M. Thiers et les otages de la Commune (avril-mai 1871)

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M. Thiers et les otages de la Commune (avril-mai 1871)
Revue des Deux Mondes5e période, tome 60 (p. 68-99).
M. THIERS ET LES OTAGES DE LA COMMUNE
— AVRIL-MAI 1871 —

Un livre récent de M. Gautherot vient de rappeler un des plus douloureux et plus tragiques souvenirs de notre histoire contemporaine, l’assassinat des otages à la Roquette le 24 mai 1871. Ce livre est particulièrement consacré à la défense de l’abbé Lagarde[1]envoyé en négociations à Versailles le 11 avril auprès de M. Thiers, chef du pouvoir exécutif, pour obtenir, sur la proposition même de la Commune, la mise en liberté de l’abbé Deguerry, du président Bonjean, de l’abbé Lagarde lui-même, de Mgr Darboy et de sa sœur en échange de Blanqui. M. Gautherot a entrepris le récit détaillé de ces négociations d’après des documens provenant des archives de la famille Lagarde, dont le comte d’Hérisson avait déjà donné un résumé précis[2]. Il a conclu à la parfaite correction du négociateur, dont les contemporains avaient blâmé la conduite trop prudente, car celui-ci avait promis à Mgr Darboy de revenir auprès de lui aussitôt qu’il aurait obtenu une réponse du gouvernement de Versailles, et il n’avait pas satisfait à cette promesse, malgré les lettres pressantes de l’archevêque. L’auteur a prouvé que l’envoyé de Mgr Darboy a mis tout en œuvre pour conduire à bonne fin ses négociations et que, placé dans la cruelle alternative de provoquer le massacre immédiat des otages en revenant tout de suite à Paris avec une réponse négative, ou d’encourir les pires accusations en ajournant ce retour, il préféra ce dernier parti, certain que Mgr Darboy l’aurait approuvé, s’il avait pu être au courant des événemens. Mais la brusque interruption de sa correspondance avec l’archevêque, à l’heure même où il allait céder malgré tout aux ordres du prélat malin formé, donna à son attitude une allure équivoque. Plus tard, il garda le silence, sur l’ordre de son supérieur, Mgr Guibert, et écrivit seulement un mémoire qui, publié aujourd’hui, paraît donner à sa conduite la justification qu’il désirait.

M. Gautherot, qui eût mieux fait d’intituler son livre l’Abbé Lagarde et Mgr Darboy, et non pas Thiers et Mgr Darboy, s’est tourné contre M. Thiers et l’a rendu responsable de ce qui s’est passé. Examinant sa conduite en ces pénibles circonstances et le refus qu’il opposa à l’échange de Blanqui contre les otages, il reconnaît sans doute qu’il n’avait pas éprouvé l’odieuse satisfaction que certains lui ont prêtée, « de sacrifier un prélat qui, a-t-on osé écrire, conservait encore les sympathies, justifiées ou non, de quelques libres penseurs, » mais il émet des doutes sur la sincérité de la douleur qu’il exprima en voyant Mgr Darboy victime de l’affreux système des otages. Il blâme le dédain affecté de M. Thiers et son incrédulité au sujet des sinistres projets de la Commune ; il blâme ses hésitations et ses atermoiemens. Il regrette que M. Thiers n’ait pas voulu considérer l’abbé Lagarde comme un négociateur attitré. Il répète la parole de M. Henri Rochefort, le 20 septembre 1871, au 3e Conseil de guerre : « Si le gouvernement avait consenti à rendre Blanqui, la Commune aurait rendu tous les otages. » En admettant que celle-ci eût tenu sa parole, on doit immédiatement faire observer qu’elle n’entendait rendre que cinq otages : l’archevêque et sa sœur, le président Bonjean, l’abbé Deguerry et l’abbé Lagarde. Elle gardait les autres, sans doute pour d’autres échanges.

M. Gautherot constate que le refus de M. Thiers constituait un péril de mort pour l’archevêque. Il cite à cet égard des extraits significatifs du Soir et du Père Duchêne, des discours de la citoyenne Evry et de Louise Michel. Il atteste avec M. Washburne et d’autres que la mise en liberté de Blanqui n’eût rien ajouté aux forces de l’insurrection, mais sans prouver cette assertion. Et il conclut ainsi : « Tous les témoignages s’accordent à déplorer le refus de M. Thiers et à reconnaître que, si l’échange de Blanqui eût été consenti, l’archevêque et les otages auraient vraisemblablement été épargnés. « Sans doute, M. Gautherot ne s’associe pas à l’appréciation du Conseil général de l’Internationale siégeant à Londres ; cependant, il la publie en disant qu’elle donne tout de même à réfléchir : « La Commune, a dit le Conseil général, avait, à plusieurs reprises, offert d’échanger l’archevêque et plusieurs prêtres par-dessus le marché, contre Blanqui seul, alors entre les mains de Thiers. Thiers refusa obstinément. Il savait que Blanqui donnerait une tête à la Commune, tandis que l’archevêque servirait mieux ses desseins quand il ne serait qu’un cadavre… Le véritable assassin de l’archevêque de Paris, c’est Thiers. » De son côté, le comte d’Hérisson n’avait pas craint, dans son Nouveau Journal d’un officier d’ordonnance, de faire sienne une aussi odieuse affirmation et il avait même ajouté qu’au bas de la plaque commémorative du massacre des otages sur le mur de la Roquette, il aurait fallu inscrire ces mots : « Adolphe Thiers fecit. »

Cette appréciation inique a été reproduite, ces jours derniers, au lendemain de la publication du livre de M. Gautherot, par divers journaux. Il a été dit que la résolution prise par M. Thiers était la conséquence d’une tactique froidement arrêtée et à laquelle, chez un homme d’Etat tel que lui, aucune sentimentalité ne devait faire obstacle. Il a été dit que M. Thiers avait eu d’abord recours à une sorte d’échappatoire en différant sa réponse à l’archevêque, puis avait feint de recourir à la Commission des Quinze, nommée le 20 mars pour assurer l’action commune de l’Assemblée nationale et du pouvoir exécutif. Il a été dit aussi que M. Thiers s’était réfugié dans le silence en jouant le négociateur et qu’il a eu ainsi un double but : « refuser un chef à l’insurrection et, par le sacrifice inévitable des otages, donner à la répression le plus puissant des ressorts. » M. Henri Rochefort a été à cet égard très péremptoire. « Il est incontestable, a-t-il dit[3], que la Commune a commis une grosse faute en arrêtant l’archevêque. C’était faire le jeu de Thiers qui comptait sur la mort du prisonnier pour tourner tous les modérés contre le gouvernement de l’Hôtel de Ville. On pense si le rusé homme d’Etat a saisi au bond cette balle inespérée. » En examinant de près cette assertion, on voit qu’elle ne tient pas debout contre ce fait précis. L’Assemblée Nationale n’a connu la mort des otages que le 28 mai, et jusqu’à ce moment, tout le monde espérait encore leur salut. La résistance furieuse des insurgés et les incendies de Paris ont seuls donné, dès les premiers jours de l’entrée des troupes, une acuité plus violente à la répression. « Il est certain, ajoute M. Rochefort, que le décret dit des otages n’aurait jamais été voté, si les fédérés, faits prisonniers de guerre, n’avaient pas été fusillés sans pitié par les troupes versaillaises. Ce décret funeste, auquel l’archevêque a dû sa mort, n’était pas une provocation, c’était une réponse. Personne plus que moi ne l’a déplorée. J’ai même écrit sur cette question si grave un article dans mon journal, le Mot d’Ordre ; je suppliais Raoul Rigault et ses amis, véritables maîtres de la situation, de ne pas user de représailles. Cette protestation m’a même valu, de la part du dictateur d’alors, une menace d’arrestation qui m’eût mis entre deux feux : celui des Versaillais et celui des insurgés. Mais à ce moment, tout le monde avait la fièvre et la vie ne comptait plus. »

La courageuse protestation de M. Henri Rochefort contre le décret de la Commune doit sans doute être mise à son actif. Mais son appréciation, comme celle de M. Gautherot et d’autres écrivains, sur la conduite de M. Thiers en ces terribles circonstances, n’est pas fondée, et c’est ce que je voudrais démontrer, ayant été à même, ancien archiviste à l’Assemblée nationale, de voir de près les documens et de parler avec des témoins au sujet de cette douloureuse et déplorable affaire.


* * *

Que demandait la Commune à M. Thiers, c’est-à-dire au gouvernement de Versailles, en échange de quelques otages ? L’élargissement de Blanqui. Est-il vrai que cet élargissement n’eût rien ajouté aux forces de l’insurrection ? C’est ce qu’il convient de voir.

Dès le 4 septembre 1870, Blanqui avait reparu à Paris pour fonder la Patrie en danger avec Théophile Ferré et Raoul Rigault. On avait déjà cru sentir son impulsion, aux derniers jours de l’Empire, dans l’affaire du 14 août à la Villette, où des insurgés avaient agi avec l’espoir de s’emparer de la Préfecture de police et de l’Hôtel de Ville. Le coup avait manqué, mais il allait se reproduire avec plus d’intensité quelques semaines après, sous le gouvernement de la Défense nationale, au 31 octobre. L’ancien combattant de Juillet, le conspirateur acharné du règne de Louis-Philippe qui avait été condamné à mort, puis, par une commutation de peine, à la détention perpétuelle, l’émeutier de 1848, le transporté de Corte et de Mascara, le prisonnier de Sainte-Pélagie, l’amnistié de la seconde République et de l’Empire, celui qu’on appelait « le Vieux de la Montagne, » n’était pas guéri de cette maladie insurrectionnelle qui en faisait un être à part et lui donnait sur la foule crédule et turbulente une autorité immense. Son journal, organe révolutionnaire des clubs socialistes, demandait l’institution de la Commune, l’indépendance du pouvoir communal affranchi de toute autorité gouvernementale, la suppression de tous les cultes, l’enrôlement des prêtres, l’affectation des temples, églises et synagogues à des services communaux, l’arrestation des suspects, la révélation des richesses dissimulées, le partage des propriétés.

