Aller au contenu

Mémoires sur les ruines de l’Ohio/Deuxième mémoire

La bibliothèque libre.
Garnier frères (Œuvres complètes, tome 6p. 236-256).

DEUXIÈME MÉMOIRE.


DESCRIPTION DES MONUMENTS
TROUVÉS
DANS L’ÉTAT DE L’OHIO ET AUTRES PARTIES DES ÉTATS-UNIS
PAR M. CALEB-ATWATER, etc.

Traduit de l’anglois[1].

Un grand nombre de voyageurs ont signalé nos antiquités : il en est peu qui les aient vues ; ou, marchant à la hâte, ils n’ont eu ni les occasions favorables ni les connoissances nécessaires pour en juger. Ils ont entendu les contes que leur en faisoient des gens ignorants ; ils ont publié des relations si imparfaites, si superficielles, que les personnes sensées qui sont sur les lieux mêmes auroient de la peine à deviner ce qu’ils ont voulu décrire.

Il est arrivé parfois qu’un voyageur a vu quelques restes d’un monument qu’un propriétaire n’avoit fait conserver que pour son amusement ; il a conclu que c’étoit le seul qu’on trouvât dans le pays. Un autre voit un retranchement avec un pavé mi-circulaire à l’est : il décide avec assurance que tous nos anciens monuments étoient des lieux de dévotion consacrés au culte du soleil. Un autre tombe sur les restes de quelques fortifications et en infère, avec la même assurance, que tous nos anciens monuments ont été construits dans un but purement militaire. Mais en voilà un qui, trouvant quelque inscription, n’hésite pas à décider qu’il y a eu là une colonie de Welches ; d’autres encore, trouvant de ces monuments, ou près de là des objets appartenant évidemment à des Indiens, les attribuent à la race des Scythes : ils trouvent même parfois des objets dispersés ou réunis, qui appartiennent non-seulement à des nations, mais à des époques différentes, très-éloignées les unes des autres, et les voilà se perdant dans un dédale de conjectures. Si les habitants des pays occidentaux disparoissoient tout à coup de la surface du monde, avec tous les documents qui attestent leur existence, les difficultés des antiquaires futurs seroient sans doute plus grandes, mais néanmoins de la même espèce que celles qui embarrassent si fort nos superficiels observateurs. Nos antiquités n’appartiennent pas seulement à différentes époques, mais à différentes nations ; et celles qui appartiennent à une même ère, à une même nation, servoient sans doute à des usages très-différents.

Nous diviserons ces antiquités en trois classes : celles qui appartiennent 1o aux Indiens, 2o aux peuples d’origine européenne, 3o au peuple qui construisit nos anciens forts et nos tombeaux.

I. — antiquités des indiens de la race actuelle.

Ces antiquités, qui n’appartiennent proprement qu’aux Indiens de l’Amérique septentrionale, sont en petit nombre et peu intéressantes : ce sont des haches et des couteaux de pierre, ou des pilons servant à réduire le maïs, ou des pointes de flèche et quelques autres objets exactement semblables à ceux que l’on trouve dans les États Atlantiques, et dont il est inutile de faire la description. Celui qui cherche des établissements indiens en trouvera de plus nombreux et de plus intéressants sur les bords de l’océan Atlantique ou des grands fleuves qui s’y jettent à l’orient des Alleghanys. La mer offre au sauvage un spectacle toujours solennel. Dédaignant les arts et les bienfaits de la civilisation, il n’estime que la guerre et la chasse. Quand les sauvages trouvent l’Océan, ils se fixent sur ses bords, et ne les abandonnent que par excès de population ou contraints par un ennemi victorieux ; alors ils suivent le cours des grands fleuves, où le poisson ne peut leur manquer ; et tandis que le chevreuil, l’ours, l’élan, le renne ou le buffle, qui passent sur les collines, s’offrent à leurs coups, ils prennent tout ce que la terre et l’eau produisent spontanément, et ils sont satisfaits. Notre histoire prouve que nos Indiens doivent être venus par le détroit de Behring, et qu’ils ont naturellement suivi la grande chaîne nord-ouest de nos lacs et leurs bords jusqu’à la mer. C’est pourquoi les Indiens que nos ancêtres trouvèrent offroient une population beaucoup plus considérable au nord qu’au midi, à l’orient qu’à l’occident des États-Unis d’aujourd’hui : de là ces vastes cimetières, ces piles immenses d’écaillés d’huîtres, ces amas de pointes de flèche et autres objets que l’on trouve dans la partie orientale des États-Unis, tandis que la partie occidentale en renferme très-peu : là, nous voyons que les Indiens y habitoient depuis les temps les plus reculés ; ici, tout annonce une race nouvelle ; on reconnoît aisément la fosse d’un Indien : on les enterroit ordinairement assis ou debout. Partout où l’on voit des trous irréguliers d’un à deux pieds de diamètre, si l’on creuse à quelques pieds de profondeur, on est sûr de tomber sur les restes d’un Indien. Ces fosses sont très-communes sur les rives méridionales du lac Érié, jadis habitées par les Indiens nommés Cat, ou Ottoway. Ils mettent ordinairement dans la tombe quelque objet cher au défunt : le guerrier emporte sa hache d’armes ; le chasseur, son arc et ses flèches et l’espèce de gibier qu’il préféroit. C’est ainsi que l’on trouve dans ces fosses tantôt les dents d’une loutre, tantôt celles d’un ours, d’un castor, tantôt le squelette d’un canard sauvage, et tantôt des coquilles ou des arêtes de poisson.

II. — antiquités de peuples provenant d’origine européenne.

Au titre de cette division, l’on sourira peut-être en se rappelant qu’à peine trois siècles se sont écoulés depuis que les Européens ont pénétré dans ces contrées : cependant on me permettra de le conserver, parce qu’on trouve quelquefois des objets provenant des relations établies depuis plus de cent cinquante années entre les indigènes et diverses nations européennes, et que ces sujets sont souvent confondus avec d’autres qui sont réellement très-anciens. Les François sont les premiers Européens qui aient parcouru le pays que comprend aujourd’hui l’État d’Ohio. Je n’ai pu m’assurer exactement de l’époque, mais nous savons par des documents authentiques, publiés à Paris dans le xviie siècle[2], qu’ils avoient, en 1655, de vastes établissements dans le territoire Onondaga, appartenant aux six nations.

Charlevoix, dans son Histoire de la Nouvelle-France, nous apprend que l’on envoya, en 1654, à Onondaga, des missionnaires qui y bâtirent une chapelle ; qu’une colonie françoise s’y établit en 1656, sous les auspices de M. Dupuys, et se retira en 1658. Quand Lasalle partit du Canada et redescendit le Mississipi, en 1679, il découvrit une vaste plaine, entre le lac des Hurons et des Illinois, où il trouva un bel établissement appartenant aux jésuites.

