’émotion et tel était l’état des esprits de la cour, lorsque, le 1er mai, l’archevêque de Paris se présenta pour la première fois au roi malade, à onze heures et demie du matin. Il était à peine à la porte de l’antichambre du roi, que le maréchal de Richelieu vient à sa rencontre et le conjure de ne pas faire mourir le roi par une proposition théologique [2] qui faisait périr tant de malades. « Mais si vous êtes si curieux d’entendre des péchés jolis et mignons, disait-il au prélat, mettez-vous là, Monsieur l’archevêque, je me confesserai et vous en apprendrai de tels que vous n’en avez jamais entendu de pareils depuis que vous êtes archevêque de Paris. Que si vous voulez absolument confesser le roi, et renouveler ici les scènes de M. l’évêque de Soissons à Metz, si vous voulez congédier madame Du Barry avec éclat, réfléchissez sur les suites et sur vos propres intérêts. Vous opérez le triomphe du duc de Choiseul, votre cruel ennemi, dont madame Du Barry a tant contribué à vous délivrer, et vous persécutez votre amie au profit de votre ennemi. Oui, Monsieur, je vous le répète, votre amie ; et elle est si bien votre amie qu’elle m’a dit hier : Que M. l’archevêque nous laisse, il aura sa calotte de cardinal ; c’est moi qui m’en charge et qui en réponds. »

L’archevêque de Paris comprit facilement que l’affaire des sacremens souffrirait de grandes oppositions. Il se trouva avec madame Adélaïde dans la chambre du roi, avec le duc d’Aumont, l’évêque de Senlis et le maréchal de Richelieu, avec lesquels l’archevêque résolut de ne point parler ce jour-là de confession. Cette circonspection satisfit tellement Louis XV, qu’à la sortie de l’archevêque il fit rappeler madame Du Barry dont il baisa encore les belles mains avec attendrissement.

Le 2 mai, le roi se trouva un peu mieux. Madame Du Barry lui avait donné deux médecins affidés, Lorry et Bordeu, chargés de lui cacher la nature de sa maladie et de lui taire sa situation réelle, pour écarter les prêtres et prévenir un congé humiliant. Le meilleur état du roi permit à madame Du Barry de reprendre avec lui ses airs libres, et de le divertir avec ses gentillesses et ses propos accoutumés. Mais La Martinière, qui était du parti des Choiseul, La Martinière à qui on n’avait osé refuser ses entrées, et qui se sentait offensé de la confiance accordée à Lorry et à Bordeu, ne cacha point au roi la nature ni le danger de sa maladie. Il répondit à ses demandes sur la nature des pustules qui se multipliaient de toutes parts d’une manière effrayante : « Sire, ces boutons sont trois jours à se former, trois jours à suppurer et trois jours à sécher. » Le roi, qui n’avait pas oublié qu’il avait eu la petite vérole, convaincu de la gravité de la maladie, fit appeler madame Du Barry et lui dit : « Ma mie, j’ai la petite vérole, et mon mal est très-dangereux à cause de mon âge et de mes autres maladies. Je ne dois pas oublier que je suis le roi très-chrétien et le fils aîné de l’Église. J’ai soixante-quatre ans ; le temps approche où il faudra peut-être nous séparer. Je veux prévenir une scène semblable à celle de Metz. Avertissez le duc d’Aiguillon de ce que je vous dis, afin qu’il s’arrange avec vous, si ma maladie empire, pour nous séparer sans éclat. »

Les jansénistes et le parti du duc de Choiseul triomphaient de la nullité de l’archevêque. On les entendait dire hautement, dans les compagnies, que M. d’Aiguillon et M. l’archevêque de Paris avaient résolu de laisser mourir le roi sans sacremens, pour ne pas déranger madame Du Barry. Beaumont, tourmenté par leurs critiques, prit le parti d’aller s’établir à Versailles dans sa maison des Lazaristes, pour en imposer au public, profiter du dernier moment du roi et sacrifier madame Du Barry, lorsque le roi serait dans un état désespéré. Il arriva le 3 mai à Versailles, mais sans voir le roi. Ce prélat n’avait plus cette impétuosité de zèle que nous lui avons connue, ni son ancien ton de mépris de toute politesse et des formes les plus usitées de la bonne société, lorsqu’il s’agissait de remplir ses devoirs. Il n’avait pour but que de soumettre dans ces circonstances les ennemis de son parti, et de soutenir jusqu’à la dernière extrémité la favorite qui lui avait servi à les dompter.

Un zèle contraire animait l’évêque de Carcassonne, aux prises avec le cardinal de La Roche-Aymon. Un esprit de complaisance avait élevé celui-ci à ses dignités et à ses places à la cour. Moins religieux que courtisan, il pensait, avec les Richelieu et la maîtresse, qu’on ne devait pas effrayer le monarque par aucun propos relatif à l’administration des sacremens. Il disait, comme eux, que la seule annonce des sacremens pouvait faire sur l’esprit du roi des impressions très-dangereuses. L’évêque de Carcassonne (le second Fitz-James, évêque de Soissons, qui avait joué le même rôle à Metz) voulait au contraire « que le roi fût administré, la concubine expulsée, et que le roi donnât un exemple de repentir à la France et à l’Europe chrétienne qu’il avait scandalisées. »

« De quel droit me donnez-vous des avis ? lui disait le cardinal de La Roche-Aymon. — Voilà mon droit, lui répliquait l’évêque de Carcassonne en détachant sa croix pectorale. Apprenez, Monseigneur, à respecter ce droit, et ne laissez pas mourir votre roi sans les sacremens de l’Église dont le roi très chrétien est le fils aîné. » Dans cette agitation, les scènes scandaleuses de Metz allaient se renouveler, lorsque le duc d’Aiguillon et l’archevêque de Paris, témoins de ces débats, jugèrent à propos de les terminer. D’Aiguillon alla prendre les ordres du roi relativement à madame Du Barry. « Il faut la mener sans bruit à votre campagne de Ruelle, lui dit le roi ; je saurai gré à madame d’Aiguillon des soins qu’elle prendra pour elle. »

Madame Du Barry vit encore le roi un moment le 4 au soir, lui promit de revenir à la cour à sa convalescence. Madame d’Aiguillon la mit dans son carrosse avec mademoiselle Du Barry et madame de Serre, et l’emmena à Ruelle pour attendre l’événement. À peine était-elle sortie que le roi la demanda.... Elle est partie, répondit-on à Louis XV. Dès ce moment, la maladie empira ; il se crut mort sans ressource.

Les journées du 5 et du 6 se passèrent sans qu’on parlât de confession, du viatique ou de l’extrême-onction. Le duc de Fronsac menaça le curé de Versailles de le jeter par la fenêtre s’il osait en prononcer les mots. C’est de lui-même que je tiens l’anecdote. Mais le 7, à trois heures du matin, le roi demanda impérieusement l’abbé Maudoux. La confession dura dix-sept minutes. Les ducs de La Vrillière et d’Aiguillon voulaient retarder le viatique ; mais La Martinière, pour consommer l’expulsion de madame Du Barry, dit au roi ces paroles : « Sire, j’ai vu Votre Majesté dans des circonstances bien intéressantes ; mais jamais je ne l’ai admirée comme aujourd’hui. Si elle me croit, elle achèvera de suite ce qu’elle a si bien commencé. » Le roi fit rappeler son confesseur Maudoux, pauvre prêtre qu’on lui avait donné depuis quelques années, parce qu’il était vieux et aveugle. Il lui donna l’absolution.

Quant à la réparation éclatante que désirait le parti de M. de Choiseul, pour humilier et anéantir avec solennité màdame Du Barry, il n’en fut plus question. Le grand-aumônier, de concert avec l’archevêque, avait composé une formule qui fut ainsi proclamée en présence du viatique : « Quoique le roi ne doive compte de sa conduite qu’à Dieu seul, il déclare qu’il se repent d’avoir causé du scandale à ses sujets, et qu’il ne désire vivre que pour le soutien de la religion et le bonheur de ses peuples. » On multiplia ensuite les descentes et les ouvertures de la châsse de Sainte-Geneviève pour obtenir sa guérison.

Dans les journées du 8 au 9, la maladie empira ; le roi vit tomber de toutes parts son corps en lambeaux et en pourriture. Délaissé de ses amis et de cette foule de courtisans qui avaient si long-temps rampé devant lui, la piété de Mesdames fut l’image consolante qui s’offrit à lui[3]. (Mém. histor. et polit., par Soulavie, T. I.)


Note (G), page 81.

« Lorsque l’exclusion du duc de Choiseul du ministère fut décidée, il ne fut plus question que de choisir entre les trois proposés, et chers au feu dauphin et aux enfans de Louis XV, depuis surtout qu’ils avaient été exilés par les intrigues de madame de Pompadour si détestée de la famille royale. Le dauphin les avait recommandés à son successeur. Ces trois ministres étaient M. le cardinal de Bernis, M. de Maurepas et M. de Machault. Le cardinal fut d’abord écarté, quoique proposé par madame Adélaïde, qui observa cependant que le cardinal pouvait avoir, dans le premier traité de 1756 avec l’Autriche, un titre capable de former un parti avec la reine. Le duc d’Aiguillon, qui conduisait l’intrigue, opéra pour son oncle Maurepas.

M. de Machault se trouvant plus impartial sur la question relative à la politique extérieure, Louis XVI se détermina en sa faveur. Il s’y détermina d’ailleurs parce que M. de Machault passait pour avoir un caractère de probité fortement prononcé. Le roi, dans cette circonstance, écrivit une lettre d’invitation à cet ancien garde-des-sceaux, dans laquelle il peint le caractère timide et embarrassé de son esprit. Il dit qu’il partage avec toute la France sa juste douleur de la mort de Louis XV, tandis que toute la France en avait appris la nouvelle avec délices. Il reconnaît qu’il a de grands devoirs à remplir, qu’il manque des connaissances nécessaires au gouvernement, et il invoque la probité et l’habileté de M. de Machault.

L’abbé de Radonvilliers, rôdant autour du jeune roi dans ces circonstances, pour placer un mot à propos suivant ses vues, effrayé du retour de l’inflexible et sévère Machault, l’ennemi du sacerdoce, fit observer à madame Adélaïde que les mœurs de cet ancien ministre étaient très-sévères et très-jansénistes, et qu’il serait très-déplacé à la cour dont le caractère avait beaucoup changé dans les dernières années de Louis XV. Il ajouta qu’il fallait s’attendre à des coups violens et terribles s’il était rappelé, parce qu’il s’était rouillé dans son exil, tandis que M. de Maurepas avait conservé dans le sien la facilité, les grâces et l’esprit des Français. Il fit encore observer que la lettre invitatoire du roi qui appelait M. de Machault, pouvait convenir également à M. de Maurepas, et proposa de demander au roi d’en changer seulement l’enveloppe.

