Mœurs électorales - Comment se fait une élection en 1898

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Mœurs électorales - Comment se fait une élection en 1898
Revue des Deux Mondes4e période, tome 149 (p. 405-434).
MŒURS ÉLECTORALES

COMMENT SE FAIT UNE ÉLECTION EN 1898

« Le suffrage universel a prononcé,… le suffrage universel, notre maître à tous… Par lui, le pays s’est fait entendre, a exprimé sa volonté… Il n’y a plus qu’à obéir. » Et à ce maître, comme à tous les despotes, la foule de ses courtisans chante des hymnes et casse des encensoirs sur le nez. Pendant longtemps, c’est à peine si le mode lyrique a suffi à célébrer sa gloire ou ses vertus ; maintenant, les augures parlent encore de « la dignité » et de « la sincérité » du suffrage universel, mais ils commencent eux-mêmes à en sourire. Pour sa « sincérité » et pour sa « dignité, » sans lyre et sans encensoir, nous voudrions dire de lui, lui dire à lui, la vérité. On ne manquera pas de crier que nous l’insultons : ceux qui l’insultent, ce sont ceux qui le trompent. Nous, nous n’avons pas à le flatter, et si nous eussions pu avoir à le maudire, — comme le proverbe permet de maudire ses juges, — les vingt-quatre heures en sont passées. Au lieu de la poésie du suffrage universel, nous voudrions donc en faire l’histoire ; du « corps électoral » décrire fidèlement l’anatomie ou la physiologie : ainsi fonctionne-t-il, se meut-il et vit-il ; tracer, enfin, de ce Prince à dix millions de têtes un portrait qui ne fût ni embelli, ni enlaidi, ni transfiguré, ni défiguré. S’il pouvait ici se voir tel qu’il est ! — Or, ce qu’il est, le voici, d’après des souvenirs tout frais, et selon les documens, rapports, débats parlementaires ; le voici reproduit trait pour trait, photographié sur le Journal officiel. Ce ne sont point seulement ses « réprouvés » qui le peignent sous ce jour, ce sont ses « élus. »


I

Une élection est une comédie en trois actes, avec un prologue et un épilogue. Prologue : la Confection des listes. Acte Ier : Avant la période électorale ; préparation de la scène, introduction des personnages, et exposition de la pièce. — Acte II : Pendant la période électorale ; machinations, provocations, combats, monologues et dialogues, chœur formidable : c’est le nœud du drame, à la fin, revirement. — Acte III : le Scrutin ; c’est le dénouement : alternatives d’espoir et de désespoir, joie et douleur. — Épilogue (à la Chambre) : la Vérification des pouvoirs. Souvent il y a ballottage ; alors la comédie s’allonge, de trois actes passe à cinq, mais ne s’élève ni ne s’élargit, le quatrième et le cinquième acte n’étant que la répétition, dans une note plus violente, du deuxième et du troisième. À cette comédie ne manque aucun des types masculins du théâtre classique, sauf l’amoureux, et encore pas toujours ; mais toujours vous y pouvez applaudir ou siffler le financier, le père noble, le raisonneur, le matamore, la ganache et le traître.

Une salle basse dans la Mairie d’un arrondissement de Paris, entre le 1er et le 10 janvier. Ameublement sommaire, des murs nus, point de rideaux aux fenêtres, des chaises de paille, et une table de bois noirci. Autour de cette table, trois hommes sont assis : la « commission administrative » délibère. L’homme grave du milieu, c’est le Maire ; il préside ; à sa droite, le conseiller municipal du quartier, membre de droit ; à sa gauche, un délégué de l’administration, nommé par le Préfet sur la proposition du maire. Ils ont devant eux un tas de dossiers que, de temps en temps, ils compulsent d’un doigt hâtif : inscriptions et radiations d’office. Cela s’appelle légalement dresser « la liste préparatoire ou rectificative. » Bien entendu, cette liste « préparatoire, » ce ne sont point ces consuls et ces édiles qui l’ont eux-mêmes préparée. Dans le courant d’octobre ou de novembre, l’employé spécialement chargé du service des élections a mobilisé ses fiches dans leurs boîtes ; il en a changé le classement ; elles étaient rangées par ordre alphabétique ; il les a mises par rues et par maisons ; puis il a mandé les « agens recenseurs, » — ce sont ordinairement les propres garçons de bureau de la Mairie, — à qui, s’ils ne sont pas assez nombreux, on adjoint quelque collègue pris à l’Hôtel de ville. Ces « agens recenseurs, » on ne sait trop qui les a jadis investis ; on ne les choisit pas, on en hérite, ils sont là de fondation, et les chefs se les passent les uns aux autres, comme les coureurs antiques le flambeau de la vérité. Ils reçoivent les fiches en leurs mains redoutables et, armés ainsi, s’en vont de porte en porte, ou plutôt de loge en loge, car, dans l’accomplissement de leur mission, ils n’ont guère qu’un seul collaborateur : le concierge. Ils font l’appel : « Avez-vous encore un tel ? un tel ? un tel ? » Si le digne homme répond oui, un tel est maintenu ; s’il répond non : « Déménagé, » en donnant une adresse précise, mention en est aussitôt portée.

Et c’est de la sorte, sans plus d’affaires, sur la foi du concierge attestée par l’agent recenseur, qu’est confirmée, retirée ou transférée ailleurs, pour chacun de nous, sa souveraineté. C’est de la sorte que, les radiations et les inscriptions d’office étant faites, — on inscrit d’office, par exemple, les jeunes gens qui viennent d’accomplir leur vingt-et-unième année et sont par-là même promus à la dignité de citoyens, — est établie cette liste, préparatoire quant à celle qui suivra, ou rectificative quant à celle qui l’a précédée, que la commission administrative examine avec tant de soin. Du 16 janvier au 4 février, la loi veut que les listes soient à la disposition de tous les électeurs, qui peuvent faire toutes vérifications, produire toutes réclamations. Et, vers le 8 février, dans la même salle, autour de la même table, les mêmes visages se retrouvent ; mais ce n’est plus « la commission administrative, » deux nouveaux membres, élus par le Conseil, ont fait d’elle « la commission municipale, » et ce n’est plus « la liste préparatoire » qui lui est soumise, c’est « la liste définitive ; » pas si définitive, toutefois, qu’il n’y ait recours contre elle jusqu’au 31 mars ; après quoi, elle est inaccessible, et serait close no varietur, si la mort, d’une part, et les tribunaux, de l’autre, qui n’ont pas le respect superstitieux du Suffrage universel, suspendaient leurs coups et ne venaient pas encore déranger dans leurs boîtes les fiches où dort le peuple souverain.

N’est-ce pas qu’il se dégage de ces opérations comme un parfum d’honnêteté ? Contre l’erreur et la fraude, il semble que toutes les précautions aient été observées. Les portes sont grandes ouvertes ; par les fenêtres sans rideaux, à travers les vitres bien tenues, tombe autant de lumière qu’en verse le pâle soleil hivernal. Il ne saurait se « cuisiner » là une œuvre de ténèbres et de mensonge. La commission administrative veille, la commission municipale surveille : qui aurait des soupçons, à leur aspect les verrait s’évanouir :


Tout respire en Esther l’innocence et la paix !


Comment, alors, se peut-il faire que, sur 30 000 ou 40 000 circulaires, bulletins de vote, invitations, convocations, etc., il en revienne un gros paquet, qu’il n’est pas excessif d’évaluer à 1 700 ou 1800, soit un peu plus du seizième ? Faisons la part des fautes, et du copiste qui a relevé la liste électorale, et de celui qui a fait les bandes ou les enveloppes ; la part aussi de la mollesse, de l’indifférence des porteurs, et de la négligence ou de la mauvaise volonté des concierges ; le chiffre tout de même reste élevé, — puisque, d’un collège moyen de 9 000 à 10 000 électeurs, le seizième représente environ 500 voix, une majorité déjà ronde et que tous les élus sont loin d’atteindre.

Si, maintenant, vous plongez au hasard dans ce papier de rebut et que vous y préleviez tout juste cent échantillons, vous trouverez, sur 100 électeurs inscrits que « l’assignation n’a pu toucher, » la proportion suivante : Déménagés hors de la circonscription : 48 ; — Inconnus : 44 ; — Décédés : 8. Et par suite vous aurez, sur vos 9 000 à 10 000 inscrits, 288 déménagés, 264 inconnus, et 48 morts. Je le veux bien, les déménagés sont partis depuis plus ou moins longtemps, les inconnus ne sont peut-être pas ignorés de tout le monde, les morts ont trépassé après la clôture définitive des listes, et à la Mairie, sur le registre qui fait preuve, les morts au moins sont rayés. Oui ! plusieurs sans doute, la plupart si l’on veut, ceux des derniers jours, mais il en échappe ; il y a des citoyens si attachés à l’accomplissement de leur devoir qu’ils vont jusqu’à survivre à eux-mêmes pour le remplir encore ! Il y en a de morts depuis un an, depuis deux ans ; on en a cité un, décédé depuis sept ans ; tous ne votent pas, l’un ou l’autre s’abstient parfois, — il est bien permis aux morts d’être malades ! — mais ils n’en continuent pas moins d’être inscrits, et s’ils revenaient, ou si on les faisait revenir, leur suffrage profiterait au candidat de leur choix autant que le suffrage de celui des vivans qui se croit le plus vivant. Je ne pense pas exagérer en disant que, dans tel arrondissement très populeux de Paris, qui compte à peu près 15 000 électeurs, un pointage scrupuleux a révélé le décès de 330 inscrits. Et je n’en veux tirer, d’ailleurs, aucune autre conclusion que celle-ci : nos conseillers municipaux, qui siègent dans les commissions de révision des listes, ont tort de nier le miracle, car il n’est pas d’année où il ne s’en fasse sous leurs yeux. C’est là que nous éprouverons la solidité de leurs principes : s’ils sont vraiment les ennemis du surnaturel, ils sont prévenus ; à l’avenir, ils sauront empêcher la multiplication des bulletins de vote !

