Mœurs électorales - Le Marchand de vin

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Mœurs électorales - Le Marchand de vin
Revue des Deux Mondes4e période, tome 148 (p. 876-891).
MŒURS ÉLECTORALES

LE MARCHAND DE VINS


I

Malgré leur ensemble banal, les dernières élections semblent pourtant avoir offert des symptômes assez curieux, et même assez saisissans. Modérés et radicaux, conservateurs et révolutionnaires, sont à peu près revenus avec les mêmes forces, mais on n’en remarque pas moins, dans les masses votantes, des changemens de courans singuliers, et comme des orientations nouvelles. Le socialisme gagne, mais là où l’on ne connaît pas encore ses représentans ; il perd, en revanche, et considérablement, là où l’on a goûté de ses hommes. Dans une région industrielle, en plein « pays rouge », un marquis met en déroute un rhéteur collectiviste ; ailleurs, dans une ville du nord, sur un autre point manufacturier, un grand patron conservateur remplace un vieil émeutier. A Paris, dans un faubourg, une candidature royaliste réunit quatre mille voix ; une autre, simplement conservatrice, mais présentée et soutenue par un vicaire du quartier, en recueille presque autant dans un faubourg voisin. Et le vicaire n’avait cependant pas caché son jeu ! Il allait, en sortant de l’église, dans les réunions publiques, où la moitié de la salle l’applaudissait, pendant que l’autre l’injuriait. Il ne payait pas seulement de sa personne, mais de sa robe, et de son « caractère. »

Tout cela est-il l’indice d’une prochaine ou lointaine révolution dans l’âme populaire ? Est-ce le présage d’un baromètre dont l’aiguille commence à tourner au beau temps, quoique le ciel soit toujours noir ? Ce sont, en tout cas, des phénomènes intéressans, et qui donnent envie de s’informer. On éprouve la curiosité de pénétrer dans certains milieux, de regarder de près ce qui s’y passe, ce qu’on y pense, ce qu’on y fait, ce qu’on y est, ce qui s’y prépare exactement, et l’un de ces milieux-là, sans contredit, est la boutique du marchand de vins, et du marchand de vins de Paris, du débitant légendaire. Qu’est le débitant ? Quelle est sa politique ? En quoi consiste, d’une façon précise, la puissance électorale qui opère dans ces débits dont les flacons bizarres s’étagent derrière les vitres, et d’où s’échappent, quand on passe, des exclamations d’ivrognes ? Nous ne poussons pas loin, en général, la fréquentation du marchand de vins, et nous ne pouvons guère, en conséquence, que connaître assez mal l’esprit et le pouvoir réels de ce négociant de carrure solide, qui distribue, comme d’une tribune, les « canons » et les petits verres. Nous ne lui en attribuons pas moins une influence tout exceptionnelle, et même il fut un temps où nous l’eussions volontiers appelé le « grand électeur. » Le grand électeur, soit ! Mais comment l’est-il, et l’est-il bien autant que nous le croyons, autant surtout que nous l’avons cru ? Ne serait-il pas, lui aussi, par hasard, une de ces puissances du passé qui s’en vont, et sa physionomie, en ce cas, n’en serait-elle pas encore plus intéressante à fixer ?


II

Il suffirait, à la rigueur, pour prouver l’importance politique du marchand de vins, de rappeler la législation dont il a été l’objet. On n’inspire pas autant l’autorité quand on ne l’inquiète pas un peu, et les lois, ordonnances, décrets et réglemens inspirés par le cabaretier sont tout un monument. Comme existence légale, il date de Louis XIV, sous qui il se constitue en maîtrise, et il a fait du chemin depuis cette époque. Lisez la plaquette intitulée : Code annote des limonadiers, , par M. Julien Goujon, avocat à la Cour d’appel de Rouen ; et le Code annoté, des limonadiers vous montrera, par des textes, le marchand de vins préoccupant tous les régimes, en lutte on en relations avec le pouvoir, sous tous les gouvernemens. La loi actuelle lui donne la liberté, et l’Empire, en effet, l’en avait privé. Napoléon III voyait dans les cabarets des « lieux d’affiliation pour les sociétés secrètes, » et le Code annoté l’accuse d’avoir voulu « frapper de terreur, » pour les « transformer en surveillans officieux, en agens électoraux, trois cent mille habitans et leurs familles. » Trois cent mille estaminets, et des estaminets politiques, de ceux que Balzac appelle le « parlement du peuple, » étendaient donc déjà leur réseau sur la France, sous le régime de Juillet et le Gouvernement de 1848 ! L’Empire capta cette force à sa manière, la République la capta ensuite à la sienne, et l’État, depuis cinquante ans, s’est toujours, en résumé, servi ainsi du débitant. Il a cherché à le détruire, à le soumettre, ou à le flatter, mais ne l’a jamais négligé. N’était pas, sous l’Empire, marchand de vins qui voulait, et le débitant constituait alors une corporation privilégiée. Il devenait un agent, un fonctionnaire, et cela le rendait une puissance. Tout le monde, aujourd’hui, peut ouvrir un cabaret, c’est la liberté, et le marchand de vins, par là, se retrouve une puissance d’un autre genre. Il est le nombre, et le nombre organisé, il pullule, il se syndique’ ; et, cette puissance qu’il représente et qu’il est, toutes sortes de signes l’attestent, en dehors même de la législation. Personne n’est aussi bas salué que lui, aussi bien traité, aussi considéré, aussi ménagé, et par les candidats, et par les députés, et par les conseillers municipaux, et par les sénateurs, et par les ministres. Pour une considération aussi marquée, et surtout aussi soutenue, il faut bien qu’il soit quelqu’un, et il l’est. Mais de quelle façon, encore une fois, le marchand de vins est-il quelqu’un ? Comment s’analyse son influence ? Comment en fonctionne le mécanisme ? C’est ici que l’étude prend de l’intérêt, et ne manquera même pas d’imprévu.


