Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette/Tome 1/6

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CHAPITRE IV.

Maladie de Louis XV. — Tableau de la cour. — Renvoi de madame Du Barry. — Bougie placée sur une fenêtre, et qu’on souffle au moment de la mort du roi. — Les courtisans quittent son antichambre pour se précipiter dans les appartemens de Louis XVI. — Départ de la cour pour Choisy. — Terme de la douleur sur la mort du feu roi. — M. de Maurepas, ministre. — Entretien de la reine avec M. Campan, au sujet du duc de Choiseul. — L’abbé de Vermond en prend ombrage. — Louis XVI l’aimait peu. — Influence de l’exemple sur les courtisans. — Enthousiasme qu’inspire le nouveau règne. — Révérences de deuil à la Muette. — Anecdote à ce sujet. — On donne injustement à la reine le titre de moqueuse. — Premiers couplets contre elle. — Le roi et les princes ses frères se font inoculer. — Séjour à Marly. — La reine désire voir le lever de l’aurore. — Calomnies dont elle est l’objet. — Le joaillier Bœhmer. — Mademoiselle Bertin. — Changement dans les modes. — Hauteur des coiffures. — Étiquettes dont la reine ne peut supporter le joug. — Repas publics servis par des femmes. — Simplicité de la cour de Vienne. — Contributions levées d’une manière touchante par les princes de Lorraine. — Sobriété, décence et modestie extrêmes de Marie-Antoinette.

Vers les premiers jours de mai 1774, Louis XV, annonçant par la force de sa constitution une existence encore assez longue, fut attaqué d’une petite vérole confluente des plus funestes. Mesdames inspirèrent, à cette époque, à madame la dauphine un sentiment de respect et d’attachement, dont elle leur donna des preuves multipliées, lorsqu’elle fut sur le trône. En effet, rien ne fut plus admirable et plus touchant que le courage avec lequel elles affrontèrent la maladie la plus horrible : l’air du palais était infecté ; plus de cinquante personnes gagnèrent la petite vérole pour avoir seulement traversé la galerie de Versailles, et dix en moururent[1].

La fin de ce monarque approchait : son règne, assez paisible, avait conservé une force imprimée par la puissance de son prédécesseur ; d’un autre côté, sa faiblesse avait de même préparé les malheurs de celui qui régnerait après lui. La scène allait changer : l’espoir, l’ambition, la joie, la douleur, tous les sentimens qui s’emparaient diversement des cœurs des courtisans, se déguisaient vainement sous un extérieur uniforme. Il était aisé de démêler les différens motifs qui leur faisaient, à chaque instant, répéter à tous cette phrase : « Comment va le roi ? » Enfin, le 10 mai 1774, se termina la carrière de Louis XV[2].

La comtesse Du Barry s’était retirée depuis quelques jours à Ruelle, chez le duc d’Aiguillon ; douze ou quinze personnes de la cour crurent devoir y aller lui faire des visites ; leurs livrées furent remarquées ; et ce fut pendant long-temps un motif de défaveur. J’ai entendu, plus de six ans après la mort du roi, dire, dans le cercle de la famille royale, en parlant d’une de ces personnes-là : « C’était une des quinze voitures de Ruelle. »

Toute la cour se rendit au château ; l’œil-de-bœuf se remplit de courtisans, le palais de curieux. Le dauphin avait décidé qu’il partirait avec la famille royale, au moment où le roi rendrait le dernier soupir. Mais dans une semblable occasion, la bienséance ne permettait guère de faire passer de bouche en bouche des ordres positifs de départ. Les chefs des écuries étaient donc convenus avec les gens qui étaient dans la chambre du roi, que ceux-ci placeraient une bougie allumée auprès d’une fenêtre, et qu’à l’instant où le mourant cesserait de vivre, un d’eux éteindrait la bougie.

La bougie fut éteinte : à ce signal les gardes-du-corps, les pages, les écuyers, montèrent à cheval, tout fut prêt pour le départ. Le dauphin était chez la dauphine. Ils attendaient ensemble la nouvelle de la mort de Louis XV. Un bruit terrible et absolument semblable à celui du tonnerre, se fit entendre dans la première pièce de l’appartement : c’était la foule des courtisans qui désertaient l’antichambre du souverain expiré, pour venir saluer la nouvelle puissance de Louis XVI. À ce bruit étrange, Marie-Antoinette et son époux reconnurent qu’ils allaient régner, et, par un mouvement spontané qui remplit d’attendrissement ceux qui les entouraient, tous deux se jetèrent à genoux ; tous deux, en versant des larmes, s’écrièrent : Mon Dieu, guidez-nous, protégez-nous, nous régnons trop jeunes.

Madame la comtesse de Noailles entra, la salua la première comme reine de France, et demanda à LL. MM. de vouloir bien quitter les cabinets intérieurs pour venir dans la chambre recevoir les princes et tous les grands officiers qui désiraient offrir leurs hommages à leurs nouveaux souverains. Appuyée sur son époux, un mouchoir sur les yeux, et dans l’attitude la plus touchante, Marie-Antoinette reçut ces premières visites : les voitures avancèrent, les gardes, les écuyers étaient à cheval. Le château resta désert ; tout le monde s’empressait de fuir une contagion qu’aucun intérêt ne donnait plus le courage de braver.

En sortant de la chambre de Louis XV, le duc de Villequier, premier gentilhomme de la chambre d’année, enjoignit à M. Andouillé, premier chirurgien du roi, d’ouvrir le corps et de l’embaumer. Le premier chirurgien devait nécessairement en mourir. « Je suis prêt, répliqua Andouillé ; mais, pendant que j’opérerai, vous tiendrez la tête : votre charge vous l’ordonne. » Le duc s’en alla sans mot dire, et le corps ne fut ni ouvert ni embaumé. Quelques serviteurs subalternes et de pauvres ouvriers restèrent près de ces restes pestiférés ; ils rendirent les derniers devoirs à leur maître ; les chirurgiens prescrivirent de verser de l’esprit-de-vin dans le cercueil.