Le 14 septembre, Blanqui avait été élu à Montmartre chef du 169e bataillon de la Garde nationale. Au 31 octobre qu’il inspira et dirigea, il avait été, pendant quelques heures, le maître du mouvement révolutionnaire organisé en face de l’ennemi, et avait ordonné l’arrestation des membres du gouvernement qui, sans l’action énergique d’Ernest Picard et du 17e bataillon de la Garde nationale, secondée par Jules Ferry et les mobiles bretons, eût été perdu. Que serait devenu Paris assiégé par les Prussiens ? Il est facile de le deviner, car cette insurrection, que M. de Bismarck avait si sûrement prédite, arrivait à l’heure propice pour permettre à l’étranger d’imposer à la France un joug encore plus dur que celui qu’elle subit trois mois plus tard. Blanqui, qui était sorti de l’Hôtel de Ville au bras du général Tamisier, fut décrété d’arrestation avec les principaux chefs de la Commune naissante, sur les ordres de M. Cresson, préfet de police ; mais il y échappa. « Une prime énorme, dit M. Cresson, avait été promise pour l’arrestation de Blanqui, de Millière et de trois ou quatre autres personnages, et j’ai toujours eu le chagrin de ne pas la payer. » Blanqui reprit la direction de la Patrie en danger jusqu’au 8 décembre 1870, époque à laquelle le journal, faute de clientèle et d’argent, dut cesser sa publication. Après l’armistice, Blanqui parvint à se retirer dans le Lot chez une de ses sœurs, puis dans le Midi pour soigner sa santé ébranlée, mais sans cesser de correspondre avec ses partisans qui lui firent obtenir, aux élections du 8 février 1871, 52 389 voix à Paris sur 328 970 votans. Le 17 mars, il fut arrêté par ordre de M. Thiers et mené à Figeac, puis à Cahors.

Au lendemain du 18 mars, il fut élu membre de la Commune par 14 953 voix dans le XVIIIe arrondissement et par 13 859 voix dans le XXe. Mais M. Thiers ne le laissa pas revenir dans la capitale et le fit conduire en Bretagne, au fort du Taureau, à l’entrée de la rade de Morlaix, où il demeura quatre mois au secret absolu, ce qui porta au comble l’exaspération du parti blanquiste, lequel avait compté sur le vieux révolutionnaire pour donner une impulsion et une direction énergiques à la Commune nouvelle. Tel était l’homme qu’on proposait d’échanger contre les cinq otages[4]. Etant donné son passé et ses intentions, il est certain que le retour de Blanqui à Paris, secondé par Delescluze et Félix Pyat, eût été considéré par le parti révolutionnaire comme un triomphe. L’homme qui avait failli renverser le gouvernement de la Défense nationale et qui avait provoqué devant l’ennemi à la guerre civile, se fût hautement targué de la faiblesse du nouveau gouvernement et de l’Assemblée, et la Commune, reconnue comme belligérante, eût émis encore d’autres exigences. Corbon a dit de Blanqui, dont il connaissait la personne et les doctrines, qu’il avait une très grande influence sur son parti et qu’il exerçait un prestige singulier sur les hommes qui l’approchaient. « Ceux qui étaient mis en rapport avec lui, a-t-il affirmé, ou le fuyaient bientôt, ou bien lui restaient passionnément fidèles. Peut-être serait-il plus juste de dire de ces derniers qu’ils tenaient moins à la personne de Blanqui qu’à sa manière de comprendre l’action révolutionnaire. » Il est certain que ceux qui ont dit que sa présence n’eût rien ajouté aux forces de l’insurrection, ne le connaissaient pas. C’était le drapeau rouge lui-même, le drapeau de l’émeute, et c’eût été chose grave de permettre à ceux qui avaient déjà fait avec lui le 31 Octobre, de le montrer comme le symbole, comme la personnification de leurs redoutables desseins. Ses partisans en effet ne cachaient point qu’ils voulaient, même au prix des pires violences, la destruction entière de l’ordre et de la société. « Blanqui, disait l’ancien préfet de police Edmond Adam, continue le babouvisme. C’est le successeur de Babeuf. Il a conservé la direction des militans. Il exerce sur eux une grande influence et depuis beaucoup d’années commande nombre de conspirateurs. » M. Maxime Vuillaume qui l’a connu mieux que personne, en a dit lui-même : « Versailles, pas plus que nous, ne se méprenait sur la part immense du concours que Blanqui eût apportée à la Commune. » Celle-ci voulait donc avoir ce chef et elle usa de tous les moyens pour le tirer de sa prison et le ramener à Paris.

On comprend déjà, par cet exposé, pourquoi M. Thiers n’a pas voulu fournir cette arme nouvelle à une rébellion d’autant plus odieuse qu’elle avait éclaté sous les regards insolens et joyeux de l’étranger campé aux portes de la capitale.

Suivons maintenant de près l’étrange négociation qui devait aboutir, hélas ! au massacre des otages.

Le 4 avril, l’archevêque de Paris est arrêté. Le vicaire général, M. Lagarde, demande lui-même à suivre Mgr Darboy et à partager son sort. Raoul Rigault les reçoit brutalement à la Préfecture de police, signe leur ordre d’écrou et leur prédit qu’ils seront fusillés dans deux jours, parce que les Chouans massacrent ses frères. Le 5 avril, la Commune rend un décret par lequel il est dit que chaque exécution à Versailles d’un prisonnier de guerre ou d’un partisan du gouvernement régulier de la Commune de Paris sera suivie sur-le-champ de l’exécution d’un nombre triple des otages retenus par le verdict d’accusation et qui seront désignés par le sort. L’archevêque et son vicaire général étaient les premiers otages, et tout portait à croire qu’ils seraient aussi les premières victimes.

Le Jeudi-Saint, on transfère Mgr Darboy et M. Lagarde du Dépôt à la prison de Mazas. Ils rencontrent au greffe le président Bonjean, les PP. Ducoudray, Clerc et de Bengy et l’abbé Allard, arrêtés eux aussi comme otages. Jusqu’au mercredi de Pâques, ils sont tenus au secret absolu. On se bornait à vociférer à leur porte la nouvelle des excès commis par les soldats de Versailles contre les insurgés et à les en rendre responsables. « On communiquait en outre, dit M. Gautherot, à Mgr Darboy le Journal officiel de la Commune dont les récits tendancieux, écrits dans un style relativement modéré, lui donnaient peu à peu une notion fausse des événemens. Tout était calculé pour tirer des otages le plus utile parti possible. C’est ce qui explique les lettres que l’archevêque de Paris consentit alors à adresser à Versailles[5]. »

Le 8 avril, forçant le secret auquel on avait condamné les prisonniers, Benjamin Flotte, ami intime de Blanqui, vint demander à l’archevêque d’intervenir auprès de M. Thiers pour obtenir l’échange secret de Blanqui contre sa propre personne et celle de sa sœur Mlle Darboy, du président Bonjean, et des abbés Deguerry et Lagarde. Il venait, disait-il, de la part de Raoul Rigault qui lui avait donné carte blanche. Il confirma à l’archevêque les prétendues atrocités commises par les Versaillais et le supplia d’intervenir au nom de l’humanité.

C’est alors que Mgr Darboy, ému de ce qu’il venait d’entendre et croyant à la réalité de ces faits, tant M. Flotte, malgré ses opinions très avancées, lui paraissait un homme droit et sincère, écrivit à M. Thiers la lettre suivante : « Hier vendredi, après un interrogatoire que j’ai subi à Mazas où je suis détenu en ce moment, les personnes qui venaient m’interroger m’ont assuré que des actes barbares avaient été commis contre les gardes nationaux par divers corps de l’Armée. Dans les derniers combats, on aurait fusillé les prisonniers et achevé les blessés sur le champ de bataille. Os personnes, voyant combien j’hésite à croire que de tels actes puissent être exercés par des Français contre des Français, m’ont dit ne parler qu’après des renseignemens certains. Je pars de là, monsieur le Président, pour appeler votre attention sur un fait aussi grave, qui peut-être ne vous est pas connu, et pour vous prier instamment devoir ce qu’il y aurait à faire dans des conjonctures aussi douloureuses. Si une enquête forçait à dire qu’en effet d’atroces excès ont ajouté à l’horreur de nos discordes fratricides, ils ne seraient certainement que le résultat d’emportemens particuliers et tout individuels. Néanmoins, il est possible peut-être d’en prévoir le retour, et j’ai pensé que vous pouviez plus que personne prendre à ce sujet des mesures efficaces.

« Personne ne trouvera mauvais qu’au milieu de la lutte actuelle, étant donné le caractère qu’elle a revêtu dans ces derniers jours, j’intervienne auprès de tous ceux qui peuvent la modérer ou la faire finir. L’humanité, la religion me le conseillent et l’ordonnent. Je n’ai que des supplications ; je vous les adresse avec confiance. Elles partent d’un cœur d’homme qui compatit depuis plusieurs mois à bien des misères[6]. Elles partent d’un cœur français que les déchiremens de la patrie font douloureusement saigner. Elles partent d’un cœur religieux et épiscopal qui est prêt à tous les sacrifices, même à celui de sa vie, en faveur de ceux que Dieu lui a donnés pour compatriotes et pour diocésains. Je vous en conjure donc, monsieur le Président, usez de tout votre ascendant pour amener promptement la fin de notre guerre civile et, en tout cas, pour en adoucir le caractère autant que cela peut dépendre de vous. »

L’archevêque ajoutait en post-scriptum : « La teneur de ma lettre prouve assez que je l’ai écrite sous la communication qui m’a été faite ; je n’ai pas besoin d’ajouter que je l’ai écrite, non seulement en dehors de toute pression, mais spontanément et de grand cœur. »

L’infortuné prélat avait ajouté foi aux paroles et aux propos de ses geôliers, et c’était vraiment en toute sincérité et en toute générosité d’âme qu’il implorait pour leurs partisans une pitié et une clémence que ceux-ci n’allaient pas avoir pour lui. De son côté, l’abbé Deguerry, sollicité également d’intervenir, avait écrit la veille au Conseil des Ministres : « De mon libre mouvement, et sous l’inspiration de ma conscience, je vous demande avec instance d’empêcher toutes les exécutions, soit de blessés, soit de prisonniers. Ces exécutions soulèvent de grandes colères à Paris et peuvent y produire de terribles représailles. Ainsi, l’on est résolu, à chaque nouvelle exécution, d’en ordonner trois des nombreux otages que l’on a entre les mains. Jugez à quel point ce que je vous demande comme prêtre est d’une rigoureuse nécessité. » M. l’abbé Deguerry ajoutait aussi en post-scriptum qu’il avait écrit cette lettre sans aucune pression et de son libre mouvement.