En attendant, le juge de paix d’un autre arrondissement de la capitale s’est vu dans le cas d’ordonner la radiation de plus de 1 500 électeurs indûment inscrits ; encore s’est-il montré plein de modération, puisque la préfecture demandait, non pas 1 500 radiations, mais 2 500. Comment cela se peut-il faire ? Et ne voilà-t-il pas « la dignité » et « la sincérité » du suffrage universel assez compromises ? Voilà, du moins, qui prouve qu’on tel ou tel quartier, les deux commissions, administrative et municipale, pour les inscriptions, n’y regardent pas, et qu’elles feraient peut-être bien d’être moins coulantes. Un nid inépuisable d’électeurs dans les grandes villes, c’est l’hôtel meublé, et l’on pourrait nommer des rues où il y en a un toutes les trois maisons. Or le suffrage universel aurait, paraît-il (je dois mettre ici un double conditionnel, car, bien que le fait m’ait été affirmé de plusieurs côtés, je n’en ai point eu la connaissance directe), il aurait ses escadrons volans qui, selon les besoins et l’occasion, seraient tantôt à Montmartre et tantôt à Montrouge. Ils évolueraient autour de l’hôtel meublé, dont le patron, de par sa profession même, a toutes sortes de petites affaires avec la police ; ayant des affaires avec la police, il a des relations avec les personnages importans, et susceptibles de faire des candidats, qui ont ou sont censés avoir de l’influence sur la police ; ayant des obligations à ces personnages, comme une complaisance en mérite une autre, quand l’agent recenseur se présenterait, tournant et retournant ses cartons : « Vous avez un sieur X… ? — Parfaitement. — Il y a six mois ? — Et plus ! » Ainsi le tour serait joué, et l’escadron regagnerait ses chambrées, pour n’en revenir que le jour du scrutin. Ce serait un arrangement à prendre, moyennant quoi l’on pourrait se faire expédier un cent d’électeurs aussi facilement qu’un cent d’œufs.

Est-ce vrai ? Est-ce possible ? Ce qui est évident, c’est qu’il faudrait, lorsque le domicile est un hôtel meublé, un contrôle plus rigoureux ; et que la garantie est médiocre, d’un garçon de bureau qui passe, qui ne pose qu’une seule question, et à qui le premier venu répond ce qu’il veut. Mais, par un singulier renversement des choses, on est presque moins exigeant pour cette espèce de « suffrage universel debout » que pour le « suffrage universel assis. » J’en ai vu un très bel exemple. Un notable commerçant, électeur depuis vingt-huit ans dans la même section, allant retirer sa carte le matin du 8 mai, s’entendit déclarer tout net qu’il n’y en avait pas pour lui, et qu’il était rayé. Naturellement, il fut curieux d’en apprendre le motif : renvoyé de Caïphe à Pilate, on lui fit à la fin connaître que, s’il n’était plus inscrit sur la liste de son quartier, c’est qu’il était allé demeurer à l’autre bout de Paris. « Mais je n’ai pas bougé de la maison que j’habite depuis vingt-huit ans ! — Vous ne demeurez pas à présent rue… ? — Pas le moins du monde ! — Vous (n’y avez jamais habité ? — Jamais de la vie ! — Votre concierge l’a pourtant indiqué. — Il n’a pas pu le dire : il me connaît trop bien : je suis propriétaire de la maison. — Il se sera trompé de nom. — Cela ne se peut pas ; je n’ai pas de locataires. — Que voulez-vous ? Votre « bulletin de retranchement » a été envoyé à la mairie du… Vous devez être inscrit au… Allez-y voir. — Provisoirement, puis-je voter à ma section ? — Impossible ! la loi s’y oppose. — Mais si je prouve que j’ai été rayé à tort ? — Trop tard : le délai pour les réclamations est expiré. » Par acquit de conscience, l’électeur évincé se rendit à la mairie du… ; comme il s’y attendait, il n’était pas inscrit, et ne vota donc ni sur la rive droite, ni sur la rive gauche. A ses justes récriminations, l’administration n’a, depuis lors, répondu que : « C’est drôle ! » Le plus « drôle » est sans doute que ce soit l’administration qui le trouve drôle.

Et la morale de cet incident, qui s’est du reste renouvelé, c’est que certaines gens figurent sur les listes électorales, qui n’y devraient pas être, et que d’autres, qui ont le droit absolu d’y être, peuvent cependant ne pas s’y trouver. Quelques morts s’y raccrochent désespérément à la vie ; quelques « déménagés » y gardent un pied-à-terre ; quelques inconnus s’y glissent à la faveur de leur obscurité ; il est même probable qu’en les épluchant d’un peu près, on y découvrirait quelques incapables et quelques indignes. Comment s’en étonner ? Il n’est pas un Français en France qui puisse entrer, pour graisser les roues, dans une compagnie de chemins de fer, sans produire un extrait de son casier judiciaire, mais n’importe qui entre, comme en un moulin, dans « la souveraineté nationale, » ou il y entrerait tout de go, si, quand il semble qu’il y ait lieu de se méfier, l’employé ne demandait d’office au parquet la communication de ce casier qu’on ne lui propose point. Démarche qui n’est pas complètement vaine, puisque, sur cent personnes qui se font inscrire, il y en a une à qui quelque condamnation pour délit grave a fait perdre la qualité de citoyen. Leur radiation, à ceux-là mêmes, parfois ne va pas toute seule ; il arrive qu’ils regimbent, qu’ils disent : Ce n’est pas moi ! et que, suivant leur caractère, ils gémissent sur l’atrocité des temps, ou menacent d’intenter une action en dommages-intérêts pour diffamation. Il faut de la fermeté d’âme pour tenir tête aux assauts répétés que livrent à la boîte aux fiches, répertoire de la Souveraineté, d’aspirans législateurs ou conseillers municipaux qui, estimant que les amis dévoués sont rares, les ramassent où il en traîne… Dans tout cela, il n’y a pas de quoi faire éclater la foudre : ce serait oublier trop que la pauvre humanité, même proclamée souveraine, est fragile et faillible. Mais non plus il n’y a pas de quoi — et encore bien moins ! — prendre l’exactitude des listes électorales pour thème de la première strophe d’un hymne, parlementaire et populaire, à « la sincérité » du Suffrage universel ; strophe qu’accompagneraient, alors, en faux-bourdon, ces inconnus, ces absens, et ces ombres !


II

Cependant, voici que les élections sont annoncées, vaguement d’abord, pour la fin d’avril ou le commencement de mai ; on est à la fin de février ou au commencement de mars, et déjà l’on s’inquiète des candidats futurs. Il y en a de connus et de déclarés. L’un d’eux a posé des affiches huit ou dix mois à l’avance, comme avertissement au public : il s’est collé son étiquette ; il a pris ses positions. Il est allé se faire raser successivement chez tous les coiffeurs de la circonscription, de préférence les « jours de presse » et en sortant, il a tiré de la serviette bourrée qu’il avait sous le bras de petites brochures qu’il a distribuées : sa biographie, avec gravure, proclamation et explications ; toutes les raisons qu’il y a de « prendre son ours. » Il a monté infatigablement un nombre considérable d’étages, à l’heure des repas, où l’on est sûr que les gens sont rentrés : il a forcé les portes qui ne faisaient que s’entrebâiller, il s’est imposé ; il s’est assis ; et les dernières giboulées ne sont pas tombées qu’il en est au-delà de quatre mille visites…

Un autre s’y prend différemment ; tout à coup on a vu reparaître un journal : le Progrès ou l’Avenir ou l’Écho du…, dont c’est, en cinq ans, la quatrième série, ce qui veut dire que, dans l’intervalle, le titre seul existe. Le numéro 2 de cette quatrième série se fait attendre cinq ou six semaines après le numéro premier ; puis le numéro 3, un mois après le n° 2 ; le n° 4, quinze jours après le numéro 3 ; et ainsi le temps s’avance. Dans chacun de ces numéros, l’article de tête est du citoyen Z… ; l’article de fond est un dithyrambe en l’honneur du citoyen Z… ; la deuxième page est remplie par le compte rendu in extenso d’une conférence du citoyen Z… sur « l’émancipation de la femme ; » tous les filets ramènent plus ou moins ingénieusement le nom du citoyen Z… ; les nouvelles à la main rapportent ses traits d’esprit, et les faits divers ses actions d’éclat ou ses bonnes œuvres. Et comme la feuille se vendrait peu, on la répand à profusion, par poignées, une douzaine d’exemplaires à la fois, dans les cafés et chez les commerçans.

De ces deux candidats levés avant l’aube, on ne sait pas du tout ce qu’est le premier, ni pourquoi il est candidat ; si sa candidature est sérieuse, j’entends s’il travaille pour son compte, ou bien s’il a été mis là, comme champignon, — c’est, en argot électoral, le terme consacré, — pour quelqu’un et contre quelqu’un, à l’effet d’enlever des voix à celui-ci au profit de celui-là ; et, dans ce cas, au profit de qui ? Quant au second, pas tant de mystère ; lui, il est candidat, parce qu’il l’a déjà été. Il l’a été à la Chambre et au Conseil municipal, dans ce quartier, puis dans un autre, avec ce programme, puis avec cet autre, mettant, selon les circonstances, soit de l’eau dans son vin, soit du vin dans son eau. Sa candidature est prévue sans qu’il ait bougé de chez lui ; elle est certaine, inévitable, et en quelque sorte astronomique comme la succession du jour et de la nuit. Mais ni ce candidat de fantaisie ou d’occasion, ni ce candidat perpétuel ne sont les vrais représentans des forces opposées, et ce n’est point entre eux que la bataille des partis se livrera.