L’ex-jésuite Radonvilliers avait un but secret qu’il ne manifestait pas. Les jésuites et les sulpiciens ne pouvaient souffrir M. de Machault depuis que, par l’édit de 1748, il avait proscrit toute donation de biens-fonds au clergé en France. Maurepas était au contraire l’ami de M. d’Aiguillon, dévoué aux jésuites et détesté des parlemens. Le jeune roi, cédant à ces observations, permit que la même lettre signée en faveur de M. de Machault fût adressée à M. de Maurepas. Radonvilliers et d’Aiguillon, sans le savoir, préparaient la ruine de l’État. M. de Maurepas était bien au-dessous de sa place dans les affaires relatives à la conservation d’un grand empire. M. de Machault était au contraire un homme réfléchi et profond, capable de le conserver, comme l’ont été les empires de Russie, de Turquie, l’Angleterre et l’Autriche, etc. Machault avait une sorte d’esprit prévoyant, et Maurepas ne paraît s’être intéressé à conserver l’État que pendant la durée de sa vie. L’abbé de Radonvilliers, faisant observer que le duc d’Aiguillon était le seul et dernier partisan qui restât aux jésuites dans le cabinet de Versailles, imagina que M. de Maurepas, oncle du duc, l’y maintiendrait. L’esprit de corps, dans cette circonstance, favorisa parmi les trois candidats le plus chétif, et M. de Maurepas, qui n’avait ni génie, ni caractère prononcé, ni des vues assez élevées pour devenir principal ministre, fut préféré. » (Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, par Soulavie, tom. II.)


Note (H), page 84.

Liste de plusieurs personnages recommandés par M. le dauphin à celui de ses enfans qui succédera à Louis XV ; confiée à MM. de Nicolaï avec plusieurs autres papiers.

M. de Maurepas est un ancien ministre qui a conservé, suivant ce que j’apprends, son attachement aux vrais principes de la politique que madame de Pompadour a méconnus et trahis.

M. le duc d’Aiguillon est d’une maison qui s’est illustrée du système politique que la France sera tôt ou tard obligée, pour sa sûreté, de ramener. Il se formera avec l’âge, et il peut être utile à beaucoup d’égards. Ses principes sur l’autorité royale sont purs comme ceux de sa famille, qui sont sans lacune depuis le cardinal de Richelieu.

Mon père a renvoyé un homme roide de caractère avec quelques erreurs dans l’esprit, mais un honnête homme, M. de Machault. Le clergé le déteste pour ses sévérités contre lui ; l’âge l’a beaucoup modéré.

M. de Trudaine jouit d’une grande réputation de probité et d’attachement, avec beaucoup de connaissances.

M. le cardinal de Bernis est enfin récompensé des services qu’il a rendus à la maison d’Autriche. Mais son système politique, relatif à cette puissance, était conçu avec plus de mesure que celui du duc de Choiseul. Il a été renvoyé parce qu’il n’a pas assez fait pour l’impératrice, et qu’il s’est ressouvenu qu’il était Français. S’il modère son ressentiment trop connu contre un parti puissant dans le clergé, et le plus attaché à notre maison, il peut devenir très-utile.

M. de Nivernois a de l’esprit, des grâces ; il peut être employé dans les ambassades où il faut en avoir absolument. C’est qu’il faut le placer.

M. de Castries est bon pour le militaire, il a de l’honneur et du savoir.

M. du Muy est la vertu personnifiée : Il a hérité de toutes les qualités que je sais, par ouï-dire, qu’avait M. de Montausier. Il sera ferme dans la vertu et dans l’honneur.

MM. de Saint-Priest se sont avancés par madame de Pompadour, mais ils ont de la capacité et du désir de s’avancer. Le père doit être bien distingué du fils et du chevalier. Celui-ci peut un jour devenir très-utile.

M. le comte de Périgord est prudent et honnête homme.

M. le comte de Broglie a de l’activité et de l’esprit, comme aussi des combinaisons politiques.

M. le maréchal de Broglie a des talens pour le commandement en cas de guerre.

M. le comte d’Estaing a les talens de son état.

M. de Bourcet a des connaissances sûres, ainsi que le baron d’Espagnac.

M. de Vergennes est dans les ambassades ; il a un esprit d’ordre, sage et capable de conduire une longue affaire dans les bons principes.

Il y a dans le parlement, dans les familles des présidens, des hommes de talens très-attachés à leurs devoirs ; il y en a aussi quelques-uns parmi les conseillers.

M. le président Ogier est d’un caractère propre aux négociations difficiles et orageuses ; mais il y a dans la magistrature des esprits en effervescence, et des hommes qui tiennent à d’autres qui sont incapables d’être employés ailleurs qu’au parlement à cause de l’activité de leur tête.

Quant au clergé, M. de Jarente a élevé dans ce corps bien des sujets dignes d’être ignorés. Il a pris le contre-pied de son prédécesseur qui voulait un clergé exemplaire et attaché à la religion. M. de Jarente fait des choix de personnes trop semblables à lui.

M. l’évêque de Verdun est trop connu pour avoir besoin de recommandation, ainsi que sa famille dont l’attachement est bien connu.

M. le duc de La Vauguyon est également trop connu pour avoir besoin d’être recommandé. Il avait trop à cœur de rendre ses élèves des princes polis, éclairés et capables, pour qu’il soit jamais oublié. Je dis de même pour les personnes appelées à l’éducation des enfans de France.

Quant à M. l’ancien évêque de Limoges, sa vertu, sa candeur, sa délicatesse parlent assez en sa faveur.

Il est d’autres personnes bien recommandables ; mais, outre qu’elles ont des charges, elles tiennent par l’amitié et la parenté aux personnes citées ci-dessus. On n’en parlera pas.

M. l’archevêque de Paris (de Beaumont) doit être considéré comme une des colonnes de la religion, que la famille est obligée, en conscience et par intérêt, de maintenir, combien qu’il en coûte. La tendre mère de mes enfans en dira davantage. Elle saura bien distinguer ce qui est bien d’avec ce qui est mal, et il n’est pas nécessaire de démontrer ici combien elle est digne du plus tendre dévouement. (Mém. hist. et polit. du règne de Louis XVI, par Soulavie, T. I.)


Note (I), page 103.

« Avant François-Étienne, la cour impériale d’Allemagne était la plus magnifique, la plus fastueuse de l’Europe. Nulle part on n’observait, avec plus de rigueur, plus de scrupule, ce que l’on appelle l’étiquette. François la laissa subsister pour les cérémonies d’apparat, et la bannit absolument de l’intérieur de la cour. L’impératrice-reine se prêta volontiers à ce changement qui s’accordait avec sa bienveillance naturelle. Ils substituèrent donc à l’ancienne étiquette, l’aisance et même la bonhomie qu’on avait vues régner, avec tant de succès, à Lunéville. Ils vivaient, au milieu de ceux qui les approchaient, comme de simples particuliers vivant au milieu de leurs égaux. Hors les jours de cérémonies, leur table était frugale, et ils y admettaient, sans distinction de naissance, toutes les personnes de l’un et de l’autre sexe qui avaient quelque mérite. Dans leurs divertissemens, ils éloignaient avec soin toute espèce de gêne ; et leurs vêtemens ne les distinguaient en rien de ceux qui partageaient ces plaisirs. Enfin, l’un et l’autre accueillaient avec une affabilité véritablement populaire quiconque avait à leur parler. Cet accueil avait encore quelque chose de plus prévenant pour l’homme obscur que pour le grand, pour le pauvre que pour le riche.

Il faut envier le bonheur des souverains qui peuvent impunément descendre à cette familiarité ; car il doit être bien doux quelquefois d’oublier les charges de la royauté, pour goûter les douceurs de la vie privée. Mais Marie-Antoinette se trompa en croyant qu’elle pourrait aussi ouvrir son cœur à ces émotions délicieuses qu’on n’éprouve jamais quand on se tient à une trop grande distance des hommes. Elle ne connaissait pas le génie de notre nation qui, comme le dit La Bruyère, veut du sérieux et du sévère dans ses maîtres : et quand elle le connut, il était trop tard.» (Histoire de Marie-Antoinette-Josèphe-Jeanne de Lorraine, archiduchesse d’Autriche, reine de France, par Montjoie.)


Note (K), page 112.

« Peu de jours avant le mariage de M. le dauphin, il se répandit que mademoiselle de Lorraine, fille de la comtesse de Brionne et sœur du prince de Lambesc, grand-écuyer de France, danserait son menuet au bal paré immédiatement après les princes et princesses du sang, et que le roi lui avait accordé cette distinction à la suite d’une audience que M. le comte de Mercy, ambassadeur de l’empereur et de l’impératrice-reine, avait eue de Sa Majesté. Quoique les étiquettes et l’ordre des menuets d’un bal paré ne soient nullement du ressort de ces feuilles, il ne faut pas croire que ce soit une matière stérile pour l’esprit philosophique ; et tout ce qui caractérise d’ailleurs l’esprit d’une cour, d’une nation, d’un siècle, est toujours intéressant à remarquer. La nouvelle du menuet de mademoiselle de Lorraine causa la plus grande fermentation parmi les ducs et pairs qui lièrent à leur cause, à cette occasion, toute la haute noblesse du royaume. On établissait pour principe incontestable qu’il ne pouvait y avoir de rang intermédiaire entre les princes du sang et la haute noblesse, et que, par conséquent, mademoiselle de Lorraine ne pouvait avoir à la cour de rang distinct de celui des femmes de qualité présentées. L’archevêque de Reims, premier pair ecclésiastique, s’étant trouvé incommodé, on s’assembla chez l’évêque de Noyon, second pair ecclésiastique, frère du maréchal de Broglie. On dressa un mémoire à présenter au roi : les ducs et pairs, en le signant, laissèrent des lacunes entre leurs signatures, afin que la haute noblesse pût signer pêle-mêle, sans distinction de titres ni de rang ; et ce fut l’évêque de Noyon qui présenta à Sa Majesté le mémoire concernant le menuet.

Cette requête fut à peine connue, qu’il en courut dans le public la parodie suivante :


Sire, les grands de vos États
Verront avec beaucoup de peine
Une princesse de Lorraine
Sur eux, au bal, prendre le pas.
Si Votre Majesté projette
De les flétrir d’un tel affront,
Ils quitteront la cadenette,
Et laisseront les violons.
Avisez-y ; la ligue est faite.
Signé, l’évêque de Noyon,
La Vaupallière, Beaufremont,
Clermont, Laval et de Villette.


