Ma tactique

La bibliothèque libre.


MA TACTIQUE



Amis, pour embellir le cours
De ma vie entière,
Savez-vous quelle fut toujours
Ma seule manière ?
D’abord, tacticien savant,
J’ai soin de dire, en me levant :
« Chagrins, en arrière !
Plaisirs en avant ! »

Après un bon déjeuné
Affaire première…
Après un succulent dîné,
Suite nécessaire…
Certains minois me captivant,
Le soir, je chante en m’esquivant :
« Comus, en arrière !
Amour, en avant ! »

Toutes les fois que d’un tendron
Je suis la bannière,
Je chante, gardant d’un luron
L’humeur cavalière :
« Fi ! d’un amant toujours rêvant,
Toujours de larmes s’abreuvant !
Romance en arrière !
Chanson en avant ! »


Lorsque ma fauvette en son vol
Un peu journalière,
Après avoir pour moi fui Paul,
Me quitte pour Pierre,
Tout aussi gai qu’auparavant,
Je dis, cédant au gré du vent :
« Regrets en arrière !
Désirs en avant ! »

Qu’un homme dont je fus trahi,
Soit dans la misère,
Mon cœur qui n’a jamais haï,
Prévient sa prière ;
Et du superflu me privant ;
Il me voit bien vite arrivant,
La plainte en arrière,
La bourse en avant.

Accablé de fièvre et d’ennuis
Quand sur la litière,
Au jour, à peine, hélas ! je puis
Ouvrir ma paupière,
« Bacchus, dis-je d’un ton fervent,
Protégera son desservant…
Frayeur en arrière !
Espoir en avant ! »

J’use alors d’un remède sain
Et que, d’ordinaire,
N’ordonne ni le médecin,
Ni l’apothicaire…
C’est de m’écrier en buvant
À verre plein et très-souvent :

« Tisane, en arrière !
Bourgogne, en avant ! »

À force de recommencer,
Quand ma chambrière,
De ce julep vient me verser
La goutte dernière,
Loin de pleurer mon ci-devant,
Gaîment je chante en l’achevant :
« Bourgogne, en arrière !
Champagne ; en avant ! »

Si jusqu’ici du noir trio
La main meurtrière,
N’a pas mis, d’un coup de ciseau,
Fin à ma carrière,
C’est que jusqu’ici le bravant,
J’ai toujours dit en bon vivant :
« Parques, en arrière !
Momus, en avant ! »