Elle se prépare plus silencieusement. Depuis de longs mois, le député en possession du siège est menacé politiquement ou physiquement, sa situation électorale ou sa santé elle-même est ébranlée ; et depuis le jour où il a senti la première atteinte, il est épié, suivi, — comme le naufragé par un requin, — par un de ses adversaires ? peut-être, mais sûrement par un de ses amis. Pour combien en a-t-il encore ? Ira-t-il jusqu’aux élections ? S’il y va, sera-t-il en état de faire campagne ? Les conseils inquiets et émus pleuvent sur lui : qu’il prenne garde, qu’il se ménage ! la vie politique est si absorbante ! En même temps la nouvelle se répand de proche en proche, — qui la répand ? — qu’il est perdu, et l’on cherche, — qui le cherche ? — le successeur désigné.

On l’a vite trouvé, car il a vite fait de se trouver et de se désigner lui-même. Oh ! discrètement et indirectement, et, comme dit la loi, par personnes interposées. Ce sont, ces personnes, le président ou le secrétaire d’un comité qui soutenait l’homme qu’il s’agit de remplacer. « Qui soutenait » : on parle déjà au passé. — Le président a des ambitions : il voudrait être officier d’Académie ; le secrétaire a des besoins : il accepterait volontiers un emploi, pourvu que ce fût de l’Etat ou de la Ville, sûr, de tout repos, et avec un traitement convenable. Quoi de plus légitime ! Ils auront, l’un son ruban, l’autre sa place, si, au cas qu’il faut malheureusement prévoir, notre excellent *** vient à disparaître ou à se retirer. Justement, le malheur veut que le moribond meure : on ne lui a pas fermé les yeux que son culte est fondé : notre excellent *** est devenu notre regretté, quand ce n’est pas (le style funéraire autorise l’hyperbole) notre inoubliable *** ! On lui prodigue couronnes et discours ; on lui consacre une plaque d’émail au coin d’une rue ; on ouvre une souscription pour lui ériger un buste : il est mort, il mérite bien les honneurs du marbre ou du bronze ! Il s’agit désormais de se substituer à lui, de s’identifier avec lui, et, si l’image ici n’était par trop macabre, « de se mettre dans sa peau : » pour cela, il faut recueillir et regrouper autour de soi ses créatures, servir tout de suite sa clientèle, en l’augmentant de la sienne propre. Dans le premier moment, il y aura peut-être, par-ci par-là, des espérances déçues, d’inconsolables fidélités, des pudeurs qui se réserveront. Mais on les vaincra ou l’on passera outre : et l’héritier présomptif, pour ceux qui le trouvent trop pâle, se teintera de rouge, et pour ceux qui le trouvent trop rouge, se laissera un peu pâlir : bientôt, le candidat du parti, le seul, l’unique, ce sera lui ; et pourquoi ne serait-ce pas lui ? N’est-il pas maire, adjoint ou conseiller municipal, et délégué cantonal par surcroît, ou administrateur du bureau de bienfaisance, membre honoraire ou actif de plusieurs sociétés de tir, escrime ou gymnastique, protecteur d’orphéons et de fanfares, distributeur de soupes populaires ? N’est-ce pas un bon garçon, pas fier, qui reçoit tout le monde et qui, sur les deniers publics, est incapable de refuser rien à personne ? — Et puis surtout, il aimait tant notre regretté, notre inoubliable *** ! Il l’aimait à ce point que, le voyant fatigué, il glissait tout doucement sa candidature sous la sienne, afin de le décharger d’un si lourd fardeau. Pas de divisions ; pas d’abstentions ; pour tous les hommes de liberté, de fraternité, de solidarité, de progrès social, il ne peut y avoir qu’un seul candidat, et c’est lui !

Dans le camp adverse, on est perplexe : l’occasion n’est pas fameuse, la preuve, c’est que la dernière fois, on a été battu. Mais pas de beaucoup, et au mois d’août ou de septembre, lorsque « tous nos amis » étaient à la campagne ; en avril ou en mai, ils seront ici, et alors ! Chacun tire de son portefeuille un petit carré de papier couvert de chiffres et expose ses prévisions. La conclusion unanime est que l’on peut lutter et, du moment qu’on le peut, que l’on le doit. Seulement qui le peut avec le plus de chances ? Qui que ce soit, il faut qu’il réunisse les voix de tous les conservateurs ou de tous les modérés, anciens monarchistes et républicains : mais de les réunir, qui a le plus de chances, un ancien monarchiste ou un républicain ? Le mouvement continu qui depuis vingt ans emporte le pays vers la république, ou la stagnation qui l’empêche d’être emporté ailleurs, conseillent plutôt un républicain d’origine ; et la majorité s’arrête à cet avis, malgré les protestations de quelques hommes antiques, d’une vertu romaine, qui aiment mieux tout perdre que de rien concéder, jurent que c’est une faute, et presque un crime, de « mettre son drapeau dans sa poche, » raillent la conciliation qui, suivant eux, n’est qu’une duperie, affirment que, plutôt que de triompher par une alliance, il est plus honorable de se faire battre seul. — Ils ne comprennent pas que « le parti » n’ait point son candidat. Quant à eux personnellement, ils ne veulent pas de cette candidature : ils ont ceci ou cela qu’ils ne peuvent compromettre, des convenances qui s’y opposent, des obligations de famille ou de profession qui le leur défendent. Mais, précisément parce qu’ils n’en veulent pas, ce qu’ils en disent n’est que plus désintéressé. Et aussi parce qu’ils n’en veulent pas, ils ne veulent pas qu’un autre en veuille. Il faut un candidat pourtant ; ce sera donc un républicain : faute de grives, on mange des merles. Mais encore quel républicain ? Le premier à qui l’on en parle refuse net ; le deuxième demande à réfléchir et se dérobe ; le troisième accepte. Du coup, les deux armées sont en présence et la lutte peut s’engager.

Ce sont d’abord des escarmouches, de petites rencontres d’avant-postes, des fusillades de tirailleurs, des pointes et des reconnaissances. Le candidat en expectative n’a pas encore soufflé mot de sa candidature, qu’à sa porte, la sonnette ne cesse plus de tinter. Alors, commence un étrange défilé de tout ce monde interlope qui, dans une grande ville, s’agite autour d’une élection, de toute la gueuserie électorale. C’est le directeur-gérant de l’Abeille ou du Moniteur, feuille spécialement fondée pour soutenir telle opinion, et au besoin pour la combattre, qui vient interroger le candidat, s’enquérir de son programme, se mettre à sa disposition, s’entendre, etc. C’est un orateur attitré de réunions publiques, — on en cite un qui se donnait cette qualité sur ses cartes, — c’est un de ces orateurs qui vient vous annoncer pour le soir, salle Y…, une séance où il ne manquera pas de prendre la parole. « Vous êtes un honnête homme ; lui aussi ; il proposera et défendra votre candidature. » Il est déjà, du reste, fortement pris de vin, et d’une langue embarrassée bredouille des propos presque incohérens où reviennent, comme à intervalles fixes, ces mots : la Chambre parlementaire. Il ne sera pas facile à éconduire : il a l’air d’être vissé là. Ne lui proposez rien, et il ne tardera pas à se livrer, ou à s’offrir. Il sort de maladie, il est dans le besoin, il cherche vainement du travail. Mais ne lui en indiquez pas : il vous dira que le chantier est trop loin. Ce qu’il veut, c’est une pièce de quarante sous : il ne vous la demande pas en pur don, mais il n’a pas mangé ; avancez-lui seulement de quoi acheter du pain ; il vous le rendra, quand il aura touché du bureau de bienfaisance un secours qu’il attend. Vous êtes fixé, mais il vous plaît de faire l’expérience : vous lâchez la monnaie : peut-être croyez-vous ainsi vous débarrasser de l’importun. Que nenni ! bientôt il revient. La séance a eu lieu ; il a plaidé éloquemment pour vous et, grâce à lui, vous avez eu à peu près la moitié des voix. Encore un petit effort et vous aurez tout, mais pour cela il faut se réunir à nouveau entre amis, et il faut boire, et, pour payer à boire, il faut de l’argent qu’il n’a pas. Cette fois, afin de compléter l’expérience, vous refusez. L’homme alors passe de l’amabilité à la menace : ses convictions se retournent instantanément, au lieu de vous appuyer, il vous attaquera donc. Laissez-le aller et laissez-le faire : sous le nom qu’il a donné, on ne le connaît pas à l’adresse qu’il a indiquée ; il n’habite pas la circonscription. C’est un professionnel de l’escroquerie à l’élection.