On disait, en effet, tout haut, que si la réponse du roi à ce mémoire n’était pas favorable, toutes les femmes de qualité se trouveraient subitement indisposées, et qu’aucune ne danserait au bal paré. Au reste, cette requête versifiée ne manque pas de sel. Indépendamment du ridicule de voir un prélat présider aux délibérations, et présider aux démarches et aux efforts de la noblesse française au sujet d’un menuet, on y a enchâssé le nom de quelques anciennes illustres maisons, entre deux grands de la monarchie de très-fraîche date. On prendrait cela pour une mauvaise plaisanterie, mais le fait est certain ; et l’on assure que le marquis de Villette, fils d’un trésorier de l’extraordinaire des guerres, qui ne s’est illustré, jusqu’à présent, que par quelques petits écrits et d’assez grands écarts de jeunesse, a eu la permission de signer une requête au bas de laquelle on lit les noms de Beaufremont, de Clermont, de Montmorency. Il n’est pas douteux que ses descendans ne lui sachent gré de cette signature ; ils diront : « Un de nos ancêtres a signé la fameuse requête du menuet, au mariage du petit-fils de Louis XV, avec tous les pairs et toute la haute noblesse du royaume ; donc notre nom était dès-lors compté parmi les plus illustres de la monarchie. » Ils pourront dire encore : « En 1770, au bal paré du mariage du dauphin, un Villette disputa le pas aux princes de la maison de Lorraine. C’est ce grand Villette, ajoutera un de ses petits-fils, qui publia, à ses frais, un éloge de Charles V et un éloge de Henri IV, qui n’ont pu se dérober à l’injure du temps, ni dans les archives de la littérature, ni dans celles de notre maison ; » et ils diront vrai. Beaucoup de preuves historiques ne sont pas établies sur des fondemens plus solides. » (Correspondance de Grimm, tome VII, page 143.)

Voici quelques détails que Soulavie ajoute à ceux qu’on vient de lire :

« Marie-Thérèse connaissait bien la cour de Versailles ; cependant elle commit la faute de faire demander diplomatiquement par M. de Mercy, son ambassadeur, que mademoiselle de Lorraine, sa parente, et le prince de Lambesc, eussent rang après les princes du sang de la maison, dans les fêtes du mariage de sa fille avec le dauphin de France.

» Louis XV, pour plaire à la dauphine qui le désirait, à Marie-Thérèse qui le demandait, crut devoir en faire une affaire d’État. Il connaissait la jalousie des grands de sa cour, relativement à leurs droits d’étiquette, et il leur demanda, en vertu de la soumission et de l’attachement qu’ils lui devaient, et qu’ils lui avaient témoigné, ainsi qu’à ses prédécesseurs, de ne le point contrarier dans cette circonstance. Il témoignait le désir de marquer à l’impératrice sa reconnaissance du présent qu’elle faisait de sa fille à la France ; il avait recours au langage de l’amitié, et invoquait ce sentiment en cette circonstance, pour obtenir cette condescendance des grands de l’État.

La docilité des grands, depuis quelques années, avait changé à l’égard de Louis XV, et le roi ne calcula point les obstacles que les ducs devaient élever contre cette nouvelle prétention. Les femmes de la cour, dont Louis XV devait attendre le plus de soumission et de déférence, jouèrent un rôle opiniâtre et fier, opposant une résistance invincible à la demande du roi de laisser danser mademoiselle de Lorraine immédiatement après les princesses du sang ; leur fermeté alla jusqu’à se priver du bal, plutôt que de se laisser dépouiller du droit de danser les premières. Madame de Bouillon, parmi toutes ces dames, se distingua par l’éclat de ses refus et de ses observations. Louis XV en parut si offensé, que cette dame ne revint plus à la cour. La dauphine, de son côté, en eut un tel dépit, qu’elle se procura une des lettres que Louis XV avait écrites aux pairs. Elle la renferma dans sa cassette, et y ajouta ces mots : Je m’en souviendrai. Cependant, pour terminer la fête, mademoiselle de Lorraine accepta de danser avec la duchesse de Duras, que sa place retenait à la cour. Ce moyen terme diminua le scandale des dames, des refus et des observations, et tempéra l’éclat de sa retraite et du retour à Paris des dames titrées qui avaient refusé de danser au mariage de la jeune princesse. » (Mém. hist. et polit. du règne de Louis XVI, T. II.)


Note (L), page 115.

« Les habits portés au sacre par les principales dignités sont, par leur richesse et leur forme antique, un des objets les plus curieux de cette solennité. Les pairs laïcs étaient vêtus d’une veste d’étoffe d’or qui leur descendait jusqu’à la moitié des jambes ; ils avaient une ceinture mêlée d’or, d’argent et de soie violette, et par-dessus leur longue veste un manteau ducal de drap violet, doublé et bordé d’hermine ; leur collet rond était aussi d’hermine ; ils avaient tous une couronne sur un bonnet de satin violet, et le collier de l’ordre du Saint-Esprit par-dessus leurs manteaux.

Le capitaine des cent-suisses de la garde du roi était habillé d’argent, avec un baudrier de pareille étoffe et brodé ; un manteau noir doublé de drap d’argent et garni de dentelles, ainsi que ses chausses troussées, et une toque de velours noir garnie d’un bouquet de plumes. Le grand-maître et le maître des cérémonies étaient vêtus de pourpoints d’étoffe d’argent, de chausses retroussées de velours raz-noir, coupé par bandes, ayant des capots aussi de velours raz-noir garnis de dentelles d’argent, avec une toque de velours noir chargée de plumes blanches.

Tout étant disposé pour donner à la cérémonie du sacre l’éclat et la pompe convenables, le dimanche 11 juin, dès les six heures du matin, les chanoines tous en chape, arrivèrent dans le chœur, se placèrent dans les hautes stalles, et furent bientôt suivis de l’archevêque duc de Reims, des cardinaux et prélats invités, des ministres, des maréchaux de France, des conseillers d’État et des députés des différentes compagnies : chacun prit sans confusion la place qui lui avait été marquée :

Vers les six heures et demie, les pairs laïcs arrivèrent du palais archiépiscopal. Monsieur représentait le duc de Bourgogne ; M. le comte d’Artois celui de Normandie, et le duc d’Orléans celui d’Aquitaine. Le reste des anciens pairs de France, les comtes de Toulouse, de Flandre et de Champagne, furent représentés par le duc de Chartres, le prince de Condé et le duc de Bourbon qui portaient les couronnes de comte.

Les pairs ecclésiastiques, pendant toute la cérémonie, restèrent en chape et en mitre.

Sur les sept heures, l’évêque duc de Laon et l’évêque comte de Beauvais partirent en procession pour aller chercher le roi. Ces deux prélats, vêtus de leurs habits pontificaux, et ayant des reliquaires pendus à leur cou, étaient précédés de tous les chanoines de l’église de Reims, entre lesquels était la musique. Le chantre et le sous-chantre marchaient après le clergé, et devant le marquis de Dreux, grand-maître des cérémonies, qui précédait immédiatement les évêques duc de Laon et comte de Beauvais ; ils passèrent par une galerie couverte, et arrivèrent à la porte du roi, qu’ils trouvèrent fermée, suivant un usage qui remonte aux temps les plus anciens. Le chantre y frappe de son bâton ; aussitôt le grand-chambellan, sans ouvrir, lui dit : Que demandez-vous ? — Nous demandons le roi, répond le principal pair ecclésiastique. — Le roi dort, réplique le grand-chambellan. Alors le grand chantre recommence à frapper, et l’évêque continue à demander le roi, et la même réponse est donnée. Enfin à la troisième fois, le chantre ayant encore frappé, et le grand-chambellan répété que le roi dort, le pair ecclésiastique, qui a déjà porté la parole, dit ces mots qui lèvent tout obstacle : Nous demandons Louis XVI que Dieu nous a donné pour roi ; aussitôt les portes de la chambre s’ouvrent, et une autre scène commence. Le grand-maître des cérémonies conduit les évêques auprès de Sa Majesté couchée sur un lit-de-parade : ils la saluent très-profondément. Le monarque est vêtu d’une longue camisole cramoisie, garnie de galons d’or, et ouverte, ainsi que la chemise, aux endroits où Sa Majesté doit recevoir les onctions. — Par-dessus cette camisole, le roi a une longue robe d’étoffe d’argent, et sur sa tête une toque de velours noir garnie d’un cordon de diamans, d’une plume et d’une double aigrette blanche. Le pair ecclésiastique présente l’eau bénite au roi et dit l’oraison suivante : « Dieu tout-puissant et éternel, qui avez élevé à la royauté votre serviteur Louis, accordez-lui de procurer le bien de ses sujets dans le cours de son règne, et de ne jamais s’écarter des sentiers de la justice et de la vérité. » Cette oraison achevée, les deux évêques prirent Sa Majesté l’un par le bras droit, l’autre par le bras gauche, et l’ayant soulevée de dessus son lit, ils la conduisirent processionnellement à l’église, par la galerie couverte, et dans le plus pompeux cortége, en chantant de certaines prières.

Le roi étant arrivé vers les sept heures à l’église, et tout le monde ayant pris place, la Sainte-Ampoule ne tarda pas à arriver à la principale porte. Elle avait été apportée de l’abbaye de Saint-Remy par le grand-prieur, en chape d’étoffe d’or, et monté sur un cheval blanc de l’écurie du roi, couvert d’une housse d’étoffe d’argent, richement brodée, et conduit par les rênes tenues par deux maîtres palefreniers de la grande écurie. Le grand-prieur était sous un dais de pareille étoffe, porté par quatre barons, dits chevaliers de la Sainte-Ampoule, vêtus de satin blanc, d’un manteau de soie noire et d’une écharpe de velours blanc, garnie de franges d’argent dont Sa Majesté les avait honorés et gratifiés ; ils portaient la croix de chevalier passée au col et attachée à un ruban noir. Aux quatre coins du dais, on voyait à cheval les seigneurs nommés par le roi pour otages de la Sainte-Ampoule, et qui étaient précédés chacun de leur écuyer portant un guidon chargé, d’un côté des armes de France et de Navarre, et de l’autre de celles de leurs maisons. Les otages avaient prêté serment sur le livre des Évangiles, et juré entre les mains du prieur, en présence des officiers du bailliage de l’abbaye, qu’il ne serait fait aucun tort à la Sainte-Ampoule, pour la conservation de laquelle ils s’engagèrent à exposer leur vie ; et en même temps ils s’étaient constitués pleiges, cautions solidaires, et avaient déclaré qu’ils demeureraient en otage jusqu’au retour de la Sainte-Ampoule. Par une suite de ce qui se pratique en pareilles circonstances, ils requirent néanmoins qu’il leur fût permis de l’accompagner, et pour grande sûreté et conservation d’icelle, sous le même cautionnement ; ce qu’on leur avait accordé. — Toutes ces formalités sont si superflues qu’elles devenaient ridicules. La Sainte-Ampoule, qui joue un si grand rôle dans le sacre de nos rois, est une espèce de petite bouteille remplie, dit-on, d’un baume miraculeux, ne diminuant jamais, qui servit à oindre Clovis. On prétend qu’elle fut envoyée du ciel et apportée par une colombe à saint Remy, mort vers l’an 535 : elle se conserve dans le tombeau même de cet ancien archevêque dont le corps est tout entier dans une châsse de l’abbaye qui porte son nom, et elle est renfermée dans un reliquaire de vermeil en or, enrichi de diamans et de pierres précieuses de différentes couleurs[4].

