Météorologie pratique
MÉTÉOROLOGIE PRATIQUE.
Presque tous les journaux publient aujourd’hui un résumé succinct de la situation générale des observatoires, résumé qui peut rendre quelques services aux populations agricoles. Mais, outre que les cultivateurs n’ont pas tous le temps de lire les journaux, ces indications conviennent rarement à la localité où demeure l’intéressé.
Il y a donc lieu de faire appel aux instituteurs des campagnes, ces hommes aussi dévoués que modestes, dont le bon sens pratique rend autant de services que la science la plus élevée. Ils pourront inculquer de bonne heure aux jeunes intelligences qu’ils sont chargés de développer, le goût de l’observation, les préparer à une science pratique qui sera la sauvegarde des récoltes du pays et trouver eux-mêmes une douce et utile occupation dans leurs observations météorologiques. Ils travailleront ainsi aux progrès de la science générale et substitueront aux notions confuses du passé les précieuses conquêtes de la science moderne. Leurs données viendront grossir le nombre de celles que recueillent les observatoires principaux et combler les lacunes trop nombreuses des cartes météorologiques quotidiennes[1].
Quoique depuis la seconde moitié du xixe siècle, la météorologie pratique ait fait en France d’immenses progrès, il s’en faut que cette science soit arrivée au degré de perfection que lui réserve sans doute l’avenir. Toute d’observation, elle ne peut vivre qu’au prix de patientes recherches, d’ingrats travaux et de soins constants. Ce n’est qu’en combinant les chiffres fournis par des milliers d’observateurs que le lieutenant Maury, de la marine américaine, a pu rédiger ses tableaux de probabilité, tableaux qui lui coûtèrent six années de travaux pénibles et incessants. Jusqu’à lui, les tentatives faites par les météorologistes les plus distingués pour établir un système uniforme d’observation avaient échoué et beaucoup de savants illustres doutaient de la possibilité de prédire le temps à venir, c’est-à-dire la direction des vents qui souffleront.
L’illustre Arago ne s’exprimait-il pas ainsi dans son Astronomie populaire :
« Il est un nombre considérable d’événements qui modifient accidentellement les circonstances météorologiques au milieu desquelles nous vivons. Aussi l’astronome est-il dans l’impossibilité absolue d’annoncer avec quelque certitude le temps qu’il fera une année, un mois, une semaine, je dirai même un jour d’avance. »
Fort heureusement l’avenir devait lui infliger un éclatant démenti et la Conférence de Bruxelles en 1853 vint sanctionner définitivement les travaux de Maury et servir de point de départ à une puissante organisation météorologique dont les marins devaient être les premiers à bénéficier.
Jusqu’à cette époque la science météorologique proprement dite n’avait pas encore pénétré dans les masses et la prévision du temps était reléguée au rang des connaissances mystérieuses dont les almanachs populaires avaient seuls le secret. Les diseurs de bonne aventure, les astrologues et les météorologues étaient à peu de chose près cotés au même taux, et les prévisions fantaisistes de Matthieu Laensberg et autres, contribuaient de tout leur poids à faire tenir en suspicion une science dont nul ne possédait la clef.
Les résultats de la mémorable Conférence de Bruxelles ne se firent pas longtemps attendre et l’Angleterre, en 1857, organisa définitivement un système complet de prévisions du temps que la transmission électrique favorisa singulièrement.
L’exemple de la Grande-Bretagne fut bientôt suivi par la France et l’Observatoire de Paris confia à M. Marié-Davy le soin d’assurer le service de prévision du temps. Les observations françaises et anglaises combinées ensemble permettent d’adresser chaque jour à 19 ports français le temps probable pour le lendemain et pour le surlendemain, et, dès qu’un coup de vent est à craindre, l’Angleterre l’annonce au bureau de Paris qui en transmet immédiatement la nouvelle à notre littoral.
Des signaux particuliers faits par les sémaphores, avertissent les pêcheurs et les caboteurs qui s’empressent alors de rentrer au port ou de chercher un mouillage sûr et convenable, avant le mauvais temps. Qui pourrait dire le nombre d’existences ainsi arrachées aux furieuses tempêtes qui désolent nos côtes pendant l’hiver ? Qui pourrait supputer les richesses sauvegardées par ces précieuses indications que la science ravit aux lois si multiples qui régissent les mouvements de l’atmosphère ?
Le cadre que nous nous sommes imposé ne nous permet pas d’entrer dans de plus grands détails au point de vue de l’organisation du service météorologique en France ; notre tâche est beaucoup plus modeste et cette petite digression va nous amener tout naturellement au but principal de notre article.
Ainsi que nous venons de le voir, les prévisions du temps fournies par les observatoires sont surtout destinées aux marins. Rien de plus naturel d’ailleurs, si l’on songe que l’existence de l’homme de mer dépend à chaque moment d’un brusque changement de temps ou d’un coup de vent dont il aura mal apprécié la force ou la direction.