Il y a d’autres types et de tous les genres. Il y a le policier électoral, qui s’installe dans le café d’en face, surveille les allées et venues, file le candidat quand il sort, interviewe les domestiques, se renseigne sur votre loyer, sur votre famille, sur vos relations, sur votre genre de vie et votre train de vie. — Il y a enfin (il faut le mettre à part ; car il a souvent une manière de bonne foi ou même d’honneur) l’agent électoral, l’entrepreneur patenté, qui soumissionne une élection comme un marché, et qui travaille à tous les prix : avec le comte de B… ou le marquis de L.., il « marchait sur le pied » de 100 000 ou 200 000 francs ; mais il entend raison, et il se contentera d’infiniment moins. Celui-ci, il n’est pas rare qu’il cumule, et en même temps qu’agent à gages, ou à honoraires, qu’il soit membre influent de quelque comité, dont il se sert, et que d’ailleurs il ne dessert pas. Peut-être ne sera-t-il point tout à fait inutile, à condition de le tenir en main, et il est, à son heure, capable d’intelligence et de dévouement. Sans faire rien de proprement indélicat, il fait ce que le candidat lui-même ne pourrait ni ne voudrait faire. Il tâte et sonde les marchands de vins, étudie leur clientèle ordinaire, dépiste et groupe les électeurs qui ont ou qui passent pour avoir de l’action sur les autres, prépare en un mot la mobilisation générale du suffrage. S’il connaît son métier, en quelques semaines il sait qu’ « un tel est avec nous, un tel contre nous, et qu’un tel ne s’occupe que de son commerce. » Il visite et retient les salles pour les réunions privées, avant que la période soit ouverte, celles où le candidat entre en contact avec les électeurs : il les combine, lundi salle A…, pour telle et telle rues, vendredi, salle G… pour telle et telle autres. Il est l’intermédiaire officieux, le trait d’union — ou de réunion — entre le candidat et ce personnage important, le marchand de vins, qui n’a sans doute pas tout le pouvoir qu’on lui prête, mais dont il serait imprudent et funeste de se faire un ennemi.

Le vrai règne du débitant, c’est cette espèce d’Avent électoral, et derrière son comptoir, tout en vidant des bouteilles pour remplir des verres, il distribue aux concurrens des brevets qui leur restent. Plus sensible qu’on ne croit à l’art oratoire, et trouvant dans un jour cent occasions d’imposer son avis, il fonde ou renverse une réputation. Ménagez-le ou il ne vous ménagera pas. Surtout ne le prenez pas de haut avec lui ; lorsqu’il vous « donne sa salle. » Consommiez-vous toute sa boutique, il estime que vous êtes son obligé et qu’il n’est pas le vôtre ; ne le quittez pas sans le remercier et sans saluer sa femme : si, par hasard, vous l’avez oublié, dès le lendemain excusez-vous. Ses cliens le consultent, et sa femme le mène. Vous retrouverez, pendant la période électorale, l’effet d’un compliment adroit, fait à propos.


III

Mais le décret est à l’Officiel, la période électorale est ouverte. Dès le matin, en exécution de la loi sur les candidatures multiples, les adversaires se sont précipités, de peur de perdre une minute, de se mettre en retard et de ne pas avoir les bons coins, les bonnes places sur les murailles. Les colleurs « sortent » aussitôt. Ils vont d’abord poser « les papillons ; » — ce sont les bandes quart ou demi-colombier qui portent seulement le nom du candidat, ses qualités, et l’étiquette politique sous laquelle il se présente. La profession de foi, de format colombier ou double colombier, ne sera collée qu’un peu plus tard. C’est la pièce de résistance dans cette littérature électorale. Chaque candidat a du reste sa tactique, et tandis que l’un se presse pour être sûr d’arriver le premier, l’autre attend pour se régler d’après ce qu’auront dit ses concurrens. Cette première affiche, la profession de foi, est un exposé de principes et garde une certaine tenue. Elle est à l’habitude de la plus plate banalité, bourrée de tous ces lieux communs usés, de toutes ces formules creuses et de toutes ces généralités vagues qui n’ont pas leurs pareils pour anémier, affaiblir et, à la longue, tuer l’esprit politique d’un peuple. Mais, du moins, elle est décente : on peut la lire, et même on le doit : on n’en reverra pas d’aussi convenable.

A partir de ce moment, en effet, où la période électorale est ouverte, il n’est plus dit, en France, un mot loyal, courtois ou sérieux : la moitié du pays accuse, dénonce et injurie l’autre. Un vent de folie s’est levé qui enfièvre jusqu’aux gens de sens rassis. Les réunions publiques montent la discussion à un ton suraigu d’où elle ne redescend plus. Qui ne sait ce que sont ces réunions publiques ? Dans un préau d’école mis gratuitement à la disposition du candidat, pourvu qu’il en ait, à l’avance, fait la demande à la mairie, cinq à six cents personnes sont entassées : quelques douzaines, aux premiers rangs, assises sur les bancs qui servent de coutume aux enfans, assises ou plutôt pliées, les jambes traînantes, car les bancs sont trop bas pour elles : la plupart debout. Tout le monde fume ; une atmosphère épaisse et acre. Dans le fond, quelques femmes, que ce spectacle passionne. Le pupitre du maître sert à la fois de bureau et de tribune. Au milieu trône le président, qu’on a tout à l’heure désigné non sans peine, tumulte et contestation. C’est un gaillard de haute taille, de grosse voix et de forte poigne ; il est armé d’un manche à balai ou d’une tringle de fer dont il assène sur la table de si formidables coups que le bois vole en éclats et retombe tout autour en une grêle fine. Deux assesseurs le flanquent à droite et à gauche, l’un placide, qui ne bouge pas et qui, les paupières lourdes, a l’air de sommeiller ; l’autre, sans cesse en mouvement, et qui surveille la salle.

On a jeté dans un chapeau autant de bulletins qu’il y a de candidats présens ou non, et l’on tire au sort l’ordre dans lequel ils seront admis à s’expliquer. S’expliquer, c’est beaucoup dire. A l’appel de chaque nom, tempête d’applaudissemens et de huées, car les manifestations ici n’ont rien de spontané et chaque candidat a eu soin de « faire sa salle ; » et chacun a, rassemblés dans un coin ou disséminés aux quatre coins, ses hommes à lui, qui acclament ou vocifèrent, selon que c’est lui ou que ce n’est pas lui. Au besoin, on se donne le plaisir d’y ajouter ce qui peut s’appeler « un orphéon électoral, » — citoyens aux poumons solides et au vocabulaire plus abondant que choisi, dont le moindre défaut est sans doute de n’être pas électeurs dans l’arrondissement, et peut-être même de ne l’être nulle part, ceux-ci parce qu’ils sont encore trop jeunes, et ceux-là parce que la vie est pleine de vicissitudes. Qu’il y ait deux ou plusieurs candidats, l’un d’eux est le candidat clérical, — on est toujours le clérical comme le réactionnaire de quelqu’un, — et pour être baptisé « clérical » il suffit de n’être pas un mangeur de curés et de croire que la société civile peut être indépendante, et même que le pouvoir civil peut voir sauvegardée sa suprématie, sans que la religion soit taquinée, opprimée et persécutée. Tout à coup l’orphéon entonne : Esprit-Saint, descendez en nous ! C’est le candidat « clérical » qui va prendre la parole, si on le lui permet, mais l’on juge plus prudent de ne pas le lui permettre. Cependant il essaye, et il est arrêté par des cris forcenés : « A bas la calotte ! » En plaisantant, il a une chance de s’en tirer ; qu’il se fâche, et il est perdu. On ne passe l’indignation qu’aux militaires, mais pour eux c’est une autre chanson. On sonne et l’on bat aux champs, on commande : « Portez armes ! » On hurle : « Pas d’observations ! Quatre jours de salle de police ! » avec accompagnement de jurons assortis. — Citoyens, déclare soudain un brave homme d’électeur, honnête et convaincu, si vous ne voulez pas écouter le citoyen X… (on fait de ce qualificatif une consommation effroyable ! ), je vous garantis bien que le citoyen Z… ne se fera pas entendre. — Non ! non ! bravo ! Et dans le dessein louable de rétablir l’ordre, le désordre est augmenté d’autant, jusqu’à ce qu’une bande d’anarchistes, qui ont envahi le local, et qui méprisent également tout ces « votards, » comme ils disent, mettent tout le monde d’accord en chantant la Carmagnole : « Vive le son ! Vive le son du canon ! »

Le manche à balai du président décrit des moulinets terribles, se lève, tourne, s’abat et pulvérise le bord de la tribune. Les plus excités se sautent mutuellement au collet : « A la porte ! » et de main en main, on les pousse vers la sortie. Il se produit alors comme une détente dont on profite pour poser des questions aux candidats qui, dans les vingt minutes qu’on leur avait avarement mesurées, et que les interruptions ont réduites à cinq, n’ont pu tout dire, et, en effet, n’ont dit rien ou pas grand’chose. A part ce qui peut y être introduit de local ou de personnel, — et il y en a toujours bonne mesure, — ces questions sont partout les mêmes ; on en pourrait faire un recueil dans le genre du Recueil des questions posées au baccalauréat : « Je voudrais savoir ce que le candidat pense de la séparation de l’Eglise et de l’État ? ou de la révision de la Constitution ? ou de la suppression du Sénat ? » — Puis d’autres, parmi lesquelles il n’en manque pas de saugrenues ou d’absurdes. Et le brouhaha redouble, tandis que, dans la confusion portée à son comble, le président s’égosille à lire un ordre du jour indéchiffrable où l’on affirme que des milliers de citoyens, après avoir entendu les citoyens X…, Y… et Z…, ont acclamé et se sont engagés à faire triompher la candidature de… ; » la candidature de celui qui avait amené le plus de partisans, ou qui a su les faire manœuvrer avec le plus de discipline ou d’audace.