Lorsque M. l’abbé Lagarde fut chargé par l’archevêque de Paris, le 13 avril, de porter de sa part en négociateur à M. Thiers une lettre ouverte au sujet de l’échange de quelques otages contre Blanqui, il ne sut rien des lettres des 7 et 8 avril signées par Mgr Darboy et par l’abbé Deguerry et remises à Dacosta, membre de la Commune, lequel les avait données à l’abbé Ber-taux, curé de Montmartre, alors détenu au Dépôt. Celui-ci s’était engagé à les porter à M. Thiers et à revenir avec la réponse, ce qu’il fit. L’archevêque ne connaissait pas la mission de M. Bertaux et ne savait pas qu’avant la remise de ces lettres au chef du pouvoir exécutif, elles devaient paraître dans le journal révolutionnaire l’Affranchi, comme pour certifier publiquement l’exactitude des accusations de la Commune, c’est-à-dire les actes barbares et les excès commis par les troupes de Versailles. Les deux post-scriptum, presque identiques, comme le fait remarquer M. Gautherot, prouvaient que les délégués de la Commune avaient insisté auprès des prisonniers pour faire croire qu’ils n’avaient été l’objet d’aucune pression. Ces lettres, dont l’intention était excellente sans doute, mais la rédaction déplorable, puisqu’elle visait des faits inexacts, furent remises le 14 à M. Thiers, au moment où tout le monde les lisait dans l’Affranchi. Elles devaient avoir les conséquences les plus fâcheuses.

La veille, le Jeudi-Saint 13, à une heure de l’après-midi, M. Lagarde, arrivé à Versailles, remettait à M. Thiers la lettre suivante de l’archevêque de Paris, datée du 12 avril :


« Monsieur le Président,

« J’ai l’honneur de vous soumettre une communication que j’ai reçue hier au soir et je vous prie d’y donner la suite que votre sagesse et votre humanité jugeront la plus convenable.

« Un homme influent (c’était M. Benjamin Flotte), très lié avec M. Blanqui par certaines idées politiques et surtout par le sentiment d’une vieille amitié, s’occupe activement de faire qu’il soit mis en liberté. Dans cette vue, il a proposé lui-même, aux commissaires que cela concerne, cet arrangement : Si M. Blanqui est mis en liberté, l’archevêque de Paris sera rendu à la liberté avec sa sœur, M. le président Bonjean, M. Deguerry, curé de la Madeleine et M. Lagarde vicaire général, celui-là qui vous remettra cette lettre. La proposition a été agréée et c’est en cet état qu’on me demande de l’appuyer auprès de vous.

« Quoique je sois en jeu dans cette affaire, j’ose la recommander à votre haute bienveillance ; mes motifs vous paraîtront plausibles, je l’espère. Il n’y a que trop de causes de dissentimens et d’aigreur parmi nous. Puisqu’une occasion se présente de faire une transaction qui, du reste, ne regarde que les personnes et non les principes, ne serait-il pas sage de lui donner les mains et de contribuer ainsi à l’apaisement des esprits ? L’opinion ne comprendrait peut-être pas un tel refus. Dans les crises aiguës comme celles que nous traversons, des représailles, des exécutions par l’émeute, quand elles ne toucheraient que deux ou trois personnes, ajoutent à la terreur des uns, à la colère des autres et aggravent encore la situation. Permettez-moi de vous dire, sans autre détails, que cette question d’humanité mérite de fixer toute votre attention dans l’état présent des choses à Paris.

« Oserais-je, monsieur le Président, vous avouer une dernière raison ? Touché du zèle que la personne dont je parle déployait avec une amitié si vraie en faveur de M. Blanqui, mon cœur d’homme et de prêtre n’a pas su résister à ses sollicitations émues et j’ai pris l’engagement de vous demander l’élargissement de M. Blanqui le plus promptement possible. C’est ce que je viens de faire.

« Je serais heureux, monsieur le Président, que ce que je sollicite ne vous parût point impossible. J’aurais rendu service à plusieurs personnes et même à mon pays tout entier[7]. »

L’archevêque, en écrivant ces lignes après une nuit pénible, était de bonne foi. Il croyait que l’élargissement de Blanqui et celui des otages amènerait une détente et permettrait peut-être la cessation de désordres funestes. Benjamin Flotte le lui avait fait entendre. Mais l’archevêque ne savait pas à quels hommes il avait affaire dans ceux qui dirigeaient la Commune ; il ne sondait pas encore la profondeur de leurs sinistres desseins.

Cette lettre fut lue avec la plus sérieuse attention par M. Thiers, qui écouta ensuite les observations de M. Lagarde. Celui-ci insista sur les projets violens de la Commune et il faut dire que le chef du pouvoir exécutif ne crut pas, pour le moment, à toute leur atrocité. Ce n’était pas, comme l’a dit M. Gautherot, avec « une moue dédaigneuse » qu’il entendit ces propos, mais, comme ses ministres, il ne croyait pas que la Commune oserait aller jusqu’aux extrémités où quelques scélérats voulaient la conduire. M. Lagarde insista ensuite sur la négociation dont il était chargé. Il dit qu’elle contribuerait beaucoup à l’apaisement des esprits et empêcherait un grand crime. Il fit observer que l’échange pouvait se faire secrètement et sans éveiller aucun soupçon. Quant au retour de Blanqui à Paris, il n’y voyait aucune force pour l’insurrection, car le vieux conspirateur était malade et sa présence ne pouvait d’ailleurs qu’ajouter aux agitations de la Commune un nouvel élément de discorde.

M. Gautherot reconnaît que M. Thiers écouta ce plaidoyer avec quelque sympathie. « Il répondit qu’en une affaire aussi délicate, il était obligé de conférer avec les ministres et les membres de la Commission des Quinze[8]mais que personnellement, malgré la répugnance qu’il avait à traiter avec des rebelles, il ne serait pas défavorable à l’échange (c’est ce que relate, paraît-il, le mémoire de M. Lagarde), tant il était désireux d’arracher l’archevêque aux mains scélérates de ses geôliers. » Ceci dit, il invita l’abbé à revenir conférer avec lui le lendemain, Vendredi-Saint, à midi. Ces déclarations furent faites en présence de l’abbé Allain, secrétaire de l’archevêché, que M. Lagarde avait rencontré à Versailles, et qui se plut à l’accompagner dans ses nombreuses et pénibles démarches.

Le vicaire général crut devoir rendre visite à tous les ministres et leur raconter l’entretien qui lui avait donné le meilleur espoir. Mais, dès le lendemain 14, il apprit, par M. Jules Simon, la venue à Versailles de l’abbé Bertaux et la remise des lettres de Mgr Darboy et de l’abbé Deguerry datées des 7 et 8 avril, en même temps que leur publication dans l’Affranchi. L’abbé Bertaux, qu’il rencontra dans l’antichambre de M. Thiers, lui en confirma lui-même la nouvelle.

Le chef du pouvoir exécutif ne put que déclarer à l’abbé Lagarde, venu pour sa seconde audience : « Avant de répondre à votre lettre, il faut que je réponde à une autre lettre de l’archevêque de date antérieure, mais qui vient seulement de mètre remise par M. le curé de Montmartre après avoir été publiée avant-hier soir dans un journal de Paris. Revenez demain samedi à la même heure. » On voit que la Commune, au lieu de chercher à amener une sorte de conciliation, voulait faire croire que les atrocités et les excès reprochés aux troupes de Versailles étaient bien réels, puisque l’archevêque de Paris et le curé de la Madeleine, hommes dignes de foi, s’en étaient émus eux-mêmes. L’abbé Lagarde protesta de l’ignorance où il avait été laissé au sujet de ces lettres, mais il dut attendre une troisième audience.

M. Thiers répondit à l’archevêque. Sa lettre si importante que M. Jules Simon a publiée dans le premier volume de son ouvrage Le gouvernement de M. Thiers, était ainsi conçue :


« Monseigneur,

« J’ai reçu la lettre que M. le curé de Montmartre ma remise de votre part et je me hâte de vous répondre avec la sincérité de laquelle je ne m’écarterai jamais. Les faits sur lesquels vous appelez mon attention sont absolument faux et je suis surpris qu’un prélat aussi éclairé que vous, Monseigneur, ait admis un instant qu’ils puissent avoir quelque degré de vérité. Jamais l’Armée n’a commis ni ne commettra les crimes odieux que lui imputent des hommes, ou volontairement calomniateurs, ou égarés par le mensonge au sein duquel on les fait vivre. Jamais nos soldats n’ont fusillé les prisonniers, ni cherché à achever les blessés. Que, dans la chaleur du combat, ils aient usé de leurs armes contre des hommes qui assassinent leurs généraux et ne craignent pas de voir succéder les horreurs de la guerre civile aux horreurs de la guerre étrangère, c’est possible ; mais, le combat terminé, ils rentrent dans la générosité du caractère national, et nous en avons ici la preuve matérielle exposée à tous les regards.

