M. René Boylesve à l’Académie française

La bibliothèque libre.
M. René Boylesve à l’Académie française
Revue des Deux Mondes6e période, tome 50 (p. 705-708).
RÉCEPTION DE M. BOYLESVE

On écrira dans un siècle : » Peu de temps avant 1914, l’art français était parvenu à l’état de finesse. Jamais les peintres ne poussèrent si loin la subtilité des tons et des valeurs. Jamais les musiciens ne furent plus sensibles. Jamais les écrivains ne traduisirent avec une simplicité plus soignée des sentiments plus contenus. Les délicats recherchent aujourd’hui encore ces chefs-d’œuvre discrets Le plus singulier, c’est que la plupart des écrivains qui devaient être si nuancés et si purs avaient paru, vers 1890, comme de jeunes furieux ou comme des prophètes. Ils s’appelaient alors symbolistes. Peu à peu ils se dépouillèrent entièrement. Beaucoup moururent jeunes. Chez les autres, la fougue du moins périt vite. Ils étaient presque tous tombés dans la sagesse quand, le 20 mars 1919, le plus illustre de leurs poètes, M. Henri de Régnier, reçut à l’Académie l’un des plus charmants romanciers de cette génération, M. René Boylesve. »

Cette couvée de 1890, qui a produit des aigles, des cygnes, des canards, des alouettes et d’éclatants perroquets, M. de Régnier en a parlé avec émotion. Il parait qu’au temps où tout cela sortait du nid, — avec quels cris et quels battements d’ailes ! — M. Boylesve se tenait un peu à l’écart, effarouché. Il écrivait pourtant à l’Ermitage. M. Jacques des Gâchons, qui était le secrétaire de cette Revue et qui assistait à la séance, pourrait en témoigner. Mais je signale aux curieux un autre témoin. L’Ermitage avait cette bizarre propriété de changer sans cesse de format et de couleur. C’était un grand cahier orange. Une autre année, c’était un petit in-18 sous papier gris, orné d’un chardon. L’année suivante, il se dilatait en format carré, sous une couverture glacée. Une de ces séries, l’année 1897, je crois, est ornée des portraits des collaborateurs. Ce sont des masques tracés par J. Veber, et qui épouvantaient les modèles par leur précision ironique. Il faudra chercher là les traits de quelques-uns des écrivains de notre temps, M. René Boylesve y figure, si je ne me trompe, et déjà tel que nous venons de le revoir après vingt-deux ans.

Chaque séance de l’Académie a son public. L’appareil guerrier des uniformes avait cette fois presque disparu. Les chapeaux des femmes se coloraient déjà de quelques plumes bleues, ou d’un peu de rose, juste ce qui convient à l’œuvre d’un romancier sensible et mélancolique. Quelques colliers de perles brillaient, sous le jour froid d’une blancheur somptueuse. Les perles sont dans les rêves le signe des larmes : on les voyait, parmi les robes noires et les fourrures sombres, comme les larmes versées sur Mon Amour. Il y avait parmi les invités quelques écrivains. Enfin on eût dit que la littérature était ramenée par la paix. Mais ce public n’était pas moins sensible aux événements de la guerre. Quand le maréchal Joffre entra, et s’en vint prendre place entre M. Bazin et M. Doumic, ce fut une longue ovation. Les applaudissements se répétèrent quand, à la fin de son discours, M. Boylesve évoqua la bataille de la Marne. Le vainqueur de cette grande lutte a gardé toute sa popularité.

Voici M. Boylesve debout, à la place traditionnelle du récipiendaire, entre M. Donnay et M. Capus. La lumière tombe à plein sur son crâne d’une nudité monastique. Sous ces plans et sous ces arêtes, on devine les yeux profonds. Un nez vigoureux jaillit de là et le reste de la figure se perd dans la barbe noire. L’habit est fermé et coupé comme une soutane. On voit briller la poignée de l’épée sur le devant de la ceinture. M. Boylesve tient à deux mains le texte de son discours déployé devant lui. Il lit, les yeux fixés sur les pages, sans gestes. La voix est profonde, et descend, de proposition en proposition, pour achever chaque phrase au fond d’un creux. Elle reprend plus haut la phrase suivante et la fait aussi redescendre comme par des degrés. L’orateur lit lentement, distinctement, également, d’un bon ton de carême.