Sauf quelques variantes et quelques incidens, tantôt violens, tantôt comiques, il en va ainsi de toutes les réunions publiques ; et elles sont toutes les mêmes ; et l’on pose dans toutes les mêmes questions, parce que ce sont les mêmes personnes qui les suivent toutes. Que ce soit à un bout ou à l’autre de la circonscription, les mêmes têtes sont là ; il n’y en a guère de nouvelles ; il n’est entré dedans rien de nouveau, et les mêmes « orateurs » promènent de salle en salle les mêmes discours, comme les mêmes interrupteurs les mêmes stupidités ou les mêmes grossièretés. La réunion, publique est, à vrai dire, la représentation que le candidat est obligé, sans nul profit pour sa candidature, d’offrir au corps électoral, le jeu cruel et humiliant par lequel on lui fait expier la témérité grande qu’il a de vouloir s’occuper des affaires du pays ; elle n’est que cela. Dans la traduction moderne du cri romain : Panem et circenses, elle figure les circenses. S’il n’est pas homme à « livrer sa vie à ces huées » et à « monter sur ce tréteau banal » du Suffrage universel, que le candidat se retire vite ! Ce ne sont point ici plaisirs de délicats. D’y aller ne lui sert à rien, mais de n’y pas aller servirait à ses adversaires à répandre le bruit qu’il « a peur, » qu’il « fuit la lumière ; » car il paraît que c’est « fuir la lumière » que de ne pas goûter ces bagarres où l’on ne peut que gesticuler dans le noir et où, matériellement même, pour ramener un peu d’apaisement, il ne reste souvent que ce moyen héroïque : éteindre le gaz !

Si encore, revenu chez lui, le malheureux y trouvait un peu de repos ! Mais point. Des amis l’attendent éperdus : « Nous sommes couverts ! On ne voit plus une affiche ! » D’autres lui apportent un journal : « C’est dégoûtant ! Avez-vous vu cet article ? » Le comité tient à lui faire une communication urgente et grave. Un concurrent vient de placarder un appel signé d’une centaine de noms : tôt il faut répondre par un contre-appel et recueillir un nombre double de signatures. Le comité ! Si les semaines qui précèdent l’ouverture de la période électorale marquent le règne du marchand de vins, la période elle-même est le règne des comités. Il y en a de trois espèces au moins : il y a le comité remuant, encombrant, compromettant, tyrannique, qui « va de l’avant », dispose, ordonne, tranche, et fait aisément des sottises ; il y a le comité placide, qui observe, contemple, ne bouge pas, a de toutes manières l’encouragement discret et dont on ne sent autour de soi que la sympathie molle et atone ; il y a enfin le comité fictif, qui n’existe pas, ou n’existe que de nom, pour l’en-tête des imprimés ; — et de tous, c’est peut-être le meilleur.

Mais le temps marche, les esprits s’échauffent. Dans les permanences, c’est-à-dire dans les boutiques louées exprès où toute la journée, fumant et buvant, se tiennent deux ou trois délégués, et où ils affluent, affairés, les sergens et les caporaux de la grande armée électorale s’excitent, « se montent » les uns les autres, et peu à peu montent l’entourage immédiat du candidat et le candidat en personne à leur diapason. C’est un perpétuel ébranlement, une vibration perpétuelle ; c’est cette névrose particulière, médicalement constatée, la névrose des élections : pendant huit jours, la société est comme une vaste maison de fous. L’homme habituellement le plus calme, le plus courtois, le plus réservé, le plus maître de lui en arrive à dire et à faire des choses monstrueuses. Il n’oserait, quand il se sera repris, plus tard, relire ce qu’il dit et écrit alors sans sourciller. On l’attaque, il se défend, il attaque à son tour : et il va troubler la paix des familles et l’oubli des tombeaux, et tout y passe, les vivans et les morts, et l’on affirme ce que l’on ne sait pas, et l’on invente ou l’on arrange ce que l’on affirme, et ce qui est plus fort, on finit par y croire. On se traite réciproquement de menteurs, de traîtres, de voleurs, de faussaires, d’assassins, ou de fils ou de frères d’assassin, de faussaire, de voleur, etc. Les murs sont tapissés de démentis, de réponses à un démenti, de défis, de flétrissures : « Une infamie ! — Une calomnie I — Un guet-apens ! »

Je copie textuellement ceci :

ÉLECTEURS, ON VOUS TROMPE !

Un candidat ACCUSE d’honnêtes gens d’avoir écrit en son nom au journal l’Autorité qui a fait un article élogieux en sa faveur.

Ce A… ACCUSE donc de faux ses adversaires politiques.

Sachez quelle est la lâcheté de ce A…, qui fait des promesses à tous les partis pour avoir des voix.

Le républicain-patriote B…, employé de commerce, a été attaqué par ce A…, PAR DERRIERE ET SANS PROVOCATION, à l’aide d’un instrument tranchant, mais le coup a porté dans le chapeau, qui a été percé, et le républicain-patriote, ancien dragon du… e régiment, a cassé sa canne sur la tête repoussante de ce A…

Signé : B…

REPUBLICAIN-PATRIOTE, EMPLOYE DE COMMERCE.

Vu : le candidat : B…

Et ce n’est encore que de la polémique courante. Mais, dès le lundi ou le mardi de la semaine décisive, on commence à se préoccuper des « manœuvres de la dernière heure. » On sait vaguement qu’il y en aura une, et l’on cherche laquelle. Les candidats installent des souricières à la porte des imprimeurs qui travaillent pour leurs adversaires, guettant « la sortie du papier. » Mais c’est l’enfance de l’art, de faire imprimer ce fameux « papier » ailleurs, où l’on ne le guette pas, et il serait vraiment par trop naïf de mettre ainsi sa signature au bas d’un placard que l’on ne veut pas signer. Car l’affiche de la dernière heure est, de son essence, anonyme ; ou elle ne porte que des marques collectives, inconsistantes, insaisissables : « Un groupe de patriotes, un groupe d’électeurs prévoyans, un groupe de vieux républicains, un groupe d’étudians, un groupe de cochers. » On l’épie donc pour l’attraper au vol et pouvoir y répondre à temps. Quelques amis, atteints d’une maladie assez commune en période électorale, rédigent, à grand renfort d’épithètes, une réplique foudroyante à ce factum qu’ils ne connaissent pas. Pour achever, viennent les deux nuits du vendredi et du samedi ; nuits tragiques, nuits redoutables, véritable veillée des armes. Les « permanences » sont pleines d’hommes couchés à terre, qui plient et disposent des « papillons » multicolores : d’autres s’assoupissent sur des chaises, un bicycliste circule aux environs : tout à coup il entre en coup de vent : les adversaires « collent ; » recouvrons, recouvrons ! Lorsque l’aube luit, c’est comme une délivrance, mêlée pourtant d’une certaine angoisse, ou comme une résignation à la fatalité désormais fixée et inflexible. Le sort en est jeté : il n’y a plus rien à faire, il n’y a plus qu’à attendre le soir.


IV

Toute la journée, au-dessus de la fente de cette caisse en bois blanc que la loi s’obstine à qualifier d’urne (et le fait est que « caisse électorale » ou « boîte électorale » manquerait un peu de noblesse), les présidens des sections de vote tiennent précieusement des bulletins, les élèvent, pour ainsi dire, aux regards, les suspendent au seuil du mystère, les balancent, enfin les laissent tomber ou les précipitent ; — on en a vu parfois qui, dans ce moment solennel, les transmuent ou les escamotent ! A chaque bulletin, ils proclament : M. Un Tel (nom et prénoms) a voté. Ces présidens sont tout désignés à l’avance : pour la première section, c’est le maire ; pour les autres, des amis du maire ou du candidat cher au maire. De six ou sept sections, ils en tiennent au moins quatre ou cinq ; et que dire des suppléans qui viennent s’offrir à les remplacer vers midi, quand ils déjeunent ? C’est alors que par petits groupes, sous la conduite des comités, descend la Cour des miracles du suffrage universel. Quand six heures sont arrivées, quand quelques milliers de noms ont été appelés, quelques milliers d’émargemens faits, quelques milliers de bulletins jetés au fond de la boite, le peuple a un représentant : il ne s’agit plus que de savoir qui c’est. Au même instant, ou à peu près, sur cinq cent quatre-vingt-un points divers du territoire de la République française et de ses colonies, des gens partent en courant, sans se connaître se congratulent et se houspillent aussi, se serrent la main ou se montrent le poing : « X… est élu. Vive la République ! » Et quand, le mois suivant, la Chambre s’étant réunie pour la vérification des pouvoirs, se vide le grand panier électoral, voici, pêle-mêle, ce qui en tombe. Je cite l’Officiel, mais ne puis tout citer : il vaut la peine de s’y reporter, peu de lectures sont aussi édifiantes.

Dans un arrondissement de Paris, un citoyen se plaint de ce que les listes électorales ne soient pas suffisamment révisées, et il espère (fol espoir ! ) que M. S…, le député élu sur ces listes frelatées, donnera sa démission[1]. Il est vrai que le bureau déclare cette protestation sans objet, en quoi l’expérience d’autres circonscriptions parisiennes permet d’affirmer qu’il fait montre de quelque optimisme. A Paris encore, en effet, « la pression officielle apparaîtrait notamment dans la constitution de la commission de révision des listes électorales. On en aurait soigneusement écarté tous les amis de l’honorable M. G… ; on y aurait fait entrer les amis les plus fidèles de M. M…, et, de ce chef, on aurait pu maintenir, sur les listes de l’arrondissement, un grand nombre de personnes qui n’y demeureraient pas et qui n’y figurent pas sur les rôles des contributions directes. » Le président d’un Comité républicain progressiste aurait adressé « à un certain nombre de personnes, qu’il savait pertinemment ne plus habiter l’arrondissement, » et qui se trouvaient, peut-être indûment, inscrites sur les listes électorales, une lettre ainsi conçue :


Monsieur et cher concitoyen,

Bien que vous ayez changé d’adresse, vous êtes encore inscrit comme électeur dans le… arrondissement.