« Les hôpitaux de Versailles contiennent quantité de blessés appartenant à l’insurrection et qui sont soignés comme les défenseurs de l’ordre eux-mêmes. Ce n’est pas tout. Nous avons eu dans nos mains 1 600 prisonniers qui ont été transportés à Belle-Isle et dans quelques postes maritimes où ils sont traités comme des prisonniers ordinaires, et même beaucoup mieux que ne le seraient les nôtres, si nous avions le malheur d’en laisser dans les mains de l’insurrection.

« Je repousse donc, Monseigneur, les calomnies qu’on vous a fait entendre. J’affirme que jamais nos soldats n’ont fusillé les prisonniers ; que toutes les victimes de cette affreuse guerre civile ont succombé dans la chaleur du combat ; que nos soldats n’ont pas cessé de s’inspirer des principes d’humanité qui nous animent tous et qui seuls conviennent aux convictions et aux sentimens du gouvernement librement élu que j’ai l’honneur de représenter. J’ai déclaré et je déclare encore que tous les hommes égarés qui, revenus de leurs erreurs, déposeraient les armes, auraient la vie sauve, à moins qu’ils ne fussent judiciairement convaincus de participation aux abominables attentats que tous les honnêtes gens déplorent ; que les ouvriers nécessiteux recevraient pour quelque temps encore le subside qui les a fait vivre pendant le siège et que tout serait oublié, une fois l’ordre établi.

« Voilà les déclarations que j’ai faites, que je renouvelle et auxquelles je resterai fidèle, quoi qu’il arrive, et je nie absolument les faits qui seraient contraires à ces déclarations.

« Recevez, Monseigneur, l’expression de mon respect et de la douleur que j’éprouve en vous voyant victime de cet affreux système des otages, emprunté au régime de la Terreur, et qui semblait ne devoir jamais reparaître chez nous.

Le Président du Conseil,
Chef du pouvoir exécutif,
A. THIERS. »

Cette lettre, rédigée sous le coup de l’indignation et de l’émotion les plus naturelles et les plus vives, crie la sincérité[9]. Aussi faut-il plaindre M. Gautherot d’avoir écrit au sujet des dernières lignes : « Cette douleur était-elle au fond sincère ? Nous ne savons. » Ceux qui, comme nous, ont vécu ces terribles momens, qui ont entendu M. Thiers à l’Assemblée nationale et l’ont vu à l’œuvre, n’ont pas ce doute. Ils savent que le chef du pouvoir exécutif a fait tout ce qui était en son pouvoir pour apaiser l’insurrection, pour amener une détente, pour sauver la vie de tous ceux qui seraient revenus de leur erreur, pour empêcher l’exécution d’infortunées victimes ; mais ils savent aussi que jamais il n’a voulu entrer en négociation officielle avec l’insurrection ni lui reconnaître les droits des belligérans.

A tous ceux qui venaient lui dire qu’ils espéraient amener les chefs de l’insurrection à se rendre, s’il ne leur faisait pas de conditions trop dures, M. Thiers répondait invariablement : « Venez-vous au nom de la Commune ? Je ne vous reçois pas. Je ne reconnais pas de belligérans. — Non, répondaient-ils, nous venons en notre nom personnel pour prévenir l’effusion du sang. Assurez la vie sauve aux chefs et promettez-nous de ne pas faire entrer l’armée dans Paris. À ces conditions, nous promettons de faire cesser la lutte. — Je n’ai pas de conditions à accepter, ni d’engagemens à prendre. Le règne de la loi sera rétabli à Paris absolument et les coupables, quels qu’ils soient, subiront cette loi. Quant à l’Armée, elle est partout chez elle en France ; elle entrera tout entière dans Paris et plantera le drapeau tricolore là où a flotté le drapeau rouge. Paris sera aussi soumis à la puissance de l’Etat que l’est un hameau de cent habitans[10]. »

Cette déclaration formelle éclaire singulièrement le champ qui nous reste à parcourir.

Le Samedi-Saint, à midi, M. Lagarde arrivait au rendez-vous fixé à la Préfecture de Versailles. M. Thiers, qui sortait du Conseil, suivi des ministres, s’arrêta auprès de lui et lui dit avec une bienveillance attristée : « J’ai le regret, monsieur l’abbé, de vous faire connaître qu’à l’unanimité, mes Conseils ont été d’avis de refuser l’échange proposé. » M. Jules Simon, dans son étude sur le gouvernement de M. Thiers, corrobore ainsi cette déclaration : « M. Thiers fit attendre deux jours sa réponse. Il voulait consulter les ministres et ensuite la Commission des Quinze. Le Conseil à l’unanimité, la Commission à l’unanimité, opinèrent pour le refus. » Et voici comment M. Jules Simon s’en est expliqué : « L’archevêque avait sans doute raison de dire que des représailles, des exécutions par l’émeute, ajoutent à la terreur des uns, à la colère des autres. Que n’eût-on pas fait pour donner à la lutte un caractère moins sanguinaire ? Personne ne croyait à Versailles que les jours des otages fussent menacés ; non, personne ! On savait, par une cruelle et récente expérience, ce que peuvent, dans un moment d’égarement, les foules ameutées. Mais les otages étaient en prison. Ils ne pouvaient périr qu’en vertu d’un ordre du gouvernement insurrectionnel et, quelque criminel que fût ce gouvernement, il n’irait pas jusqu’à ordonner ce massacre de propos délibéré. »

Cette réflexion part d’une âme généreuse sans doute, mais ne pouvait-on pas craindre une action violente et toute-puissante de la presse révolutionnaire et de la rue sur le gouvernement de la Commune ? Ne pouvait-on pas craindre des massacres dans les prisons, comme jadis ceux de Septembre ? Et cependant, on croyait que la Commune n’irait pas jusque-là.

« En supposant, ajoute M. Jules Simon, que le gouvernement insurrectionnel fût assez pervers pour commettre un tel crime et assez insensé pour se priver lui-même de son unique chance de salut, on ne proposait en échange de Blanqui que cinq otages. Il en resterait encore près de deux mille entre les mains de l’émeute. Les suites d’une exécution ou, pour mieux dire, d’un massacre que redoutait si justement l’archevêque, ne seraient donc pas évitées. Le gouvernement n’avait pas le droit de faire cet échange ; il ne le pouvait faire qu’en violation de la loi et du droit, parce que Blanqui condamné, mais condamné par contumace, devait nécessairement être jugé et ne pouvait, dans l’état, être l’objet d’une grâce. Enfin, la raison politique ne permettait point de donner à l’insurrection un chef qu’elle regardait elle-même comme un accroissement de force considérable. » Cela est si vrai que B. Flotte, qui fut l’intermédiaire entre la Commune et l’archevêque de Paris pour l’échange, dit avoir reçu le 27 mars à Cuers la lettre suivante de Tridon : « La Commune est proclamée à Paris. Ne perds pas une minute. Viens de suite. Blanqui, qui nous serait si nécessaire, a été arrêté le 17. Cette arrestation est un malheur pour la Commune. » Et le 6 avril, Tridon vint proposer à ses collègues l’échange en question. C’est sur l’offre même de Raoul Rigault, qui voulait le retour de Blanqui retenu « entre les grilles des coquins de Versailles, » que Flotte vit Mgr Darboy et négocia avec lui. L’archevêque avait proposé l’envoi de l’abbé Deguerry à Versailles. Raoul Rigault, qui tenait à garder sous sa main le curé de la Madeleine, préféra l’abbé Lagarde, lequel promit à Flotte, sur sa demande, de revenir, « dût-il être fusillé ! »

De la seconde lettre que M. Thiers écrivit à l’archevêque, je puis, d’après les Souvenirs de Jules Simon, donner cet important passage : « . Accepter cette offre (c’est-à-dire l’échange), ne serait-ce pas consacrer et étendre l’abominable système des otages et permettre aux hommes qui dominent dans Paris, de multiplier les arrestations pour contraindre le gouvernement à opérer de nouveaux échanges ?… Je suis donc, Monseigneur, sans droit et sans pouvoir pour opérer l’échange que vous proposez et auquel une Commission de l’Assemblée a jugé à l’unanimité que le gouvernement devait se refuser. Dans cette pénible position, j’ai du moins la confiance que les hommes qui ont osé vous arrêter, ne seront pas » assez pervers pour pousser leurs violences plus loin… »

Si rompu que fût M. Thiers à la connaissance des hommes et de leurs passions, il ignorait, hélas ! encore jusqu’où pouvaient aller les hommes de la Commune. M. Jules Simon et ses collègues étaient dans la même ignorance ou les mêmes illusions. Mais quand même ils eussent été plus éclairés, ils ne pouvaient ni se fier à l’insurrection, ni traiter avec elle.

Lorsque M. Thiers eut confirmé à M. Lagarde la décision unanime de la Commission des Quinze et du Conseil des ministres, l’abbé dit avec une grande douleur : « Je n’ai plus qu’à me confier à la Providence et à reprendre le chemin de Paris avec la réponse que vous voudrez bien me donner. » M. Thiers, aussi ému que lui, répondit : « Veuillez attendre encore deux jours. — Mais il m’est très difficile de communiquer avec Monseigneur et je lui ai promis de rapporter une réponse le plus tôt possible. — Revenez lundi. »

Il appert de cette réponse que M. Thiers hésitait encore à signifier à l’archevêque l’impossibilité de consentir à l’échange proposé ; il pensait peut-être trouver quelque autre moyen de le délivrer. En effet, il fit alors offrir secrètement un million 0 Cluseret pour l’amener à intercéder en faveur des otages et à préserver leur vie. Voici à cet égard des détails ignorés jusqu’à ce jour.