La totalité de la cour partit à quatre heures pour Choisy : Mesdames, tantes du roi, dans leur voiture particulière ; les princesses en éducation, avec madame la comtesse de Marsan et leurs sous-gouvernantes ; le roi, la reine, Monsieur, frère du roi, Madame, le comte et la comtesse d’Artois, réunis dans une même voiture. La scène imposante qui venait de se passer sous leurs yeux, les idées multipliées qu’offrait à leur imagination celle qui s’ouvrait pour eux, les avaient naturellement portés vers la douleur et la réflexion : mais, du propre aveu de la reine, cette disposition, peu faite pour leur âge, cessa en entier vers la moitié de la route : un mot plaisamment estropié par madame la comtesse d’Artois, fit éclater un rire général, et de ce moment les larmes furent essuyées. La circulation entre Choisy et Paris était immense : jamais on ne vit plus de mouvement dans une cour. Quelle sera l’influence de Mesdames tantes ? de la reine ? Quel sort réserve-t-on à la comtesse Du Barry ? Quels ministres le jeune roi va-t-il choisir ? — Toutes ces questions furent décidées en peu de jours. Il fut arrêté que l’âge du roi exigeait qu’il eût près de lui une personne de confiance ; qu’il y aurait un premier ministre, et les yeux se fixèrent sur MM. de Machault et de Maurepas, tous deux fort âgés : le premier, retiré dans sa terre auprès de Paris ; le second, à Pontchartrain, où il avait été très-anciennement exilé. La lettre pour rappeler M. de Machault était écrite, lorsque madame Adélaïde obtint la préférence de ce choix important en faveur de M. de Maurepas. On rappela le page qui était muni de la première lettre[3].

Le duc d’Aiguillon avait eu trop ouvertement le titre d’ami particulier de la maîtresse du roi ; il fut congédié. M. de Vergennes, alors ambassadeur de France à Stockholm, fut nommé ministre des affaires étrangères ; le comte du Muy, intime ami du dauphin, père de Louis XVI, eut le département de la guerre. L’abbé Terray dit et écrivit en vain qu’il avait courageusement fait tout le mal possible aux créanciers de l’État, pendant le règne du feu roi ; que l’ordre était rétabli dans les finances, qu’il n’avait plus que du bien à faire ; et que la nouvelle cour allait jouir des avantages de la partie régénératrice de son plan de finances : toutes ces raisons, développées dans cinq ou six mémoires qu’il fit successivement remettre au roi et à la reine, ne purent lui servir à conserver son poste. On convenait de ses talens ; mais l’odieux que ses opérations avaient nécessairement attiré sur son caractère, et l’immoralité de sa conduite privée, ne permettaient point son plus long séjour à la cour : il fut remplacé par M. de Clugny[4]. Le chancelier de Maupeou fut exilé ; la joie en fut universelle ; ensuite le rappel des parlemens produisit la plus grande sensation : Paris était dans l’ivresse de la joie, et l’on rencontrait tout au plus une personne sur cent qui prévît que l’esprit de l’ancienne magistrature serait toujours le même ; et qu’avant peu elle oserait porter de nouvelles atteintes à l’autorité royale. Madame Du Barry avait été exilée au Pont-aux-Dames. Cette mesure était plus de nécessité que de rigueur : quelque temps de retraite forcée était indispensable pour lui faire perdre le fil des affaires.

On lui conserva la possession de Luciennes et une pension considérable[5]. Tout le monde s’attendait au rappel de M. le duc de Choiseul ; les regrets qu’il avait laissés à la cour parmi ses nombreux amis, l’attachement d’une jeune princesse qui lui devait le trône de France, tout paraissait annoncer son retour : la reine le demanda au roi avec les instances les plus vives, mais elle rencontra un obstacle invincible et qu’elle n’avait pas prévu. Le roi avait, dit-on, puisé les plus fortes préventions contre ce ministre[6], dans des Mémoires secrets écrits par son père, avec l’injonction faite au duc de La Vauguyon de les lui remettre aussitôt qu’il serait en âge de s’occuper de l’art de régner[7]. Ce furent ces Mémoires qui lui inspirèrent l’estime qu’il avait conçue pour le maréchal du Muy, et l’on peut ajouter que madame Adélaïde qui, dans ces premiers momens, influença beaucoup les décisions du jeune monarque, le soutenait dans les mêmes principes.

La reine s’entretint, avec M. Campan, du regret qu’elle avait de ne pouvoir contribuer à faire rappeler M. de Choiseul, et lui en confia les motifs. L’abbé de Vermond qui, jusqu’à l’époque de la mort de Louis XV, avait vécu avec M. Campan dans la plus étroite intimité, entra chez lui le second jour de l’arrivée de la cour à Choisy, et prenant un air sérieux et sévère : « Monsieur, lui dit-il, la reine eut hier l’indiscrétion de vous parler d’un ministre auquel elle doit être attachée, et que ses amis désiraient vivement de revoir auprès d’elle ; vous savez que nous devons renoncer à voir le duc à la cour ; vous en connaissez les motifs ; mais vous ignorez que la jeune reine m’ayant fait l’aveu de cet entretien, j’ai dû, comme instituteur et comme ami, lui faire les représentations les plus sévères sur le tort qu’elle avait eu de vous communiquer les détails qui sont à votre connaissance. Je viens en ce moment vous annoncer que si vous continuez à profiter de la bienveillance de votre maîtresse, pour vous initier dans les secrets de l’État, vous aurez en moi l’ennemi le plus prononcé. La reine ne doit avoir ici que moi pour confident des choses qui doivent être ignorées[8]. » M. Campan lui répondit qu’il n’enviait pas le rôle important et dangereux que s’attribuait l’abbé de Vermond dans la nouvelle cour ; qu’il se bornerait aux fonctions de ses charges, assez satisfait des bontés constantes dont la reine l’honorait, pour ne rien désirer de plus. Cependant il rendit compte, dès le soir même, à la reine, de l’injonction qu’il avait reçue. Elle lui avoua qu’elle avait parlé de sa conversation à l’abbé ; qu’il l’avait, en effet, sérieusement grondée, pour lui faire sentir la nécessité du secret dans les affaires ; et elle ajouta : « L’abbé ne peut vous aimer, mon cher Campan, il ne s’attendait pas que je trouverais dans mon intérieur, en arrivant en France, un homme qui me conviendrait aussi parfaitement que vous[9]. Je sais qu’il en a conçu de l’ombrage ; cela suffit : je sais aussi que vous êtes incapable de faire, auprès de moi, pour le desservir, des tentatives qui seraient d’ailleurs inutiles ; je lui suis trop anciennement attachée. Soyez, de votre côté, bien rassuré sur l’inimitié de l’abbé qui ne pourra vous nuire en aucune manière. Nous ne risquons de faire des choses injustes, que lorsque les personnes qui nous environnent ont l’art perfide de nous déguiser les motifs de haine ou d’ambition qui les font agir. » L’abbé de Vermond, s’étant assuré dans l’intérieur de la reine le poste de confident unique, était cependant tremblant aussitôt qu’il apercevait le jeune monarque. Il ne pouvait ignorer qu’il était placé par le duc de Choiseul, et taxé de tenir aux encyclopédistes contre lesquels Louis XVI avait une secrète prévention, malgré l’ascendant qu’il leur a laissé prendre sous son règne. L’abbé jugeait donc qu’il ne devait pas être agréable au roi. Il avait de plus observé que jamais, étant dauphin, ce prince ne lui avait dit une seule parole ; et que, très-souvent, il ne lui avait répondu que par un haussement d’épaules. Il prit alors le parti d’écrire à Louis XVI, et lui manda qu’il devait son état à la cour uniquement à la confiance dont le feu roi l’avait honoré ; et que les habitudes contractées pendant l’éducation de la reine, le plaçant sans cesse dans son intérieur le plus intime, il ne pouvait jouir de l’honneur de rester auprès de Sa Majesté, sans en avoir obtenu le consentement du roi. Louis XVI lui renvoya sa lettre après y avoir écrit ces mots : Je consens à ce que l’abbé de Vermond continue ses fonctions auprès de la reine.