Vous nous feriez le plus grand plaisir en venant, demain 22 mai, voter pour notre candidat, M. M…, à l’élection duquel tous les bons citoyens seront heureux de participer…

Là-dessus, que répond le rapporteur ? « Je m’étonne que M. B… (l’orateur qui attaquait l’élection) paraisse ignorer que l’électeur qui a changé de domicile après la clôture des listes électorales, clôture qui a lieu le 31 mars, peut encore, pendant tout le cours de l’année, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il ait pu être inscrit à son nouveau domicile, voter là où il avait sa résidence dans son ancienne circonscription[2]. » Oui ; et grâce à cette clôture des listes au 31 mars, toujours à Paris, dans un autre arrondissement, quatorze citoyens auraient indûment voté[3].

Dans un autre, une protestation légalisée donne les noms de cinq personnes qui, bien que n’ayant pas changé de domicile, se sont trouvées rayées des listes électorales. De plus, trois personnes, absolument inconnues, auraient voté au deuxième tour, et des cartes auraient été délivrées en double à deux électeurs. — « Les faits allégués peuvent être exacts, observe le rapport, mais ne visent qu’un petit nombre de cas[4]. »

En Seine-et-Oise, trois faillis auraient pris part au vote, bien qu’ayant perdu la capacité électorale[5] ; dans la Seine-Inférieure, vingt-neuf condamnés non électeurs, absens et faillis, auraient usé d’un droit qu’ils n’avaient pas ou n’avaient plus ; mais, dix-neuf de ces condamnés étant régulièrement inscrits avant le 31 mars, leurs votes sont tenus pour valables[6].

Dans une ville du Midi, au premier tour de scrutin, « un grand nombre de cartes auraient été délivrées en double exemplaire, et tandis qu’un citoyen recevait la carte originale, le duplicata était remisa un autre. » Pour le deuxième tour, on a fait confectionner de nouvelles cartes d’électeurs. « Le plus grand désordre, mais un désordre voulu, semble avoir présidé à la confection et à la distribution de ces nouvelles cartes. » Le rapporteur s’en explique en ces termes : « Au premier tour de scrutin, on a trouvé quelques cartes faisant double emploi, qu’on a jugées suspectes. Au deuxième tour, la municipalité a fait de nouvelles cartes avec un timbre spécial pour éviter les falsifications[7]. » Dans un grand centre industriel de la Loire, le 7 mai au soir, veille du scrutin, 2 400 cartes électorales environ restaient en souffrance au bureau du commissaire central de police, par qui elles étaient ordinairement distribuées. M. A…, élu député, rappelle à ce propos « que, depuis les élections de 1893, 2 000 inscriptions nouvelles avaient été opérées par les maires successifs de R… sur les listes électorales. Beaucoup de ces inscriptions paraissent avoir été défectueuses, en ce sens que certaines ne portaient pas les adresses des inscrits ou portaient des adresses défectueuses ; de plus, il avait fallu, à plusieurs reprises, vérifier les listes pour effacer des noms de décédés, de disparus et de condamnés, ou pour rétablir ensuite certains de ces noms biffés par erreur. » Ainsi peut s’expliquer « l’impossibilité où s’est trouvée la police de découvrir beaucoup de titulaires de cartes qui, malgré les affiches multiples qui annonçaient le lieu et les heures de la distribution, avaient négligé devenir retirer les leurs en se faisant dament reconnaître. » Cependant, un certain nombre de cartes avaient été, par précaution, établies et délivrées en duplicata, et afin de parer à tout empêchement électoral, « la plupart des bureaux de vote n’ont même pas rempli la formalité légale d’exiger l’assistance de deux témoins de la part des électeurs venus sans cartes ; il a suffi que ceux-ci fussent reconnus par le président ou les assesseurs du bureau[8]. »

En résumé, il est infiniment probable que pas mal de gens ont voté qui n’en avaient pas le droit, ou qui, comme les déménagés de Paris ou les condamnés de la Seine-Inférieure, l’avaient et ne devraient peut-être pas l’avoir. L’armée, elle aussi, adonné. Dans l’Aisne, « un nombre assez considérable de militaires » auraient voté. « Il a été impossible au bureau, d’établir exactement le nombre des soldats ayant voté le 8 ou le 22 mai. Quels étaient ceux en congé ? Quels étaient ceux en permission ? Rien, dans l’examen du dossier, n’a mis à même d’établir que les militaires aient voté plutôt pour l’un que pour l’autre des candidats, et qu’ils aient obtenu un congé ou une permission plutôt sur les recommandations de M. B… que sur celles de M. E…[9]. » Sous ce rapport non plus, Paris n’a rien eu à envier à la province : « Les listes d’émargement feraient figurer comme ayant pris part au vote du 22 mai des personnes absentes ou accomplissant un service militaire actif. » D’ailleurs, ces militaires n’étaient peut-être pas tous soldats : « D’une pièce légalisée il résulterait qu’un électeur a voté aux lieu et place d’un homonyme actuellement en activité de service[10]. » Dans plusieurs circonscriptions de la capitale, on a été frappé de la quantité d’électeurs inscrits sous la rubrique militaires, qui se sont présentés au scrutin ; et il serait intéressant de savoir si, à cette date, il y avait un nombre correspondant de « militaires » en congé de trente jours.

Dans ces cas extrêmes, on fait flèche de tout bois. Un électeur ne veut point se priver d’une partie de campagne, mais ne veut point davantage faillir à son devoir civique : il envoie son beau-frère, avec sa carte électorale et sous son nom, voter comme si c’était lui-même. Il a raison, puisque, le beau-frère étant arrêté, le tribunal l’acquitte, par ce motif que M. G…, « en présentant la carte de son beau-frère et son bulletin de vote, n’avait pas dit qu’il fût M. M… » Et voilà une jurisprudence ! Il n’est pas jusqu’aux fous liés qu’on n’appelle à la rescousse : leur voix est une voix, et qui vaut les autres. On a fait bravement voter deux pensionnaires de l’asile d’aliénés de L… quoique, « d’après les déclarations légalisées de la direction, l’un ait été interné jusqu’au 30 juin 1898, l’autre le soit encore, et leurs noms sont pourtant émargés. » Comment s’émerveiller, en ces conditions, que, dans cette circonscription, le bureau de la Chambre ait relevé au moins 52 émargemens faux[11] ? A Paris, dans une seule section de vote, six électeurs signalent une différence de 49 émargemens en moins : sur 1 369 votes exprimés, il n’y aurait eu que 1 320 émargemens. « Cela peut être exact, remarque le bureau[12], mais il n’y a aucune justification. Les listes d’émargement ne sont point au dossier. (Pourquoi ? ) Au reste, ces erreurs se conçoivent (Vraiment ! ) »En Tarn-et-Garonne, M. Camille Pelletan, arrivant pour une même commune à trois chiffres différens : 728 bulletins trouvés dans l’urne, 745 émargemens, 759 votes attribués aux divers candidats, prend spirituellement — et gaiement la chose : « Vous entendrez M. L…, mais je ne crois pas me tromper en affirmant que l’explication est celle-ci : les bulletins se remuent beaucoup dans les urnes ! Quand ils étaient dans l’urne électorale, ils sont entrés les uns dans les autres. Quand on les a mis à nu au dépouillement, ils sont sortis avec un tel empressement que cet empressement les a multipliés. Ils ont été unis pendant bien peu de temps, ces bulletins qui se sont mêlés pour se soustraire à celui qui les comptait ; mais le ciel a béni leur union, puisque, aussitôt après, leur population s’était augmentée de 14 bulletins. C’est là une fécondité que, dans les circonstances actuelles, nous pourrions souhaiter pour la France entière et pour l’arrondissement de C…[13]. »

Cette multiplication des bulletins de vote est d’autant plus facilitée que tantôt les urnes voyagent, et tantôt, au contraire, elles sont séquestrées. « A H…-sur-M…, où le bureau de vote était situé au premier étage, l’urne aurait été descendue pour recueillir les suffrages de quatre électeurs impotens. » Mais il n’est pas dit, au demeurant, « que (cette pratique irrégulière ait eu lieu dans une intention frauduleuse ou dans l’intérêt d’un candidat déterminé, ni qu’elle ait donné lieu à des incidens suspects[14]. » En Corse, on atteint à l’épique. Dans la commune de R…, l’adjoint qui préside le vote a son casier judiciaire orné de quatre condamnations pour violences, voies de fait et fraudes électorales, — « la dernière de 1892, dix mois de prison ; » — il installe le bureau de vote dans sa chambre à coucher. Les électeurs non prévenus cherchent en vain l’urne introuvable : à force de ruse, ils la dénichent enfin. L’un d’eux monte à la chambre de l’adjoint pour voter : on le repousse, il crie ; le fils de l’adjoint sort d’une pièce voisine, et pressé de rétablir l’ordre, tire en l’air des coups de pistolet. Un autre électeur se hasarde. On lui prend son bulletin, on l’ouvre… Tiens ! tu votes pour L… de C.. ! quelle singulière idée de voter pour L… de C… ! » Au dépouillement, impossible d’approcher. Résultat : M. de C…, qui n’était pas le candidat de l’adjoint, n’a dans la commune que quatre suffrages, « alors que 28 électeurs affirment avoir voté pour lui. » Dans une autre commune, non loin de là, M. de C…, à la grande surprise du maire, ayant eu une majorité d’une trentaine de voix, « le digne fonctionnaire perdit la sienne du même coup et refusa de proclamer le vote. » Les électeurs attendaient. Le maire se décide et dit : « Messieurs, je le regrette vivement, mais il m’est impossible de proclamer un pareil scrutin. » On insiste, il refuse et dit : « Mais non, messieurs, je ne puis pas ; en mon âme et conscience, cela m’est impossible ! j’ai promis la majorité à M. le préfet. » Des rumeurs s’élèvent, le maire propose une transaction : « Donnez-moi une voix de majorité, une seule voix et je proclame. » Les autres maintiennent leur droit ; le maire s’empare alors des listes d’émargement et prend la fuite : « on le poursuit, on le rejoint ; une bataille s’engage et les listes en pitoyable état restent entre les mains des partisans de M. de C… » Dans une troisième commune du même arrondissement, le maire refuse de remettre aux gendarmes les résultats du vote. « Il attend pour s’exécuter de connaître les résultats généraux du scrutin du 8 mai, afin de pouvoir, le cas échéant, modifier le vote de sa commune[15]. »