L’archevêque de Reims, ayant été averti par le maître des cérémonies de l’arrivée de la Sainte-Ampoule, alla aussitôt la recevoir à la porte de l’église : en la remettant entre ses mains, le grand-prieur, suivant l’usage, lui adressa ces paroles : « Je vous confie, Monseigneur, ce précieux trésor envoyé du ciel au grand saint Remy, pour le sacre de Clovis et des rois ses successeurs ; mais je vous supplie, selon l’ancienne coutume, de vous obliger de me la remettre entre les mains après le sacre de notre roi Louis XVI. » L’archevêque, conformément à la coutume, fait le serment exigé conçu en ces termes : « Je reçois avec respect cette Sainte-Ampoule, et vous promets, foi de prélat, de la remettre entre vos mains, la cérémonie du sacre achevée. » En disant ces mots, le cardinal de La Roche-Aymon prit la merveilleuse fiole, rentra dans le chœur, et la déposa sur l’autel. Quelques instans après, il s’approcha du roi dont il reçut le serment, appelé de protection, pour toutes les églises sujettes de la couronne : promesse que Sa Majesté fit assise et couverte. « Je promets, dit le roi, d’empêcher les personnes de tout rang de commettre des rapines et des iniquités, de quelque nature qu’elles soient. Je jure de m’appliquer sincèrement et de tout mon pouvoir, à exterminer de toutes les terres soumises à ma domination les hérétiques nommément condamnés par l’Église. »

Après cette formule de serment, deux pairs ecclésiastiques présentent le roi à l’assemblée et lui demandent si elle agrée Louis XVI pour roi de France. Un silence respectueux, disent les livres qui contiennent les détails de cette cérémonie, annonça le consentement général.

L’archevêque de Reims présenta au roi le livre des Évangiles, sur lequel Sa Majesté posant les mains fit serment de maintenir et conserver les ordres du Saint-Esprit et de Saint-Louis, et de porter toujours la croix de ce dernier ordre, attachée à un ruban de soie, couleur de feu ; de faire observer l’édit contre les duels, sans avoir jamais aucun égard aux représentations des princes ou seigneurs qui pourraient intercéder en faveur des coupables. La première partie de ce serment n’est guère importante, et la seconde est enfreinte tous les jours.

Lorsque le roi eut reçu, pour la seconde fois, l’épée de Charlemagne, il la déposa entre les mains du maréchal de Clermont-Tonnerre, faisant les fonctions de connétable, qui la tint la pointe levée pendant la cérémonie du sacre et du couronnement, ainsi qu’au festin royal. Pendant que le roi recevait et remettait cette épée de Charlemagne, on récita plusieurs oraisons. Dans l’une on demandait à Dieu que les saints monastères se ressentissent des libéralités du roi ; que ses grâces se répandissent sur les grands du royaume, que la rosée du ciel et la graisse de la terre procurassent dans ses États une abondance intarissable de blé, de vin, d’huile et de toutes sortes de fruits, afin que sous son règne les peuples pussent jouir d’une santé constante, etc.

Quand ces prières furent finies, le prélat officiant ouvrit la Sainte-Ampoule, en fit tomber un peu d’huile qu’il délaya avec l’huile bénite, appelée saint-chrême. Le roi se prosterna devant l’autel sur un grand carreau de velours violet, semé de fleurs de lis d’or, ayant le vieil archevêque, duc de Reims, aussi prosterné à sa droite, et resta dans cette humble posture jusqu’à la fin des litanies chantées par quatre évêques, alternativement avec le chœur. On trouve dans ces litanies le verset suivant :

Ut dominum Apostolicum et omnes gradus Ecclesiæ in sancta religione conservare digneris. (Que vous daigniez conserver dans votre sainte religion le souverain pontife et tous les ordres de l’Église.)

À la fin des litanies, l’archevêque de Reims se plaça sur son fauteuil, et le roi, s’étant allé mettre à genoux devant lui, reçut les onctions sur le sommet de la tête, sur la poitrine, entre les deux épaules, sur l’épaule droite, sur la gauche, à la jointure du bras droit, à celle du bras gauche. Dans le même temps ce prélat récitait quelques oraisons dont voici la substance : « Qu’il réprime les orgueilleux ; qu’il soit une leçon pour les riches ; qu’il soit charitable envers les pauvres et le pacificateur des nations. » Un peu plus bas on remarque, parmi ces oraisons, les paroles suivantes : « Qu’il n’abandonne point ses droits sur les royaumes des Saxons, des Merciens, des peuples du Nord et des Cimbres. »

Un auteur anonyme dit que par les Cimbres on entend le royaume d’Angleterre, sur lequel nos rois se réservent expressément leurs droits incontestables, depuis Louis VIII, auquel il fut conféré par la libre élection du peuple qui avait chassé Jean-sans-Terre.

Après les sept onctions l’archevêque de Reims, aidé des évêques de Laon et de Beauvais, referma avec des lacets d’or les ouvertures de la chemise et de la camisole du roi, qui, s’étant levé, fut revêtu par le grand-chambellan de la tunique, de la dalmatique et du manteau royal fourré et bordé d’hermine : ces vêtemens sont de velours violet, semés de fleurs de lis et broderies d’or, et représentent les habits de sous-diacre, de diacre et de prêtre : symbole par lequel le clergé cherche, sans doute, à prouver qu’il est uni à la puissance royale. Le roi se remit ensuite à genoux devant l’archevêque officiant qui lui fit la huitième onction sur la paume de la main droite, et la neuvième et dernière sur celle de la main gauche ; puis il mit un anneau au quatrième doigt de la main droite, comme signe représentatif de la toute-puissance et de l’union intime qui régnera désormais entre le roi et son peuple. L’archevêque prit alors sur l’autel le sceptre royal, et le mit dans la main droite du roi, et ensuite la main de justice qu’il lui mit dans la main gauche. Le sceptre est d’or émaillé, garni de perles orientales ; il peut avoir six pieds de haut. Charlemagne est représenté en relief, le globe en main, assis sur une chaire ornée de deux lions et de deux aigles. La main de justice est un bâton d’or massif, haut seulement d’un pied et demi, garni de rubis et de perles, et terminé par une main d’ivoire, ou plutôt de corne de licorne ; il y a de distance en distance trois cercles à feuillage tout brillans de perles, de grenats et d’autres pierres précieuses.

Voici cependant un moment où le clergé cesse de s’arroger le droit de conférer au roi la toute-puissance. M. le garde-des-sceaux de France, faisant les fonctions de chancelier, monta à l’autel, et s’étant placé du côté de l’Évangile, le visage tourné vers le chœur, il appela les pairs, pour le couronnement, de la manière suivante : « Monsieur, qui représentez le duc de Bourgogne, présentez-vous à cet acte, etc., etc. » Les pairs s’étant approchés du roi, l’archevêque de Reims prit sur l’autel la couronne de Charlemagne, apportée de Saint-Denis, et la posa sur la tête du roi. Aussitôt les pairs ecclésiastiques et laïcs y portèrent la main pour la soutenir : allégorie vraiment noble et expressive, mais qui serait bien plus juste, si des délégués du peuple soutenaient aussi cette couronne par le même esprit allégorique ; on emploie, dans l’une des oraisons récitées en cet instant, une expression orientale qui a beaucoup d’énergie : « Que le roi, dit-on, ait la force du rhinocéros, et qu’il chasse devant lui, comme un vent impétueux, les nations ennemies jusqu’aux extrémités de la terre. » La couronne de Charlemagne, qui se conserve dans le trésor de l’abbaye de Saint-Denis, est d’or, et enrichie de rubis et de saphirs ; elle est doublée d’un bonnet de satin cramoisi brodé en or, et surmontée d’une fleur de lis d’or, couverte de trente-six perles orientales.

Après toutes ces cérémonies, l’archevêque, duc de Reims, prit le roi par le bras droit, et suivi des pairs et de tous les grands-officiers de la couronne, il le conduisit au trône élevé sur le jubé, où il le fit asseoir, en récitant les prières de l’intronisation, dans la première desquelles il est dit : « Comme vous voyez le clergé plus près des saints autels que le reste des fidèles, aussi vous devez avoir attention à le maintenir dans la place la plus honorable. » En achevant les oraisons prescrites pour la circonstance, le prélat quitta sa mitre, fit une profonde révérence au roi, le baisa, en disant : Vivat rex in æternum. Les autres pairs ecclésiastiques et laïcs baisèrent aussi Sa Majesté, l’un après l’autre, et dès qu’ils furent remis à leurs places, on ouvrit les portes de l’église ; le peuple y entra en foule, et, dans l’instant, fit retentir les voûtes des acclamations de vive le roi ! que répéta en écho la multitude des assistans, dont toute l’enceinte du chœur était remplie en amphithéâtre ; un mouvement involontaire excita des battemens de mains qui devinrent universels ; les grands, la cour, le peuple, animés du même transport, n’eurent que la même manière de l’exprimer. La reine, trop vivement émue, ne put résister à l’impression qu’elle éprouvait, et fut obligée de sortir un moment. Lorsqu’elle reparut, elle partagea à son tour l’hommage que la nation venait d’adresser au roi.

Tandis que tout retentissait des cris de joie, les oiseleurs, selon un usage très-ancien, lâchèrent dans l’église une grande quantité d’oiseaux, qui, par le recouvrement de leur liberté, signifiaient l’effusion des grâces du monarque sur le peuple, et que jamais les hommes ne sont plus véritablement libres, que sous le règne d’un prince éclairé, juste et bienfaisant. » (Corresp. secrète de la cour de Louis XVI.)


Note (M), page 124.

« La seule passion que Louis XVI ait jamais développée, est celle de la chasse ; elle l’occupait tellement, qu’en montant dans ses petits appartemens, après le 10 août, à Versailles, j’ai vu sur l’escalier six tableaux où l’on trouvait les états de toutes ses chasses, soit quand il était dauphin, soit quand il fut roi. On y voyait le nombre, l’espèce et la qualité du gibier qu’il avait tué à chaque partie de chasse, avec des récapitulations pour chaque mois, chaque saison et chaque année de son règne.

