Ma tante Geneviève, ou Je l’ai échappé belle/36

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Partie 4, chapitre XXXVI.




CHAPITRE XXXVI.


Je suis délivrée. Je retrouve ma tante.




Mon sort était décidé, et je n’avais plus d’espoir de salut. Un des voleurs venait de renverser l’autre à ses pieds, et me regardant comme le prix de sa victoire et de son sang, car il avait aussi plusieurs blessures, mais peu dangereuses, il avança à moi pour me détacher et me remmener dans le souterrain pour y assouvir sa brutalité…

Déjà, le poignard dans une main, et me tenant, de l’autre, par la corde qui m’avait liée à l’arbre, il me contraignait à le suivre… lorsque des cris perçans et effrayans frappèrent mes oreilles, et nous vîmes soudain devant nous quatre cavaliers de maréchaussée, qui ajustaient le scélérat avec leurs pistolets, en lui ordonnant de s’arrêter.

Il lâcha aussitôt ma corde et s’enfuit à toutes jambes. Les cavaliers le tirèrent ; une de leurs balles l’atteignit et le fit tomber. Ils s’en saisirent ; et pendant cela, ma tante, mon ange tutélaire, qui était accourue derrière eux, car c’était elle dont je venais d’entendre les cris, se précipitait sur moi, et me couvrait de ses baisers et de ses larmes.

Il faut encore expliquer comment elle se trouvait là.

Quand elle s’était vue le matin abandonnée dans l’auberge, par ce misérable suborneur de Lafleur, qu’elle eût appris de l’hôte que cet imposteur et voleur effronté s’était donné à lui pour un marchand qui remmenait son fils à Bruxelles, en la laissant là comme une servante inutile ; qu’il lui avait même vendu le carrosse qui nous avait amenées, et qu’il m’avait emportée toute endormie dans le cabriolet, elle comprit aussitôt toute l’étendue de sa scélératesse et du danger que je courais avec cet infame…

Elle dit donc à l’hôte, que ce marchand supposé lui avait menti sur tous les points, qu’il n’était qu’un valet de monsieur le grand vicaire, à qui le vis-à-vis vendu appartenait, ainsi que les chevaux ; et que moi, au lieu d’être le fils de ce misérable, j’étais sa nièce à elle-même, qu’il enlevait ; et elle l’excita à faire courir après nous.

L’aubergiste courroucé d’avoir ainsi été pris pour dupe, et de se voir compromis pour avoir acheté des effets volés (ce qu’il avait peut-être bien soupçonné d’abord à cause du bon marché qu’on lui en avait sûrement fait, mais ce qu’il ne voulait pas laisser croire), en outre pour avoir favorisé un enlèvement, alla promptement faire sa déclaration au commandant de la maréchaussée de l’endroit, et demanda à faire poursuivre le cabriolet.

La brigade étant commandée et prête à partir, ma tante fit heureusement une réflexion judicieuse : elle imagina que ce fourbe de Lafleur n’avait annoncé qu’il allait à Bruxelles que pour dépayser sur sa route ; qu’en conséquence il fallait prendre le contre-pied… Que de plus, comme il avait voulu déjà me louer une petite chambre à Paris, c’était vraisemblablement de ce côté qu’il aurait tourné. On se décida donc pour suivre ce chemin, et l’aubergiste voulut y aller aussi lui-même pour reconnaître son cabriolet et son homme ; et étant monté à cheval avec les cavaliers, ma tante avait voulu venir en croupe avec lui.

Or, malgré l’avance que ce Lafleur aurait dû avoir sur ses poursuivans, il avait perdu beaucoup de temps par la fausse route et les détours qu’il avait voulu faire pour tromper l’espion ; les voleurs nous ayant ensuite surpris à peu de distance, la brigade avait pu nous rattraper… de plus, le cheval, que les brigands avaient laissé aller avec le cabriolet, s’était arrêté aux environs. L’aubergiste l’ayant reconnu, avait avancé dans la forêt sur la trace du sang de ce Lafleur dont on avait retrouvé le cadavre… D’après cela, avertis par mes premiers cris, au commencement du combat des deux derniers voleurs, ma tante et les cavaliers avaient couru, et étaient enfin arrivés si juste à temps.

Je repris donc bien vîte mes habits, qui étaient à terre ; et les cavaliers, après avoir fait perquisition dans le souterrain, que je leur indiquai, et pris tout ce qu’ils y trouvèrent, ramassèrent et garrottèrent les deux voleurs qui n’étaient que blessés, et le corps mort de Lafleur, pour les ramener à l’endroit où nous avions arrêté la veille. Le brigadier ordonna à l’aubergiste d’atteler son cheval de main à côté de celui de son cabriolet, et de monter dessus ; et nous ayant fait monter, ma tante et moi, dans la voiture, nous repartîmes tous ensemble pour l’auberge, où nous devions rester pour figurer et déposer comme témoins dans le procès criminel qui allait s’instruire.