Dès lors les François ont parcouru tous les bords du lac Érié, du fleuve Ohio et des grandes rivières qui s’y jettent ; et, suivant l’usage des Européens d’alors, ils prenoient possession du pays au nom de leur souverain, et souvent après un Te Deum, ils consacroient le souvenir de l’événement par quelque acte solennel, comme de suspendre les armes de France ou déposer des médailles ou des monnoies dans les anciennes ruines, ou de les jeter à l’embouchure des grandes rivières.

Il y a quelques années que M. Grégory a trouvé une de ces médailles à l’embouchure de la rivière de Muskingum. C’est une plaque de plomb de quelques pouces de diamètre, portant d’un côté le nom françois Petite-Belle-Rivière, et de l’autre, celui de Louis XIV.

Près de Portsmouth, à l’embouchure du Scioto, on a trouvé dans une terre d’alluvion une médaille franc-maçonnique représentant d’un côté un cœur d’où sort une branche de casse, et de l’autre un temple dont la coupole est surmontée d’une aiguille portant un croissant.

À Trumbull on a trouvé des monnoies de Georges II, et dans le comté d’Harrison des pièces de Charles.

On m’a dit que l’on a trouvé il y a quelques années, à l’embouchure du Darby-creek, non loin de Cheleville, une médaille espagnole bien conservée ; elle avoit été donnée par un amiral espagnol à une personne qui étoit sous les ordres de Desoto, qui débarqua dans la Floride en 1538. Je ne vois pas qu’il soit bien difficile d’expliquer comment cette médaille s’est trouvée près d’une rivière qui se jette dans le golfe du Mexique, quelle que soit sa distance de la Floride, si l’on se rappelle qu’un détachement de troupes que Desoto envoya pour reconnoitre le pays ne revint plus auprès de lui, et qu’on n’en entendit plus parler. Ainsi cette médaille peut avoir été apportée et perdue dans le lieu même où on l’a trouvée par la personne à qui elle avoit été donnée ou par quelque Indien.

On trouve souvent sur les rives de l’Ohio des épées, des canons de fusil, des haches d’armes, qui sans doute ont appartenu à des François, dans le temps où ils avoient des forts à Pittsbourg, Ligonier, Saint-Vincent, etc.

On dit qu’il y a dans le Kentucky, à quelques milles sud-est de Portsmouth, une fournaise de cinquante chaudières ; je ne doute pas qu’elle ne remonte à la même époque et à la même origine.

On dit que l’on a trouvé, près de Nashville, dans la province de Tennessée, plusieurs monnoies romaines, frappées peu de siècles après l’ère chrétienne, et qui ont beaucoup occupé les antiquaires : ou elles peuvent avoir été déposées à dessein par celui qui les a découvertes, comme il est arrivé bien souvent, ou elles ont appartenu à quelque François.

En un mot, je ne crains pas d’avancer qu’il n’est dans toute l’Asie, dans toute l’Amérique septentrionale, médaille ou monnoie portant une ou plusieurs lettres d’un alphabet quelconque, qui n’ait été apportée ou frappée par des Européens ou leurs descendants.

III. — antiquités du peuple qui habitoit jadis
les parties occidentales des états-unis.

Cette classe, sans contredit la plus intéressante pour l’antiquaire et le philosophe, comprend tous les anciens forts, des tombeaux, quelquefois très-vastes, élevés en terre ou en pierre, des cimetières, des temples, des autels, des camps, des villes, des villages, des arènes et des tours, des remparts entourés de fossés, enfin des ouvrages qui annoncent un peuple beaucoup plus civilisé que ne le sont les Indiens d’aujourd’hui, et cependant bien inférieurs sous ce rapport aux Européens. En considérant la vaste étendue de pays couverte par ces monuments, les travaux qu’ils ont coûtés, la connoissance qu’ils supposent des arts mécaniques, la privation où nous sommes de toute notion historique et même de toute tradition, l’intérêt que les savants y ont pris, les opinions fausses que l’on a débitées, enfin la dissolution complète de ce peuple, j’ai cru devoir employer mon temps et porter mon attention à rechercher particulièrement cette classe de nos antiquités dont on a tant parlé et que l’on a si peu comprise.

Ces anciens ouvrages sont répandus en Europe, dans le nord de l’Asie ; on pourroit en commencer le tracé dans le pays de Galles ; de là traversant l’Irlande, la Normandie, la France, la Suède, une partie de la Russie jusqu’à notre continent. En Afrique, les pyramides ont la même origine ; on en voit en Judée, dans la Palestine et dans les steppes (plaines désertes) de la Turquie.

C’est au sud du lac Ontario, non loin de la rivière Noire (Black river), que l’on trouve le plus reculé de ces monuments dans la direction nord-est ; un autre, sur la rivière de Chenango, vers Oxford, est le plus méridional, à l’est des Alleghanys. Ces deux ouvrages sont petits, très-anciens, et semblent indiquer dans cette direction les bornes des établissements du peuple qui les érigea. Ces peuplades venant de l’Asie, trouvant nos grands lacs et suivant leurs bords, ont-elles été repoussées par nos Indiens, et les petits forts dont nous avons parlé ont-ils été construits dans la vue de les protéger contre les indigènes qui s’étoient établis sur les côtes de l’océan Atlantique ? En suivant la direction occidentale du lac Érié, à l’ouest de ces ouvrages, on en trouve çà et là, surtout dans le pays de Génessée, mais en petit nombre et peu étendus, jusqu’à ce qu’on arrive à l’embouchure du Cataragus-creek, qui sort du lac Érié, dans le pays de New-York. C’est là que commence, suivant M. Clinton, une ligne de forts qui s’étend au sud à plus de cinquante milles sur quatre milles de largeur. On dit qu’il y a une autre ligne parallèle à celle-là, mais qui n’est que de quelques arpents, et dont les remparts n’ont que quelques pieds de hauteur. Le Mémoire de M. Clinton renfermant une description exacte des antiquités des parties occidentales de New-York, nous ne répéterons point ici ce qu’il a si bien dit.