L’intérieur de ses petits appartemens était ainsi distribué : un salon orné de dorures offrait en évidence les gravures qui lui avaient été dédiées ; les dessins de canaux qu’il avait fait creuser ; le relief de celui de Bourgogne ; le plan des cônes et travaux de Cherbourg.

La salle supérieure renfermait son magasin de cartes géographiques, ses sphères, ses globes et son cabinet de géographie. On y voyait les dessins des cartes qu’il avait commencées et ceux des cartes qu’il avait finies. Il était habile dans l’art de les laver. Sa mémoire géographique était prodigieuse.

Au-dessus était la salle du tour et des menuiseries, meublée d’instrumens ingénieux sur l’art de travailler le bois. Il en avait hérité de Louis XV, et il s’occupait lui-même avec Duret de les conserver propres et luisans.

Au-dessus était la bibliothèque des livres publiés sous son règne. Les heures et les livres manuscrits d’Anne de Bretagne, de François Ier, des derniers Valois, de Louis XIV, de Louis XV et du dauphin, formaient la grande bibliothèque, héréditaire du château. Louis XVI avait placé séparément, et dans deux cabinets qui se communiquaient, les ouvrages de son temps. On y distinguait une collection complète des éditions de Didot, en vélin, dont chaque volume était renfermé dans un étui de maroquin. Il avait beaucoup d’ouvrages anglais, entre autres, les Débats du Parlement britannique, en un grand nombre de volumes in-folio (c’est le Moniteur de l’Angleterre, dont la collection est si précieuse et si rare). On y voyait à côté une histoire manuscrite de tous les projets de descente dans cette île, notamment celle du comte de Broglie, et autres plans analogues.

Une des armoires de ce cabinet était pleine de cartons contenant des papiers relatifs à la maison d’Autriche, avec cette étiquette écrite de sa main : Papiers secrets de ma famille sur la maison d’Autriche ; papiers de ma famille sur les maisons de Stuart et de Hanovre.

Dans une armoire voisine étaient renfermés des papiers relatifs à la Russie. La méchanceté la plus raffinée a publié, contre Catherine II, contre Paul Ier, des ouvrages satiriques, vendus en France pour des histoires. Louis XVI avait recueilli et cacheté de son petit sceau les anecdotes scandaleuses de Catherine II, ainsi que l’ouvrage de Rhulières dont il avait une copie, pour s’assurer que la vie secrète de cette princesse, qui attirait la curiosité de ses contemporains, ne serait point manifestée par son moyen.

Au-dessus de la bibliothèque particulière du roi, on trouvait une forge, deux enclumes, mille outils en fer, différentes serrures ordinaires, mais fines et parfaites ; des serrures à secret ; des serrures ornées en cuivre doré. C’est là que l’infâme Gamin, qui depuis accusa le roi d’avoir voulu l’empoisonner, et fut payé de sa calomnie par une pension de douze mille livres, lui avait appris l’art du serrurier. Gamin, malgré sa grossièreté, avait conduit le roi à se laisser traiter comme un apprenti l’est dans son atelier par son maître. Ce Gamin, devenu notre guide par ordre du département et de la municipalité de Versailles, ne se plaignait pas cependant de Louis XVI au 20 décembre 1792. Il avait été le confident de ce prince pour une infinité de commissions importantes : le roi lui avait envoyé de Paris le livre rouge dans un paquet ; et la partie cachée pendant l’Assemblée constituante l’était encore en 1793. Gamin la cacha dans un lieu du château, inaccessible aux recherches de tout le monde, où nous la trouvâmes. Ce fut de dessous des tablettes d’une armoire secrète qu’il la retira sous nos yeux. Cette anecdote persuaderait que Louis XVI espérait retourner dans son château.

Gamin, en apprenant son métier à Louis XVI, avait pris avec lui un ton d’autorité et de maître. « Le roi était bon, tolérant, timide, curieux, ami du sommeil, me disait Gamin ; il aimait avec passion la serrurerie, et se cachait de la reine et de la cour pour limer et forger avec moi. Pour porter son enclume et la mienne, à l’insu de tout le monde, il fallut user de mille stratagèmes dont l’histoire ne finirait pas. »

Au-dessus des forges et des enclumes du roi et de Gamin, était un belvédère établi sur une plate-forme couverte de plomb. Là, assis sur un fauteuil et les yeux aidés d’un immense télescope, le roi observait ce qui se passait dans les cours de Versailles, dans l’avenue de Paris et dans les jardins du voisinage. Il avait pris en amitié Duret qui le servait dans l’intérieur, affilait ses outils, nettoyait l’enclume, collait ses cartes, préparait ses lunettes et ses télescopes au point fixe de la vue du roi qui était myope. Ce bon Duret, et tous les domestiques de l’intérieur, ne parlaient de leur maître qu’avec regret, avec attendrissement et les larmes aux yeux.

Le roi était né d’une santé faible et délicate ; mais dès l’âge de vingt-quatre ans, il eut un tempérament très-robuste. À la cour, on citait de lui des tours de force qu’il tenait de sa mère, issue de la maison de Saxe, si célèbre par ses robustes générations.

Il y avait deux hommes dans Louis XVI, l’homme qui connaît et l’homme qui veut. La première de ces qualités était très-étendue et très-variée ; le roi savait à fond l’histoire de sa famille et des premières maisons de France. C’est lui qui composa les instructions pour le voyage autour du monde de M. de La Peyrouse, que le ministre crut dressées par plusieurs membres de l’Académie des Sciences.

Il avait dans la mémoire une infinité de noms et de localités. Il se ressouvenait à merveille des quantités et des nombres. On lui présentait un jour un compte rendu, dans lequel le ministre avait mis au rang de la dépense un article inséré dans le compte de l’année précédente. « Voilà un double emploi, dit le roi ; rapportez-moi le compte de l’année dernière, je vous montrerai qu’il s’y trouve. »

Quand le roi possédait parfaitement une affaire de détail, et lorsqu’il voyait la justice lésée, il était dur jusqu’à la brutalité. Une injustice criante le faisait sortir de son caractère ; alors il voulait être obéi sur-le-champ, pour être sûr de l’être et pour prévenir une négligence à cet égard.

Mais, dans les grandes affaires d’État, le roi qui veut et qui ordonne ne se trouvait nulle part. Louis XVI était sur le trône ce que sont dans la société ces tempéramens faibles que la nature a rendus même incapables d’une opinion. Dans sa pusillanimité, il donnait sa confiance à un ministre, et quoiqu’il connût dans la variété des avis de son conseil celui qui était le meilleur, jamais il n’eut la force de dire : C’est l’avis d’un tel que je préfère. Là fut la source des malheurs de l’État. (Mém. hist. et polit. du règne de Louis XVI, par Soulavie, tom. II.)


Note (N), page 149.

« Madame de Boufflers croyait avoir besoin de l’appui de madame la duchesse de Polignac, et sollicita sa faveur par toutes les offres que peut inspirer la reconnaissance la plus délicate et la plus empressée. Madame de Polignac, s’applaudissant des bons offices rendus à madame de Boufflers, crut pouvoir lui proposer sans indiscrétion de lui céder, pendant quelques mois, cette même maison d’Auteuil dont on l’avait tant priée de disposer toutes les fois que la cour serait au château de la Muette, qui en est fort près. Soit que madame de Boufflers ne s’attendît pas que sa reconnaissance fût mise à cette épreuve, soit que le service en question ne lui parût plus de la même importance, elle se permit de refuser très-poliment ce qu’elle avait offert de si bonne grâce, et termina ses excuses par les vers suivans :


Tout ce que vous voyez conspire à vos désirs ;
Vos jours toujours sereins coulent dans les plaisirs ;
La cour en est pour vous l’inépuisable source,
Ou si quelque chagrin en interrompt la course,
Tout le monde soigneux de les entretenir,
S’empresse à l’effacer de votre souvenir.
Mon Amélie[5] est seule ; à l’ennui qui la presse,
Elle ne voit jamais que moi qui s’intéresse,
Et n’a pour tout plaisir qu’Auteuil et quelques fleurs,
Qui lui font quelquefois oublier ses malheurs.


Ces vers, lus dans la société de madame de Polignac, furent trouvés généralement détestables ; mais, après les avoir jugés avec cette sévérité, on ne fut pas peu surpris d’y reconnaître la main d’un assez bon faiseur. Ils sont, pour ainsi dire, mot à mot dans la troisième scène du second acte de Britannicus, entre Néron et Junie :


Britannicus est seul : quelqu’ennui qui le presse
Il ne voit dans son sort que moi qui s’intéresse,
Et n’a pour tout plaisir, Seigneur, que quelques pleurs
Qui lui font quelquefois oublier ses malheurs.


Mais sans partialité, quelque douceur, quelque harmonie qu’ait l’ensemble du morceau, s’il n’était pas de Racine, ne serait-on pas blessé, de nos jours, de l’espèce d’obscurité qu’il y a dans le régime du verbe entretenir, si éloigné du mot plaisir auquel il se rapporte ; de la répétition des qui, que, quelque chagrin, quelque ennui, quelques pleurs, quelquefois, etc. ? Ne faut-il pas l’autorité de Racine pour faire sentir le prix de tant d’heureuses négligences ? Ne serait-ce pas le caractère de naïveté qui en résulte, et qui sied si bien à la timide Junie, qui en forme tout le charme ? et ce charme n’est-il pas perdu dans l’application qu’en a faite madame de Boufflers ? (Correspondance de Grimm, mars 1781, T. V.)


Note (O), page 170.

Madame Campan, en rapportant avec franchise et simplicité ce qu’il y a de vrai dans l’anecdote dénaturée depuis par M. de Lauzun, a détruit tout l’effet que sa malignité pouvait s’en promettre. On va lire cette anecdote dont sa fatuité même ne pouvait avoir sujet de s’enorgueillir beaucoup, et que sa vanité blessée a si étrangement travestie.

