Mœurs des diurnales/2/13

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Loyson-Bridet ()
Mœurs des Diurnales : Traité de journalisme
Société du Mercure de France (p. 170-177).


DES PLUMES


« La littératurite est une maladie comme les autres qui sévit sur la jeune génération : elle aime trop la plume, et c’est ce qui la tue ou la détériore. Mais d’abord il faut être bien sûr d’avoir une plume pour que le métier d’écrivain soit ce qu’il est, un métier charmant, et il faut ensuite ne pas la tremper dans tous les encriers.

(S. Journal des Débats, 5 Janvier 1903.)


Qu’en pensez-vous ! N’est-ce pas bien dit, avec galanterie et non sans élégance ? Voilà l’endroit de mon livre où je craignais le pas. Je redoutais d’y arriver. Il faut l’avouer, je me songeais à moi seul : si Aristote ou pour mieux dire Hippocrate a le chapitre des chapeaux, Loyson-Bridet doit avoir le chapitre des plumes. Facture ou écriture sont peu, à nous autres et nos confrères ; il n’est rien de tel qu’une « plume bien taillée », surtout quand l’acier en a été trempé à Blanzy, et depuis que John Mitchell en fournit les bureaux à toutes les mesures. Tailler une plume il faut, néanmoins, comme on dit « le courrier » quand on entend le facteur des postes, ou « cacheter » une enveloppe pneumatique. Plume bien taillée : cela, jeunes gens, vous a un joli fumet dix-huitième siècle autant que les solives peintes et les faux croisillons. Cultivez votre plume, disait Sosthène de la Rochefoucauld (non celui de chez Maximes — ce n’est pas le même prénom — vous vous en souvenez) ; taillons nos plumes, Messieurs, répéterai-je. Ayez toujours vos plumes bien taillées — et veillez-y soigneusement chez les autres.

Par bonheur un journaliste — un maître — avait déjà parlé. Juro in verba magistri. Il faut être sûr d’avoir une plume et il faut ensuite ne pas la tremper dans tous les encriers. Si j’avais des lettres, et de l’or, cette phrase serait imprimée dans mon livre avec des lettres d’or. Le grand homme qui l’a écrite, si je ne me trompe, a médité dès longtemps sur les plumes. Je crois l’entendre encore : (il y a quinze ou vingt ans — mais le temps ne fait rien à l’affaire). — « Bossuet, nous disait-il, écrit avec une plume d’aigle ; Fénelon avec une plume de cygne, et Pétrone avec une plume de coch — n. »

Ayez donc soin, dans vos jugements littéraires, d’apprécier comme il convient les plumes de vos confrères. Un exemple entre mille[1] :


M. Bernheim, amateur de théâtre, est aussi agréable qu’instructif. Ce diable d’homme est vivant à un degré rare et il écrit d’une plume aussi vivante que tout son être.

(gustave larroumet, Chronique théâtrale du Temps).


On peut d’ailleurs considérer la plume en soi, objet matériel :


Ici une première, celle de Ma bonne Cousine, comédie en trois actes de M. P.-L. Flers, qui sans doute écrit à plusieurs plumes, comme les écoliers qui font des pensums, car je le vois jouer partout, dans tous les music-halls, et maintenant, à Cluny.

(Le Gaulois, 18 Janvier 1903.)


Ou prendre la partie pour le tout, μεταφορικῶς. Le style, c’est l’homme même, écrivait le naturaliste Buffon. Horace, plus proprement : Sæpe stylum vertas. Pour nous, si j’ose dire, l’homme même, c’est la plume.


Plume bien taillée.
P. piquante.
P. vibrante.
P. captivante.
P. galante.
P. badine.
P. volante.
P. affirmative.
P. fugace.
P. vaillante.
P. magique.
P. entreprenante.
P. frigide.
P. éloquente.
P. humaniste.
P. agile.

P. savoureuse.
P. troublante.
P. affolante.
P. sémillante.
P. frémissante.
P. amusante.
P. saisissante.
P. décevante.
P. larmoyante.
P. molle.
P. cynique.
P. vénale.
P. volumineuse.
P. mouillée.
P. féministe.
P. fugitive.