Il fait l’éloge de son prédécesseur, M. Mézières, qui fut un homme d’étude, un journaliste de doctrine, un chroniqueur moraliste, un sénateur patriote et le président vénéré d’une quantité d’associations. Toute la première partie du discours est consacrée au mort. C’est d’abord un joli croquis de Mézières en 1848, encore élève de l’École normale, mais portant l’uniforme militaire, avec une ceinture tricolore et un sabre de cavalerie, montant à cheval et défendant l’Hôtel de Ville. Puis, c’est le tableau de la vie universitaire en ce temps-là, avec sa fierté, son désintéressement, son culte des idées, son mépris des grandeurs de chair. Élève de l’École d’Athènes, Mézières étudie à la fois l’une et l’autre antiquité, « la langue italienne pour contempler dès son berceau la littérature moderne et l’anglaise afin d’atteindre les sommets de la poésie. »

C’est encore le tableau du Temps en 1864, avec Nefftzer, l’âpre Scherer et Hébrard. Voilà enfin la république fondée. A ce moment, M. Boylesve laisse respectueusement M. Mézières, dont l’ombre n’apparaîtra plus que par intervalles, et il commence la seconde partie de son discours, qui est un éloge des lettres.

Dans un morceau fort soigné il trace le rôle de l’écrivain, qui est, lui aussi, un ambassadeur de la République, mais un ambassadeur capricieux qui doit avoir son franc parler. Toute la salle était si bien de l’avis de M. Boylesve, la vérité de sa thèse était si évidente qu’une seule chose aurait pu nous gêner en l’écoutant, c’était l’excès même de l’adhésion que nous lui donnions. Il prêchait véritablement des convertis. Cependant le silence de l’auditoire devint tout à coup plus profond et comme perceptible, ainsi qu’il advient aux passages les plus intéressants. C’est que l’orateur achevait maintenant son discours, en parlant de cette dernière année que M. Mézières a passée à Rehon, prisonnier des Allemands. M. Boylesve a décrit cette suprême épreuve dans une page simple et pathétique.

M. Henri de Régnier, qui présidait, se renversant alors dans son fauteuil, s’appuyant de biais, élevant son papier sous les rayons du jour et tournant le dos au récipiendaire, commença sa réponse. Sa voix, égale et du timbre le plus fin, conduit élégamment ses phrases flexibles et vivantes, et les suspend à une belle image, comme une guirlande à un clou d’or. Écoutez-le, ayant montré le rôle de l’Académie comme hôtesse de la pensée, parler de ses derniers élus : « C’est au même sentiment qu’elle s’est conformée, — interprète cette fois de la reconnaissance nationale, — quand elle a élu le citoyen illustre dont l’étonnante et magnifique vieillesse a vu, avec le triomphe du Droit et de la Justice, la grandeur restituée de la Patrie, et qui, tout vibrant encore de l’immense tâche accomplie par son énergie inlassable et son implacable vigilance, lorsqu’il viendra s’asseoir parmi vous, messieurs, y retrouvera les deux hommes dont les noms glorieux évoquent un éclat de victoire et en qui s’incarne, dans la plus haute dignité militaire, l’âme héroïque des armées françaises à qui nous devons la grande œuvre de la France sauvée, de la France reconquise, de la France délivrée, de la France vivante malgré ses deuils et debout, en face de l’avenir, de toute sa hauteur, plus haute que le plus haut laurier... »

Seul un poète écrit cette prose et la fait chanter. Et c’est peut-être cet esprit même de poésie, ornant tout ce qu’il touche, qui a permis à M. de Régnier de donner à son discours une structure si serrée. Il s’est interdit les digressions et les ornements. Qu’en avait-il besoin ? Il a tout juste tracé un rapide portrait de M. Mézières et a noté ce trait exact et fin : la bonhomie masquant l’autorité. Il a ensuite, au sujet de M. Boylesve, fait un retour sur sa propre jeunesse, et il a évoqué les ombres avec grâce. La suite de son discours n’est qu’une étude critique, très subtile, très bien faite, la meilleure qu’on puisse faire des livres et de l’esprit de M. Boylesve. Il a montré chez ce romancier deux parts à peu près égales de sensibilité et d’observation. Un discernement ironique, une émotion de poète se combattent, se mêlent et se corrigent. « Ce double caractère se retrouve dans toute votre œuvre. Le poète et l’observateur se la partagent et le plus souvent s’y mêlent. Certains de vos livres sont presque des satires, certains presque des poèmes, mais à tous cependant je note un point commun. J’y relève presque partout la marque de ce que vous avez nommé vous-même un idéalisme blessé, qui tantôt se désespère de sa déception et en souffre, tantôt s’en venge par de la raillerie. »

Il y a dans chaque esprit un point secret où toutes les puissances de cet esprit ont leur origine commune. On ne saurait l’indiquer avec plus de sûreté et de finesse. Le public écoutait, attentif à la voix d’un artiste. Dans les cintres des tribunes, on voyait des figures penchées et immobiles. Pour achever, M. de Régnier est revenu à cette image de la Patrie, à laquelle chacun pense. Et, tirant de l’œuvre de M. Boylesve la comparaison propre du temps, il nous a engagés, comme faisait l’enfant peint par le romancier, à nous accouder à la balustrade, pour saluer le bel avenir.


HENRY BIDOU.