« Madame de Guéménée s’approcha de moi, et me dit, en riant, à mi-voix : Êtes-vous très-attaché à une plume de héron blanche qui était à votre casque lorsque vous avez pris congé ? La reine meurt d’envie de l’avoir ; la lui refuserez-vous ? Je répondis que je n’oserais la lui offrir, mais que je me trouverais très-heureux qu’elle voulût bien la recevoir de madame de Guéménée. J’envoyai un courrier la chercher à Paris, et madame de Guéménée la lui donna le lendemain au soir. Elle la porta dès le jour suivant, et lorsque je parus à son dîner, elle me demanda comment je la trouvais coiffée. Je répondis, fort bien. Jamais, reprit-elle avec infiniment de grâces, je ne me suis trouvée si parée. Il eût assurément mieux valu qu’elle n’en eût pas parlé, car le duc de Coigny remarqua et la plume et la phrase ; il demanda d’où venait cette plume : la reine dit avec assez d’embarras que je l’avais rapportée à madame de Guéménée de mes voyages, et qu’elle la lui avait donnée. Le duc de Coigny en parla le soir à madame de Guéménée avec beaucoup d’humeur, lui dit que rien n’était plus ridicule et plus indécent que ma manière d’être avec la reine ; qu’il était inouï d’en faire aussi publiquement l’amoureux, et incroyable qu’elle eût l’air de le trouver bon. Il fut assez mal reçu, et songea aux moyens de m’éloigner. »

Si maintenant l’on rapproche la version de madame Campan de celle qu’on vient de lire, que verra-t-on ? Que M. de Lauzun offrit lui-même la plume de héron, et qu’elle ne lui fut pas demandée ; qu’on la porta par condescendance, et que, dans sa folle présomption, il osa prendre pour une faveur ce qui n’était rien qu’une chose polie. M. de Lauzun laisse bien entrevoir ses audacieuses espérances, mais il ne dit pas, dans ses Mémoires, quel en fut le prompt châtiment. L’humiliation qu’il dut éprouver quand la reine le bannit pour jamais de sa présence, explique le ressentiment d’un homme à bonnes fortunes, jaloux de sauver son amour-propre même aux dépens de l’honneur et de la vérité.


Note (P), page 177.

À une dame.

Madame,

Je ne crois pas qu’il soit dans les obligations d’un monarque d’accorder des places à un de ses sujets par la seule raison qu’il est gentilhomme. C’est cependant ce que l’on devrait conclure de la demande que vous m’avez adressée. Feu votre époux a été un général distingué, dites-vous, un gentilhomme de bonne maison ; et de cela vous concluez que mes bontés pour votre famille ne peuvent moins faire que d’accorder une compagnie d’infanterie pour votre second fils, arrivé naguère de ses voyages.

Madame, on peut être fils d’un général et n’avoir aucun talent pour commander. On peut être gentilhomme de bonne maison, et ne posséder d’autre mérite que celui que l’on tient du hasard, le titre de gentilhomme.

Je connais votre fils, et je sais ce qui fait le soldat ; cette double connaissance m’a convaincu que votre fils n’a pas le caractère d’un guerrier, et qu’il est trop préoccupé de sa naissance, pour que la patrie puisse espérer qu’il lui rende jamais des services importans.

Ce dont vous êtes à plaindre, Madame, c’est que votre fils n’est bon pour devenir ni officier, ni homme d’État, ni prêtre ; en un mot, qu’il n’est autre chose qu’un gentilhomme dans toute l’acception de ce mot.

Vous pouvez rendre grâce au sort qui, en refusant des talens à votre fils, l’a mis toutefois en possession de grandes propriétés qui peuvent l’en dédommager suffisamment, et qui lui permettent en même temps de se passer de mes faveurs.

J’espère que vous serez assez impartiale pour sentir les raisons qui m’ont porté à répondre à votre demande par un refus. Il peut vous contrarier, mais je l’ai regardé comme nécessaire. Adieu, Madame,

Votre bien affectionné,

Joseph.

Lachsenbourg, 4 août 1787.


Au Pape Pie VI.

 Très-Saint Père,

Les fonds du clergé de mes États ne sont pas destinés, comme on s’est permis de le dire à Rome, à s’éteindre avec mon règne, mais plutôt à devenir un soulagement pour mon peuple ; et comme leur continuité, aussi bien que le déplaisir qu’on a fait éclater à cet égard, appartiennent au domaine de l’histoire, la postérité s’en emparera sans notre coopération : ce sera donc un monument, et j’espère qu’il ne sera pas le seul de mon époque.

J’ai supprimé les couvens superflus et les congrégations plus superflues encore ; leur revenu sert à l’entretien des curés et à l’amélioration des institutions primaires ; mais parmi la comptabilité que je suis obligé de confier à des employés de l’État, le fonds de ce dernier n’a chez moi absolument rien de commun avec celui de l’Église. Un fait ne doit être jugé que par le but qu’on veut atteindre, et les résultats de ce fait ne pourront être appréciés que par leur succès qu’on ne connaîtra que dans quelques années.

Mais je vois bien qu’à Rome la logique n’est pas la même que dans mes États ; et de-là vient ce défaut d’harmonie entre l’Italie et l’Empire.

Si Votre Sainteté eût pris le charitable soin de s’informer aux vraies sources de ce qui s’est passé dans mes États, bien des choses ne seraient pas arrivées ; mais il est, ce me semble, des personnes à Rome qui voudraient que l’obscurité se prolongeât de plus en plus sur notre pauvre globe.

Voilà le court aperçu des causes qui ont nécessité mes dispositions ; j’espère que vous excuserez la brièveté de ma lettre en considérant que je n’ai ni le temps ni le talent qu’il faudrait pour traiter un thème si vaste à la manière usitée dans un musée romain.

Je prie Dieu qu’il vous conserve encore long-temps à son Église, et qu’il envoie un de ses anges devant vous pour vous préparer les chemins du ciel.

Votre très-obéissant fils en Jésus-Christ,


Joseph.

Vienne, juillet 1784.


À une dame.

 Madame,

Vous connaissez mon caractère ; vous n’ignorez pas que la société des dames est pour moi une simple récréation, et que je n’ai jamais sacrifié mes principes au beau sexe ; j’écoute peu les recommandations, et je ne les prends en considération que lorsque le sujet en faveur duquel on me sollicite a un vrai mérite.

Deux de vos fils sont déjà comblés de faveurs. L’aîné, qui n’a pas encore vingt ans, est chef d’escadron dans mon armée, et le cadet a obtenu de l’électeur mon frère un canonicat à Cologne. Que voulez-vous donc de plus ? Ne faudrait-il pas que le premier fût déjà général, et que le second eût un évêché ?

En France, on voit des colonels en lisière, et en Espagne les princes royaux commandent, même à dix-huit ans, des armées ; aussi le prince de Stharemberg les força-t-il tant de fois à la retraite, que, durant leur vie entière, ces messieurs ne purent plus concevoir une autre manœuvre.

Il faut être sincère à la cour, sévère en campagne, stoïcien sans dureté, magnanime sans faiblesse, et obtenir l’estime de ses ennemis même par des actions justes, et c’est le but, Madame, auquel je veux atteindre.


Joseph.

Vienne, septembre 1787.


(Extrait des Lettres inédites de Joseph II, publiées à Paris chez Persan, 1822.)


Note (Q), page 201.

« Maurepas (Jean-Frédéric Phelippeaux, comte de), issu d’une famille originaire de Blois, reconnue comme noble depuis 1399, était fils de Jérôme, ministre et secrétaire d’État, petit-fils du chancelier de Pontchartrain, dont le père et l’aïeul avaient été eux-mêmes dans le ministère ; en sorte que ces places restèrent dans la même famille pendant cent soixante-onze ans (depuis 1610 jusqu’en 1781). Le comte de Maurepas, né en 1701, avait été chevalier de Malte de minorité. À l’âge de quatorze ans, il fut pourvu de la charge de secrétaire d’État, à la place de son père qui venait de donner sa démission. Le marquis de La Vrillière fut chargé d’exercer la charge, et de former aux détails de l’administration ce jeune ministre, son parent, et peu après son gendre. Le comte de Maurepas perdit son beau-père en 1725, et c’est alors seulement que commença son ministère qui embrassa plusieurs grandes provinces, Paris, la cour et la marine. Il n’avait encore que vingt-quatre ans, et ce fut alors qu’il développa réellement ce caractère léger, insouciant et frivole dont il ne se corrigea, ni par les leçons de la disgrâce, ni par la maturité de l’âge, dans le cours d’une existence brillante que la nature et la fortune prolongèrent à l’envi jusqu’à une époque très-avancée. Un de ses contemporains le dépeint ainsi : « Superficiel et incapable d’une application sérieuse et profonde, mais doué d’une facilité de perception et d’une intelligence qui démêlait dans un instant le nœud le plus compliqué d’une affaire, il suppléait dans les conseils, par l’habitude et la dextérité, à ce qui lui manquait d’étude et de méditation. Accueillant et doux, souple et insinuant, flexible, fertile en ruses pour l’attaque, en adresse pour la défense, en faux-fuyans pour éluder, en détours pour donner le change, en bons mots pour démonter le sérieux par la plaisanterie, en expédiens pour se tirer d’un pas difficile et glissant : un œil de lynx pour saisir le faible ou le ridicule des hommes ; un art imperceptible pour les attirer dans le piége, ou les amener à son but ; un art encore plus redoutable de se jouer de tout, et du mérite même, quand il voulait le dépriser ; enfin l’art d’égayer, de simplifier le travail du cabinet, faisait de M. de Maurepas le plus séduisant des ministres. »

On le crut un grand homme d’État, parce qu’il avait fait quatre vers assez méchans contre une favorite détestée. « S’il n’avait fallu, dit Marmontel, qu’instruire un jeune prince à manier légèrement et adroitement les affaires, à se jouer des hommes et des choses, et à se faire un amusement du devoir de régner, Maurepas eût été, sans aucune comparaison, l’homme qu’on aurait dû choisir. Peut-être avait-on espéré que l’âge et le malheur auraient donné à son caractère plus de solidité, de constance et d’énergie ; mais naturellement faible, indolent, personnel, aimant ses aises et son repos, voulant que sa vieillesse fût honorée et tranquille, évitant tout ce qui pouvait attrister ses soupers ou inquiéter son sommeil, croyant à peine aux vertus pénibles, et regardant le pur amour du bien public comme une duperie ou comme une jactance ; peu jaloux de donner de l’éclat à son ministère, et faisant consister l’art du gouvernement à tout mener sans bruit, et consultant toujours les considérations plutôt que les principes, Maurepas fut dans sa vieillesse ce qu’il avait été dans ses jeunes années, un homme aimable, occupé de lui-même, et un ministre courtisan. » (Biographie universelle, tom. XXVII.)


Note (R), page 228.

Marie-Antoinette ne pouvait pas être accusée de démentir sur le trône l’idée avantageuse qu’on s’était faite de ses vertus dans un rang moins élevé. Elle continua également à montrer, dans l’intérieur de sa cour, la même aversion pour l’étiquette. Elle ne discontinua ni ses promenades à pied ni ses voyages à Paris. Hors des solennités, elle aimait à s’habiller avec la plus grande simplicité, mais l’air de dignité qui lui était particulier, laissait toujours deviner son rang.