Quoique Louis XVI, à l’époque de la mort de son aïeul, n’eût pas encore joui des droits d’époux, il commençait à être fort attaché à la reine. Les premiers temps d’un deuil si imposant ne permettant pas de prendre le délassement de la chasse, il lui proposa des promenades dans les jardins de Choisy : ils sortirent maritalement, le jeune monarque donnant le bras à la reine, accompagnés d’une suite peu nombreuse. L’influence de l’exemple sur l’esprit des courtisans produisit un si grand effet, qu’on eut le plaisir de voir, dès le lendemain, plusieurs époux très-anciennement désunis, et pour de bonnes raisons, se promener sur la terrasse avec cette même intimité conjugale. Ils passaient ainsi des heures entières, bravant par flatterie l’insupportable ennui de leurs longs tête-à-tête.

Le dévouement de Mesdames pour le roi leur père, pendant son affreuse maladie, avait produit sur leur santé l’effet généralement redouté. Le quatrième jour de leur arrivée à Choisy, les trois princesses furent saisies d’un violent mal de tête et d’un mal de cœur qui ne laissait aucun doute sur leur état. Il fallut faire promptement partir la jeune famille royale ; et le château de la Muette, dans le bois de Boulogne, fut choisi pour la recevoir. Cette habitation, fort rapprochée de Paris, attira dans les environs une affluence de monde si considérable, que dès la pointe du jour la foule était déjà établie aux grilles du château. Les cris de vive le roi ! qui commençaient à six heures du matin, n’étaient presque point interrompus jusqu’après le coucher du soleil. L’espérance qui naît d’un règne nouveau, la défaveur que le feu roi s’était attirée pendant les premières années du sien, occasionnaient ces transports.

Un bijoutier à la mode fit une grande fortune, en vendant des tabatières de deuil où le portrait de la jeune reine, placé dans une boîte noire, faite de chagrin, amenait le calembourg suivant :La consolation dans le chagrin. Toutes les modes, toutes les coiffures prirent des noms analogues à l’esprit du moment. Les symboles de l’abondance furent partout représentés, et les coiffures des femmes étaient surchargées d’épis de blé. Les poëtes célébraient le nouveau monarque ; tous les cœurs ou plutôt toutes les têtes françaises étaient remplies d’un enthousiasme sans exemple. Jamais commencement de règne n’excita des témoignages d’amour et d’attachement plus unanimes. Il est à remarquer pourtant qu’au milieu de cette ivresse le parti anti-autrichien ne perdait pas la jeune reine de vue, et guettait, avec la malicieuse envie de lui nuire, les fautes qui pourraient échapper à sa jeunesse et à son inexpérience.

On eut à recevoir à la Muette les révérences de deuil de toutes les dames présentées à la cour ; aucune d’elles ne crut pouvoir se dispenser de rendre hommage aux nouveaux souverains. Les plus vieilles comme les plus jeunes dames accoururent pour se présenter dans ce jour de réception générale ; les petits bonnets noirs à grands papillons, les vieilles têtes chancelantes, les révérences profondes et répondant au mouvement de la tête, rendirent, à la vérité, quelques vénérables douairières un peu grotesques ; mais la reine, qui avait beaucoup de dignité et de respect pour les convenances, ne commit pas la faute grave de perdre le maintien qu’elle devait observer. Une plaisanterie indiscrète d’une des dames du palais lui en donna cependant le tort apparent. Madame la marquise de Clermont-Tonnerre, fatiguée de la longueur de cette séance, et forcée, par les fonctions de sa charge, de se tenir debout derrière la reine, trouva plus commode de s’asseoir à terre sur le parquet, en se cachant derrière l’espèce de muraille que formaient les paniers de la reine et des dames du palais. Là, voulant fixer l’attention et contrefaire la gaieté, elle tirait les jupes de ces dames, et faisait mille espiégleries. Le contraste de ces enfantillages avec le sérieux de la représentation qui régnait dans toute la chambre de la reine, déconcerta Sa Majesté plusieurs fois : elle porta son éventail devant son visage pour cacher un sourire involontaire, et l’aréopage sévère des vieilles dames prononça que la jeune reine s’était moquée de toutes les personnes respectables qui s’étaient empressées de lui rendre leurs devoirs ; qu’elle n’aimait que la jeunesse ; qu’elle avait manqué à toutes les bienséances, et qu’aucune d’elles ne se présenterait plus à sa cour. Le titre de moqueuse lui fut généralement donné, et il n’en est point qui soit plus défavorablement accueilli dans le monde.

