Ma cousine Mandine/25

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Éditions Édouard Garand (p. 44).

XXV


Il ne me reste plus qu’à ajouter que trois mois plus tard, un an après que le deuil de ma cousine fut fini, elle et moi faisions notre entrée dans la jolie petite église de M… accompagnés de l’oncle et la tante Toine, et d’une foule nombreuse de villageois, à la tête desquels on voyait les personnages les plus éminents de l’endroit, — le maire avec tout le conseil, les marguillers, les commissaires d’école et tout ce que M… comptait de marquant. Notre mariage fut béni par le curé lui-même, qui n’avait pas voulu qu’un autre que lui maria son ancienne organiste. L’église était parée comme pour les plus grandes fêtes et le chœur de chant, composé d’« Enfants de Marie », au grand complet, fit entendre des cantiques appropriés.

Après la cérémonie du mariage, mon épouse et moi fûmes conduits à notre nouvelle demeure, qui était parée comme une châsse, et où un grand « festin » réunissait une trentaine de convives gais et joyeux. Les chansons canadiennes et les histoires « drôles » ne manquèrent pas. L’oncle Toine fut admirable d’entrain ; il se montra un hôte si généreux que plusieurs des invités éprouvèrent, après la fête quelques difficultés à retourner dans leur foyer, grâce aux nombreux « p’tits verres » que celui-ci avait fait circuler tout le temps du repas.

La fête finie, et une fois tous les convives partis, nous restâmes seuls, ma femme et moi, avec l’oncle et la tante Toine.

Cette dernière, qui n’avait qu’à grande peine retenu ses larmes durant le repas, donna maintenant libre cours à son attendrissement. Si bien que l’oncle Toine crut devoir couper court aux épanchements de la bonne vieille.

— Crréyon d’bagasse !… dit-il d’un ton moitié rageur et moitié taquin, si on dirait pas qu’t’as tout perdu à c’t’heure !… M’en r’tourne avec toé, s’pas ?… Tu r’viendras la voir, ta fille, tant qu’tu voudras, bagasse !… Et pis, y’a pus rien pour t’inquiéter à c’t’heure. Paul est un homme pour la rendre heureuse, lui ! C’est pas un d’ces becfins qui veulent péter plus haut que…

— Viens t’en, viens t’en ! dit ma tante en le prenant par le bras et le poussant vers la porte. Faut qu’j’aille voir à ma maison qu’j’ai laissée toute à l’envers c’matin ! Allons, bonjour, mes enfants et… v’nez nous voir souvent !

Les deux bons vieillards, après nous avoir embrassés à maintes reprises, montèrent dans la voiture à laquelle était attelée la Grise, toute pomponnée et enrubannée. Ils prirent le chemin de la ferme et disparurent bientôt en haut de la « montée », tandis que celle qui avait été « ma cousine Mandine », et qui était maintenant ma Linette adorée, me tirait doucement par le bras vers l’intérieur de notre demeure, où n’a jamais cessé, depuis, de régner un vrai bonheur, que la Providence, plus tard, a béni et consolidé par l’envoi de deux charmants garçons, Paul et Antoine, qui font la joie et l’orgueil de l’oncle et la tante Toine. Le premier surtout idolâtre nos deux garçons à cause de leur grande vivacité et leur entrain endiablé et parce que comme dit le bon vieux : « Sont comme le père et la mère — d’vrais bons p’tits Canayens ! »



FIN