Si en effet ces ouvrages sont des forts, ils doivent avoir été construits par un peuple peu nombreux et ignorant complètement les arts mécaniques. En avançant au sud-ouest, on trouve encore plusieurs de ces forts ; mais lorsque l’on arrive vers le fleuve Licking, près de Newark, on en voit de très-vastes et de très-intéressants, ainsi qu’en s’avançant vers Circleville. Il y en avoit quelques-uns à Chillicothe, mais ils ont été détruits. Ceux que l’on trouve sur les bords du Point-creek surpassent à quelques égards tous les autres, et paroissent avoir renfermé une grande ville ; il y en a aussi de très-vastes à l’embouchure du Scioto et du Muskingum ; enfin, ces monuments sont très-répandus dans la vaste plaine qui s’étend du lac Érié au golfe du Mexique, et offrent de plus grandes dimensions à mesure que l’on avance vers le sud, dans le voisinage des grands fleuves, et toujours dans des contrées fertiles. On n’en trouve point dans les prairies de l’Ohio, rarement dans des terrains stériles ; et si l’on en voit, ils sont peu étendus et situés à la lisière dans un terrain sec. À Salem, dans le comté d’Ashtabula, près de la rivière de Connaught, à trois milles environ du lac Érié, on en voit un de forme circulaire, entouré de deux remparts parallèles séparés par un fossé. Ces remparts sont coupés par des ouvertures et une route dans le genre de nos grandes routes modernes, qui descend la colline et va jusqu’au fleuve par une pente douce, et telle qu’une voiture attelée pourroit facilement la parcourir, et ce n’est que par là que l’on peut entrer sans difficulté dans ces ouvrages. La végétation prouve que dans l’intérieur le sol étoit beaucoup meilleur qu’à l’extérieur.

On trouve dans l’intérieur des cailloux arrondis, tels qu’on en voit sur les bords du lac, mais ils semblent avoir subi l’action d’un feu ardent ; des fragments de poterie, d’une structure grossière et sans vernis. Mon correspondant me dit que l’on y a trouvé parfois des squelettes d’hommes d’une petite taille ; ce qui prouveroit que ces ouvrages ont été construits par le même peuple qui a érigé nos tombeaux. La terre végétale qui forme la surface de ces ouvrages a au moins dix pouces de profondeur ; on y a trouvé des objets évidemment confectionnés par les Indiens, ainsi que d’autres qui décèlent leurs relations avec les Européens. Je rapporte ce fait ici pour éviter de le répéter quand je décrirai en détail ces monuments, surtout ceux que l’on voit sur les bords du lac Érié et sur les rivages des grandes rivières. On trouve toujours des antiquités indiennes à la surface ou enterrées dans quelque tombe, tandis que les objets qui ont appartenu au peuple qui a érigé ces monuments sont à quelques pieds de profondeur ou dans le lit des rivières.

En continuant d’aller au sud-ouest, on trouve encore ces ouvrages ; mais leurs remparts, qui ne sont élevés que de quelques pieds, leurs fossés peu profonds et leur dimension décèlent un peuple peu nombreux.

On m’a dit que dans la partie septentrionale du comté de Médina (Ohio), on a trouvé près de l’un de ces monuments une plaque de marbre polie. C’est sans doute une composition de terre glaise et de sulfate de chaux, ou de plâtre de Paris, comme j’en ai vu souvent en longeant l’Ohio. Un observateur ordinaire a dû s’y méprendre

Anciens ouvrages près de Newark.

En arrivant vers le sud, ces ouvrages, qui se trouvent en plus grand nombre, plus compliqués et plus vastes, annoncent une population plus considérable et un progrès de connoissances. Ceux qui sont sur les deux rives du Licking, près de Newark, sont les plus remarquables. On y reconnoît :

1o Un fort qui peut avoir quarante acres, compris dans ses remparts, qui ont généralement environ dix pieds de hauteur. On voit dans ce fort huit ouvertures (ou portes), d’environ quinze pieds de largeur, vis-à-vis desquelles est une petite élévation de terre, de même hauteur et épaisseur que le rempart extérieur. Cette élévation dépasse de quatre pieds les portes, que probablement elle étoit destinée à défendre. Ces remparts, presque perpendiculaires, ont été élevés si habilement que l’on peut voir d’où la terre a été enlevée ;

2o Un fort circulaire, contenant environ trente acres, et communiquant au premier par deux remparts semblables ;

3o Un observatoire construit partie en terre, partie en pierre, qui dominoit une partie considérable de la plaine, sinon toute la plaine, comme on pourroit s’en convaincre en abattant les arbres qui s’y sont élevés depuis. Il y avoit sous cet observatoire un passage, secret peut-être, qui conduisoit à la rivière, qui depuis s’est creusé un autre lit ;

4o Autre fort circulaire, contenant environ vingt-six acres, entouré d’un rempart qui s’élevoit, et d’un profond intérieur. Ce rempart a encore trente-cinq à quarante pieds de hauteur, et quand j’y étois le fossé étoit encore à moitié rempli d’eau, surtout du côté de l’étang[3]. Il y a des remparts parallèles qui ont cinq à six perches de largeur et quatre ou cinq pieds de hauteur ;

5o Un fort carré, contenant une vingtaine d’acres, et dont les remparts sont semblables à ceux du premier ;

6o Un intervalle formé par le Racoon et le bras méridional du Licking. Nous avons lieu de présumer que dans le temps où ces ouvrages étoient occupés ces deux eaux baignoient le pied de la colline ; et ce qui le prouve, ce sont les passages qui y conduisent ;

7o L’ancien bord des rivières qui se sont fait un lit plus profond qu’il ne l’étoit quand les eaux baignoient le pied de la colline : ces ouvages étoient dans une grande plaine élevée de quarante ou cinquante pieds au-dessus de l’intervalle, qui est maintenant tout unie et des plus fertiles. Les tours d’observation étoient à l’extrémité des remparts parallèles, sur le terrain le plus élevé de toute la plaine ; elles étoient entourées de remparts circulaires, qui n’ont aujourd’hui que quatre ou cinq pieds de hauteur ;

8o Deux murs parallèles qui conduisent probablement à d’autres ouvrages.

Le plateau près Newargk, semble avoir été le lieu, et c’est le seul que j’ai vu, où les habitants de ces ouvrages enterroient leurs morts. Quoique l’on en trouve d’autres dans les environs, je présumerois qu’ils n’étoient pas très-nombreux et qu’ils ne résidèrent pas longtemps dans ces lieux. Je ne m’étonne pas que ces murs parallèles s’étendent d’un point de défense à l’autre à un espace de trente milles traversant toute la route, jusqu’au Hockboking. et dans quelques points à quelques milles au nord de Lancastre. On a découvert en divers lieux de semblables murs, qui selon toute apparence en faisoient partie, et qui s’étendoient à dix ou douze milles ; ce qui me porte à croire que les monuments de Licking ont été érigés par un peuple qui avoit des relations avec celui qui habitoit les rives du fleuve Hockboking, et que leur route passoit au travers de ces murs parallèles.

S’il m’étoit permis de hasarder une conjecture sur la destination primitive de ces monuments, je dirois que les plus vastes étoient en effet des fortifications ; que le peuple habitoit dans l’enceinte, et que les murs parallèles servoient au double but de protéger en temps de danger ceux qui passoient de l’un de ces ouvrages dans l’autre et de clore leurs champs.