Le lendemain il circula une chanson fort méchante, et où le cachet du parti auquel on pouvait l’attribuer se faisait aisément remarquer. Je ne me rappelle que le refrain suivant :


Petite reine de vingt ans,
Vous, qui traitez si mal les gens,
Vous repasserez la barrière
Laire, laire, laire lanlaire, laire lanla.


Les fautes des grands ou celles que la méchanceté leur attribue, circulent avec la plus grande rapidité dans le monde, et s’y conservent comme une espèce de tradition historique que le provincial le plus obscur aime à répéter. Plus de quinze ans après cet événement, j’entendais raconter à de vieilles dames, au fond de l’Auvergne, tous les détails du jour des révérences pour le deuil du feu roi, où, disait-on, la reine avait indécemment éclaté de rire au nez des duchesses et des princesses sexagénaires qui avaient cru devoir paraître pour cette cérémonie.

Le roi et les princes ses frères s’étaient décidés à profiter des avantages de l’inoculation, pour se préserver de la funeste maladie qui venait de faire succomber leur aïeul ; mais l’utilité de cette nouvelle découverte n’étant pas alors généralement reconnue en France, beaucoup de gens à Paris furent très-alarmés du parti que venaient de prendre les princes ; ceux qui le blâmèrent hautement se plurent à en rejeter tout le tort sur la reine, qui seule avait pu, disait-on, se permettre de donner un conseil aussi téméraire, l’inoculation étant déjà établie dans les cours du Nord. Celle du roi et de ses frères, faite par le docteur Jauberthou, eut heureusement un succès complet.

Le voyage de Marly, lorsque l’état de convalescence fut entièrement établi, devint assez gai. On fit beaucoup de parties de cheval et de calèche. La reine eut l’idée de se donner une jouissance fort innocente ; jamais elle n’avait vu le lever de l’aurore : comme elle n’avait plus d’autre permission à obtenir que celle du roi, elle lui fit connaître son désir. Il consentit à ce qu’elle se rendît, à trois heures du matin, sur les hauteurs des jardins de Marly ; et malheureusement, peu porté à partager ses plaisirs, il fut se coucher. La reine suivit donc son idée ; mais comme elle prévoyait quelques inconvéniens à cette partie de nuit, elle voulut avoir avec elle beaucoup de monde, et ordonna même à ses femmes de la suivre. Toute précaution était inutile pour empêcher l’effet de la calomnie, qui dès-lors cherchait à diminuer l’attachement général qu’elle avait inspiré. Peu de jours après, il circulait à Paris le libelle le plus méchant qui ait paru dans les premières années du règne. On peignait sous les plus noires couleurs une partie de plaisir si innocente, qu’il n’y a point de jeune femme vivant à la campagne qui n’ait cherché à se la procurer. La pièce de vers qui parut à cette occasion était intitulée : Le lever de l’aurore[10].

Le duc d’Orléans, alors duc de Chartres, était du nombre des personnes qui accompagnaient la jeune reine à cette promenade nocturne : il paraissait, à cette époque, très-occupé d’elle ; mais ce fut le seul instant de sa vie où il y eut quelque rapprochement d’intimité entre la reine et ce prince. Le roi n’aimait pas le caractère du duc de Chartres, et la reine le tint toujours éloigné de sa société particulière. C’est donc sans aucune espèce de probabilité que quelques écrivains ont attribué à des sentimens de jalousie ou d’amour-propre blessé, la haine qu’il a manifestée contre la reine, dans les dernières années de leur existence.

Ce fut à ce premier voyage de Marly que parut à la cour le joaillier Bœhmer, dont l’ineptie et la cupidité amenèrent, dans la suite, l’événement qui porta l’atteinte la plus funeste au bonheur et à la gloire de Marie-Antoinette. Cet homme avait réuni, à grands frais, six diamans, en forme de poires, d’une grosseur prodigieuse ; ils étaient parfaitement égaux, et de la plus belle eau. Ces boucles d’oreilles avaient été destinées à la comtesse Du Barry, avant la mort de Louis XV.

Bœhmer, recommandé par plusieurs personnes de la cour, vint présenter son écrin à la reine : il demandait quatre cent mille francs de cet objet ; la jeune princesse ne put résister au désir de l’acheter ; et le roi venant de porter à cent mille écus par an les fonds de la cassette de la reine, qui, sous le règne précédent, n’était que de deux cent mille livres, elle voulut faire cette acquisition sur ses économies, et ne point grever le Trésor royal du paiement d’un objet de pure fantaisie : elle proposa à Bœhmer de retirer les deux boutons qui formaient le haut des girandoles, pouvant les remplacer par deux de ses diamans. Il y consentit, et réduisit les girandoles à trois cent soixante mille francs, dont le paiement fut réparti en différentes sommes et acquitté, en quatre ou cinq années par la première femme de la reine, chargée des fonds de sa cassette. Je n’ai omis aucuns détails sur cette première acquisition, les croyant très-propres à jeter un vrai jour sur l’événement trop fameux du collier, arrivé vers la fin du règne de Marie-Antoinette. Ce fut aussi à ce premier voyage de Marly que madame la duchesse de Chartres, depuis duchesse d’Orléans, introduisit, dans l’intérieur de la reine, mademoiselle Bertin, marchande de modes, devenue fameuse, à cette époque, par le changement total qu’elle introduisit dans la parure des dames françaises.

On peut dire que l’admission d’une marchande de modes chez la reine, fut suivie de résultats fâcheux pour Sa Majesté. L’art de la marchande, reçue dans l’intérieur en dépit de l’usage qui en éloignait sans exception toutes les personnes de sa classe, lui facilitait les moyens de faire adopter, chaque jour, quelque mode nouvelle. La reine, jusqu’à ce moment, n’avait développé qu’un goût fort simple pour sa toilette ; elle commença à en faire une occupation principale ; elle fut naturellement imitée par toutes les femmes.