III

D’où vient le débitant ? En général, de province. Ou bien encore, fréquemment, il est ancien garçon de café, ancien domestique, ancien cocher, ancien commis de confiance d’un distillateur. Notons aussi, mais seulement pour mémoire, le marchand devins fantaisiste, l’irrégulier de la profession, et qui peut avoir, alors, les origines les plus bizarres. L’un de ceux-là, politicien actif, volontiers candidat dans son arrondissement, avait été perruquier à Mazas. Un autre, un homme de lettres, M. Leyret, auteur d’un volume : En plein Faubourg, avait acheté, il y a quelques années, un fonds de vins faubourg du Temple, pour voir l’ouvrier de plus près, et nous donner ainsi un « livre vécu. » Tout le monde connaît, enfin, le débitant « esthétique », peintre, chanteur, ami d’artistes, artiste lui-même. Mais tous ces débitans là sont l’exception, n’ont aucune importance corporative, et le débitant parisien, sans être absolument un commerçant comme un autre, n’en est pas moins d’ordinaire un pur commerçant, dont le signe particulier est plutôt d’être provincial. Des gens de campagne ou de petite ville, ayant un petit bien, et décidés à le risquer pour le tripler, achètent un fonds. Ce sont des Limousins, des Auvergnats, des Aveyronnais, des Gascons. Ils émigrent, et viennent s’établir à Charonne, à Levallois-Perret, avenue d’Italie, mais restent toujours, dans leur boutique, de Saint-Flour ou de Pézenas. Ils connaissent leurs députés, leurs sénateurs, vont les voir, leur demandent des services, et leurs sénateurs et leurs députés ne manquent jamais non plus, de leur côté, de leur rendre les services demandés. Un banquet de marchands de vins a lieu, et vous le croyez présidé par un révolutionnaire de cabaret ? Vous vous trompez. Il l’est par un député ou un sénateur de la Côte-d’Or, du Cantal, ou du Tarn-et-Garonne, et le législateur du Quercy, de l’Auvergne ou de la Bourgogne se ménage ainsi les électeurs de Beaune, d’Aurillac ou de Montauban, en protégeant les débitans d’Auteuil, de Grenelle ou des Gobelins... Tel est souvent, comme origine, le marchand de vins parisien, quand vous n’y retrouvez pas le cuisinier ou le valet de chambre qui a fait des économies, le cocher qui a compté sur la clientèle des cochers, le garçon de café qui a mis de côté ses pourboires, le tonnelier qui n’a même pas eu à changer de (ablier pour changer d’état, l’employé du gros distillateur, ou l’homme industrieusement multiforme, qui passe successivement par plusieurs de ces professions diverses, mais n’en est pas moins aussi venu de sa province, rêve d’y retourner riche après tant de métiers différens, et n’a garde, lui non plus, de négliger le sénateur ou le député de son pays.

Combien maintenant sont-ils, partis ainsi d’un point ou d’un autre, venus de l’office ou de la distillerie, tombés de la Camargue à la Goutte-d’Or, ou du Roussillon rue Mouffetard, et qui versent le « petit bleu » dans Paris et la banlieue ? Ils sont quarante mille. Quarante mille ! Formidable chiffre, et qui accuse une clientèle formidable ! Les femmes, relativement, vont peu au cabaret, et quelle année de votans, quelles légions d’électeurs, doivent abreuver, dès lors, ces quarante mille cabaretiers ! Et quel monde imprévu, grouillant, inclassable, constitué par tout ce qu’on peut imaginer de mauvais et même de bon, de tranquille et de turbulent, de casanier et d’errant, d’exécrable et de pitoyable ! Selon le quartier, la rue ou même le coin de rue, les figures que vous remarquez dans un débit ne ressemblent plus à celles que vous voyez dans un autre. Près d’une station de voitures, un débitant n’hébergera que des cochers de fiacre. Un autre, près d’un cercle, n’aura chez lui que des cochers de cercle. Un troisième, dans un quartier aristocratique, ne recevra que des « gens de maison. » Certaines boutiques, près des cimetières, ne désemplissent pas de croquemorts ; d’autres, dans les quartiers en construction, ne désemplissent pas de maçons ; d’autres, à côté des théâtres, ne désemplissent pas de machinistes, de décorateurs, de marchands de billets et de figurans. Entrez, à une certaine heure, chez le marchand de vins voisin d’une maison centrale, et vous n’y trouverez que des surveillans de prison ; revenez un peu plus tard, et vous n’y rencontrerez que des voleurs.