On n’a point trouvé d’âtres, de charbons, de braises, de bois, de cendres, etc., objets que l’on a trouvés ordinairement dans de semblables lieux, cultivés aujourd’hui. Cette plaine étoit probablement couverte de forêts ; je n’y ai trouvé que quelques pointes de flèche.

Toutes ces ruines attestent la sollicitude qu’ont mise leurs habitants à se garantir des attaques d’un ennemi du dehors ; la hauteur des sites, les mesures prises pour s’assurer la communication de l’eau, ou pour défendre ceux d’entre eux qui alloient en chercher ; la fertilité du sol, qui me paroît avoir été cultivé ; enfin, toutes ces circonstances, qu’il ne faut pas perdre de vue, font foi de la sagacité de ce peuple.

À quelques milles au-dessus de Newark, sur la rive méridionale de la Licking, on trouve des trous profonds que l’on appelle vulgairement des puits, mais qui n’ont point été creusés dans le dessein de se procurer de l’eau fraîche ou salée.

Il y a au moins un millier de ces trous, dont quelques-uns ont encore aujourd’hui une trentaine de pieds de profondeur. Ils ont excité vivement la curiosité de plusieurs personnes : l’une d’elles s’est ruinée dans l’espoir d’y trouver des métaux précieux. M’étant procuré des échantillons de tous les minéraux qui se trouvent dans ces trous et aux environs, j’ai vu qu’ils se bornoient à quelques beaux cristaux de roche, à une espèce de pierre (arrow-stone) propre à faire des pointes de flèche et de lance, à un peu de plomb, de soufre et de fer, et je suis d’avis qu’en effet les habitants en creusant ces trous n’avoient aucun but que de se procurer ces objets, sans contredit très-précieux pour eux. Je présume que si l’on ne trouve pas dans ces rivières des objets faits en plomb, c’est que ce métal s’oxyde facilement.

Monuments du comté de Perry (Ohio).

Au sud de ces monuments, à quatre ou cinq milles au nord-ouest de Somerset, on trouve un ancien ouvrage construit en pierres.

C’est une élévation en forme de pain de sucre, qui peut avoir douze à quinze pieds de hauteur ; il y a un petit tombeau en pierres dans le mur de clôture.

Un rocher est en face de l’ouverture du mur extérieur. Cette ouverture offre un passage entre deux rochers qui sont dans le mur, et qui ont de sept à dix pieds d’épaisseur. Ces rocs présentent à l’extérieur une surface perpendiculaire de dix pieds de hauteur ; mais après s’être étendus à une cinquantaine d’acres dans l’intérieur, ils sont de niveau avec le terrain.

On y voit aussi un petit ouvrage dont l’aire est d’un demi-acre. Ses remparts sont en terre, et hauts de quelques pieds seulement. Le grand ouvrage en pierres renferme dans ses murs plus de quarante acres de terrain ; les murs sont construits de grossiers fragments de rocher, et l’on n’y trouve point de ferrure. Ces pierres, qui sont entassées dans le plus grand désordre, formeroient, irrégulièrement placées, un mur de sept à huit pieds de hauteur, et de quatre à six d’épaisseur. Je ne pense pas que cet ouvrage ait été élevé dans un but militaire ; mais, dans le cas de l’affirmative, ce ne peut avoir été qu’un camp provisoire. Des tombeaux de pierres, tels qu’on les érigeoit anciennement, ainsi que des autels ou des monuments qui servoient à transmettre le souvenir de quelque événement mémorable, me font présumer que c’étoit une enceinte sacrée, où le peuple célébroit à certaines époques quelque fête solennelle. Le sol élevé et le manque d’eau rendoient ce lieu peu propre à être longtemps habité.

Monuments que l’on trouve à Marietta (Ohio).

En descendant la rivière de Maskingum, à son embouchure à Marietta, on voit plusieurs ouvrages très-curieux, qui ont été bien décrits par divers auteurs. Je vais rassembler ici tous les renseignements que j’ai pu en recueillir, en y ajoutant mes propres observations.

Ces ouvrages occupent une plaine élevée au-dessus du rivage actuel du Muskingum, à l’orient et à un demi-mille de sa jonction avec l’Ohio ; ils consistent en murs et en remparts alignés, et de forme circulaire et carrée.

Le grand fort carré, appelé par quelques auteurs la ville, renferme quarante acres entourés d’un rempart de cinq à dix pieds de hauteur et de vingt-cinq à trente pieds de largeur ; douze ouvertures pratiquées à distances égales semblent avoir été des portes. Celle du milieu, du côté de la rivière, est la plus grande ; de là, à l’extérieur, est un chemin couvert formé par deux remparts intérieurs, de vingt-un pieds de hauteur et de quarante-deux pieds de largeur à la base ; mais à l’extérieur ils n’ont que cinq pieds de hauteur. Cette partie forme un passage d’environ trois cent soixante pieds de longueur, qui, par une pente graduelle, s’étend dans la plaine et atteignoit sans doute jadis les bords de la rivière. Ses remparts commencent à soixante pieds des remparts du fort, et s’élèvent à mesure que le chemin descend du côté de la rivière, et le sommet est couronné par un grand chemin bien construit.

Dans les murs du fort, au nord-ouest, s’élève un rectangle long de cent quatre-vingt-huit, large de cent trente-deux et haut de neuf pieds, uni au sommet et presque perpendiculaire aux côtés. Au centre de chacun des côtés on voit des degrés, régulièrement disposés, de six pieds de largeur, qui conduisent au sommet. Près du rempart méridional s’élève un autre carré, de cent cinquante pieds sur cent vingt, et de huit pieds de hauteur, semblable au premier, à la réserve qu’au lieu de monter au côté il descend par un chemin creux large de dix à vingt pieds du centre, d’où il s’élève ensuite, par des degrés, jusqu’au sommet. Au sud-est on voit s’élever encore un carré de cent huit sur quatre-vingt quatorze pieds, avec des degrés à ses côtés, mais qui ne sont ni aussi élevés ni aussi bien construits que les précédents ; au sud-ouest du centre du fort est une élévation circulaire, d’environ trente pieds de diamètre et de cinq pieds de hauteur, près de laquelle on voit quatre petites excavations à distances égales et opposées l’une à l’autre. À l’angle au sud-ouest du fort est un parapet circulaire, avec une élévation qui défend l’ouverture du mur. Vers le sud-est est un autre fort, plus petit, contenant vingt acres, avec une porte au centre de chaque côté et de chaque angle. Cette porte est défendue par d’autres élévations circulaires.