On commença à censurer vivement cette simplicité, d’abord parmi les courtisans, ensuite dans le reste du royaume ; et, par une de ces contradictions qui sont plus communes en France qu’ailleurs, en même temps qu’on blâmait la reine, on la copiait avec fureur. Chaque femme voulait avoir le même déshabillé, le même bonnet, les mêmes plumes qu’on lui avait vus. On courait en foule chez une dame Bertin, sa marchande de modes ; ce fut une véritable révolution dans l’habillement de nos dames, qui donna une sorte d’importance à cette femme. Les robes traînantes, toutes les formes qui pouvaient donner une certaine noblesse aux parures, furent proscrites ; on ne distingua plus une duchesse d’une actrice.

La folie gagna les hommes ; les grands avaient depuis long-temps quitté les plumets, les touffes de ruban, les galons au chapeau, pour les laisser à leurs laquais. Ils quittèrent alors les talons rouges et les broderies sur les habits ; ils se plurent à parcourir nos rues, vêtus d’un gros drap, un bâton noueux à la main, et chaussés avec des souliers épais.

Cette métamorphose valut à plus d’un d’entre eux des aventures humiliantes. Jetés dans la foule, et n’ayant rien qui les distinguât des hommes du peuple, il arriva que des rustres prirent querelle avec eux, et, dans ce genre de combat, ce n’était pas le noble qui avait la supériorité. Voilà comme insensiblement le second ordre se dépouillait de la considération qu’on lui avait toujours portée, et avançait le règne de cette égalité qui lui a été si funeste.

Ces changemens avaient un inconvénient plus grave encore, en ce qu’ils influèrent considérablement sur les mœurs ; car, d’une part, on prit trop de goût pour les manières, les habitudes du peuple, ainsi que pour les maximes démocratiques qui mettaient tout de niveau, tandis que, de l’autre, on l’accoutumait au mépris, à l’insubordination, à l’indolence. C’est une grande leçon pour ceux qui règnent. Ils oublient trop souvent qu’on ne fait rien de bon, si on ne connaît parfaitement le génie de la nation qu’on gouverne ; et qu’il en est des usages imités par les peuples voisins, comme de certaines plantes qui, en changeant de climat, deviennent vénéneuses. » (Histoire de Marie-Antoinette, par Montjoie.)


Note (S), page 230.

« La reine, dans le choix de ses divertissemens, ne se montrait pas plus soumise au cérémonial ; on jouait la comédie dans l’intérieur de ses appartemens : elle ne dédaignait pas d’y accepter des rôles, et ces rôles n’étaient pas les plus nobles ; elle jouait aussi dans des opéras-comiques. Ce genre d’amusement fut, comme la simplicité de ses habits, blâmé et imité : le goût pour les représentations théâtrales passa dans toutes les classes de la société ; il n’y eut pas un homme de qualité, pas un financier, pas un bourgeois un peu aisé, qui ne voulût avoir chez lui une salle de spectacle, et y copier les manières des acteurs. Autrefois un simple gentilhomme eût été déshonoré, si l’on eût cru qu’il se fût métamorphosé en comédien, même dans l’intérieur d’une maison. La reine ayant détruit, par son exemple, ce préjugé salutaire, le chef même de la magistrature, oubliant la dignité de sa place, apprit par cœur et joua des rôles bouffons.

Cette manie, devenant générale, combla peu à peu l’intervalle qui avait toujours séparé les comédiens des autres classes de la société : on les fréquenta plus que jamais, et les mœurs ne gagnèrent pas à ce rapprochement.

La reine remplissait assez gauchement les rôles qu’elle adoptait ; elle ne pouvait guère l’ignorer, par le peu de plaisir que faisait sa manière de jouer. Quelqu’un osa même dire assez haut, un jour qu’elle se donnait ainsi en spectacle : Il faut convenir que c’est royalement mal jouer. Cette leçon fut perdue pour elle, parce que jamais elle ne sacrifiait à l’opinion d’autrui rien de ce qu’elle croyait indifférent en soi-même, et devoir lui être permis.

Louis XIV avait le même goût ; il dansait sur le théâtre ; mais il avait prouvé, par des actions éclatantes, qu’il savait contraindre au respect, et d’ailleurs il renonça sans hésiter à cet amusement dès qu’il eut entendu réciter les beaux vers où Racine lui représentait combien de pareils passe-temps étaient indignes de lui.

La reine n’eut pas la même docilité. Quand des personnes sages lui dirent que, par la trop grande modestie de ses vêtemens, que par le genre de ses divertissemens et son aversion pour l’éclat qui doit toujours accompagner une reine, elle se donnait une apparence de légèreté qu’une partie du public interprétait mal, elle répondait comme madame de Maintenon : « Je suis sur le théâtre, il faut bien qu’on me siffle ou qu’on m’applaudisse. » (Histoire de Marie-Antoinette, par Montjoie.)


Note (T), page 233.

« Franklin naquit à Boston, dans la Nouvelle-Angleterre, le 17 janvier 1706. Son père était fabricant de chandelles, et il apprit d’abord cette profession. À l’âge de 14 ans, brûlant du désir de s’instruire, il partit de la maison paternelle pour Philadelphie, et sut se faire admettre chez le seul imprimeur qu’il y eût alors dans cette ville et dans toute l’Amérique septentrionale. Il y vécut de pain et d’eau pendant un an, afin de pouvoir acheter les livres dont il avait besoin pour étudier les sciences. Ses progrès et ses découvertes, principalement dans la physique, lui firent une grande réputation. On sait que c’est à lui que l’on doit l’usage des paratonnerres, et la hardiesse d’attirer et de diriger le feu du ciel. L’étude ne lui fit pas négliger le soin de sa fortune. Il gagna long-temps sa vie à imprimer et à vendre des livres. Estimé de ses concitoyens, il devint directeur-général des postes de l’Amérique septentrionale, place qui lui fut très-lucrative. Il l’occupait encore lorsqu’il parut, en février 1766, devant la Chambre des communes de Londres, au sujet de la révocation de l’accise du timbre. Il soutint avec fermeté le droit des colonies anglaises à s’imposer elles-mêmes, comme n’étant pas représentées par le Parlement d’Angleterre. » (Anecdotes historiques du règne de Louis XVI, tom. IV.)

Le même ouvrage contient plus bas les détails qu’on va lire :

« MM. Déane et Franklin, députés des insurgens en 1777, vivaient à Paris sans appareil, sans luxe, sans ostentation ; ils étaient dans une honnêteté bourgeoise. Le docteur Franklin était très-couru, très-fêté, non-seulement des savans, ses confrères, mais de tous les gens qui pouvaient le posséder ; car il se communiquait avec difficulté, et vivait dans une réserve qu’on lui croyait prescrite par son gouvernement. Il s’habillait avec une extrême simplicité. Il avait une belle physionomie, des lunettes toujours devant les yeux ; peu de cheveux, un bonnet de peau qu’il portait constamment sur sa tête ; point de poudre, mais un air propre ; du linge extrêmement blanc et un habit brun étaient toute sa parure. Il portait pour seule défense un bâton à la main.

» La cour de France, puissamment sollicitée par Silas Déane et Franklin, commença à s’occuper des intérêts de l’Amérique insurgente. Beaumarchais, intriguant auprès du comte de Maurepas, sut profiter des circonstances. Il fut autorisé secrètement à faire des armemens de commerce pour les colonies anglaises. Elles durent, en partie, au crédit, à l’activité de cet agent, l’avantage inespéré de se procurer les approvisionnemens nécessaires pour leurs premières campagnes. Beaumarchais gagna des sommes immenses en leur vendant très-cher son zèle et ses services, et se moqua de l’accusation, vraie ou mal fondée, de leur avoir envoyé des armes de rebut, et les plus mauvais armemens en tout genre.

» M. Déane, fatigué des lenteurs et même des défaites de M. de Sartine, alors ministre de la marine, lui écrivit qu’il se décidât, sous deux fois vingt-quatre heures, à faire signer le traité de l’union de la France et de l’Amérique septentrionale ; qu’autrement il s’accommoderait avec l’Angleterre. Il prit ce parti brusque et irrégulier sans la participation de son collègue. À peine lui en eut-il fait confidence, que le docteur Franklin crut tout perdu. « Vous avez offensé la cour de France et ruiné l’Amérique ! s’écria le philosophe. — Tranquillisez-vous jusqu’à ce que nous ayons une réponse, répliqua le négociateur. — Une réponse ! nous allons être mis à la Bastille. — C’est ce qu’il faudra voir. »

« Au bout de quelques heures, le premier secrétaire de M. de Sartine paraît. « Vous êtes priés, Messieurs, de vous tenir prêts pour une entrevue à minuit ; on viendra vous chercher.

» — À minuit ! (s’écrie le docteur Franklin, dès que le secrétaire est parti), ma prédiction est vérifiée ; M. Déane, vous avez tout perdu. »

» On ne manqua pas de venir les prendre à l’heure indiquée. Les envoyés américains montent dans une voiture, et arrivent à une maison de campagne, à cinq lieues de Paris, où M. de Sartine voulut les recevoir pour mieux couvrir cette démarche d’un voile mystérieux. On les introduit auprès du ministre, et la déclaration demandée si impérieusement par M. Déane est signée à l’instant même.

» Les députés américains rentrèrent chez eux triomphans, et M. Franklin avoua qu’en politique il ne fallait pas toujours s’armer de patience.

» Lorsqu’on apprit en France, le 11 juin 1790, la perte que venaient de faire les États-Unis d’Amérique, Mirabeau monta à la tribune de l’Assemblée nationale, et prononça ces paroles : « Franklin est mort ; il est retourné au sein de la Divinité… Le sage que les deux mondes réclament, l’homme que se disputent l’histoire des sciences et l’histoire des empires, tenait sans doute un rang élevé dans l’espèce humaine. Assez long-temps les cabinets politiques ont notifié la mort de ceux qui ne furent grands que dans leur éloge funèbre ; assez long-temps l’étiquette des cours a proclamé des deuils hypocrites ; les nations ne doivent porter que le deuil de leurs bienfaiteurs… Le congrès a ordonné, dans les États de la confédération, un deuil de deux mois pour la mort de Franklin… Ne serait-il pas digne de vous, Messieurs, de nous unir à cet acte religieux, de participer à cet hommage rendu, à la face de l’univers, et aux droits de l’homme et au philosophe qui a le plus contribué à en propager la conquête sur toute la terre ? L’antiquité eût élevé des autels à ce puissant génie qui, au profit des mortels, embrassant dans sa pensée le ciel et la terre, sut dompter la foudre et les tyrans. »

» À l’unanimité des voix, l’Assemblée nationale décréta un deuil public de trois jours.