IV

De l’énorme foule humaine qu’évoque la grosse rumeur de ces quarante mille cabarets, la figure morale du débitant commence déjà ainsi à pouvoir se dégager, et le premier trait qui en ressort, c’est qu’il est un patron, avec un capital. Petit patron, mais patron, et que ses cliens n’appellent même jamais que « patron. » — Patron, un verre !... Patron, combien ?... Patron, on vous paiera demain ! — Second trait : il est un homme de province fortement attaché à son pays, et un homme d’économie fortement attaché à ce qu’il possède. Troisième trait : c’est aussi, néanmoins, un commerçant hardi, ne craignant pas une clientèle où les risques, parfois, vont jusqu’aux coups de couteau, ni l’effroyable concurrence représentée par quarante mille concurrens. Enfin, quatrième trait : par la nécessité même où il se trouve d’exercer la police de sa boutique, sur un public souvent dangereux, il prend l’habitude de l’autorité ; l’habitude lui en donne le goût ; et il résulte, chez lui, de tous ces traits de sa nature, un total psychologique devant lequel beaucoup de personnes reculeront peut-être étonnées, mais qui n’en est pas moins exact : au fond, et quelles que soient les apparences, le marchand de vins est marqué, en politique, pour être un « conservateur. » Il le sera à sa façon, mais il le sera.

En somme, et voilà donc une première surprise, le marchand de vins vaut mieux que sa réputation. Qu’il le veuille ou non, il est assurément un démoralisateur. Il propage par métier l’alcoolisme, ne peut pas ne pas le propager, et contribue ainsi à la corruption générale, mais avec innocence, et, comme homme, au demeurant, se révèle plutôt un brave homme. Il est vaillant, risque son « bien », se condamne à vivre dans un monde qui n’est pas toujours le sien, doit y déployer du courage, du bon sens, de la fermeté, et s’embarque un peu dans cette vie comme le colon pour les colonies. J’ai longtemps vu dans le débitant, pour ma part, un industriel douteux, mais on le voit mal en le voyant ainsi, et il n’est pas sans qualités. Il a de l’énergie, du loyalisme, de l’humanité, et, dans ses mœurs professionnelles, pratique une solidarité familiale. Pas un marchand de vins n’a un enfant, n’en marie un, ou ne se marie lui-même, sans que la corporation ne s’en réjouisse. Elle a un journal, le Journal officiel de l’Union syndicale, et la lecture en rappelle l’honnête Berquin. Les vœux pour les noces, les souhaits pour les naissances, les regrets pour les morts, les marques d’affliction ou de joie, les souvenirs et les effusions de toutes sortes le remplissent, et tout cela bonnement, sincèrement, sans banalité. Quant à la politique, aux élections, pas une ligne ! Vous trouvez là des renseignemens commerciaux, des indications techniques, des recettes de matelotes, des recommandations de politesse, des études sur le mouillage, le plâtrage, la casse, la mise en cave, mais de la république, de la monarchie, du radicalisme, du socialisme, de l’anticléricalisme, pas un mot, pas une syllabe ! C’est, là-dessus, la même abstention, le même mutisme, presque la même pudeur, que dans une revue de demoiselles !


V

Il ne faudrait pas, malgré tout, en conclure que jamais, ni sous aucune forme, le marchand de vins ne s’occupe de politique, mais la vérité est qu’il s’en occupe moins qu’on ne le croit, et autrement qu’on ne le pense. Il a sa politique, et il y joue son rôle, mais ils ne sont pas toujours ceux qu’on lui prête, et c’est ici le moment de préciser.