Mais, outre ces renseignements que lui fournit la station météorologique, il doit être à même de juger par lui-même du temps probable et tirer des instruments que la science lui confie, toutes les indications que comporte l’état actuel de nos connaissances. Il doit aussi posséder cette science que l’expérience donne seule aux esprits perspicaces et investigateurs, science que l’homme de mer doit acquérir avant tout s’il veut interpréter les données fournies par l’état du ciel. Ces données ne sont souvent pas moins précieuses que les indications fournies par les instruments humains et ceux-là seuls peuvent les recueillir qui ont appris depuis leur plus tendre enfance à lire dans cet admirable livre de Dieu où rien ne se produit sans une cause dont une observation patiente et continue peut seule prédire le retour.
Certainement l’homme qui passe ses jours à terre ne trouve pas dans la science du temps un intérêt aussi vital que homme de mer, cependant il en est pour lesquels l’observation des variations du temps et de leurs signes précurseurs devient d’une importance capitale. Après les marins, on peut dire que les agriculteurs sont les plus intéressés à connaître le temps que le ciel leur réserve. Combien d’entre eux auraient pu sauver leur récolte s’ils avaient pu prévoir le temps, autrement que par la lecture des mots gravés par l’opticien sur le cadran de leur baromètre, en interprétant convenablement les signes précurseurs tirés de l’aspect du ciel !
La première des choses à faire est d’abord de s’orienter et nous voudrions que chaque école si petite qu’elle soit fut dotée d’une boussole. Mais, à son défaut, rien n’est plus simple que d’apprendre aux enfants à choisir dans la campagne quelques points remarquables qui leur indiquent de quel côté de l’horizon le vent souffle. Il n’y a pas de girouettes partout et d’ailleurs elles sont souvent mal placées.
On désigne les vents, d’après leurs directions, en indiquant le point de l’horizon d’où ils viennent.
Ainsi le vent de nord-ouest souffle vers le sud-est.
Les marins sont dans l’habitude de désigner les vents, sous le rapport de leur force, par des noms qui par lent mieux à l’esprit que les chiffres adoptés par les météorologistes. Nous donnons les uns et les autres, les premiers serviront dans le langage usuel, les seconds dans les rapports écrits :
Une expérience très-simple due à Franklin explique la formation des vents principaux qui soufflent sur notre globe. Si dans un appartement on chauffe très-différemment deux pièces séparées par une porte, qu’on place à la partie supérieure et à la partie inférieure de cette porte une bougie allumée, et qu’on ouvre ensuite la porte, on voit par la direction que prend la flamme de chacune des bougies un courant d’air chaud passer à la partie supérieure, dirigé de la pièce chaude dans la pièce froide, et un courant d’air froid dirigé en sens opposé passer à la partie inférieure de l’ouverture. Ainsi, dans la partie inférieure de la pièce froide, l’air se trouve aspiré vers la chambre chaude, tandis que l’air de la chambre la plus chauffée pénètre dans la pièce froide par le plafond.
Eh bien ! la terre d’abord et deux contrées voisines nous donnent chaque jour l’exemple du même phénomène. Une simple différence de température suffit pour causer un double courant d’air : l’un dirigé de la région froide vers la région chaude, à la surface du sol ; l’autre en sens opposé dans la partie supérieure de l’atmosphère.
Il fait froid aux pôles et chaud à l’équateur ; il en résulte un constant afflux d’air froid des premiers vers le second et, dans les régions élevées, des courants d’air chaud vers l’équateur.
Donc si la terre était immobile, dans une certaine étendue au N. et au S. de l’équateur, on ne ressentirait que des vents de N. et de S.
Mais l’atmosphère est entraînée par la terre dans son mouvement diurne, toutes ses molécules paraissent alors se mouvoir en sens inverse du mouvement de rotation et avec des vitesses inégales suivant qu’elles sont ou plus près des pôles ou plus près de l’équateur. Elles suivent naturellement la résultante des deux impulsions reçues et nous recevons au nord de l’équateur l’impression d’un courant constant inférieur, dirigé du N.-E. au S.-O. De là, l’origine des vents alizés qui soufflent constamment entre les tropiques de l’est à l’ouest, et où l’air prend un mouvement ascensionnel.
Élevées ainsi dans la zone tropicale, ces colonnes d’air passent au-dessus des alizés et retombent à la surface de la terre dans les latitudes élevées, vers les parallèles de 40°. Nous avons dit que leur séjour près de l’équateur leur communiquait une vitesse constante de translation de l’E. à l’O. et cela en venant du nord. En revenant du sud vers le nord. elles conservent un excès de vitesse et comme leur mouvement devient inverse, dans nos régions les vents ont une tendance continuelle à souffler de l’O. à l’E. en s’infléchissant vers le sud par suite du mouvement de translation des couches supérieures de l’équateur vers les pôles. C’est ainsi que dans nos régions tempérées de l’hémisphère nord les vents de S.-O. dominent, et commencent à régner à peu près vers les parallèles de 40°.
(À suivre.)
(De l’Observatoire de ***.)
- ↑ Les instituteurs qui apportent leur concours au service d’observation organisé à l’observatoire de Paris obtiennent, soit de l’administration supérieure, soit de l’Observatoire lui-même les instruments qui leur sont nécessaires.