Mais ces modifications et retouches ne se font pas seulement dans les mairies corses : certaines commissions de recensement pourraient, à ce qu’on prétend, en revendiquer leur part. Ici, pour les bulletins, portant des désignations inexactes, deux poids et deux mesures : « Quand le nom de M. S… était inscrit sur le bulletin, ce bulletin devenait nul ; quand c’était le nom de M. L… on le comptait à M. L… » Pour les bulletins marqués de signes extérieurs, « quand le bulletin porte le nom de M. L…, on l’attribue à M. L…, mais quand il porte le nom de M. S…, croyez-vous, par hasard, qu’on se contente de l’annuler ? On le porte parmi les bulletins n’entrant pas en compte pour le calcul de la majorité[16]. » La Chambre ne s’est pas déclarée convaincue, et elle a admis M. L… Mais voici autre chose. Dans un département de notre Midi français, voisin de la classique Toulouse, « une erreur d’addition donnait 31 voix de trop à M. B… Ces résultats, joints à ceux des communes rurales, donnaient au candidat F… 82 voix de majorité en tenant compte de l’erreur susmentionnée, ou 61 voix sans en tenir compte… Or, après deux heures d’atermoiement (pendant lesquelles l’entrée de la sous-préfecture a été interdite à M. F… et à ses amis), la sous-préfecture a communiqué des chiffres non concordans avec ceux officiellement et définitivement proclamés. Y a-t-il eu fraude ? A-t-on ajouté des voix à M. B… ? Deux faits sembleraient le démontrer[17]. » Cette fois, la Chambre se fâche, et elle ordonne l’enquête. Ailleurs, un des candidats, M. S…, ayant obtenu 8 609 suffrages, la commission de recensement lui attribue par surcroît 10 bulletins que les bureaux des communes avaient considérés comme nuls, ce qui eût dû porter à 8 619 le nombre de ses voix ; mais pas du tout : quand elle a fait la somme, la même commission n’a plus accordé à M. S… que 8 419 suffrages, soit 200 de moins que son compte. Conséquence : M. S…, quoique élu au premier tour, a été obligé à un ballottage. « Il faut que la commission en paye les frais ! » s’écrie M. Marcel Habert. — Et M. Berteaux : « Un faux a été commis. » — Et M. Cunéo d’Ornano : « Cette addition est une soustraction ! » La Chambre proclame M. S… élu au premier tour de scrutin (avec 186 voix de plus que la majorité absolue) et annule les opérations du deuxième tour. « Maintenant, conclut un député, la parole est aux tribunaux[18] ! »

Dans un arrondissement du Centre, M. V… l’aurait emporté de 3 voix sur M. L… Mais, sur 30 ou 32 bulletins de la commune de M…, bulletins imprimés au nom de M. V…, avait été posée une bande de papier gommé au nom de M. L… La bande recouvrait bien le nom, primitivement inscrit, de M. V…, mais laissait subsister des titres qui lui appartenaient et n’appartenaient pas à M. L… : c’est pourquoi le bureau de la commune n’avait compté ni à l’un ni à l’autre ces 32 bulletins. A la sous-préfecture, la bande gommée était intacte : lorsqu’ils ont été déposés à la questure de la Chambre, une partie de cette bande avait été « déchirée, grattée ou enlevée par un procédé quelconque. « Les membres du bureau électoral de M… interrogés successivement, n’ont pas hésité à déclarer que la plupart des bulletins litigieux, sinon tous, avaient été défigurés après coup… Ces déclarations unanimes ont été faites dans des conditions telles que la sous-commission tout entière a éprouvé la même impression. Il est certain qu’une fraude a eu lieu ; il est certain qu’on se trouve en présence d’un de ces actes criminels qui ne sauraient être trop énergiquement flétris… » La Chambre, adoptant les conclusions du rapport, proclame élu non pas M. V.., mais M. L…, et renvoie le dossier au garde des Sceaux « pour rechercher les auteurs de la fraude qui a été commise et les poursuivre conformément à la loi[19]. »

A quoi bon prolonger cette énumération qui pourrait s’étendre presque indéfiniment, en allant de plus fort en plus fort, jusqu’aux élections fabuleuses du Sénégal et de l’Inde, — puisque enfin le Sénégal et l’Inde envoient des députés au Parlement français ? — Ce sont sempiternellement les mêmes choses, et elles ne sont pas belles, et elles ne donnent pas l’envie d’admirer le suffrage universel dans sa « sincérité ! » On ne prendrait point une plus haute idée de sa « dignité, » à parcourir le répertoire d’injures que les candidats s’entrejettent à la face, pour la plus grande joie des électeurs : exploiteur, pourriture bourgeoise, Père La Famine, Allemand, Prussien, panamiste, sont les plus aimables. Avec quelle rage on s’accuse mutuellement d’avoir corrompu le suffrage universel, et à tous les prix, depuis « une paire de souliers, » comme dans la Charente-Inférieure, depuis vingt sous par tête aux frais des bureaux de bienfaisance, comme dans un arrondissement de Paris, pour monter à des centaines de mille francs, comme dans l’Aude, ou même au million, comme en Seine-et-Marne !

Notez qu’à l’exception de trois ou quatre, nous avons, à dessein, choisi des élections moyennes, dont on peut dire que ce qui s’y est fait s’est fait partout ; mais quelque part, en tel endroit, dans telle circonscription de Paris ou de province, il s’est fait bien pis. Et nous avons eu soin de ne pas distinguer entre les partis, de ne pas même chercher au profit de quel parti cela s’était fait, parce que tous les partis, indifféremment, ont agi de même : aucun n’a plus qu’un autre, aucun n’a moins qu’un autre manqué à « la sincérité » et à « la dignité » du suffrage universel. Si, à trois ou quatre exceptions près, la Chambre s’est montrée si indulgente dans l’appréciation de pratiques qu’elle ne pouvait pas approuver, la seule raison en est là : elle a senti qu’il n’y avait pas lieu, à moins qu’elles n’eussent comblé et débordé la mesure, de punir trop rigoureusement les défaillances particulières, lorsque la faute est avant tout à la moralité politique générale. Elle a instinctivement fait la part, jugeant la conduite des hommes, des imperfections de leur nature, et il ne s’est pas trouvé un de ses membres pour oser dire, dans le secret de son cœur : « Seigneur, je ne suis pas comme ce pharisien. » Ils étaient tous comme ce pharisien, c’est l’explication de leur bénignité.

L’un de nos députés a eu un mot superbe : « Messieurs, je n’ai pas coutume de voter les invalidations. Je suis de ceux qui pensent que les procédés plus ou moins irréguliers employés pour arriver au succès ne doivent pas, à moins qu’ils ne soient scandaleux, retenir trop longtemps notre attention, et que le suffrage universel, lorsqu’il s’est nettement prononcé, doit être respecté[20] (Très bien ! très bien ! à gauche.) » Un autre a dit : « Tant que l’on n’est traité que de misérable, crapule, vendu et autres appellations qui sont pour ainsi dire la monnaie courante de la période électorale dans les arrondissemens où la passion politique est vive, on peut dédaigner ces injures, les laisser de côté et poursuivre son chemin : « Les chiens aboient, la caravane passe. » Rendons-lui pourtant cette justice qu’il ajoutait : « Mais il y a des diffamations qui dépassent véritablement la note et la mesure de toutes les indulgences[21]. » Et rendons au premier cette justice que, dans une autre occasion, il concluait ainsi : « A l’unanimité, les membres du bureau ont reconnu que, si de pareilles mœurs politiques étaient tolérées plus longtemps, toute candidature deviendrait impossible pour les honnêtes gens soucieux de ne pas exposer leur honneur aux outrages et aux calomnies de leurs adversaires[22]. »

A tous enfin rendons cette justice qu’ils veulent faire effort pour s’amender en amendant les conditions du milieu qui les crée, et si jamais peut-être on n’avait aussi clairement aperçu les petites misères du suffrage universel, jamais non plus on n’avait vu un pareil empressement à tâcher de les corriger. On dirait qu’à peine née, la Chambre rougit de ses origines, et ce sont propositions de loi sur propositions de loi. J’en ai compté quatorze, et il se peut que j’en aie oublié[23].

Il y en a qui émanent du centre, d’autres des droites, d’autres des gauches : aux deux extrémités de la Chambre, monarchistes et socialistes sont d’accord pour trouver qu’il y a à reprendre et à refaire dans notre législation électorale : de même que tous les partis ont également péché, tous également viennent à résipiscence. Voilà donc qui est bien, et l’on ne va pas manquer de faire, entre tant de choses, quelque chose, si le Parlement, dans ce pays, à l’heure où nous sommes, est capable de quoi que ce soit.