P. élégiaque.
P. souriante.
P. étincelante.
P. chatouilleuse.
P. idéaliste.
P. fouilleuse.
P. velue en diable.
P. sportive.
P. bien disante.
P. érudite.
P. parisienne.
P. hiératique.
P. prestigieuse.
P. éblouissante.
P. élégante.
P. taillée de main de maître.
P. réjouissante.
P. enjouée.
P. solitaire.
P. émoustillante.
P. virevoltante.
P. imaginative.
P. dithyrambique.
P. insidieuse.
P. sautillante.

P. satirique.
P. nostalgique.
P. obscure.
P. avenante.
P. naturaliste.
P. voluptueuse.
P. grave.
P. nourrie.
P. chantante.
P. émasculée.
P. attique.
P. nerveuse.
P. mélancolique.
P. amorphe.
P. naïve.
P. fervente.
P. irritante.
P. boulevardière.
P. graveleuse.
P. splénétique.
P. lassée.
P. documentée.
P. dolente.
P. exacerbée.
P. neurasthénique.

P. vigoureuse.
P. cabriolante.
P. savante.
P. capricieuse.
P. sympathique.
P. méritoire.
P. capricante.
P. perfide.
P. impeccable.
P. sentimentale.
P. barbare.
P. enflammée.
P. humanitaire.
P. gouailleuse.
P. indulgente.
P. singulière.
P. solliciteuse.
P. voltairienne.
P. décadente.
P. cavalière.
P. littéraire.
P. câline.
P. mâle.
P. conquérante.
P. de vingt ans.
P. ironique.

P. épiscopale.
P. paresseuse.
P. candide.
P. insouciante.
P. odorante.
P. ondoyante.
P. esseulée.
P. errante.
P. insinuante.
P. cruelle.
P. attendrie.
P. parfumée.
P. irritée.
P. révoltée.
P. assoiffée.
P. grondeuse.
P. inexorable.
P. romantique.
P. esthétique.
P. découragée.
P. prime-sautière.
P. follette.
P. hermaphrodite.
P. prostituée.
P. sénile.
P. émue.

P. épique.
P. drue.
P. évangélique.
P. illustre.
P. vengeresse.
P. vibratile.
P. pittoresque.
P. térébrante.
P. étourdissante.
P. éjouie.
P. évocatrice.
P. provocante.
P. aimable.
P. sceptique.
P. mystérieuse.
P. aisée.
P. caressante.
P. ingénieuse.
P. coquette.
P. poétique.
P. légère.
P. diserte.
P. rieuse.
P. affriolante.
P. fine.
P. gauloise.

P. frivole.
P. endiablée.
P. sadique.
P. bien moderne.
P. familière.
P. harmonieuse.
P. talentueuse.
P. coulante.
P. intime.
P. attristée.
P. versicolore.
P. réconfortante.
P. égrillarde.
P. capiteuse.
P. banale.
P. constipée.
P. acerbe.
P. spéciale.
P. passionnée.
P. grossière.
P. veloutée.
P. pénétrante.
P. morose.
P. déconcertante.
P. grasse.
P. mystique.

P. mutine.
P. poignante.
P. mobile.
P. bien française.
P. alerte.
P. active.
P. palpitante.
P. gracieuse.
P. gracile.
P. adorable.
P. féline.

P. électrique.
P. bien maniée.
P. solide.
P. exotique.
P. grivoise.
P. souple.
P. affolée.
P. fantasque.
P. de Sarcey.
P. verveuse.
P. d’oie.




  1. Il a laissé courir une plume agile et bien taillée, une plume de chroniqueur, sur la table volante du journaliste.
    (Le Temps, novembre 1902.)

    Entre temps, il écrivait des chroniques dans le Gaulois, d’une plume alerte et gracieuse.

    (Les Débats, 8 décembre 1902.)

    La lettre me concernant que M. le président Magnaud vous a adressée et que vous avez publiée dans votre numéro d’hier m’embarrasse terriblement. D’abord, elle est certainement écrite avec une plume de paon ; et je ne pourrai y répondre qu’avec une plus modeste plume.

    (Les Débats, 3 mai 1903.)