À l’extérieur du plus petit fort est une élévation en forme de pain de sucre d’une grandeur et d’une hauteur étonnantes ; sa base est un cercle régulier de cent quinze pieds de diamètre, sa hauteur perpendiculaire est de trente pieds ; elle est entourée d’un fossé de quatre pieds de profondeur sur quinze pieds de largeur, défendu par un parapet de quatre pieds de hauteur, coupé du côté du fort par une porte large de vingt pieds. Il y a encore d’autres murs, des élévations et des excavations moins bien conservées.

La principale excavation, ou le puits de soixante pieds de diamètre, doit avoir eu, dans le temps de sa construction, vingt pieds de profondeur au moins ; elle n’est aujourd’hui que de douze à quatorze pieds, par suite des éboulements causés par les pluies. Cette exacavation a la forme ancienne ; on y descendoit par des marches, pour pouvoir puiser l’eau à la main.

Le réservoir que l’on voit près de l’angle septentrional du grand fort avoit vingt-cinq pieds de diamètre, et ses côtés s’élevoient au-dessus de la surface par un parapet de trois à quatre pieds de hauteur. Il étoit rempli d’eau dans toutes les saisons ; mais aujourd’hui il est presque comblé, parce qu’en nettoyant la place on y a jeté des décombres et des feuilles mortes. Cependant l’eau monte à la source et offre l’aspect d’un étang stagnant. L’hiver dernier le propriétaire de ce réservoir a entrepris de le dessécher, en ouvrant un fossé dans le petit chemin couvert : il est arrivé à douze pieds de profondeur, et ayant laissé couler l’eau, il a trouvé que les parois du réservoir n’étoient point perpendiculaires, mais inclinées vers le centre en forme de cône renversé, et enduites d’une croûte d’argile fine et colorée, de huit à dix pouces d’épaisseur. Il est probable qu’il y trouvera des objets curieux qui ont appartenu aux anciens habitants de ces lieux.

J’ai trouvé, hors du parapet et près du carré long, un grand nombre de fragments d’ancienne poterie : ils étoient ornés de figures curieuses et faits d’argile ; quelques-uns étoient vernis intérieurement ; leur cassure étoit noire et parsemée de parcelles brillantes ; la matière en est généralement plus dure que celle des fragments que j’ai trouvés près des rivières. On a trouvé à différentes époques plusieurs objets de cuivre, entre autres une coupe.

M. Duna a trouvé dernièrement à Waterford, à peu de distance de Muskingum, un amas de lances et de pointes de flèche : elles occupoient un espace de huit pouces de longueur sur dix-huit de largeur, à deux pieds de profondeur d’un côté et à dix-huit pouces de l’autre ; il paroît qu’elles avoient été mises dans une caisse, dont un côté s’est affaissé : elles paroissent n’avoir point servi. Elles ont de deux à six pouces de longueur ; elles n’ont point de bâton, et sont de figure presque triangulaire.

Il est remarquable que les terres des remparts et les élévations n’ont point été tirées des fossés, mais apportées d’assez loin ou enlevées uniformément de la plaine, comme dans les ouvrages de Licking, dont nous avons parlé plus haut. On a trouvé surprenant que l’on n’ait découvert aucun des instruments qui doivent avoir servi à ces constructions ; mais des pelles de bois suffisent.

Monuments trouvés à Circleville (Ohîo).

À vingt milles au sud de Columbus, et près du point où il se jette dans la baie de Hangus, on trouve deux forts, l’un circulaire et l’autre carré ; le premier est entouré de deux murs séparés par un fossé profond ; le dernier n’a qu’un mur et point de fossé : le premier avoit soixante-neuf pieds de diamètre ; le dernier, cinquante-cinq perches. Les remparts du fort circulaire avoient au moins vingt pieds de hauteur avant qu’on eût construit la ville de Circleville. Le mur intérieur étoit d’une argile que l’on avoit, selon toute apparence, prise au nord du fort, où l’on voit encore que le terrain est le plus bas ; le rempart extérieur est formé de la terre d’alluvion enlevée du fossé, qui a plus de cinquante pieds de profondeur. Aujourd’hui la partie extérieure du rempart a cinq à six pieds de hauteur, et le fossé de la partie intérieure a encore plus de quinze pieds. Ces monuments perdent tous les jours, et seront bientôt entièrement détruits. Les remparts du fort carré ont encore plus de dix pieds de hauteur : ce fort avoit huit portes ; le fort circulaire n’en avoit qu’une. On voit aussi en face de chacune de ces portes une élévation qui servoit à les défendre.

Comme ce fort étoit un carré parfait, ses portes étoient à distances égales ; ses élévations étoient en ligne droite.

Il devoit y avoir une élévation remarquable avec un pavé mi-circulaire dans sa partie orientale, en face de l’unique porte ; le contour du pavé se voit encore en quelques endroits que le temps et la main des hommes ont respectés.

Le fort carré joignoit au fort circulaire dont nous avons parlé. Le mur qui environne cet ouvrage a encore dix pieds de hauteur ; sept portes conduisent dans ce fort, outre celle qui communique avec le fort carré ; devant chacune de ces portes étoit une élévation en terre, de quatre à cinq pieds, pour les défendre.

Les auteurs de ces ouvrages ont mis beaucoup plus de soin à fortifier le fort circulaire que le fort carré ; le premier est protégé par deux remparts, le second par un seul ; le premier est entouré d’un fossé profond, le dernier n’en a point ; le premier n’est accessible que par une porte, le dernier en avoit huit, et qui avoient plus de vingt pieds de largeur. Les rues de Circleville couvrent aujourd’hui tout le fort rond et plus de la moitié du fort carré. La partie de ces fortifications qui renfermoit l’ancienne ville ne tardera pas à disparoître.

Ce qu’il y a de plus remarquable dans ces ouvrages, ce sont la précision et l’exactitude de leurs dimensions, qui prouvent que leurs fondateurs avoient des connoissances bien supérieures à celles de la race actuelle de nos Indiens ; et leur position, qui coïncidoit avec la déclinaison de la boussole, a fait présumer à plusieurs auteurs qu’ils dévoient avoir cultivé l’astronomie.

Monuments sur les bords du Point-Creek (Ohio.)

Les premiers que l’on rencontre sont à onze et les autres à quinze milles à l’ouest de la ville de Chillicothe.