Dans l’intervalle qui sépara sa deuxième réponse à l’archevêque, c’est-à-dire du 22 avril au 22 mai, pendant plusieurs semaines, M. Thiers ne cessa de négocier secrètement par intermédiaires avec certains chefs de la Commune, tant pour mettre une fin plus rapide à l’insurrection que pour sauver les otages. Ce fut par l’entremise du ministre des Etats-Unis, M. Washburne, qu’un ancien colonel de la guerre de Sécession se rendit dans le cabinet de M. Barthélémy Saint-Hilaire, secrétaire général de la Présidence, et offrit de s’entendre avec le général Cluseret, délégué de la Commune — à la Guerre. Cluseret, dont on sait la carrière aventureuse, — qui avait combattu comme chef de bataillon de mobiles en 1848 et avait été décoré pour sa vaillance aux journées de Juin, — avait plus tard offert ses services aux Américains et s’était fait naturaliser citoyen des États-Unis, puis avait pris part à la révolte des Fenians en Angleterre et bravé une condamnation à mort pour venir ensuite soutenir l’insurrection de 1871. Il accepta les propositions de son ancien camarade de la guerre d’Amérique pour la délivrance des otages et se fit fort d’accomplir cet acte à la condition que voici. Un engagement formel, signé par Barthélémy Saint-Hilaire, était rédigé ainsi qu’il suit : « Il sera remis par le représentant de la Banque de France à Boulogne-sur-Mer la somme de un million à M. Cluseret porteur du présent. » Cet engagement, le colonel américain le montra en 1882 à M. Ed. Bonnal, archiviste en chef de la Guerre, qui me l’a certifié par écrit. L’intéressé devait être rejoint en cours de route et présentée destination au mandataire officiel, qui avait reçu mission d’acquitter l’engagement que j’ai cité. Le papier devait être remis à jour fixe à Cluseret dans la sacristie de Sainte-Clotilde, église située en face du ministère de la Guerre. Le jour arrivé, le 1er mai, le délégué à la Guerre, qui était devenu suspect à la Commune par suite de l’abandon du fort d’Issy, fut incarcéré à Mazas (cellule 62), et l’affaire échoua. « Il paraît, a pu dire un témoin de ces tristes événemens, que la bonne volonté dont le général Cluseret fit preuve, en cette circonstance, n’aurait pas peu contribué à lui enlever sa popularité et à préparer sa chute. » Le hardi aventurier, qui voulut ensuite déguiser sa défection, écrivit de Mazas à Delescluze le 18 mai pour lui offrir de combattre avec les fédérés et lui conseilla de faire sauter les bastions, de fortifier la place de l’Etoile et le Trocadéro. Mais il ne prit point part aux derniers combats et put s’évader de Paris, grâce à l’appui d’un prêtre polonais qui, je crois, était l’abbé de Lisicki.

De son côté, M. Lagarde, qui comptait encore sur les bons offices de M. Thiers, écrivait à Flotte le 15 avril « qu’il avait vu quatre fois le personnage » et qu’il devait attendre deux jours pour une réponse définitive. La première visite lui avait donné de l’espoir, mais les lettres publiées par l’Affranchi avaient modifié les impressions. « Il y a eu conseils et ajournement pour notre affaire. Je vais me remettre en campagne. Puissé-je y réussir ! » Il écrivait en même temps à l’archevêque : « Je viens de voir pour la quatrième fois la personne à qui vous m’avez adressé et je dois attendre encore deux jours la réponse définitive. Je suis désolé de tous ces retards. »

Le 17 avril, M. Lagarde retourna à la Préfecture de Versailles et il y fut reçu par M. Barthélémy Saint-Hilaire qui lui annonça que M. Thiers n’était pas encore en mesure de lui donner sa réponse et le pria de lui laisser son adresse, afin qu’on sût où on pouvait la lui faire parvenir. M. Lagarde insista. Il dit dans quel embarras extrême et dans quelle triste situation on le jetait. Il rappela qu’il ne savait pas si l’archevêque recevait ses lettres. On l’invita à attendre encore. Aussitôt, il écrivit à Mgr Darboy : « Je suis toujours dans l’attente de la décision et n’ai rien pu obtenir de précis. Cependant, on m’a, ce matin encore, expressément dit de ne point quitter Versailles jusqu’à nouvel ordre ; je dois penser que tout n’est pas fini et il m’est permis d’espérer. » Ses journées se passaient à visiter et à négocier. Il voulait tant « améliorer la situation si pénible où son cœur de fils saignait de savoir son père toujours réduit. » Le 18, il écrit de nouveau : « La personne à qui vous m’avez chargé de remettre votre lettre me retient ici et je dois attendre sa réponse. Ce retard me désole bien, quand je songe à votre triste isolement ; mais que faire ? » Il se conformait à des ordres qui prouvaient que l’on pouvait encore espérer.

Une femme courageuse, Mlle Oger, s’était chargée d’aller remettre au directeur de Mazas la lettre de l’abbé Lagarde et celui-ci fit savoir à l’abbé que l’archevêque en avait eu connaissance. D’autre part, M. Lagarde fut averti que B. Flotte allait venir à Versailles pour s’entendre avec lui et hâter son retour, si cela était jugé plus convenable.

Le 23 avril, Mgr Darboy, très attristé, ne pouvait cacher à Flotte son mécontentement des retards de Versailles et lui communiquait le texte d’une lettre remise par lui au ministre des États-Unis, M. Washburne, qui était venu le voir dans sa prison. Cette lettre était destinée à l’abbé Lagarde et lui enjoignait de rentrer à Mazas. Pendant ce temps, l’abbé faisait une démarche auprès de l’ambassadeur d’Angleterre et auprès du nonce, Mgr Chigi, qui, en son nom et au sien, s’adressait à M. Washburne, lequel ne ménagea ni son temps ni ses peines pour rendre à l’archevêque et aux otages de réels, mais, hélas ! d’inutiles services.

D’après le colonel polonais Nitmann, qui avait commandé le corps des Vengeurs dans l’armée des Vosges, ami de Dombrowski et de Cluseret, en relation avec Félix Pyat, la Commune jouait un double jeu. Elle cherchait à prouver aux partisans de Blanqui qu’elle employait tous les moyens pour faire revenir le vieux conspirateur à Paris, et en même temps elle s’inquiétait peu que la mission de M. Lagarde réussît ou non, car le parti violent qui voulait faire égorger les otages n’attendait qu’un prétexte pour donner l’ordre de leur exécution. Aussi, l’abbé de Lisicki et l’abbé Amodru, convaincus que le retour de l’abbé Lagarde serait le signal du massacre, et concluant que c’était là un piège odieux, le suppliaient de rester à Versailles. Mais le 22 avril, le Cri de Paris ayant accusé formellement l’abbé Lagarde d’avoir trahi son serment pour obéir à M. Thiers et ayant dit que Paris saurait maintenant où étaient la modération, l’honneur, la justice, et sur qui devait retomber la responsabilité des événemens, M. Jules Simon fit chercher M. Lagarde. Il lui apprit que le moment était venu de répondre à la lettre de l’archevêque. Il lui présenta alors un pli cacheté et l’engagea à partir sur-le-champ. M. Vitet, membre de la Commission des Quinze et vice-président de l’Assemblée, qui se trouvait là et que l’abbé Bazin avait prie de prêter son appui à la proposition d’échange avec Blanqui, se joignit à M. Jules Simon. M. Lagarde répondit simplement qu’étant venu avec un pli ouvert, comme négociateur, il ne s’en retournerait pas avec un pli fermé comme commissionnaire. M. Jules Simon insista. M. Lagarde, comme le raconte M. Gautherot d’après son mémoire, persista à refuser de porter une réponse dans les conditions où elle était donnée, sans en savoir le texte ni même le sens. Pour qu’il y eût un tel mystère, il fallait, suivant lui, qu’elle ne fût pas de nature à satisfaire et à calmer les esprits. Et alors il se retira en ajoutant qu’il savait à quelles dures conditions il avait promis de revenir, mais que cette question relevait seulement de Dieu et de sa conscience.

M. Gautherot se demande pourquoi le gouvernement de Versailles n’a pas renvoyé immédiatement le représentant de Mgr Darboy avec une réponse ouverte. « Fallait-il croire, comme l’a dit M. Lagarde, que cette conduite était de nature à autoriser le soupçon d’une déplorable faiblesse, sinon quelque odieuse machination ? » Non. « Disons plus simplement, remarque l’auteur, que Thiers refusait sans nul doute l’échange de Blanqui (nous avons donné plus haut un extrait significatif à cet égard) et qu’il ne voulut aucun intermédiaire pour informer l’archevêque d’une aussi grave nouvelle. » La vérité, facile à deviner, est que M. Thiers, averti par la publication des lettres de M. Deguerry et de Mgr Darboy dans l’Affranchi avant qu’il en eût reçu les originaux, redoutait quelque surprise regrettable. Il ne considérait pas l’abbé Lagarde comme un négociateur et il croyait avoir ses raisons pour cela. M. Lagarde en était offensé. Le soir même, il confirmait par lettre sa décision à M. Jules Simon, au cas où celui-ci, ne revenant pas sur sa communication, le mettrait dans l’impossibilité de retourner à Paris. Il affirmait en même temps que d’autres démarches, tentées par lui pour sauver l’archevêque et les otages, avaient un caractère des plus sérieux et que son devoir lui commandait d’attendre qu’elles eussent abouti. Après cette lettre, les négociations entre M. Lagarde et le gouvernement de Versailles cessèrent naturellement.