V

Seulement, pas de phrases ! Pas de ces mots de six pieds et demi qui ont l’air de s’échapper de la bouteille aux paroles gelées et qui sonnent si lamentablement le faux et le vide. Pas de ces généralités oratoires ou lyriques, dont un illustre écrivain anglais a pu dire que l’abus que nous en avons fait « a singulièrement affaibli l’esprit du peuple français. » Nous payons assez d’impôts pour qu’on ne nous paye pas uniquement de syllabes creuses. Pas de tirades à trémolos sur le suffrage universel, sa dignité, sa sincérité, sa toute-beauté, sa toute-puissance, etc. « Le Suffrage universel, notre maître à tous, » déclament-ils : — Possible, et l’encens fume agréablement ; mais c’est un maître qui a des maîtres. « Le peuple a parlé, la France a exprimé sa volonté. » La France n’a exprimé aucune volonté, et pour le peuple, s’il a parlé, il a dit ce qu’on lui a fait dire, ayant cru ce qu’on lui a fait croire. Et que ne lui a-t-on pas fait croire ? Comment n’être pas confondu de penser qu’en 1898, dans plusieurs arrondissemens français, et même dans quelques circonscriptions parisiennes, on a combattu et battu des candidats rien qu’en les accusant d’être des affameurs, qui avaient fait couler au milieu de l’Atlantique, pour amener la cherté du pain, des navires chargés de blé ? et si ce n’était eux, c’étaient leurs pères, grands pères ou beaux-pères, lesquels avaient pourtant cette justification, non point de n’être pas nés, comme l’agneau, mais d’être morts depuis longtemps ! Si pourtant on l’a dit au peuple, et si en effet le peuple l’a cru, n’est-il pas admirable de voir des députés établir sérieusement des distinctions, fondées sur autre chose que sur la couleur de la peau, entre des électeurs assez naïfs pour se laisser prendre à de telles sornettes et les Indous ou les Sénégalais ?

Non, le suffrage universel n’est pas la pure Intelligence, et le citoyen ne reçoit point, à vingt et un ans, les sept dons de l’Esprit. Le suffrage universel est simplement ce qu’il est, mais il est. On peut dire de lui, et avec toute raison, ce que les économistes aiment à dire de l’Etat : qu’il est un mal nécessaire. Nécessaire, il ne l’était sans doute ni de toute éternité ni par prédestination, mais il l’est devenu, en étant, et désormais, on ne saurait presque plus concevoir qu’il ne fût pas, parce qu’il est. Procédé de gouvernement, comme il y en a d’autres, il n’a rien en soi de supérieur aux autres, rien de plus sacré qu’un autre, mais il est.

Le suffrage universel est un fait vieux de cinquante ans ; il faut nous en accommoder ; il faut nous l’accommoder. On ne supprime pas les chemins de fer parce que de temps en temps il se produit un déraillement ; et, tout de même, parce que de temps en temps le suffrage universel « déraille, » on ne saurait cependant songer à le supprimer. Aussi personne n’y songe-t-il. Mais c’est un devoir de songera rendre ces « déraillemens » le plus rares et le moins périlleux qu’on le peut, de régler le mieux qu’il se peut la machine. Pour cela, nous ne voulons pas médire des quatorze propositions de loi déposées sur le bureau de la Chambre et dont quelques-unes, espérons-le, finiront par revoir le jour ; elles sont nées d’intentions excellentes, et c’est déjà un signe et une promesse, qu’elles aient éclos. Assurément il serait bien (qui donc en douterait, après le tableau, nullement poussé au noir, que nous venons d’en faire ? ), il serait bien que les listes électorales fussent plus soigneusement dressées et plus sévèrement contrôlées, que la liberté des réunions publiques fût plus efficacement garantie, que l’affichage fût contenu dans de plus justes limites, que les bureaux de vote fussent plus équitablement formés, que les commissions de recensement fussent à la fois plus éclairées et plus impartiales. Mais ce sont là tout petits coups d’un tout petit marteau, pour redresser l’énorme bielle ou l’énorme piston faussés. Il n’y a qu’un moyen de les redresser, c’est, carrément, de les remettre à la fonte.

Il n’y a qu’un moyen de redresser, moralement et intellectuellement, le suffrage universel : c’est de le spécialiser, de le localiser, c’est de l’organiser. Tel qu’il est, le vice capital de ce suffrage est d’écarter, par le dégoût ou le sentiment de l’impuissance, tout ce qui a une valeur, de la fierté, le respect d’autrui et de soi-même ; et, comme conséquence, de nous livrer aux aventuriers. Une élection est aujourd’hui, dans bien des cas, une sorte de brigandage public, et il y a des comités qui enlèvent un siège, comme autrefois des bandes arrêtaient les diligences. Le métier de candidat est tombé si bas que, malgré la récompense ou la consolation des fidélités et des amitiés rencontrées, il reste au cœur une amertume indicible et comme une stupéfaction de l’avoir fait. Peu à peu, la politique ayant été abandonnée aux seuls politiciens, il s’interpose, entre ce qu’on nomme le monde politique et la nation honnête et saine, une muraille de mépris. Eh bien ! c’est cette muraille qu’il faut abattre ; il faut reprendre la politique aux politiciens ; il faut y réintéresser la nation ; il faut chasser du suffrage universel les aventuriers, en l’arrachant à l’accaparement des comités ; il faut rendre à chacun sa place. Alors ce ne sera peut-être pas encore le moment de décrocher la lyre et d’entonner des hymnes ; mais peut-être alors sera-t-il permis de commencer à parler de la « dignité » et de « la sincérité » du suffrage universel.

Le suffrage universel aura une « sincérité » et « une dignité » lorsqu’il assurera, avec la « sincérité » de l’électeur, la « dignité » du candidat ou de l’élu. C’est pour hâter ce jour, et non pour le mortifier au spectacle de ses difformités et de ses infirmités, qu’il y avait sans doute intérêt à l’analyser, comme tout autre phénomène social, sans passion dénigrante, mais sans vénération superstitieuse. Il serait étrange, en vérité, que nous osions, au ciel et sur la terre, toucher à tout, même aux choses où nous ne pouvons rien, sauf à lui qui dépend de nous, qui est nous, que nous ferons ce que nous voudrons. Et il n’y aurait pas de quoi tant se vanter d’avoir détrôné tant de dieux ou brisé tant d’idoles, si c’était pour rester, dans une immobilité stupide, à plat ventre devant un fétiche !


CHARLES BENOIST.

  1. Chambre des députés, séance du 6 juin 1898.
  2. Chambre des députés, séance du 4 juillet. Officiel, débats parlementaires p. 1920-1922.
  3. Ibid., 6 juin.
  4. Ibid., 27 juin, p. 1852.
  5. Ibid., 7 juin.
  6. Ibid., 11 juin.
  7. Chambre des députés, 7 juillet, p. 1962-1963.
  8. Ibid., 23 juin, p. 1847-1848.
  9. Chambre des députés, 11 juin.
  10. Ibid., 27 juin, p. 1852.
  11. Ibid., 7 juillet, p. 1964.
  12. Ibid., 6 juin.
  13. Chambre des députés, 23 juin, p. 1830.
  14. Ibid., 6 juin.
  15. Chambre des députés, séance du 4 juillet, p. 1913.
  16. Ibid., 23 juin, p. 1831.
  17. Chambre des députés, séance du 7 juillet, p. 1964.
  18. Ibid., 7 juin.
  19. Ibid., 5 juillet, p. 1940.
  20. .Chambre des députés, séance du 27 juin, p. 1863.
  21. Ibid., 8 juillet, p. 1984.
  22. Ibid., 7 juillet, p. 1968.
  23. 28 juin. Dépôt, par MM. Gouzy, Klotz et Andrieu, d’une proposition ayant pour objet de prévenir les fraudés et les erreurs qui peuvent entacher les élections législatives. — 30 juin. Dépôt, par MM. Bernard, Cadenat et plusieurs de leurs collègues, d’une proposition tendant à assurer la sincérité des opérations électorales ; — par M. Sauvanet, d’une proposition tendant à modifier la composition des commissions de recensement ; — par M. Krauss, d’une proposition tendant à assurer la liberté des réunions électorales ; — par M. Carnaud, d’une proposition ayant pour objet la limitation et « l’égalisation » de l’affichage électoral. — 4 juillet. Dépôt, par M. Zévaès, et adoption par la Chambre, urgence déclarée, d’un projet de résolution tendant à a nomination d’une commission dite « du suffrage universel » chargée de réviser la législation électorale, et d’assurer la liberté et la sincérité du vote. — 7 juillet. Dépôt, par M. Antide Boyer, de deux propositions de loi ayant pour objet : la première, de, modifier la loi électorale ; la seconde, de modifier la loi organique du 30 novembre 1875 sur l’élection des députés ; — et par MM. de l’Estourbeillon, Massabuau et Daudé, d’une proposition tendant à la modification des articles 33 et 34 du décret réglementaire du 2 février 1852 sur l’élection des députés. — 8 juillet. Dépôt, par M. de Hamel et plusieurs de ses collègues, d’une proposition de loi ayant pour objet la codification et l’amélioration de la législation électorale ; — et par M. Defontaine, d’une proposition ayant pour objet d’assurer la liberté et le secret du vote, ainsi que la sincérité des opérations électorales. — 9 juillet. Dépôt, par M. Cunéo d’Ornano, d’une proposition de loi sur la répression de la candidature officielle ; — et, par M. Odilon-Barrot, d’une proposition ayant pour objet de réprimer les actes de corruption dans les opérations électorales. — Enfin, 13 juillet, jour de la clôture, dépôt, par M. Morlot, d’une proposition de loi tendant à modifier divers articles du décret organique du 2 février 1852 sur les élections.