L’un de ces ouvrages a beaucoup de portes ; elles ont de huit à vingt pieds de largeur ; leurs remparts ont encore dix pieds de hauteur, à partir des portes ; ils ont été construits de la terre enlevée au lieu même. La partie de l’ouvrage carré a huit portes ; les côtés du carré ont soixante-six pieds de longueur, et renferment une aire de vingt-sept acres et 2/10. Cette partie communique par trois portes au plus grand ouvrage ; l’une est entourée de deux remparts parallèles de quatre pieds de hauteur. Un petit ruisseau qui coule au sud-ouest traverse la plus grande partie de cet ouvrage, en passant par le rempart. Quelques personnes présument que cette cascade étoit, dans l’origine, un ouvrage de l’art ; elle a quinze pieds de profondeur et trente-neuf de surface ; il y a deux monticules, l’un est intérieur, l’autre extérieur ; ce dernier a environ vingt pieds de hauteur.

D’autres fortifications sont contiguës à celle-là ; l’ouvrage carré est exactement semblable à celui que nous venons de décrire.

Il n’y a point d’élévation dans l’intérieur des remparts ; mais on en trouve une de dix pieds de hauteur à une centaine de perches à l’ouest. La grande partie irrégulière du grand ouvrage renferme soixante-dix-sept acres ; ses remparts ont huit portes, outre celle que nous venons de décrire ; ces portes, très-différentes entre elles, ont d’une à six perches de largeur. Au nord-ouest, on voit une autre élévation, qui est jointe par une porte au grand ouvrage, et qui a soixante perches de diamètre. À son centre est un autre cercle de six perches de diamètre, et dont les remparts ont encore quatre pieds de hauteur. On y remarque trois anciens puits, l’un dans l’intérieur, les autres hors du rempart. Dans le grand ouvrage de forme irrégulière on trouve des élévations elliptiques ; la plus considérable, qui est près du centre, a vingt-cinq pieds de hauteur ; son grand axe est de vingt, son petit de dix perches ; son aire est de cent cinquante-neuf perches carrées. Cet ouvrage est presque entièrement construit en pierres, qui doivent y avoir été transportées de la colline voisine ou du lit de la baie ; il est rempli d’ossements humains ; il y a des personnes qui n’ont pas hésité à y voir les restes des victimes qui ont été sacrifiées dans ce lieu.

L’autre ouvrage elliptique a deux rangs ; l’un a huit, l’autre a quinze pieds de hauteur ; la surface des deux est unie. Ces ouvrages ne sont pas aussi communs ici qu’au Mississipi et plus au sud.

Il y a un ouvrage en forme de demi-lune dont les bords sont construits en pierres, que l’on aura sans doute prises à un mille de là. Près de cet ouvrage il y a une élévation, haute de cinq pieds, et de trente pieds de diamètre, et tout entière formée d’une ocre rouge que l’on trouve à peu de distance de là.

Les puits dont nous avons parlé plus haut sont très-larges ; l’un a six et l’autre dix perches de contour ; le premier a encore quinze, l’autre dix pieds de profondeur ; on y trouve de l’eau ; on voit encore quelques autres de ces puits sur la route.

Un troisième ouvrage, encore plus remarquable, est situé sur une colline haute, à ce qu’on dit, de plus de trois cents pieds, et presque perpendiculaire en plusieurs points. Ses remparts sont des pierres dans leur état naturel, qui ont été portées sur le sommet que ce rempart couronne. Cet ouvrage avoit dans le principe deux portes, qui se trouvoient aux seuls points accessibles. À la porte du nord on voit encore un amas de pierres qui auroit suffi à construire deux grandes tours. De là à la baie on voit un chemin, qui peut-être a été construit jadis, dont les pierres sont parsemées sans ordre, et dont la quantité auroit suffi pour en élever un mur de quatre pieds d’épaisseur sur dix de hauteur. Dans l’intérieur du rempart on voit un endroit qui semble avoir été occupé par des fours ou des forges ; on y trouve des cendres à plusieurs pieds de profondeur. Ce rempart renferme une aire de cent trente acres. C’étoit une des places les plus fortes.

Les chemins du rempart répondent à ceux du sommet de la colline, et l’on trouve la plus grande quantité de pierres à chaque porte, et à chaque détour du rempart, comme si elles avoient été entassées dans la vue d’en construire des tours et des créneaux. Si c’est là que furent les enceintes sacrées, elles étoient en effet défendues par les plus forts ouvrages ; nul militaire ne pourroit choisir une meilleure position pour protéger ses compatriotes, ses autels et ses dieux.

Dans le lit de la Pint, qui baigne le pied de la colline, on trouve quatre puits remarquables ; ils ont été creusés dans un roc pyriteux, où l’on trouve beaucoup de fer. Lorsqu’ils furent découverts, par une personne qui passoit en canot, ils étoient couverts de pierres semblables à nos meules, percées au centre ; le trou avoit quatre pouces de diamètre, et semble avoir servi à y passer une anse pour pouvoir les ôter à volonté. Ces puits avoient plus de trois pieds de diamètre et avoient été construits en pierres bien jointes.

L’eau étant très-large, je pus bien examiner ces puits ; leurs couvercles sont cassés en morceaux, et les puits mêmes sont comblés de pierres. Il n’est pas douteux qu’ils n’aient été construits de main d’homme ; mais on s’est demandé quel peut avoir été le but de leur construction, puisqu’ils sont dans le fleuve même ? On pourroit répondre que probablement l’eau ne s’étendoit pas alors jusqu’à cet endroit. Quoi qu’il en soit, ces puits ressemblent à ceux que l’on a décrits en parlant des patriarches : ne remonteroient-ils pas à cette époque ?

On reconnoît aussi un ouvrage circulaire, d’environ sept à huit acres d’étendue, dont les remparts n’ont aujourd’hui que dix pieds de hauteur et sont entourés d’un fossé, excepté en une partie large de deux perches, où l’on voit une ouverture semblable à celles des barrières de nos grandes routes[4], qui conduit dans un embranchement de la baie. À l’extrémité du fossé qui rejoint le rempart de chaque côté de cette route, on trouve une source d’une eau excellente ; et en descendant vers le plus considérable on découvre la trace d’un ancien chemin. Ces sources, ou plutôt le terrain où elles se trouvent, a été creusé à une grande profondeur par la main des hommes.

La maison du général William-Vance occupe aujourd’hui cette porte, et son verger l’enceinte sacrée.

Monuments de Portsmouth (Ohio).

À l’embouchure du Scioto, on voit encore un ancien ouvrage de fortification qui s’étend sur la côte de Kentucky, près de la ville d’Alexandrie. Le peuple qui habitoit ce pays paroît avoir apprécié l’importance de cette position.

Du côté de Kentucky sur l’Ohio, vis-à-vis l’embouchure du Scioto est un vaste fort, avec une grande élévation en terre près de l’angle extérieur du sud-ouest, et des remparts parallèles. Les remparts parallèles orientaux ont une porte qui conduit à la rivière par une pente très-rapide de plus de dix perches : ils ont encore de quatre à six pieds de hauteur, et communiquent avec le fort par une porte. Deux petits ruisseaux se sont creusé autour de ces remparts, depuis qu’ils sont abandonnés, des lits de dix à vingt pieds de profondeur ; ce qui peut faire juger de l’antiquité de ces ouvrages.