Est-il permis de dire après cela que si M. Thiers avait accepté l’échange proposé, le parti modéré de la Commune serait parvenu à sauver les otages ? Le parti qu’on appelle modéré était déjà à la merci du parti exalté et, un mois avant l’exécution, les aboyeurs de ce parti hurlaient à la mort. Le jour même de l’arrestation de Mgr Darboy, comme nous l’avons dit plus haut, Raoul Rigault lui avait prédit une exécution inexorable et prochaine. Comment se lier maintenant aux promesses d’un tel individu ? Mais la raison péremptoire du refus du chef du pouvoir exécutif, c’est que le Conseil des ministres et la Commission des Quinze n’avaient pas cru, à l’unanimité, pouvoir accepter l’échange proposé, parce qu’il était impossible de négocier avec des insurgés ; que la première concession en eût amené d’autres, et que le retour de Blanqui était une force nouvelle pour une insurrection dont la patrie, en face de l’étranger menaçant, voulait avoir raison au plus tôt.

Si l’on en croit les dires de B. Flotte, Raoul Rigault lui aurait fait, le 24 avril, cette confidence : « Ces fourbes de Versaillais jouent cet imbécile de Lagarde. Il n’obtiendra rien. Vois souvent Darboy et cherchez ensemble un moyen nouveau. Nous ne pouvons pas laisser Blanqui aux Versaillais. Il nous le faut quand même. Offre tous les otages, si cela est nécessaire. » Cette dernière proposition n’était vraiment pas sérieuse, et Raoul Rigault, si puissant qu’il fût dans la Commune, n’eût pas osé la faire. Peut-être s’agissait-il des trois Pères Jésuites qui furent massacrés avec les autres otages, le 24 mai, mais on ne parlait ni de Chaudey, ni de ceux qui furent égorgés rue Haxo, ni des municipaux et des gendarmes qui étaient détenus aussi à la Roquette. Ce qui prouve encore que M. Thiers n’était nullement décidé à faiblir en ce qui concerne Blanqui, c’est que la sœur de celui-ci ayant demandé à correspondre avec lui, le chef du pouvoir exécutif la rassura sur sa santé, mais déclara qu’il était impossible de lui adresser des lettres ou d’en recevoir avant la fin des hostilités[11]. Henri Cernuschi, ami intime de Blanqui, était venu à Versailles pour intercéder en sa faveur. Il n’obtint rien, pas plus que les autres négociateurs. Cependant, si l’on en croit Me Plou, Thiers « pour sauvegarder autant que possible les otages, aurait indiqué où se trouvait Blanqui et permis à sa famille de communiquer avec lui. » Ce fait est contredit par la démarche de la veuve Antoine, née Blanqui, qui était restée sans résultats. Flotte retourna auprès de Mgr Darboy et accepta de porter à M. Thiers une nouvelle lettre de lui et une autre lettre de M. Deguerry. L’archevêque informait alors le chef du pouvoir exécutif que le ministre des Etats-Unis, le Nonce et le délégué du maire de Londres allaient lui soumettre de nouveau le projet d’échange. « Comme ma vie est en jeu, disait Mgr Darboy, je crois convenable de ne pas plaider la cause… Je vous demande seulement de prendre en considération la lettre de M. Deguerry et d’entendre M. Flotte. » L’archevêque reconnaissait qu’on pouvait discuter les opinions de cet intermédiaire, mais que sa droiture et sa bonne volonté ne faisaient pas de doutes. Le curé de la Madeleine priait aussi M. Thiers de reprendre les négociations. « Vous n’ignorez pas, disait-il, ce que la religion en ce moment souffre ici, dans la personne de ses prêtres. Vous n’ignorez pas que la tête de Monseigneur a été demandée avec acclamation dans plusieurs clubs ; que celle de chacun des prêtres détenus avec lui n’est pas plus en sûreté ; qu’une émeute, facile à exciter par des méchans, peut, en se précipitant sur les prisons, y commettre des horreurs. Eh bien ! en acceptant ce que l’on sollicite de votre plein pouvoir, vous pouvez prévenir ces malheurs et faire cesser les autres[12]. »

Flotte avait vu aussi à Mazas un autre détenu, l’abbé Bazin, qui, sur ses sollicitations, lui avait remis une lettre pour M. de Foucaud, député de Bretagne et une autre pour M. Vitet » membre de la Commission des Quinze et vice-président de l’Assemblée, en priant ceux-ci de soutenir la proposition d’échange. J’ai lu dans les Souvenirs de M. de Vinols, député du Puy-de-Dôme, à l’Assemblée, qu’il a su par son collègue Foucaud que M. Bazin l’avait prié de faire cette démarche, mais en le suppliant de ne pas le comprendre dans l’échange, car il espérait bien avoir le courage de mourir pour son Dieu. M. de Foucaud, qui avait vu M. Thiers, dit à M. de Vinols : « M. Thiers a refusé[13]. »

Flotte ne fut pas plus heureux que ses prédécesseurs. M. Thiers lui répondit comme aux autres que « rendre Blanqui à l’insurrection, ce serait lui envoyer une force égale à un corps d’armée, mais qu’il l’autorisait à dire à l’archevêque de Paris qu’il n’oublierait rien pour le tirer de sa triste position. » A quels moyens pensait M. Thiers ? Mais à des offres faites à divers chefs de l’insurrection pour obtenir de leur cupidité la délivrance des otages. « Plusieurs membres de la Commune, écrivait M. Villetard en 1878, furent mis d’une façon plus ou moins directe en rapport avec M. Thiers et discutèrent les conditions auxquelles ils se faisaient fort d’obtenir la liberté des otages et d’empêcher la destruction de Paris. » Protot, Dombrowski et Félix Pyat étaient de ceux qui furent pressentis. Le colonel Nitmann avait été un des intermédiaires. Si un million n’eût pas suffi, on eût offert deux millions et plus. M. Gautherot cite M. Froment-Meurice et M. Frémy, gouverneur du Crédit foncier, comme ayant été prêts à seconder les tentatives de rançon. Elles échouèrent de part et d’autre, mais il n’en demeure pas moins vrai que M. Thiers les avait fortement appuyées. Il a tout fait pour éviter tant d’horreurs. « Si cela ne dépendait que de moi, disait-il à l’Assemblée le 27 avril, si cela ne dépendait que de quelques sacrifices qui ne fussent pas des sacrifices de principes, s’il ne s’agissait que de sacrifices d’orgueil personnel, il n’en est pas que je ne fisse pour mettre fin à cette horrible guerre ! » Je me souviens alors que l’Assemblée tout entière, partageant son émotion, se leva pour l’applaudir et pour l’acclamer. Ce qui prouve que l’archevêque lui-même se doutait de toutes ces démarches, c’est que, la veille même du massacre, il disait à l’abbé Amodru : « Protot m’a certifié que, si la Commune avait pris des otages, c’était pour obéir aux exigences des bas-fonds de la démagogie et que si, par impossible, elles rendaient une exécution nécessaire, jamais un membre du clergé ne serait désigné pour victime. » L’archevêque croyait encore que les insurgés n’auraient pas le temps de réaliser leurs sinistres desseins et qu’on arriverait assez tôt pour délivrer les prisonniers. C’était aussi la pensée de M. Thiers qui comptait entrer à Paris par surprise et forcer les prisons. Il n’est donc pas permis de dire que ses réticences et ses hésitations, ainsi que ses réponses, étaient « une plaisanterie grossière et cynique. »

« M. Thiers, avoue Flotte lui-même, ne voulait à aucun prix se dessaisir de Blanqui. Il connaissait sa valeur. Il avait lu les articles de la Patrie en danger et son Dernier mot[14]. Il savait que la Commune aurait trouvé en lui un directeur militaire, en même temps qu’un directeur politique. Il ne le voulait à aucun prix. Cet homme néfaste avait juré la mort des otages et même de la Commune. De cette manière, il assouvirait sa rage contre le gouvernement de Paris, et la mort des otages lui donnerait le prétexte d’assouvir sa vengeance contre les communeux vaincus. »

Un des historiens de la Commune, Arnould, pensant comme M. Flotte et s’adressant à ceux qu’il appelle des réactionnaires, leur parle ainsi : « On vous avait offert de vous rendre l’archevêque et vous avez refusé. Pourquoi ? Parce que le clergé rêvait, pour remonter ses actions, de compter une violence qui le pût transformer en martyr. Or, l’archevêque de Paris, mal avec le Pape et les Jésuites de Rome, par sa mort vous donnait ce martyr à pou de frais, puisque vous le détestiez, ne le trouvant pas assez forcené. Sa mort, les ultramontains l’auraient payée à M. Thiers, car en frappant un gallican et un prêtre, elle satisfaisait doublement l’intérêt et la haine de l’Eglise. M. Thiers vous a donné le cadavre sciemment, par un de ces calculs machiavéliques qui lui faisaient croire à son propre génie, quand ils ne demandaient tout au plus que de la simple réflexion ! » Mais, tout en méprisant ces calomnies, on se demande, puisque la mort de l’archevêque devait être si favorable à l’Eglise, pourquoi la Commune a été assez naïve pour lui assurer un tel avantage ?