D’abord, et nécessairement, il incarne l’influence que représentent, dans une ville, 40 000 locaux de réunion. Il procure à 200 000, 300 000, 500 000 citoyens, 40 000 foyers de communication. Supprimez le marchand de vins, et ces 40 000 foyers de communication n’existent plus. Rétablissez-le, et ils existent. Or, un débit de vins, outre le débit même, comporte ordinairement une salle attenante, où se tiennent, de fondation, toutes les réunions politiques, municipales, électorales, syndicales ou corporatives du quartier ; et ces salles, à Paris, grandes ou petites, sont innombrables. Toutes les fois qu’on se rassemble pour étudier, organiser ou désorganiser quelque chose, c’est dans la salle d’un marchand de vins. Feuilletez les journaux spéciaux, les relevés administratifs, et vous y noterez chaque jour, chez les débitans, les plus nombreuses réunions : « le Comité central électoral de la 2e circonscription du XIIe arrondissement, salle Gauthier… Le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire du XIe arrondissement, café de la Poste… Le Comité socialiste de la 2e circonscription du Xe arrondissement, salle du Petit Tambour… Le Groupe d’études sociales du IVe arrondissement, salle Danjou… Le Comité républicain progressiste de la 1re circonscription du XIIIe arrondissement, salle Brégigeou… La Ligue antisémitique, 7, rue Lantonnet… Le Groupe central socialiste révolutionnaire du XVIIe arrondissement, salle Carel, etc., etc. » Cent, cent cinquante, deux cents, trois cents, quatre cents comités, ligues, cercles, groupes, se retrouvent ainsi au cabaret, et grâce au cabaretier. Les grands meetings ont souvent lieu dans les préaux d’écoles ou les théâtres de quartier, mais toutes les réunions préparatoires, celles où le candidat prend un premier contact avec les électeurs, et leur donne, pour ainsi dire, comme une sensation choisie et préliminaire de sa personne, se tiennent chez le marchand de vins. Là se rendent et discutent les délégations, les commissions, les sous-commissions ; là on se concerte, là on se tâte, là on complote ; là se donnent, pour la bonne cause, des sauteries et des concerts. Un avocat et un chimiste, au cours d’une période électorale, s’étaient entendus pour donner une conférence, aux environs de la Villette, dans la Salle des Deux Canons. Le sujet choisi était le « Vin » lui-même, et l’avocat devait traiter la question légale, lorsque le chimiste aurait traité la question chimique. Le chimiste, seulement, par une espièglerie de chimiste, s’amusait à prendre le sujet au point de vue du Droit, et faisait ainsi d’avance la conférence de l’avocat. Mais un avocat n’est jamais en retard, et celui-ci, quand venait son tour, s’emparait du sujet au point de vue de la science, et traitait imperturbablement la question chimique.

Le mot de Balzac est donc rigoureusement juste, et le cabaret est bien le « parlement du peuple. » L’électeur, pour délibérer, a besoin d’un local, et le marchand de vins le lui fournit, comme l’État le fournit à l’élu. Pour le second, il est vrai, la buvette est l’accessoire, tandis qu’elle est le principal pour le premier, mais nous allons, là encore, retrouver une autre cause de l’influence du débitant. Il alimente la foule, et, en l’alimentant, lui crée un tempérament, ou modifie celui qu’elle a. La vie, les idées, les sentimens, la moralité d’un peuple physiquement sain ne sont pas ceux d’un peuple malsain, et le débitant, en contribuant à l’état cérébral de l’électeur, est aussi pour quelque chose dans ses sentimens, dans sa moralité et ses idées. La bonne ou mauvaise santé populaire dépend d’abord du fournisseur en gros, qui frelate ou ne frelate pas ses denrées, mais on doit également en demander compte au tenancier qui les débite, et le vote d’une population empoisonnée, ou perdue d’alcoolisme, ne ressemblera pas à celui de l’électeur sobre, ou purement alimenté. Ici, comme plus haut, et d’une certaine façon, le marchand de vins est donc bien le « grand électeur, » et peut même l’être aussi quand il arrive de province, qu’il retrouve des compatriotes, et les groupe autour de lui. Il est ainsi le centre d’un réseau. Et peut-être même encore, à l’occasion, exercera-t-il une sorte d’influence intime sur quelques-uns de ses cliens. M. Leyret, qui s’y connaît, voit en lui comme une façon de « confesseur, » et le marchand de vins, effectivement, semble tout destiné à recevoir les confidences, sinon à les garder. Ne fût-ce que pour obtenir de sa générosité un crédit auquel il résiste, on doit assez souvent se confesser à lui, lui conter ses peines, surtout ses espérances, et le voilà, pour la naïveté populaire, l’ami auquel on se confie, la conscience sur laquelle on se règle ! Mais ira-t-il, dans cette fonction, jusqu’à être un directeur de conscience électoral ? On risquerait de se tromper en l’affirmant, et c’est ici que son rôle de « grand électeur » commence à devenir vague. Use-t-il vraiment de son autorité morale pour dicter leur devoir politique à une certaine clientèle ? On peut en douter, et par une raison bien simple, c’est qu’en fait de politique, il n’en a sérieusement qu’une : l’intérêt de sa profession. S’il le voit en jeu, il agira, mais n’agira guère s’il ne l’y voit pas. Il est passionnément, fanatiquement professionnel. Chez certains débitans se réunissent des socialistes, chez d’autres des radicaux, chez d’autres des antisémites, chez d’autres des nationalistes, chez d’autres des progressistes, chez d’autres des conservateurs. Tous ces marchands devins sont-ils eux-mêmes socialistes, radicaux, antisémites, progressistes, conservateurs ? Avant tout, ils sont marchands de vins.