On voulait à l’instant avoir la même parure que la reine, porter ces plumes, ces guirlandes auxquelles sa beauté, qui était alors dans tout son éclat, prêtait un charme infini. La dépense des jeunes dames fut extrêmement augmentée ; les mères et les maris en murmurèrent : quelques étourdies contractèrent des dettes ; il y eut de fâcheuses scènes de famille, plusieurs ménages refroidis ou brouillés ; et le bruit général fut que la reine ruinerait toutes les dames françaises.

Le costume changea successivement, et les coiffures parvinrent à un tel degré de hauteur, par l’échafaudage des gazes, des fleurs et des plumes, que les femmes ne trouvaient plus de voitures assez élevées pour s’y placer, et qu’on leur voyait souvent pencher la tête ou la placer à la portière. D’autres prirent le parti de s’agenouiller pour ménager, d’une manière encore plus sûre, le ridicule édifice dont elles étaient surchargées[11]. Des caricatures sans nombre exposées partout, et dont quelques-unes rappelaient malicieusement les traits de la souveraine, attaquèrent inutilement l’exagération de la mode ; elle ne changea, comme cela arrive toujours, que par la seule influence de l’inconstance et du temps.

L’habillement de la princesse était un chef-d’œuvre d’étiquette ; tout y était réglé. La dame d’honneur et la dame d’atours, toutes deux si elles s’y trouvaient ensemble, aidées de la première femme et de deux femmes ordinaires, faisaient le service principal ; mais il y avait entre elles des distinctions[12]. La dame d’atours passait le jupon, présentait la robe. La dame d’honneur versait l’eau pour laver les mains et passait la chemise. Lorsqu’une princesse de la famille royale se trouvait à l’habillement, la dame d’honneur lui cédait cette dernière fonction, mais ne la cédait pas directement aux princesses du sang ; dans ce cas, la dame d’honneur remettait la chemise à la première femme qui la présentait à la princesse du sang. Chacune de ces dames observait scrupuleusement ces usages comme tenant à des droits. Un jour d’hiver, il arriva que la reine, déjà toute déshabillée, était au moment de passer sa chemise ; je la tenais toute dépliée ; la dame d’honneur entre, se hâte d’ôter ses gants et prend la chemise. On gratte à la porte, on ouvre : c’est madame la duchesse d’Orléans ; ses gants sont ôtés, elle s’avance pour prendre la chemise, mais la dame d’honneur ne doit pas la lui présenter ; elle me la rend, je la donne à la princesse ; on gratte de nouveau : c’est Madame, comtesse de Provence ; la duchesse d’Orléans lui présente la chemise. La reine tenait ses bras croisés sur sa poitrine et paraissait avoir froid. Madame voit son attitude pénible, se contente de jeter son mouchoir, garde ses gants, et, en passant la chemise, décoiffe la reine qui se met à rire pour déguiser son impatience, mais après avoir dit plusieurs fois entre ses dents : C’est odieux ! quelle importunité !

Cette étiquette, gênante à la vérité, était calculée sur la dignité royale qui ne doit trouver que des serviteurs, à commencer même par les frères et les sœurs du monarque.

En parlant ici d’étiquette, je ne veux pas désigner cet ordre majestueux établi dans toutes les cours, pour les jours de cérémonies. Je parle de cette règle minutieuse qui poursuivait nos rois dans leur intérieur le plus secret, dans leurs heures de souffrances, dans celles de leurs plaisirs, et jusque dans leurs infirmités humaines les plus rebutantes.

Ces règles serviles étaient érigées en espèce de code ; elles portaient un Richelieu, un La Rochefoucauld, un Duras, à trouver, dans l’exercice de leurs fonctions domestiques, l’occasion de rapprochemens utiles à leur fortune ; et, pour ménager leur vanité, ils aimaient des usages qui convertissaient en honorables prérogatives, le droit de donner un verre d’eau, de passer une chemise et de retirer un bassin[13].

Des princes, accoutumés à être traités en divinités, finissaient naturellement par croire qu’ils étaient d’une nature particulière, d’une essence plus pure que le reste des hommes.

Cette étiquette qui, dans la vie intérieure de nos princes, les avait amenés à se faire traiter en idoles, dans leur vie publique en faisait des victimes de toutes les convenances. Marie-Antoinette trouva, dans le château de Versailles, une foule d’usages établis et révérés qui lui parurent insupportables.

Des femmes en charge, ayant prêté serment et vêtues en grand habit de cour, pouvaient seules rester dans la chambre, et servir conjointement avec la dame d’honneur et la dame d’atours. La reine abolit tout ce cérémonial. Lorsqu’elle était coiffée, elle saluait les dames qui étaient dans sa chambre, et, suivie de ses seules femmes, elle rentrait dans un cabinet où se trouvait mademoiselle Bertin qui ne pouvait être admise dans la chambre[14]. C’était dans ce cabinet intérieur qu’elle présentait ses nouvelles et nombreuses parures. La reine voulut aussi se servir du coiffeur qui, dans ce moment, avait à Paris le plus de vogue. L’usage, qui interdisait à tout subalterne pourvu d’une charge d’exercer son talent pour le public, avait sans doute pour base de couper toute communication entre l’intérieur des princes et la société toujours curieuse des moindres détails de leur vie privée. La reine, craignant que le goût du coiffeur ne se perdît en cessant de pratiquer son état, voulut qu’il continuât à servir plusieurs femmes de la cour et de Paris ; ce qui multiplia les occasions de connaître les détails de l’intérieur et souvent de les dénaturer.

Un des usages les plus désagréables était, pour la reine, celui de dîner tous les jours en public. Marie Leckzinska avait suivi constamment cette coutume fatigante : Marie-Antoinette l’observa tant qu’elle fut dauphine. Le dauphin dînait avec elle, et chaque ménage de la famille avait tous les jours son dîner public. Les huissiers laissaient entrer tous les gens proprement mis ; ce spectacle faisait le bonheur des provinciaux. À l’heure des dîners on ne rencontrait, dans les escaliers, que de braves gens, qui, après avoir vu la dauphine manger sa soupe, allaient voir les princes manger leur bouilli, et qui couraient ensuite à perte d’haleine pour aller voir Mesdames manger leur dessert[15].

