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Mémoires sur les ruines de l’Ohio/Conclusion

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Garnier frères (Œuvres complètes, tome 6p. 263-264).

CONCLUSION.

Nous avons réuni tout ce qui dans les divers rapports sur les antiquités de l’Ohio, du Kentucky et du Tennessee, nous a paru propre à donner à ces divers restes d’anciens habitants un caractère historique spécial. Nous pensons que nos lecteurs seront d’accord avec nous sur la difficulté extrême de trouver dans le caractère vague de ces monuments simples et rustiques aucun indice certain sur leur origine et leur époque.

Les objets qu’on a cru devoir rapporter à un culte religieux quelconque nous ont offert un caractère asiatique.

Les objets d’art les mieux caractérisés nous ont présenté un caractère polynésien ou malais. Ces deux indices peuvent se ramener à un seul point de vue. Les peuples de l’Océanie ont vécu en commun avec ceux de l’Asie orientale et avec ceux de la côte nord-ouest de l’Amérique.

Tout détail ultérieur sur la migration de ce peuple pour arriver sur les bords de l’Ohio seroit entièrement hasardé et inutile dans l’état actuel des connoissances.

La réunion de ce peuple en villages considérables, placés près les fleuves, dans des positions agréables, sur un sol fertile, semble indiquer une nation agricole et qui avoit, du moins en grande partie, abandonné la vie du chasseur. Il ne paroît pas même que dans les objets trouvés dans les tumuli, ni dans les cavernes, rien rappelle les instruments de la chasse. Pourtant il paroît qu’ils ne possédoient aucune espèce de bestiaux ; on n’en retrouve ni cornes ni cuirs.

Les vases sculptés en talc graphique semblent indiquer un commerce avec la Chine, et par conséquent un état de paix et de tranquillité. Mais qui sait si on ne découvrira pas dans un pays plus voisin cette espèce de pierre ?

L’époque de la construction de ce qu’on doit appeler les enceintes de villages ne peut guère remonter à plus de huit ou neuf cents ans ; car en Europe les vestiges de remparts en terre ne sont guère visibles après ce laps de temps. La tradition des Lennilénaps, qui place entre l’an 11 ou 1200 l’expulsion des Allighewis par les hordes nomades et belliqueuses venues du nord, mérite donc beaucoup de confiance ; elle mérite au moins infiniment plus d’attention que les vaines hypothèses des antiquaires américains sur les dix tribus d’Israël, les Tartares, les Scandinaves et les Mexicains.

Les raisonnements de quelques observateurs américains sur l’âge des arbres croissant sur ou dans les enceintes tendent à limiter à un millier d’années l’époque de leur construction ; mais c’est un indice équivoque, car peut-on décider si ces arbres ne croissoient pas auparavant sur l’emplacement ?

La retraite des Allighewis vers le sud, après la destruction de leurs villages, retraite signalée par la tradition des Lennilénaps, ne suppose pas nécessairement qu’ils se soient sauvés jusque dans le Mexique, ni même dans ce qu’on appelle à présent la Floride. Il seroit impossible que le lieu de leur retraite fût dans les deux Carolines, où les premiers colons rencontrèrent de nombreuses tribus indigènes.

L’absence des inscriptions quelconques, quoique le pays soit riche en ardoises, prouve que les Allighewis ne connoissoient pas l’écriture. S’ils eussent été Scandinaves, non-seulement ils se seroient sauvés vers le nord, du côté de la Nouvelle-Angleterre, mais ils auroient connu l’usage des runes, et on trouveroit sur l’Ohio des pierres runiques, comme on en a trouvé dans le Groënland ?

Telles sont les conclusions très-limitées que nous croyons qu’une saine critique puisse tirer de ces monuments, trop pompeusement annoncés dans quelques écrits américains.

fin des mémoires.