VI

Pas un corps de métier ne se tient, comme le débitant, en contact avec les politiciens. Il n’apparaît même jamais, on peut le dire, que dans l’ombre d’un député, d’un sénateur ou d’un conseiller municipal, mais n’y poursuit jamais qu’une chose : l’intérêt, les progrès, la prospérité de la corporation.

Il y a toujours, à Paris, un nombre considérable de « fonds de vins » à vendre, et l’on y constate une moyenne de cent trente débits vendus par semaine, cinq à six cents par mois, six à sept mille par an. On entrevoit là beaucoup de faillites, mais en même temps une grande activité d’acquisition et d’échange ; et l’une des spéculations volontiers pratiquées par les débitans caractérise admirablement leur « politique. » Prenez l’une des centaines d’annonces publiées chaque dimanche par les feuilles spéciales : « Près de la gare de X… Bail à volonté… Affaires par jour, 70 francs… Le vendeur n’est pas du métier, se retire… Prix : 3 500 francs… » Que va faire, en lisant cela, le débitant qui est « du métier ? » Il va remarquer ce fonds près d’une gare, constater l’absence de tout « stationnement de voitures » dans les environs, et acheter le débit, avec le plan bien arrêté d’obtenir le « stationnement. » Il l’obtient, double ou triple ainsi la valeur du fonds, et le revend le double ou le triple, pour en racheter un autre, le doter encore d’un « stationnement », et le revendre encore, après l’en avoir doté. Or, comment, par qui, obtient-il ces « stationnemens ? » Par le conseiller municipal de son quartier, le député de son arrondissement, celui de son pays, et tous les conseillers, députés, sénateurs de sa connaissance. Et il ne voit plus dès lors que des sénateurs, des députés, des conseillers, des radicaux, des socialistes, des anticléricaux ; il a l’air de faire avec eux de la politique radicale, socialiste, anticléricale, et croit sans doute lui-même qu’il en fait. Au fond, il n’en a qu’une, et n’en a jamais fait qu’une : la politique du « stationnement. »

Mais le débitant a encore un autre rêve : adjoindre à sa boutique un bureau de tabac. Or, par quelle voie y parvenir ? Par celle des politiciens. Ici encore, il semble faire de la politique, et il en suit bien une, mais une seule : la politique du « bureau de tabac. » A l’entendre, d’ailleurs, les hommes politiques le flattent beaucoup, mais se borneraient à le flatter, et il aurait le droit de se plaindre d’eux. Il paye déjà deux patentes, celle des commerçans ordinaires, plus une licence qui lui est spéciale, et serait encore menacé d’une seconde licence. Il finirait ainsi par payer trois patentes. Or, comment conjurer la troisième patente, si ce n’est encore par les députés, les sénateurs et les conseillers municipaux ? Et on le frappe aussi, prétend-il, pour des falsifications dont la faute remonterait à ses fournisseurs en gros ! Une barrique falsifiée lui arrive, on la saisit chez lui avant même qu’il ait eu le temps de la goûter, et on l’en déclare le falsificateur ! C’est inique, et il réclame le prélèvement d’un échantillon à sa porte, avant tout dépôt dans sa boutique. Or, qui doit-il, ici encore, gagner à sa cause ? Toujours les sénateurs, les députés, les conseillers municipaux. Et pour échapper aux nouveaux droits que lui présage la suppression des octrois, à qui devra-t-il apporter ses argumens ou ses doléances ? Qui devra-t-il solliciter, inviter à ses banquets, endoctriner, convaincre ? Les hommes politiques. A toute occasion, il faudra encore qu’il les fréquente, leur promette ses bons offices afin d’obtenir les leurs, se mette au service de leurs candidatures, et leur laisse aussi un peu entendre qu’il pourrait cesser de s’y mettre. Mais quelle politique, encore une fois, poursuit-il toujours, sous toutes celles qu’il parait faire ? Une seule, et c’est la sienne ! Et tous les politiciens, d’ailleurs, quels qu’ils soient, ne manquent jamais de s’en dire les amis et les soutiens, précisément parce qu’elle est une politique neutre, pouvant s’adapter à toutes les autres, et parce que l’homme soumis au choix des électeurs ne peut pas, d’autre pari, ne pas se ménager l’homme par qui les électeurs communiquent. Pourquoi les modérés, les radicaux, les césariens, les conservateurs, et même les monarchistes, ne se proclameraient-ils pas tous, les uns aussi bien que les autres, protecteurs du marchand de vins, puisque le marchand de vins a pour programme unique de soutenir qui le soutient, et de combattre qui le combat ? Comment, en même temps, tous n’attacheraient-ils pas la plus sérieuse importance aux sympathies d’une corporation de 40 000 membres, qui sont les 40 000 hôtes du Suffrage Universel ? L’intérêt des débitans à ne pas distinguer entre les couleurs politiques est évident, mais celui des hommes politiques à se concilier les débitans ne l’est pas moins.