Voilà quels étaient les raisonnemens des ennemis de M. Thiers. Or, au moment même où, à Paris, on l’accusait d’être barbare à la fois envers Mgr Darboy et Blanqui, d’être inexorable pour la Commune et ses partisans, la droite de l’Assemblée nationale le soupçonnait d’une indulgence coupable envers les insurgés[15]. Le 10 mai, M. Mortimer-Ternaux, un de ses vieux amis, lui reprochait d’avoir promis à Jules Amigues de confier la sûreté de Paris à la Garde nationale seule, de n’inquiéter personne au sujet des faits de rébellion et de vouloir laisser les portes de la capitale ouvertes pendant plusieurs jours pour permettre d’y entrer ou d’en sortir à volonté. « Nous répondons par des faits, avait dit M. Thiers. Quand notre armée ouvre la tranchée à 300 mètres de Paris, cela ne signifie pas que nous ne voulons point y entrer ! » Le lendemain, M. de Belcastel reprenait le même incident et s’attirait cette réponse de M. Dufaure, garde des Sceaux : « La justice fera son devoir en recherchant les coupables et en les punissant tous, quels qu’ils soient. » M. Mortimer-Ternaux revenait à la charge et affirmait que M. Thiers avait promis à M. Emile Fourcand, maire de Bordeaux, de laisser ouvertes toutes les portes de Paris pendant une semaine, excepté pour les assassins des généraux Clément Thomas et Lecomte. Il faut avoir assisté à cette dramatique séance pour se rendre compte de l’indignation aussi vive que légitime de M. Thiers. « En m’affaiblissant, s’écria-t-il, vous vous affaiblissez vous-mêmes ! » Et s’adressant aux imprudens trop pressés qui l’accusaient, il leur jeta cette terrible réplique : « Il leur faut huit jours encore. Au bout de ces huit jours, il n’y aura plus de danger et la lâche sera proportionnée à leur courage et à leur capacité. » Surmontant alors un tumulte inouï, il ajouta : « Il pèse sur ma tête une responsabilité accablante. Je suis obligé d’ordonner des actes terribles. Je les ordonne, parce que j’ai au fond du cœur la conviction que je représente le droit contre le crime… Il faut que ceux qui veulent que j’aie la force de remplir mon devoir, aient le courage de me la donner ! » Après une intervention conciliante de M. Audren de Kerdrel, l’Assemblée manifesta sa pleine confiance dans le chef du pouvoir exécutif par 490 voix, sans la moindre opposition.

Le 22 mai, M. Thiers annonçait à l’Assemblée frémissante l’entrée des troupes à Paris et promettait que justice serait faite par les voies régulières. « C’est par les lois, disait-il, qu’il faut frapper les scélérats, qui ont violé les propriétés, qui n’ont pas épargné la vie des hommes les plus respectables en en faisant des otages et en les menaçant sans cesse, et qui ont fait ce qu’aucun peuple sauvage n’aurait fait : renversé le monument de la Gloire nationale ! » L’Assemblée honora la conduite de M. Thiers en ces momens tragiques par la déclaration solennelle que les Armées de terre et de mer et le chef du pouvoir exécutif avaient bien mérité de la patrie. Le président Jules Grévy fit remarquer et l’unanimité du vote et l’unanimité des sentimens de l’Assemblée. Croit-on que si M. Thiers avait, dans la douloureuse négociation de l’échange des otages, montré la duplicité que certains lui attribuent, tous les représentans se seraient associés dans ce vote, « qui, a-t-il dit lui-même, a été la plus grande récompense qu’il ait reçue de sa vie ? »

Le 24 mai, à la nouvelle des incendies épouvantables de la capitale et des excès atroces de la Commune agonisante, il priait l’Assemblée de conserver son sang-froid et promettait encore une fois de punir les coupables suivant les lois, avec les lois et par les lois. Le 26 mai, dans un émouvant rapport, M. Wallon concluant à la reconstruction de la maison de M. Thiers demandée par le comte Jaubert, Depeyre, le comte de Mornay, Baragnon et de nombreux représentans, disait : « On connaissait la haine des insurgés pour l’homme qui les combattait avec la ferme résolution de les vaincre. La destruction de la Colonne était un attentat à la gloire nationale ; la destruction de la maison de M. Thiers était un outrage à la souveraineté nationale, car c’est comme chef du pouvoir exécutif que M. Thiers était frappé dans sa maison. Ainsi, cette Commune, qui prétendait asseoir le monde sur des bases nouvelles, n’aura fait que renverser. Tel arbre, tel fruit : des doctrines qui ont pour principe premier le néant, ne peuvent aboutir qu’à la destruction. » L’orateur ajoutait que M. Thiers eût été trop heureux « si, au prix de son foyer domestique dévasté, il avait pu payer la rançon de tant d’humbles foyers que la démagogie, en succombant dans Paris, s’est donné la joie infernale de livrer aux flammes, comme pour témoigner à jamais devant le monde qu’elle est l’ennemie mortelle de la civilisation. » La proposition fut votée à l’unanimité par l’Assemblée qui revendiquait cette satisfaction en face de la France, pour sa souveraineté outragée dans la personne de son premier délégué.

Deux jours après on apprit par le général Le Flô, ministre de la Guerre, l’exécution des otages, et ce fut un deuil national. Jusque-là, tout le monde avait cru à la possibilité de leur salut et la veille même, le frère de Mgr Darboy mandait à l’un de ses parens : « Mon frère est délivré. — Officiel. » M. Thiers manda aussitôt aux préfets et à toutes les autorités : « En entrant dans la Roquette, nous avons eu la consolation de sauver 169 otages qui allaient être fusillés. Mais, hélas ! les scélérats, auxquels nous sommes obligés d’arracher Paris incendié et ensanglanté, avaient eu le temps d’en fusiller 64, parmi lesquels nous avons la douleur d’annoncer que se trouvaient l’archevêque de Paris, l’abbé Deguerry, le meilleur des hommes, le président Bonjean et quantité d’hommes de bien et de mérite. Après avoir égorgé ces jours derniers le généreux Chaudey, cœur plein de bonté, républicain invariable, que pouvaient-ils épargner ? »

Le 2 juin, M. Jules Simon s’associait à ces regrets au nom du gouvernement : « L’insurrection de Paris, disait-il, a commencé par un assassinat et s’est terminée par un massacre. Tout le monde ici, en France et en Europe, a présens à la pensée les détails de l’exécution des otages. Les corps ont été recueillis. On va procéder aux obsèques. Le gouvernement aura à vous proposer des mesures pour que la piété publique se manifeste d’une façon solennelle et pour attester à la fois les regrets de la patrie et l’indignation qui remplit tous les cœurs. »

Il n’entre pas dans le cadre de cet article de donner le récit de l’exécution de la Roquette. Qu’il suffise de rappeler que les victimes périrent avec le plus noble, avec le plus grand courage. Mgr Darboy, tombé le dernier, eut encore la force et la générosité de bénir ses bourreaux. « Ah ! tu me donnes ta bénédiction ? dit l’un d’eux. Tiens ! voici la mienne ! » Et il lui tira un coup de feu en pleine poitrine. C’est le jeune Lolive qui s’en est ensuite vanté ainsi : « Il ne voulait pas mourir. Il s’est relevé par trois fois. Je commençais à avoir peur de lui. Je l’ai achevé. C’est la plus belle action qu’un homme puisse faire dans sa vie ! » Un autre, — c’est M. Henri Rochefort qui rapporte ses paroles : « Darboy a reçu douze balles dans le buffet… » [Suit une ignominie de l’assassin que le dégoût m’empêche de reproduire ici.] Mégy, un des mêmes assassins, s’est vanté d’avoir « liquidé l’affaire, » et Vérig, qui a volé les boucles des souliers du prélat, s’étant piqué à l’un des ardillons, a frappé du pied le visage du martyr en criant : « Le c… ! il nous fait du mal, même après sa mort ! » Tels étaient les propos des compagnons et amis de Raoul Rigault, le meurtrier de Chaudey, qui avait répondu à sa victime le priant d’avoir pitié de sa femme et de ses enfans : « Je m’en f… » Peut-on croire, après tant d’atrocités, à ceux qui affirment que la Commune avait laissé le décret des otages en souffrance, désireuse au fond que quelque incident la délivrât du cauchemar d’un massacre possible dans les prisons ? Est-ce qu’au lendemain de ces terribles jours, un manifeste signé par Cournet, Viard, Vaillant, Eudes, Dacosta, Gois, Granger, Varlet, Viard et autres, ne contenait pas cette significative déclaration : « Pour nous, nous revendiquons notre part de responsabilité dans les actes justiciers qui ont frappé les ennemis du peuple, depuis Clément Thomas et Lecomte jusqu’aux dominicains d’Arcueil, depuis Bonjean jusqu’aux gendarmes de la rue Haxo, depuis Darboy jusqu’à Chaudey ? »

En déposant le projet de loi relatif aux obsèques solennelles des otages, Jules Simon disait : « Nous refusions de croire à la réalisation de sauvages menaces ; mais ce que nul n’aurait imaginé, c’est qu’à l’heure suprême on massacrerait les otages sans d’autres motifs que la vengeance, la haine et l’amour du meurtre. » M. Gautherot se demande si la postérité jugera l’excuse suffisante. En quoi le refus de croire à tant d’atrocités et la douloureuse constatation de tant d’infamies ont-ils l’air d’une mauvaise excuse ?… L’Assemblée qui entendait le discours de M. Jules Simon, en a été fort émue et a applaudi unanimement ces belles paroles : « Les corps des chères et déplorables victimes ont été recueillis avec un soin pieux. Quelques-uns, portant encore la trace de l’acharnement inconcevable des bourreaux, ne présentent plus aucune forme humaine et n’ont pu même être reconnus. Nous allons les rendre à la terre au milieu du respect et des larmes universels. » L’Assemblée a décrété hier par un vote unanime qu’elle représenterait le pays à la tête de ce cortège funèbre. Nous lui proposons aujourd’hui de décréter que les obsèques auront lieu aux frais du Trésor public. » Le rapport du comte de Melun constata le légitime hommage rendu aux victimes, et l’acte politique qui flétrissait les bourreaux. Il fit ressortir le grand enseignement qui résultait de ce terrible événement : d’une part, le courage et la résignation d’hommes affaiblis par l’âge et la souffrance qui ne trouvèrent de force que dans leur foi et leur sentiment moral ; d’autre part, les passions sauvages et les instincts féroces d’hommes qui, avec l’oubli de tout principe, avaient le mépris des lois divines et humaines.