» La municipalité de Paris, voulant rendre un hommage éclatant à la mémoire de cet homme qu’enflammèrent le génie des sciences et l’amour de la liberté, fit prononcer son oraison funèbre par l’abbé Fauchet, président du conseil-général de la commune, dans la vaste et superbe rotonde de la Halle aux blés, au milieu de laquelle était élevé un catafalque. Tout l’intérieur de la rotonde était tendu en noir ; un candélabre à chaque pilier, un cordon de lampions au-dessus de la corniche, un amphithéâtre autour de la rotonde rempli d’auditeurs en deuil, présentaient un spectacle aussi majestueux qu’imposant. L’Assemblée nationale s’y était rendue par députation. »


Note (U), page 252.

« Le roi (de Naples), ayant atteint sa dix-huitième année, épousa Marie-Caroline d’Autriche, fille de l’illustre Marie-Thérèse (1768). Ce mariage promettait à la nation napolitaine qu’on ne verrait plus désormais l’Autriche prétendre au trône de Naples, et que de long-temps cette puissance ne menacerait son repos. Mais, dès ce moment, cessa l’influence du cabinet de Madrid. L’Angleterre avait uni ses intérêts à ceux de l’Autriche ; et celle-là, par son commerce, et celle-ci, par ses alliances, avaient déjà pris le plus grand ascendant sur les affaires d’Italie. L’Autriche, pour assurer le sien sur la cour de Naples, ne négligea pas le moyen puissant que lui offrait la fortune ; il fut stipulé, dans le contrat de mariage de Ferdinand et de Caroline, qu’après la naissance de son premier fils, la jeune reine entrerait au conseil, en ferait partie, et qu’elle y aurait même voix délibérative ; droit qu’elle n’omit pas d’exiger lorsque le temps en fut venu. Ce fut alors que Tanucci reconnut, mais trop tard, la faute qu’il avait faite, en ne s’opposant pas de tout son crédit à une pareille clause. Il voulut néanmoins l’éluder ; mais la reine, aussi pénétrante qu’ambitieuse, et qui tous les jours acquérait de l’ascendant sur son époux, découvrit la cause des obstacles qu’apportait à ses vues un trop imprévoyant ministre, et résolut de s’en débarrasser. Bientôt, abreuvé de dégoûts, tourmenté de regrets, Tanucci fut renvoyé du ministère (1777). Comme tant d’autres qui l’avaient précédé dans la plus dangereuse des carrières, il alla finir dans la retraite des jours que du moins il avait glorieusement employés. Si la cour fut ingrate, le peuple fut reconnaissant ; et même aujourd’hui sa mémoire est en vénération. Ce fut le Sully, le Colbert de ce pays.

La reine sut trouver un homme docile qui se prêta à ses volontés. Le marquis de Sambuca fut nommé pour remplacer le ministre disgracié ; et c’est ainsi que, suivant un usage assez constant, la médiocrité remplaça le mérite. Dès ce moment la puissance et le crédit de la reine furent inébranlablement établis.

Jamais un royaume n’éprouva plus le besoin d’une marine militaire que le royaume de Naples. Quand même elle n’y serait pas aussi importante qu’elle l’est pour protéger le commerce, et assurer les rapports entre l’une et l’autre Sicile, elle y est indispensable, soit pour réprimer l’audace des corsaires africains, soit pour empêcher ces barbares d’attenter à la sûreté et à la tranquillité des rivages de ce royaume. On sentit donc la nécessité de créer une marine ou d’améliorer l’ancienne. Il ne s’agissait plus que de trouver un marin habile ; mais on ne voulait le prendre ni en Espagne ni en France. Le chevalier Acton avait bien servi quelque temps dans la marine ; mais il y avait éprouvé des dégoûts et s’était éloigné. Il fut proposé à la reine et accepté.

Cet officier commandait alors les forces navales du grand-duc de Toscane. Il avait acquis quelque réputation dans diverses expéditions contre les Barbaresques, et principalement dans une entreprise contre les Algériens, où figuraient les Espagnols, les Napolitains et les Toscans réunis. Jeune encore, ambitieux, mais sans génie, et ne connaissant guère que l’art maritime, il était doué, par compensation, d’une grande docilité et de beaucoup d’adresse : aussi ne tarda-t-il pas à s’ouvrir ce que l’on appelle une carrière brillante, en secondant les desseins de la reine à qui il devait sa fortune.

Caroline, née ambitieuse, avait l’esprit novateur de son frère Joseph, sans en avoir ni les talens, ni la philosophie. Il lui manquait et sa mâle persévérance et son impassible caractère. Elle ordonna d’abord qu’on ouvrît des routes nécessaires au commerce intérieur, et, pour en payer les frais, elle établit un impôt qui devait rapporter annuellement trois cent mille ducats. Mais ces utiles travaux furent presque aussitôt suspendus que commencés : le produit du nouvel impôt fut employé à d’autres besoins, et, quoiqu’il dût être momentané, la perception en continua toujours.

Cependant Acton fut chargé du ministère de la marine. On attendait de lui la régénération ou plutôt une création nouvelle de la marine napolitaine ; et il débuta par la plus funeste méprise. L’objet d’une marine militaire à Naples devait être de protéger contre les Barbaresques le commerce, qui, en grande partie, consiste dans l’exportation des denrées du pays. Acton s’attacha tout entier à l’idée de donner des vaisseaux de haut-bord et des frégates à un État qui avait principalement besoin de petits bâtimens qui prissent peu d’eau, et qui pussent conséquemment combattre les corsaires partout où ils se retirent dans les anses et dans les plus petits ports. Cette erreur coûta à la nation de fortes sommes, et l’on sacrifia, avec la plus insigne imprudence, les petits bâtimens qu’elle possédait déjà, et qui, armés en corsaires, s’étaient rendus redoutables aux pirates africains.

Malgré le peu de succès de ces innovations, les changemens, les perfectionnemens existaient toujours à la cour de Naples, et l’on songea à porter la réforme dans l’état militaire. D’après les ordonnances de Charles III, l’armée ne devait pas dépasser trente mille hommes ; mais, comme il arrive presque toujours en temps de paix, quand le gouvernement n’y veille pas attentivement, le nombre effectif de l’armée ne s’élevait qu’à la moitié du nombre établi, c’est-à-dire à quinze mille hommes. Le chevalier Acton, après s’être fait donner, outre le ministère de la marine, celui de la guerre, augmenta le nombre des soldats, mais ne changea point le système de dilapidation établi, et ne travailla point à introduire parmi les troupes le bon ordre ni la discipline.

Mais, avant de retracer les moyens dont le ministre Acton se servit pour donner à l’armée une organisation nouvelle, jetons un coup d’œil rapide sur les événemens politiques qui occupèrent la cour de Naples pendant les huit à dix années qui précédèrent l’époque où on la verra jouer un rôle parmi les puissances liguées contre la nation française.

Sans doute le roi d’Espagne ne voyait pas sans peine que, depuis qu’une Autrichienne était entrée dans le conseil du roi son fils, il y avait perdu toute espèce d’influence ; que l’Angleterre était favorisée au détriment de la France, à qui tant de motifs, et surtout l’intérêt du commerce, devaient si fortement lier le royaume de Naples. Mais long-temps Charles III se contenta de donner par ses lettres, ou par ses ambassadeurs, de simples avis, ou de faire des reproches modérés : bientôt il fallut parler en père irrité et presque en maître.

La France était dans l’usage d’acheter dans les Calabres des bois de construction ; sous prétexte que ces bois étaient nécessaires à la marine que l’on s’occupait à former, Acton empêcha la France d’en exporter du royaume. La cour de Versailles dissimula son ressentiment.

Précisément à cette époque, arriva cet épouvantable tremblement de terre de la Calabre, où périrent tant de milliers d’hommes, où tant d’autres restèrent sans asile et sans pain. À la nouvelle de ce désastre, la cour de France, oubliant tous motifs de mécontentement, fit expédier une frégate chargée de blé, afin que le roi de Naples pût procurer promptement des secours aux malheureux habitans des pays ravagés. Le ministre fit refuser sèchement un don qui certes n’avait rien d’injurieux et qui ne pouvait être que désintéressé : tant la haine est déraisonnable !

Cette conduite envers la France irrita tellement le roi Charles, qu’abandonnant son système de modération, il ordonna à son fils de renvoyer un ministre qui abusait ainsi de sa confiance. Acton, soutenu par la faveur de la reine, brava le courroux du roi d’Espagne, aux ordres de qui on résista. Le favori n’en resta que plus puissant. L’Autriche et l’Angleterre devinrent les seules puissances qui furent accueillies avec intérêt, considérées à la cour de Naples : les agens de l’Espagne et de la France n’y éprouvèrent que des refus et souvent des insultes. » (Mémoires sur le royaume de Naples, par M. le comte Grégoire Orloff ; t. II.)


Note (V), page 265.

CHANSON

FAITE IL Y A QUINZE ANS, EN 1788, PAR M. LE COMTE D’ADHÉMAR,
DEPUIS AMBASSADEUR EN ANGLETERRE.

Sur l’air du vaudeville du Tableau parlant.

Dans un monde trompeur
J’eus de la bonhomie ;
Je parlai de l’honneur,
J’offris mon cœur ;
La bonne compagnie
Persifla ma folie :
Ma foi, vive le vin
Et la catin !

Je fus fort bien traité,
Quand j’attaquai Silvie ;
Mais je fus débouté
Pendant l’été.
La bonne compagnie
De l’absence s’ennuie ;
Ma foi, vive le vin
Et la catin !


D’une prude à grands frais
Je me fis une amie,
Même encore je l’aurais
Sans son laquais.
La bonne compagnie
Souvent se mésallie :
Ma foi, vive le vin
Et la catin !


(Correspondance de Grimm, tome IV, page 563.)


FIN DES ÉCLAIRCISSEMENS HISTORIQUES ET DES PIÈCES OFFICIELLES.

  1. Il est fort douteux que le sévère Christophe de Beaumont ait tenu de pareils discours, quant à nous, nous n’en croyons rien.
    (Note des édit.)
  2. La vérité de ces détails est confirmée par les Mémoires de Besenval, tome I.
    (Note des édit.)
  3. Ces notes, relatives à la dernière maladie de Louis XV, m’ont été données par M. de la Borde, premier valet de chambre de Louis XV (qui a laissé des Mémoires précieux sur la cour de Louis XV) ; par l’abbé Dupinet, chanoine de Notre-Dame, qui les tenait de M. l’archevêque de Paris ; par le cardinal de Luynes ; par madame d’Aiguillon ; par le duc de Fronsac, et par le maréchal de Richelieu. J’ai puisé dans les partis opposés ce que j’avais à dire sur les intrigues qui tourmentèrent le mourant.
    (Note de Soulavie.)
  4. Depuis, cette fiole fut brisée sur le pavé de l’abbaye par le conventionnel Ruhl en mission ; la châsse et les reliquaires, mis en pièces par son ordre, furent envoyés à la Monnaie.
    (Note des édit.)
  5. La comtesse Amélie, sa belle-fille.