L’usage, le plus anciennement établi, voulait aussi qu’aux yeux du public, les reines de France ne parussent environnées que de femmes ; l’éloignement des serviteurs de l’autre sexe existait même aux heures des repas pour le service de table ; et quoique le roi mangeât publiquement avec la reine, il était lui-même servi par des femmes pour tous les objets qui lui étaient directement présentés à table. La dame d’honneur, à genoux pour sa commodité, sur un pliant très-bas, une serviette posée sur le bras, et quatre femmes en grand habit, présentaient les assiettes au roi et à la reine. La dame d’honneur leur servait à boire. Ce service avait anciennement appartenu aux filles d’honneur. La reine, à son avénement au trône, abolit de même cet usage ; elle se dégagea aussi de la nécessité d’être suivie, dans le palais de Versailles, par deux de ses femmes en habit de cour, aux heures de la journée où les dames n’étaient plus auprès d’elle. Dès lors elle ne fut plus accompagnée que d’un seul valet de chambre et de deux valets de pied. Toutes les fautes de Marie-Antoinette sont du genre de celles que je viens de détailler. La volonté de substituer successivement la simplicité des usages de Vienne à ceux de Versailles lui fut plus nuisible qu’elle n’aurait pu l’imaginer.

La reine parlait à l’abbé de Vermond des importunités sans cesse renaissantes dont elle avait à se dégager, et je remarquais qu’après l’avoir écouté elle se jetait avec complaisance dans les idées philosophiques de la simplicité sous le diadème, de la confiance paternelle dans des sujets dévoués. Ce doux roman de la royauté, qu’il n’est pas donné à tous les souverains de réaliser, flattait singulièrement le cœur tendre et la jeune imagination de Marie-Antoinette.

Élevée dans une cour où la simplicité s’alliait avec la majesté ; placée à Versailles entre une dame d’honneur importune et un conseiller imprudent, il n’est pas étonnant que, devenue reine, elle ait voulu se soustraire à des contrariétés dont elle ne jugeait pas l’indispensable nécessité : cette erreur tenait à une vraie sensibilité. Cette infortunée princesse, contre laquelle on est parvenu à soulever l’opinion du peuple français, possédait des qualités dignes d’obtenir la plus grande popularité. En douterait-on si, comme moi, on l’eût entendue raconter avec délices les détails des mœurs patriarcales de la maison de Lorraine ? Elle disait qu’en les transportant en Autriche, ces princes y avaient fondé l’inattaquable popularité dont jouissait la famille impériale[16]. Elle m’a souvent raconté de quelle manière touchante les ducs de Lorraine levaient les impôts. Le prince souverain se rendait à l’église, me disait-elle ; après le prône il se levait, agitait son chapeau en l’air pour indiquer qu’il allait parler, et disait ensuite quelle était la somme dont il avait besoin. Tel était le zèle des bons Lorrains, qu’on avait vu des hommes dérober, à l’insu de leurs femmes, le linge ou quelques ustensiles de ménage, et aller vendre ces objets pour augmenter la contribution ; aussi arrivait-il souvent que le prince recevait plus d’argent qu’il n’en avait demandé, alors il le faisait rendre.

Tous ceux qui connurent les qualités privées de la reine, savent qu’elle méritait autant d’estime que d’attachement ; bonne et patiente jusqu’à l’excès dans les détails de son service, elle appréciait avec indulgence toutes les personnes qui lui étaient attachées, s’occupait de leur sort et même de leurs plaisirs. Elle avait parmi ses femmes de jeunes filles sorties de la maison de Saint-Cyr, et toutes fort bien nées ; la reine leur interdisait le spectacle lorsque les pièces ne lui paraissaient pas d’une moralité convenable : quelquefois, lorsqu’on représentait d’anciennes comédies, sa mémoire se trouvant en défaut pour les juger, elle prenait la peine de les lire dans la matinée, et prononçait ensuite si les demoiselles pouvaient aller au spectacle, se regardant avec raison comme chargée de veiller aux mœurs et à la conduite de ces jeunes personnes.

Je trouve du plaisir à pouvoir consigner ici la vérité sur deux qualités estimables que la reine possédait aussi au plus haut degré, la sobriété et la décence. Elle ne mangeait habituellement que de la volaille rôtie ou bouillie, et ne buvait que de l’eau. Elle ne témoignait de goût particulier que pour son café du matin, et une sorte de pain auquel elle avait été accoutumée, dans son enfance, à Vienne.

Sa modestie était extrême dans tous les détails de sa toilette intérieure ; elle se baignait vêtue d’une longue robe de flanelle boutonnée jusqu’au col, et, tandis que ses deux baigneuses l’aidaient à sortir du bain, elle exigeait que l’on tînt devant elle un drap assez élevé pour empêcher ses femmes de l’apercevoir. Cependant un nommé Soulavie a osé écrire, dans le premier volume d’un ouvrage des plus scandaleux, que la reine était d’une effroyable immodestie ; qu’elle se baignait nue, et qu’elle avait reçu dans cet état un ecclésiastique vénérable. Quel châtiment ne devrait-on pas infliger à des libellistes qui osent vouloir donner à leurs perfides mensonges le caractère de Mémoires historiques[17] !


  1. On lit, dans les Souvenirs de Félicie, les détails suivans sur la maladie du roi et sur le dévouement de Mesdames :

    « Le roi est à toute extrémité : outre la petite vérole, il a le pourpre ; on ne peut entrer sans danger dans sa chambre. M. de Letorière est mort pour avoir entr’ouvert sa porte afin de le regarder deux minutes. Les médecins eux-mêmes prennent toutes sortes de précautions pour se préserver de la contagion de ce mal affreux, et Mesdames, qui n’ont jamais eu la petite vérole, qui ne sont plus jeunes, et dont la santé est naturellement mauvaise, sont toutes trois dans la chambre, assises près de son lit et sous ses rideaux ; elles passent là le jour et la nuit. Tout le monde leur a fait à ce sujet les plus fortes représentations ; on leur a dit que c’était plus que d’exposer leur vie, que c’était la sacrifier. Rien n’a pu les empêcher de remplir ce pieux devoir. »