M. Thiers s’est expliqué lui-même dans ses Notes et Souvenirs. Voici ses propres déclarations qu’il est utile de reproduire, puisqu’on semble ou les ignorer ou n’en pas tenir compte : « Souvent, on était venu nous proposer d’échanger le fameux Blanqui, légalement détenu dans les prisons de l’Etat, contre quelques-uns des otages, si nous voulions les sauver d’une mort certaine. Cette proposition et cette menace étaient si monstrueuses que je ne pouvais ni accepter l’une, ni croire à l’exécution de l’autre. Un jour cependant, parmi les lettres adressées au gouvernement, il s’en trouva une que Mgr Darboy avait écrite, dans le trouble des plus cruelles angoisses, pour me supplier de consentir à l’échange proposé. Je fus profondément ému, ébranlé par cette lettre. Le Conseil des ministres, auquel je la communiquai, ému comme moi, demeura cependant impassible, « car, disait-il, outre le scandale que soulèverait ce marché, l’admission d’un semblable précédent créerait un danger des plus graves. Si l’on entrait dans cette voie, les forcenés de la Commune porteraient la main sur tout ce qui était resté de plus honorable dans Paris pour en faire l’échange contre les pires malfaiteurs. » Je crus devoir, en cette pénible occurrence, recourir à la Commission des Quinze qui avait été, comme on le sait, instituée par l’Assemblée pour assister, au besoin, le gouvernement dans les affaires de l’insurrection, et je lui demandai son avis, après lui avoir fait un exposé complet de la situation, et lui avoir lu la lettre de l’archevêque de Paris, ainsi que celle des autres infortunés tombés dans les mains des plus implacables sectaires. La Commission fut douloureusement affectée de la lecture de ces lettres, surtout de celle de Mgr Darboy. Néanmoins, à l’unanimité, elle déclara qu’il était impossible d’accepter le marché proposé, et ses raisons furent les mêmes qui avaient déjà décidé le Conseil tout entier. Cette double unanimité mit fin à mon hésitation, mais non à mon anxiété. Je me flattais encore de l’espoir que les geôliers des malheureux otages reculeraient devant l’exécution d’un si grand forfait, ou que, peut-être, nous arriverions assez tôt pour le prévenir. En attendant, je rendis menaces pour menaces, et je déclarai que les têtes des bourreaux répondraient de celles de leurs victimes. On peut comprendre, lorsque de tels gages restaient en de telles mains, l’intérêt douloureux avec lequel j’assistais à la prolongation de cette lutte que je suivais jour par jour… » Et c’est avec une douleur profonde que M. Thiers relate dans ses Souvenirs l’assassinat de Chaudey, de Mgr Darboy, du président Bonjean, de l’abbé Deguerry et des PP. Ducoudray, Clerc, de Bengy, de M. Allard. « Après l’incendie de Paris, le massacre des otages ! La Commune avait tenu parole. »

Le chef du pouvoir exécutif n’a donc encouru aucun reproche[16]. Il a agi d’accord avec le Conseil des ministres et avec la Commission des Quinze, et tous ceux qui ont pris part à ce terrible drame ont pris la même responsabilité. Comme l’a parfaitement établi M. de Marcère, dans la préface même du livre de M. Gautherot : « Pour bien juger cette cause, il faut se mettre en présence de la situation, telle qu’elle était et qu’elle s’imposait à M. Thiers et à nous. L’Assemblée nationale était souveraine : M. Thiers tenait d’elle son pouvoir. Pouvait-il, étant investi d’une autorité suprême, sous le regard de l’ennemi encore présent à nos portes ; l’Assemblée elle-même pouvait-elle incliner son autorité devant des révoltés apparaissant d’ailleurs sous l’aspect des pires scélérats ? Elle et lui enfin pouvaient-ils traiter avec des rebelles ? Sans aucun doute, cette considération pesa dans les résolutions de M. Thiers et du gouvernement au sujet de la perspective d’un échange entre les otages et la personne de Blanqui. On pouvait d’ailleurs concevoir des doutes sur la sincérité et sur l’exécution des promesses faites dans le principe au sujet de l’échange des prisonniers. L’élément relativement modéré qui dominait dans la Commune, lors de l’arrestation de l’archevêque, avait fait place, dès le premier jour, à l’élément le plus violent, décidé à achever l’œuvre de destruction qui rappelle les écroulemens d’Empires et de Cités dont parle la Bible… Il faudrait, pour juger M. Thiers, se replacer dans les circonstances terribles où se trouvait cet homme d’Etat, chargé de responsabilités si lourdes, faisant face à l’ennemi encore sous nos yeux, tenant tête à la révolte ouverte contre la souveraineté nationale dont il était l’organe et le représentant. Ajoutez qu’à ce moment précis M. Thiers devait être sous l’impression de nouvelles peu rassurantes sur les dispositions des plus grandes villes de France. Entre la bonté et le devoir qui se fera juge ? »


C’est le dilemme effrayant qui se pose souvent au chef d’État, quel qu’il soit. Faut-il accomplir strictement un devoir rigoureux, un devoir douloureux, mais qui est le devoir ? Faut-il, au contraire, céder au sentiment le plus juste, le plus naturel, le plus touchant, mais qui est une faiblesse ? Faut-il à l’intérêt particulier, même le plus digne de notre pitié, sacrifier l’intérêt général ?… En des circonstances tragiques, quoi qu’il pût en coûter à son cœur et à ses désirs de générosité et d’humanité vraiment sincères, M. Thiers, d’accord avec ses conseillers, avec les ministres et l’Assemblée, choisit le devoir.


HENRI WELSCHINGER.

  1. Thiers et Mgr Darboy, 1 vol. in-18, Plon, 1910.
  2. Le Nouveau Journal d’un officier d’ordonnance (la Commune), 1 vol. in-12, 1889.
  3. Cf. La Patrie du 2 octobre 1910.
  4. Blanqui écrivit dans sa prison un livre très curieux, l’Éternité des Astres, hypothèse astronomique déduite de la double infinité du monde en durée et en étendue. Le 19 novembre 1872, il passa devant le 4e conseil de guerre à Versailles et fut condamné à la déportation pour provocation à l’émeute et au renversement du gouvernement. Sa santé fort délicate lui valut, au lieu de la déportation, son internement à Clairvaux. En 1878, le parti blanquiste voulut créer sur son nom une agitation électorale et présenta sa candidature à Roanne et à Bordeaux. Il fut élu dans cette dernière ville le 20 avril 1879, mais son élection fut invalidée par la Chambre le 3 juin. Amnistié le 10, il sollicita de nouveau les suffrages des Bordelais, mais cette fois il échoua. Apôtre infatigable des revendications populaires, il alla porter le verbe révolutionnaire à Marseille, à Saint-Étienne, à Nice, à Lyon. Là, en 1880, il se présenta de nouveau aux élections, et ne fut pas élu. Le 20 novembre, il fonda le journal Ni Dieu ni Maître, d’après la devise inventée par lui et qui résume tout le programme de la Révolution nouvelle. Il écrivit un dernier livre sur l’Armée esclave et opprimée, présida en décembre 1880 une réunion socialiste où il fit l’apologie du drapeau rouge et quelques jours après, le 1er janvier 1881, succomba à une attaque foudroyante d’apoplexie. Ses obsèques eurent lieu le 5 janvier et le drapeau rouge suivit le cercueil de celui qui, depuis cinquante ans, était l’agitateur inlassable des masses et incarnait en lui le communisme, la haine du prolétariat contre la bourgeoisie et les plus violentes doctrines révolutionnaires. Un bronze émouvant de Dalou représente sur son tombeau le grand agitateur couché dans le linceul du dernier sommeil.
  5. Une étude anonyme, parue dans le Correspondant des 25 mai et 11 juin 1878, avait déjà donné la même information.
  6. L’archevêque était resté à Paris pendant le siège à son poste où il avait exercé le rôle le plus courageux et le plus charitable.
  7. Voir cette lettre et diverses autres relatives à l’échange de Blanqui dans le n" du 27 avril 1871 du Journal officiel de la République française (journal de la Commune), page 266, dans une Variété intitulée : Une page d’histoire, et signée Maxime Vuillaume.
  8. C’étaient MM. le duc d’Audiffret-Pasquier, Cordier, le duc Decazes, Bérenger, Ancel, Ferdinand de Lasteyrie, l’amiral Jaureguiberry, le général Ducrot, Barthélémy Saint-Hilaire, Gauthier de Rumilly, le vice-amiral La Roncière le Noury, Rameau, Vitet, Delille et le général Martin des Pallières. — Je tiens quelques détails particuliers sur cette grave affaire de ce dernier commissaire qui voulait bien m’honorer de son amitié.
  9. Elle fut rapportée à Paris à la Préfecture de police par l’abbé Bertaux qui recouvra aussitôt sa liberté.
  10. Notes et Souvenirs de M. Thiers, p. 154, 155. — Paris, 1901.
  11. Voyez Journal officiel de la Commune, 27 avril 1871.
  12. Cf. Blanqui et les otages, par B. Flotte, 1885, in-8. Imprimerie Jeannette, Paris. — Après la Commune, Flotte, qui s’était recommandé à la protection de l’abbé Lagarde, partit pour l’Amérique, puis revint plus tard en France et mourut dans le Var où il était né.
  13. L’abbé Bazin échappa à la mort grâce à la résistance des soldats, ses compagnons de geôle, qui firent une barricade à la Roquette et donnèrent aux troupes de Versailles le temps d’arriver à leur secours.
  14. Ce factum écrit le 12 février 1871 était dirigé contre la Défense nationale ; il accusait ce gouvernement de trahison et le dénonçait à la vindicte publique.
  15. M. de Vinols, dans ses Souvenirs, trouve que M. Thiers « met de la faiblesse dans la répression. »
  16. Le cardinal Antonelli, en félicitant le nonce, Mgr Chigi, de s’être associé à ceux qui voulaient sauver les otages, écrivait : « Si le résultat n’a pas été conforme à nos communs désirs, il faut s’en prendre à des circonstances indépendantes de notre volonté ''et à des motifs basés sur un ordre d’idées qu’il faut respecter et qui ont guidé le chef du pouvoir exécutif dans la détermination prise par lui de repousser les propositions des insurgés y avant trait. »