Le fort, presque carré, a cinq portes ; ses remparts, en terre, ont encore de quatorze à vingt pieds de hauteur.

De la porte à l’angle nord-ouest du fort s’étendent presque jusqu’à l’Ohio deux remparts parallèles en terre, qui vont se perdre dans quelques bas-fonds près du bord. La rivière paroît avoir un peu changé son cours depuis que ces remparts ont été élevés. On voit un monticule à l’angle extérieur sud-ouest du fort. Il ne semble pas qu’il ait été destiné à servir de lieu de sépulture : il est trop vaste. C’est un grand ouvrage qui s’élève à plus de vingt pieds, et dont la surface, très-unie, peut avoir un demi-acre ; il me paroît avoir été destiné au même usage que les carrés de Marietta. Entre cet ouvrage et l’Ohio on voit une belle pièce de terre. On a trouvé dans les remparts de ce fort une grande quantité de haches, d’armes, de pelles, de canons de fusil, qui ont évidemment été enfouis par les François, lorsqu’ils fuyoient devant les Anglois et Américains victorieux, à l’époque de la prise du fort Duquesne, nommé plus tard fort Pitt. On aperçoit dans ces remparts et aux environs les traces des fouilles que l’on a faites pour chercher ces objets.

Plusieurs tombeaux ont été ouverts ; on y a trouvé des objets qui ne laissent, à mon avis, aucun doute sur leurs auteurs et sur l’époque où ils ont été déposés.

Il y a sur la rive septentrionale de la rivière des ouvrages plus vastes encore et plus imposants que ceux que nous venons de citer.

En commençant par le bas-fond près de la rive actuelle du Scioto, qui semble avoir changé un peu son cours depuis que ces fortifications ont été élevées, on voit deux remparts parallèles en terre, semblables à ceux qui se trouvent de l’autre côté de l’Ohio, que nous avons décrits. De la rive du Scioto ils s’étendent vers l’orient, à huit ou dix perches, puis s’élargissent peu à peu, de distance en distance, de la maison de M. John Brown, et s’élèvent à vingt perches. Cette colline est très-escarpée, et peut avoir quarante à cinquante pieds de hauteur ; le plateau offre un terrain uni, fertile, et formé par les alluvions de l’Ohio. On y voit un puits qui peut avoir aujourd’hui vingt-cinq pieds de profondeur ; mais l’immense quantité de cailloux et de sable que l’on trouve après la couche de terreau peut faire juger que l’eau de ce puits étoit jadis de niveau avec la rivière, même dans le temps où ses eaux étoient basses.

Il reste quelques traces de trois tombeaux circulaires élevés de six pieds au-dessus de la plaine, et renfermant chacun près d’un acre. Non loin de là est un ouvrage semblable, mais beaucoup plus élevé, qui peut avoir encore vingt pieds de hauteur perpendiculaire et contenir un acre de terrain. Il est circulaire, et l’on y voit des remparts qui conduisent jusqu’au sommet ; mais ce n’étoit point un cimetière.

Cependant il y en a un près de là, de forme conique, dont le sommet a au moins vingt-cinq pieds de hauteur, et qui est rempli des cendres du peuple qui construisit ces fortifications ; on en trouve un semblable au nord-ouest, qui est entouré d’un fossé d’environ six pieds de profondeur, avec un trou au milieu. Deux autres puits qui ont encore dix ou douze pieds de profondeur me paroissent avoir été creusés pour servir de réservoir d’eau, et ressemblent à ceux que j’ai décrits plus haut. Près de là on voit un rempart d’un accès facile, mais élevé si haut, qu’un spectateur placé à son sommet verroit tout ce qui se passe.

Deux remparts parallèles, longs de deux milles, et hauts de six à dix pieds, conduisent de ces ouvrages élevés au bord de l’Ohio ; ils se perdent sur les bas-fonds près de la rivière, qui semble s’en être éloignée depuis l’époque de leur construction. Entre ces remparts et le fleuve il y a des terres aussi fertiles que toutes celles que l’on trouve dans la belle vallée de l’Ohio, et qui cultivées ont pu suffire aux besoins d’une nombreuse population. La surface de la terre entre tous ces remparts parallèles est unie, et semble même avoir été aplanie par l’art. C’étoit la route pour aller aux hautes places ; les remparts auront servi à défendre et clore les terres cultivées.

Je n’ai vu dans le pays bas qu’un de ces cimetières, peu large, et qui paroît avoir été celui du peuple qui habitoit la plaine.

Monuments qu’on voit sur les bords du Petit-Miami.

Ces fortifications, dont plusieurs voyageurs ont parlé, sont dans une plaine presque horizontale, à deux cent trente-six pieds au-dessus du niveau de la rivière, entre deux rives très-escarpées. Des portes, ou, pour mieux dire, des embrasures, conduisent dans les remparts. La plaine s’étend à un demi-mille à l’est de la route. Toutes ces fortifications, excepté celles de l’est et de l’ouest, où passe la route, sont entourées de précipices. La hauteur du rempart dans l’intérieur varie suivant la forme du terrain extérieur, étant en général de huit à dix pieds ; mais dans la plaine elle est de dix-neuf pieds et demi, et la base de quatre perches et demie. Dans quelques endroits les terres semblent avoir été entraînées par les eaux qui filtrent de l’intérieur.

À une vingtaine de perches à l’est de la porte par laquelle la route passe, on voit, à droite et à gauche, deux tertres d’environ onze pieds de hauteur, d’où descendent des gouttières qui paroissent avoir été faites à dessein pour communiquer avec les branches de la rivière, de chaque côté. Au nord-est de ces élévations, et dans la plaine, on voit deux chemins, larges d’une perche et hauts de trois pieds, qui, parcourant presque parallèlement un espace d’un quart de mille, vont former un demi-cercle irrégulier autour d’une petite élévation. À l’extrémité sud-ouest de l’ouvrage fortifié on trouve trois routes circulaires, de trente et quarante perches de longueur, taillées dans le précipice entre le rempart et la rivière. Le rempart est en terre. On a fait beaucoup de conjectures sur le but que s’étoient proposé les constructeurs de cet ouvrage, qui n’a pas moins de cinquante-huit portes ; il est possible que plusieurs de ces ouvertures soient l’effet de l’eau qui, rassemblée dans l’intérieur, s’est frayé un passage. Dans d’autres parties le rempart peut n’avoir point été achevé.