    (Note de l’édit.)
  2. Louis XV, dès qu’il connut la maladie dont il était attaqué, désespéra de sa guérison. Je n’entends point, dit-il, qu’on renouvelle la scène de Metz, et il ordonna le renvoi de madame Du Barry. Mais les amis de la favorite n’avaient point encore abandonné la victoire. Les deux partis qui divisaient la cour s’attaquaient avec chaleur au pied du lit sur lequel était étendu Louis XV. On se disputait, pour ainsi dire, encore les derniers soupirs et les volontés incertaines d’un mourant. Louis XV avait à remplir des devoirs religieux. Ce moment, qu’un parti voulait hâter, et que l’autre avait intérêt de suspendre, occasionna les scènes les plus scandaleuses. Dans ce que l’abbé Soulavie en rapporte, tout n’est pas vrai sans doute. Il est difficile, par exemple, de supposer au sévère Christophe de Beaumont d’autres motifs que ses principes rigides, sa piété fervente, et le sentiment des obligations sacrées qu’il avait à remplir. Mais tout n’est pas faux non plus ; et l’on ne peut douter que Soulavie n’ait rapporté un grand nombre de particularités exactes, quand on compare son récit que nous donnons dans les pièces (lettre F) avec le tableau des mêmes scènes, tracé par le baron de Besenval dans ses Mémoires.
    (Note de l’édit.)
  3. Ce fait a été mis en doute ; mais je puis assurer que Louis XVI s’adressa à M. Campan pour rappeler le page ; qu’il le trouva prêt à monter à cheval, le fit remonter pour rendre sa lettre au roi lui-même ; et que la reine dit à ce sujet à mon beau-père : « Si la lettre eût été partie, M. de Machault eût été premier ministre, car jamais le roi n’eût pris sur lui d’écrire une seconde lettre contraire à sa première volonté*. »
    (Note de madame Campan.)

    *. S’il faut en croire un écrivain du temps, l’abbé de Radonvilliers ne fut point sans influence dans cette dernière détermination. L’on peut voir (lettre G) les motifs secrets qui faisaient agir l’ancien précepteur du jeune monarque. Chamfort rapporte, au sujet de la nomination de M. le comte de Maurepas, l’anecdote suivante :

    « C’est un fait connu, que la lettre du roi envoyée à M. de Maurepas avait été écrite pour M. de Machault. On sait quel intérêt particulier fit changer cette disposition ; mais, ce qu’on ne sait point, c’est que M. de Maurepas escamota, pour ainsi dire, la place qu’on croit lui avoir été offerte. Le roi ne voulait que causer avec lui. À la fin de la conversation, M. de Maurepas lui dit : Je développerai mes idées demain au conseil. On assure aussi que, dans cette même conversation, il avait dit au roi : Votre Majesté me fait donc premier ministre ? Non, répliqua le roi, ce n’est point du tout mon intention. J’entends, dit M. de Maurepas ; Votre Majesté veut que je lui apprenne à s’en passer. »

    (Note de l’édit.)
  4. Je trouve, dans un écrit du temps, au sujet de la nomination de M. de Clugny, une anecdote que je rapporterai sans vouloir en contester, mais aussi sans prétendre en garantir l’exactitude.

    « Les spéculateurs ont cru voir dans l’élévation de M. de Clugny un premier succès du parti qui cherche à faire rentrer M. de Choiseul dans le ministère. Il paraît cependant que ses efforts seront inutiles. M. de Maurepas, instruit de tout ce qui se passait, a concerté avec le roi un moyen de lui faire découvrir le fil de l’intrigue qui se tramait pour le subjuguer. Il est parti pour Pont-Chartrain, en prévenant le monarque de toutes les démarches qui auraient lieu, dans ce point de vue, pendant son absence. Deux fois par jour, le mentor a reçu un courrier de son maître qui l’instruisait de tout ce qui se faisait et disait à cette intention. Le roi lui marqua même un jour qu’on lui avait apporté une gazette anglaise où l’on disait que, si le duc de Choiseul était nommé premier ministre, comme il y avait apparence, la France deviendrait plus puissante à elle seule que toutes les puissances de l’Europe. Le jour du retour de M. de Maurepas, le roi dit en pleine cour : J’apprends que M. de Choiseul est à Paris ; que n’est-il à Chanteloup ? Quand on a le bonheur d’avoir une terre, c’est la saison d’y être. Tous les amis du duc sont restés muets, et le lendemain il a quitté Paris. » (Correspondance secrète de la cour, t. III, p. 10.)