Si donc, à certains points de vue, nous voulons, et pouvons même voir dans le marchand de vins un « grand électeur », ne croyons pas trop à un « grand électeur » sectaire, révolutionnaire, démolisseur par instinct, et qui verse sciemment les idées subversives au nom d’un parti ou d’une utopie. Assurément, il en verse plus d’une, mais comme il verse le vin fuchsine, parce que le fournisseur le lui envoie fuchsine. Qu’on lui en envoie de meilleur, et il ne demandera pas mieux ! Qu’on trinque sur son comptoir à la santé d’un grand homme, au lieu d’y trinquer à celle d’aigrefins, et il s’en réjouira tout le premier ! Il vole pour les radicaux et les francs-maçons, oui, mais parce que les radicaux et les francs-maçons disposent des « stationnemens, » des « bureaux de tabac, » et qu’ils peuvent abolir ou tripler les licences. Ce n’est pas qu’il soit pour eux, mais c’est qu’il espère qu’ils seront pour lui, et lui-même au fond, n’est plutôt qu’un brave homme, qui ne considère que son métier. A-t-il tort ? Pas tout à fait. Et il nous donne même là une leçon précieuse de bon sens, en se bornant, lui marchand de vins, à n’être qu’un marchand de vins. Il serait peut-être dangereux de lui accorder tout ce qu’il réclame, et le zèle même de sa profession doit l’égarer, mais elle n’est pas d’un petit exemple, dans le détraquement contagieux et général de l’époque, cette corporation encore assez sensée pour ne vouloir se mêler que de ce qui la regarde. Il en est d’autres qui ont plus d’esprit ; toutes n’ont pas l’esprit aussi sain.


VII

A l’heure qu’il est, d’ailleurs, et comme un peu dans le monde, les débitans sont en crise. Le socialisme est surtout menaçant pour le petit commerce, le marchand de vins est un petit commerçant, et les sociétés coopératives, qui dérivent du socialisme, sont aujourd’hui ce qui l’inquiète le plus, ce qu’il combat le plus énergiquement. Toujours avec son esprit de métier, son bon sens et sa vigilance professionnels, il ne voit pas seulement, dans ces sociétés, sous la forme où elles se présentent. une concurrence dangereuse, mais une concurrence déloyale, déloyalement privilégiée ; et rien n’est instructif, j’allais même dire dramatique, comme le compte rendu d’une séance, tenue, il y a quelques mois, à la Société d’horticulture, à propos des travaux de l’Exposition.


... Plus de mille personnes attentives, relate le Journal officiel du Syndicat, et, on le sentait, soucieuses de leurs Intérêts, y assistaient.

L’ordre du jour portait :

Obtenir des représentans élus, la certitude que des cantines, quelle que soit leur dénomination, n’existeront pas dans l’Exposition pendant la durée des travaux, et leur démolition.

La présence de MM. H... et F..., députés de Paris, et L..., conseiller municipal, était des plus remarquée.

Nous avons, en vain, cherché dans l’assistance les autres conseillers municipaux des quartiers intéressés. Leurs électeurs se souviendront d’eux, sans aucun doute...


Puis, le secrétaire de la réunion prend la parole, et prononce le discours suivant :


Trois semaines, messieurs, se sont écoulées... Réunis, nous avons décidé que, faisant appel au commerce, nous devions, par un effort, nous assurer le libre exercice de professions auxquelles nous nous sommes voués... Il y a trois semaines de cela, devant le même public, je suppliais la Ville de Paris, en la personne de ses représentans, de laisser le commerce au commerçant.

Dans nos écoles publiques, dans nos écoles secondaires, quelle définition nous donne-t-on du commerçant ?

Le commerçant, nous dit-on, est celui qui, moyennant certaines obligations fiscales et certaines ordonnances urbaines, a le droit exclusif de faire l’échange de la marchandise qu’il offre contre finance ou nature...


Or, continue l’orateur, notre « droit, » nos « intérêts, » notre « propriété » sont lésés, menacés par des spéculateurs privilégiés qui « sans rien payer au fisc, » vont établir des cantines sur les chantiers mêmes de l’Exposition...


Comment ! Voilà des commerçans qui, depuis de longues années, paient des loyers et des impôts, qui attendent, pour vivre et élever les leurs, que la moisson vienne, qui ont semé, et qui sont menacés de ne pas récolter ?

Et pourquoi ? Parce que des capitalistes, jouant les bons apôtres du socialisme, vont se faire adjuger un monopole, et vivre, pieuvres du commerce, de la propriété même des commerçans !