Quelques voyageurs ont supposé que cet ouvrage n’avoit eu d’autre but que l’amusement. J’ai toujours douté qu’un peuple sensé ait pris tant de peine pour un but si frivole. Il est probable que ces ouvertures n’étoient point des portes, qu’elles n’ont pu même être produites par l’action des eaux, mais que l’ouvrage, pour d’autres causes, n’a pas été terminé.

Les trois chemins creusés avec de grands efforts dans le roc, et le sol pierreux, parallèlement au Petit-Miami, paroissent avoir été destinés à servir de portes pour inquiéter ceux qui passeroient la rivière. J’ai appris que dans toutes leurs guerres les Indiens font usage de semblables chemins. Quoi qu’il en soit, je ne déciderai pas si (comme on le croit assez généralement) toutes ces fortifications sont l’ouvrage d’un même peuple et d’une même époque.

Quant aux routes, assez semblables à nos grandes routes, si elles étoient destinées à la course, il est probable que les tertres servoient de point de départ et d’arrivée, et que les athlètes en faisoient le tour. Le terrain que les remparts embrassent, aplani par l’art, peut avoir été l’arène ou le lieu où l’on célébroit les jeux. Nous ne l’affirmerons pas, mais Rome et l’ancienne Grèce offrent de semblables ouvrages.

Le docteur Daniel Drake dit, dans la Description de Cincinnati : « Il n’y a qu’une seule excavation ; elle a douze pieds de profondeur, son diamètre en a cinquante ; elle ressemble à un puits à demi rempli. »

On a trouvé quatre pyramides ou monticules dans la plaine ; la plus considérable est à l’ouest de l’enclos, à la distance de cinq cents yards (aunes) ; elle a aujourd’hui trente-sept pieds de hauteur ; c’est une ellipse dont les axes sont dans la proportion de 1 à 2 ; sa base a cent cinquante pieds de circonférence ; la terre qui l’entoure étant de trente ou quarante aunes de distance plus basse que la plaine, il est probable qu’elle a été enlevée pour sa construction ; ce qui d’ailleurs est confirmé par sa structure intérieure. On a pénétré presque jusqu’au centre, composé de marne et de bois pourri ; on n’y a trouvé que quelques ossements d’hommes, une partie d’un bois de cerf et un pot de terre renfermant des coquilles. À cinq cents pieds de cette pyramide, au nord-ouest, il y en a une autre, d’environ neuf pieds de hauteur, de forme circulaire, et presque aplatie au sommet : on n’y a trouvé que quelques ossements et une poignée de grains de cuivre qui avoient été enfilés. Le monticule qui se voit à l’intersection des deux rues dites Thiri et Main est le seul qui coïncide avec les lignes fortifiées que nous avons décrites ; il a huit pieds de hauteur, cent vingt de longueur et soixante de largeur ; sa figure est ovale, et ses axes répondent aux quatre points cardinaux. Sa construction est bien connue, et tout ce qu’on y a trouvé a été soigneusement recueilli. Sa première couche étoit de gravier élevé au milieu ; la couche suivante, formée de gros cailloux, étoit convexe et d’une épaisseur uniforme ; sa dernière couche consistoit en marne et en terre. Ces couches étoient entières, et doivent avoir été construites après que l’on eut déposé dans ce tombeau les objets que l’on y a trouvés. Voici le catalogue des plus remarquables :

1o Des morceaux de jaspe, de cristal de roche, de granit, cylindriques aux extrémités, et rebombés au milieu, terminés par un creux, en forme d’anneaux ;

2o Un morceau de charbon rond, percé au centre comme pour y introduire un manche, avec plusieurs trous régulièrement disposés sur quatre lignes ;

3o Un autre d’argile, de la même forme, ayant huit rangs de trous, et bien poli ;

4o Un os orné de plusieurs figures, que l’on présume des hiéroglyphes ;

5o Une figure sculptée, représentant la tête et le bec d’un oiseau de proie (qui est peut-être un aigle) ;

6o Un morceau de mine de plomb (galena), comme on en a trouvé dans d’autres tombeaux ;

7o Du talc (mica membranacea) ;

8o Un morceau ovale de cuivre avec deux trous ;

9o Un plus grand morceau du même métal avec des creux et des rainures.

Ces objets ont été décrits dans les quatrième et cinquième volumes des Transactions philosophiques américaines… Le professeur Barton présume qu’ils ont servi d’ornements, ou qu’on les employoit dans les cérémonies superstitieuses.

M. Drake a découvert depuis dans ce monument :

10o Une quantité de grains ou de fragments de petits cylindres creux, qui paroissent faits d’os ou d’écailles ;

11o Une dent d’un animal carnivore, qui paroît être celle d’un ours ;

12o Plusieurs coquilles, qui semblent du genre buccinum, et taillées de manière à servir aux usages ordinaires de la vie, et presque calcinées ;

13o Plusieurs objets en cuivre, composés de deux plaques circulaires concaves-convexes, réunies par un axe creux, autour duquel il a trouvé le fil ; le tout est tenu par les os d’une main d’homme. On en a trouvé de semblables dans plusieurs endroits de la ville. La matière dont ils sont faits est du cuivre pur et de la rosette ; ils sont couverts de vert-de-gris. Après avoir enlevé ce carbonate, on a trouvé que leur gravité spécifique étoit de 7, 545 et de 7, 857. Ils sont plus durs que les feuilles de cuivre ordinaire ; mais on n’y voit aucune figure, aucun ornement ;

14o Des ossements humains. On n’a pas découvert plus de vingt ou trente squelettes dans tous ces monuments ; quelques-uns étoient renfermés dans de grossiers cercueils de pierre, et généralement entourés de cendres et de chaux.

Ces ouvrages ne me paroissent pas avoir été des fortifications construites dans un but militaire ; leur site n’est point une raison suffisante : on sait que la plupart des lieux destinés au culte religieux en Grèce, à Rome, en Judée, étoient situés sur les hauteurs. M. Drake croit que les anciens ouvrages que l’on trouve dans le pays de Miami sont les vestiges des villes qu’habitoient ces peuples dont nous ne retrouvons plus d’autre trace, et son opinion me paroît très-probable.


  1. Archæologîa americana, ou Transactions de la Société des Antiquaires américains. Vol. I, p. 109. Worcester, en Massachusets, 1820.
  2. Historiæ Canadensis, sive Novæ Franciæ, Libri decem, ad annum usque Christi 1661 ; par le jésuite François Creuxius.
  3. Cet étang couvre cent cinquante à deux cents acres ; il étoit à sec il y a quelques années, en sorte que l’on fit une récolte de blé là où l’on voit aujourd’hui dix pieds d’eau ; quelquefois cet étang baigne les remparts du fort : il attenoit les remparts parallèles.
  4. Turnpike-road