Ma tante Geneviève, ou Je l’ai échappé belle/41

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(Volume II, tome 4p. 93-100).
Partie 4, chapitre XLI.




CHAPITRE XLI.


Nuit cruelle. Histoire d’un revenant.




Ma tante, réfléchissant sur cette aventure nouvelle, me dit ! « Ma nièce, j’ai déjà fait, comme tu l’as entendu dans le détail de mon histoire, la rencontre d’une diligence qui m’a tirée d’embarras pour le moment ; c’était celle de mon directeur de comédie… mais, hélas ! cette rencontre a été depuis pour moi la source de nouveaux malheurs. J’espère que Dieu permettra que celle-ci nous soit plus avantageuse à toutes les deux ».

Je lui répondis que j’en augurais aussi très-bien moi-même, et nous nous accordâmes à regarder cet événement inattendu comme une faveur du ciel.

Elle commença donc, dès cet instant, à oublier toutes nos disgrâces passées, et à reprendre toute sa gaieté, elle amusa même beaucoup nos voyageurs par le récit du reste de nos aventures, qu’elle acheva pour monsieur Jasmin, et dont elle déguisa adroitement les endroits les plus saugrenus.

Toute la route s’acheva ainsi agréablement, sans aucun accident qu’une aventure dans la dernière auberge où nous couchâmes, qui donna toute la nuit bien de l’inquiétude à ma tante et à moi.

Nous étions retirées après le souper, et couchées toutes deux en un même lit, dans une chambre qui donnait sur un petit jardin de l’hôtellerie. Notre lumière était éteinte, mais nous n’étions pas encore endormies ; nous entendîmes le bruit d’une chaîne qu’on traînait par la chambre…

Aussitôt ma tante, qui avait toujours eu grande peur des revenans, et qui conséquemment me l’avait inspirée à moi-même, s’imagina que c’en était un, et se mit à se serrer contre moi, qui l’embrassai aussi fortement, en frissonnant toutes deux sans oser nous dire un seul mot.

Après quelques allées et venues de cette chaîne, qui faisait tout le tour de notre chambre ? et dont chaque mouvement nous faisait tressaillir, nous n’entendîmes plus rien ; et ce calme même dura assez long-temps pour que ma tante, persuadée que c’était l’effet des prières qu’elle avait récitées et des signes de croix qu’elle avait faits, et qui avaient conjuré et mis en fuite le malin esprit ou le revenant, pût se rendormir…

Elle commençait même à ronfler un peu… Tout-à-coup elle se réveille et me pousse violemment en me disant :

« Eh bien ! qu’est-ce que tu fais donc ? pourquoi m’arraches-tu mon bonnet ? — Moi ? ma tante ? je ne vous touche pas… — Comment, tu ne viens pas de me décoiffer ?… — Eh mais, pas du tout… — Oh mon Dieu ! s’écria-t-elle, miséricorde ! mon bonnet, qui était bien attaché, est pourtant parti, et on m’a arraché la moitié des cheveux avec, encore !… — Cela n’est pas croyable, ma tante ; vous rêviez peut-être. — Comment, je rêvais !… Touche donc, toi-même ».

Effectivement, j’alongeai ma main, et je sentis sa tête nue.

« C’est bien plutôt toi, me dit-elle, qui, en rêvant, me l’auras ôté… — Oh non, ma tante, car je ne dormais pas encore, moi » !…

Dans le même instant on m’arrache le mien, avec les cheveux aussi.

« Oh mais, dis-je, ma tante ! il valait mieux me le demander que de me l’arracher ainsi… — Qu’est-ce que je t’arrache, reprit-elle ? — Eh bien donc, mon bonnet pour mettre à la place du vôtre, apparemment, que vous avez laissé tomber… — Moi ! je n’ai pas remué… tu vois bien que tu rêves toujours… — Mais, non, ma tante ! je ne rêve pas plus que vous, et voilà bien ma tête nue aussi comme la vôtre ».

Elle me tâta à son tour, et me dit :

« Ah ! ma pauvre Suzon ! prions bien le bon Dieu et la bonne sainte Vierge ! cette chambre est ensorcelée. C’est le revenant qui est encore revenu ! »…

Et nous voilà toutes deux à retrembler de plus belle !… Dans ce moment on tire notre couverture par le pied du lit, notre frayeur redouble, et nous invoquons à haute voix tous les saints du paradis.

Au milieu de notre prière, nous entendons la chaîne qui recommence à rouler par la chambre, qui arrive sur notre lit, et passe derrière nos épaules, car nous nous étions relevées sur notre séant dans l’intention de nous mettre à genoux. La peur nous fit retomber de notre long et à plat… et la chaîne faisant encore un tour par-dessus nous, passa à l’entour du cou de ma tante, et s’arrêta, prise sous mon dos par l’autre bout.

La pauvre Geneviève crut que c’était sa dernière heure, et dit son in manus, en me conjurant de lui dire aussi un de profondis ; mais j’en avais aussi besoin qu’elle.

Nous restâmes plusieurs minutes dans cet état d’anéantissement, respirant à peine, et chacune de nous deux croyant l’autre morte, tant l’épouvante nous avait glacées ! »… Enfin, après cet intervalle nous sentîmes un corps tout vêlu, qui, entrant par dessous nos draps, qui avaient d’abord été tout tirés et dérangés, se glissait et s’alongeait entre nous deux.

Oh ! pour le coup, la frayeur nous redonna des forces ; et poussant à-la-fois des cris affreux, nous nous élançâmes toutes les deux hors du lit, en ouvrant les yeux, que la peur nous avait fait tenir bien fermés jusqu’alors.

Nos cris et notre mouvement violent effraya de même l’objet qui nous causait de si cruelles alarmes, car il se sauva en même temps, et nous vîmes quelque chose de gros et de noir, avec une longue queue, qui, sautant de dedans notre lit, traversa la chambre et ressortit par notre fenêtre, qui se trouvait ouverte… ma tante jura que c’était le diable, qu’elle l’avait bien reconnu à sa queue, ferma bien vîte la fenêtre sur lui en faisant encore mille signes de croix ; et se jetant à genoux, en m’y faisant mettre aussi, nous passâmes ainsi tout le reste de la nuit en chemise sur le carreau, à répéter et recommencer les litanies de la vierge, et tout ce que nous savions de prières.

Nous ne fûmes retirées de cette angoisse mortelle que le lendemain de grand matin, quand la fille de l’auberge, venant pour nous éveiller et nous avertir que la diligence allait repartir, nous trouva ainsi nues et à genoux au milieu de la chambre. Nous lui racontâmes l’événement effrayant de notre cruelle nuit, et lui fîmes même voir la chaîne qui était restée sur notre lit. Elle la reconnut, et nous apprit, en se pâmant de rire, que le diable qui nous avait tant lutinées, n’était autre chose qu’un gros singe qui était entré par notre fenêtre, que nous n’avions pas eu l’attention de fermer avant de nous coucher… Que de prières nous avions faites en pure perte, et que d’histoires de revenans et de diables n’ont pas eu de fondement plus véritable que celui-là !