Puis, ce couplet original :


Depuis 1890, le Champ-de-Mars était l’enfant gâté de la rive gauche. Les concerts intelligemment dirigés, le vélodrome habilement organisé, l’attrait de la Tour Eiffel, les quelques rendez-vous de la Galerie des machines… cette villa malgache qui attirait tout Paris ; ce grand air enfin qui attirait les enfans de nos écoles pour leurs jeux athlétiques, les bonnes de nos enfans pour le grand bonheur des enfans eux-mêmes… Voilà de quoi vivait le commerce du quartier !…


… Mais une nuée d’entrepreneurs arrive depuis six mois. Adieu courses vélocipédiques, adieu mélodie et chorégraphie ! Adieu la verdure, adieu même l’ombrage ! Tous les jours, nous pouvons saluer au passage le cortège des arbres de tes avenues, Champ-de-Mars où l’on pouvait jadis respirer !

C’est un mal nécessaire… Mais si notre résignation est faite, elle ne l’est pas sans intérêt, sans espoir de compensation… Cette nuée d’entrepreneurs doit amener une phalange d’ouvriers, et c’est alors que, prenant son essor, le commerce va faire son œuvre féconde… Tout le monde doit prendre place à la table de famille, et les abeilles vont enfin butiner, le miel va enfin couler !

Eh bien, non, le frelon est là qui les guette, ces travailleurs ! Déjà il a pénétré dans une ruche, il en est le maître, il triomphe !…


Et l’orateur conclut :


Le mot de « coopération » n’a pas plus de valeur sur l’étiquette de ces établissemens que la croix du Christ du Portugal sur la poitrine d’un rastaquouère ! Il n’y a que le prix à y mettre, et l’affaire est assez bonne pour qu’ils y mettent le prix !… Et nous, commerçans, il nous faut payer un loyer, des contributions, et il nous faudrait supporter qu’une société de riches négocians, industriels et politiciens, vienne s’emparer d’un terrain qui n’est pas le leur, et, au comptant, n’ayant aucun frais généraux à supporter, nous fauchent l’existence commerciale à armes inégales, et soutenus par une administration dont nous alimentons la caisse ?

………………..

Avec peine, nous satisfaisons les besoins de la cité et de l’État, le patenté est l’être pressurable par excellence, mais ne le tarissez point, et voyez si une société, si coopérative qu’elle soit, faisant un million d’affaires, vaut, au point de vue fiscal, un petit fruitier faisant 6 000 francs par an !…

En tolérant cela, c’est du socialisme que nos représentans font, mais ils créent un danger social.


C’est le discours du marchand de vins du Danube ; et tout le « grand électeur » est dans cette harangue à la fois pittoresque, virulente et « conservatrice. » Le débitant, en ce moment-ci, par l’exclusive et logique passion de son métier, est devenu la représentation la plus accentuée de cet ancien petit commerce français que soulève et indigne la partialité avec laquelle on le sacrifie à la grosse et montante spéculation socialiste. Il défend, à sa manière, la vieille et originale personnalité humaine, si susceptible, si intéressante, et que blesse de plus en plus le triomphe de la masse aveugle. Il déploie avec énergie le drapeau de la petite démocratie personnelle, contre la monstrueuse démocratie anonyme, sans âme, sans justice, sans figure et sans tète, qui n’a que des mains pour prendre, et un corps pour écraser. Il en est venu, lui aussi, uniquement parce qu’il avait encore une vaillance propre, une famille, un coin de terre et une boutique, à regretter le vieux monde, à se retourner vers lui, à s’y rattacher avec toute son espérance.


VIII

Tous les ans, les marchands de vins donnent un grand banquet. Un millier de sociétaires s’y réunissent, les dames viennent, on invite le Gouvernement, et le Journal officiel de r Union syndicale annonçait la fête de cette année dans une véritable proclamation, émue, vibrante, imprimée en lettres énormes : « Vous avez lu la grande nouvelle… Mardi, 29 mars, l’Union syndicale des débitans de vins et liquoristes de Paris offre son grand banquet annuel, dans les Salons du Grand-Orient. C’est dire que nous faisons appel à tous… Mieux que cela, à toutes ! Il faut que les dames et les demoiselles des Sociétaires n’oublient pas leur gracieux devoir… Que travaillent les aiguilles, se mobilisent les couturières !… » Huit jours après, même annonce, toujours en caractères d’affiche, et avec cet attrait nouveau : Le Banquet aura lieu sous la présidence de M. le Ministre du Commerce… Et chaque semaine, pendant un mois, on répétait ainsi l’appel : « Vous avez lu la grande nouvelle… Il faut que les dames et les demoiselles n’oublient pas leur gracieux devoir… Que travaillent les aiguilles, se mobilisent les couturières… » Enfin, le grand jour arrivait, et le journal, la veille du banquet, corsait encore son lyrisme : « Un jour seulement nous sépare de la grande fête corporative… A l’heure où nous écrivons ces lignes, toutes les indécisions ont disparu, et certainement les toilettes ravissantes, que nous allons bientôt admirer, n’attendent plus que le moment de recevoir dans leurs plis les gracieux contours de nos charmantes convives… »