    (Note de l’édit.)
  5. La comtesse Du Barry ne perdit jamais le souvenir du traitement indulgent qu’elle avait éprouvé à la cour de Louis XVI ; elle fit dire à la reine, pendant les crises les plus fortes de la révolution, qu’il n’y avait point en France de femme plus pénétrée de douleur qu’elle ne l’était, pour tout ce que sa souveraine avait à souffrir ; que l’honneur qu’elle avait eu de vivre, plusieurs années, rapprochée du trône, et les bontés infinies du roi et de la reine, l’avaient si sincèrement attachée à la cause de la royauté, qu’elle suppliait la reine de lui accorder l’honorable faveur de disposer de tout ce qu’elle possédait. Sans rien accepter de ses offres, Leurs Majestés furent touchées de sa reconnaissance. La comtesse Du Barry fut, comme on le sait, une des victimes de la révolution. Elle montra la plus grande faiblesse et le plus ardent amour pour la vie. C’est la seule femme qui ait pleuré sur l’échafaud, et demandé grâce. Sa beauté et ses larmes touchèrent le peuple ; on hâta l’exécution.
    (Note de madame Campan.)
  6. Ces préventions ne portaient point sur le prétendu crime dont la calomnie avait accusé ce ministre ; mais principalement sur la destruction des jésuites, à laquelle il avait eu en effet une part considérable.
    (Note de madame Campan.)
  7. Il serait difficile de révoquer en doute l’existence de ces Mémoires, ou plutôt de ces instructions rédigées par le dauphin pour servir de guide à ses enfans. Ce prince était entouré d’hommes dont il avait étudié le caractère, approuvé les principes, reconnu l’attachement : il paraît naturel qu’il les ait recommandés au choix de son successeur. Un écrivain prétend en avoir eu la liste. Nous la donnons avec les notes dont elle est accompagnée, et qu’on peut croire exactes si l’on en juge par la place que plusieurs des personnages qu’elles concernent, obtinrent dans la confiance et dans la cour de Louis XVI. Voyez les éclaircissemens sous la lettre (H).
    (Note de l’édit.)
  8. L’abbé de Vermond n’était pas blâmable d’empêcher la reine de parler d’affaires importantes à un des officiers de sa chambre ; mais il l’était d’annoncer qu’il serait initié dans les secrets les plus intimes.
    (Note de madame Campan.)
  9. L’abbé de Vermond, à la vérité, ignorait que la jeune princesse trouverait dans son intérieur un homme instruit, capable de l’intéresser par des récits piquans et spirituels sur la cour de Louis XV, sur celle du régent, et même sur celle de Louis XIV. L’abbé avait eu soin, à Vienne, de prévenir madame la dauphine contre M. Moreau, ancien avocat aux conseils et historiographe de France, que ses talens avaient fait choisir pour être son bibliothécaire. Le lendemain de l’arrivée de madame la dauphine à Versailles, madame la comtesse de Noailles lui demanda quels ordres elle avait à donner à M. Moreau. Elle répondit que le seul ordre qu’elle eût à lui donner était de remettre la clef de sa bibliothèque à M. Campan qu’elle chargeait de ses fonctions ; qu’il pouvait garder le titre qui lui avait été donné par le roi, mais qu’elle n’acceptait pas ses services. La dame d’honneur se récria beaucoup sur cette décision, et parla très-favorablement de l’esprit de M. Moreau ; mais la princesse était si prévenue contre lui, qu’elle insista pour que sa volonté fût exécutée, et ajouta qu’elle en parlerait au roi ; qu’elle savait que M. Moreau avait tant d’esprit qu’il l’avait double, et qu’elle ne voulait que des gens sûrs auprès d’elle. Jamais le bibliothécaire historiographe ne reparut chez la reine. Il est probable qu’on avait fait connaître à madame la dauphine les liaisons de M. Moreau avec le duc d’Aiguillon et quelques autres personnes du parti de ce ministre.
    (Note de madame Campan.)
  10. C’était donc par des libelles et par des chansons que les ennemis de Marie-Antoinette accueillaient les premiers jours de son règne. Ils se hâtaient de la dépopulariser. Leur but était, sans aucun doute, de la faire renvoyer en Allemagne ; et pour y parvenir, ils n’avaient pas un moment à perdre : l’indifférence du roi pour cette aimable et belle épouse était déjà une espèce de prodige ; d’un jour à l’autre, les charmes séduisans de Marie-Antoinette pouvaient déjouer toutes les machinations.
    (Note de madame Campan.)
  11. Si l’usage de ces plumes et de ces coiffures extravagantes se fût prolongé, disent très-sérieusement les Mémoires de cette époque, il aurait opéré une révolution dans l’architecture. On eût senti la nécessité de hausser les portes et le plafond des loges de spectacle, et surtout l’impériale des voitures. Le roi ne vit pas sans chagrin la reine adopter cette espèce de coiffure : elle n’était jamais si belle à ses yeux que de ses seuls agrémens. Un jour que Carlin jouait à la cour, devant cette princesse, en habit d’arlequin, il avait mis à son chapeau, au lieu de la queue de lapin qui en est l’ornement obligé, une plume de paon d’une excessive longueur. Cette aigrette d’un nouveau genre, et qui s’embarrassait dans les décorations, lui donna lieu de hasarder cent lazzis. On voulait le punir : mais il passa pour certain qu’il n’avait point agi sans ordre.
    (Note de l’édit.)
  12. La distinction entre le service d’honneur et le service ordinaire peut s’établir aisément. J’ai le droit de faire, dit avec arrogance le service d’honneur. C’est à vous à faire, c’est à vous à suivre, répond avec humeur le service ordinaire. Entre ces prétentions ridicules et contradictoires de gens qui ont le droit d’agir et qui n’agissent point, et de gens qui devraient agir et qui ne veulent pas, il pourrait arriver que les princes fussent fort mal servis. Madame Campan s’est, au reste donné la peine de recueillir des détails sur le service ordinaire de la reine de France. On les trouvera au nombre des éclaircissemens imprimés dans le même caractère que le texte [*].
    (Note de l’édit.)
  13. Quand la reine prenait médecine, c’était la dame d’honneur qui devait retirer le bassin du lit.
    (Note de madame Campan.)
  14. Mademoiselle Bertin se prévalait, dit-on, des bontés de la reine pour afficher un orgueil très-risible. Une femme alla un jour chez cette fameuse ouvrière en mode, et demanda des ajustemens pour le deuil de l’impératrice. On lui en présenta plusieurs qu’elle rejeta tous. Mademoiselle Bertin s’écria d’un ton mêlé d’humeur et de suffisance : Présentez donc à madame des échantillons de mon dernier travail avec Sa Majesté. Le mot est assez ridicule pour avoir été dit.
    (Note de l’édit.)
  15. On peut imaginer aisément que le charme de la conversation, la gaieté, l’aimable abandon, qui contribuent en France au plaisir de la table, étaient bannis de ces repas cérémonieux. Il fallait même avoir pris, dès l’enfance, l’habitude de manger en public pour que tant d’yeux inconnus dirigés sur vous n’ôtassent pas l’appétit.
    (Note de madame Campan.)
  16. Lisez dans les éclaircissemens historiques (lettre I) des particularités curieuses sur la simplicité de la cour de Vienne.
    (Note de l’édit.)
  17. On partage l’indignation qu’éprouve madame Campan, quand on a lu, dans l’abbé Soulavie, les détails qu’elle dément avec une honorable vivacité. Comment un historien, qui devait avoir quelque critique, a-t-il pu accueillir des assertions aussi mensongères ? Comment un homme qui a quelque pudeur, comment un prêtre a-t-il osé les écrire ? On conçoit, après avoir lu ce passage de ses Mémoires historiques, pourquoi l’on hésite à les consulter, et comment de pareilles assertions jettent du discrédit sur les choses très-vraies qu’il a pu dire dans le même ouvrage.
    (Note de l’édit.)