Le lendemain soir, en effet, par un temps de pluie et de bourrasques, une foule à physionomie spéciale, les hommes en cravates blanches, avec de fortes mains et des figures colorées, les dames en toilettes claires avec des airs de santé et des fleurs dans leurs cheveux, se pressaient rue Cadet, à la porte du Grand-Orient, sous un fâcheux vent mouillé qui défrisait les coiffures et rebroussait le poil des chapeaux... J’avais eu la curiosité de voir la fête, et rien n’avait été plus facile. Les marchands de vins sont de bonnes gens, largement hospitaliers, et j’avais déjà pris ma place depuis une demi-heure, parmi les mille ou douze cents convives, dans la grande salle décorée de fresques, lorsque le banquet commença. Le ministre manquait, mais s’était fait représenter par un envoyé, et d’autres notabilités, un sénateur du Cantal, un conseiller municipal collectiviste, d’autres de nuances diverses, siégeaient sur l’estrade d’honneur. Tous avaient reçu le meilleur accueil, mais le plus chaudement acclamé, par les plus longues ovations, avait été un « conservateur, » M. Georges Berry, le député « rallié, » qui occupait la présidence, et dînait dans un fauteuil, ombragé par un drapeau.

Le coup d’œil était curieux ; les tables s’allongeaient comme à perte de vue ; les têtes, aux derniers plans, s’y brouillaient comme dans une brume, et ce qui dominait dans toutes les physionomies, c’était la joie d’être là, entresol, sous de belles lumières, avec un menu de vingt plats, des dames, des amis, et des fanfares jouant des valses... Vers dix heures, cependant, M. Georges Berry frappa avec un couteau sur une assiette, le silence se fit, et les discours commencèrent, mais sans un mot de politique, et sans que les allusions, les finesses, ou l’éloquence, y portassent sur autre chose que sur l’abolition des octrois, la dureté des patentes, ou l’invasion désastreuse des sociétés coopératives.

Trois ou quatre orateurs se succédèrent ainsi, et, après quelques toasts, le sénateur du Cantal, très gros, très rouge, ému, le geste tremblant, se leva pour prononcer le sien. C’était un vieux républicain, et un tonnerre d’applaudissemens salua son apparition, mais un cri, en même temps, partait du fond de la salle et expliquait l’ovation :

— Ecoutez, les Auvergnats !

Et l’ovation, en effet, s’adressait à l’Auvergnat. Toujours ému, et le geste toujours tremblant, le sénateur du Cantal essaya, un instant, l’éloge de la République, mais les acclamations devenaient tout de suite plus maigres. A son tour, ensuite, le conseiller collectiviste voulut risquer un peu de propagande : « Citoyens, souvenez-vous que la République... » Mais un léger bruit de conversation couvrait immédiatement sa voix. Il se rejetait alors sur les élections, mais on n’en causait que plus haut, si haut même qu’il devait se rasseoir, et l’orateur suivant, un autre conseiller radical, était encore moins heureux. « Citoyens, avait-il débuté gaiment, on vous accusait autrefois de mettre de l’eau dans votre vin, mais je crois bien qu’aujourd’hui c’est le gouvernement... » On ne le laissait même pas achever, et des mouvemens d’impatience, des rumeurs lui coupaient la parole. « Citoyens, la République... Citoyens, les élections... » Mais on ne l’entendait même plus, l’impatience augmentait encore, et l’assistance, au bout de quelques instans, finissait par refuser de l’écouter...

Que fallait-il conclure de cette singulière fin de banquet démocratique ? Elle n’était peut-être qu’un accident, mais n’en donnait pas moins à réfléchir, et les élections, un mois plus tard, nous apportaient, en effet, quelques surprises. Quelque chose, en ce moment, trouble le marchand de vins, et l’ « association coopérative, » le grand « assommoir » anonyme et collectif de l’avenir, dernier mot logique de la Révolution, tuera évidemment, un jour ou l’autre, le petit débitant actuel. Tous les politiciens, il y a vingt ans, avaient les yeux fixés sur lui, et ce fut, à cette époque, sa véritable apogée, l’heure où il eut un siège à la Chambre, le temps de la candidature symbolique de M. Hude. Mais les idées marchent, et les mêmes politiciens, qui se guidaient autrefois sur l’estaminet, se guident, à présent, sur la [[coopérative, » la puissance nouvelle qui détrônera l’ancienne. Et le marchand de vins légendaire, avec sa boutique et son comptoir, les quatre fusains de sa porte, son gilet de laine, sa casquette, et son auréole d’électeur considérable, ne sera peut-être plus, dans vingt ans, comme l’alchimiste et comme l’apothicaire, qu’un objet de chronique rétrospective, un sujet recherché de vieille estampe. La Démocratie aura tout dévoré, même lui ! Tout s’y sera englouti, même le débitant. Tout aura disparu, même le « mastroquet. « 

Et, tout en quittant la salle, je me livrais à ces réflexions... La foule s’écoulait, les dames montaient danser, les politiciens offraient des cigares aux membres du Syndical, et la Marseillaise, en attendant la « Sociale, » nous étourdissait dans l’escalier.


MAURICE TALMEYR.