Machiavel commenté par Napoléon Buonaparte/0

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Attribué à , en fait forgerie d'Aimé Guillon
H. Nicole (p. 1-4).
MACHIAVEL
COMMENTÉ
PAR BUONAPARTE.


MANUSCRIT DE BUONAPARTE.


Nocturnà versate manu, versate diurnà.



LE PRINCE,
Par Nicolas Machiavelli, secrétaire et citoyen de Florence[1].




NICOLAS MACHIAVELLI,
Au Magnifique Laurent, fils de Pierre de Medici[2].




Ceux qui veulent obtenir la faveur d’un prince ont coutume de lui présenter les choses qui passent pour lui être les plus agréables, ou dans la jouissance desquelles on sait qu’il se complaît davantage. Les uns lui offrent en conséquence des chevaux ; les autres, des armes ; ceux-ci, des étoffes d’or ; ceux-là, des pierres précieuses ou d’autres objets également dignes de sa grandeur.

Voulant moi-même présenter à Votre Magnificence, quelqu’offrande qui pût lui prouver tout mon dévouement pour elle, je n’ai trouvé parmi les choses que je possède, rien qui me soit plus cher et dont je fasse plus de cas que ma connaissance de la conduite des plus grands hommes d’état qui ayent existé. Je n’ai pu acquérir cette connaissance que par une longue expérience des terribles vicissitudes politiques de notre âge, et par une continuelle lecture des histoires anciennes. Après avoir examiné long-temps les actions de ces hommes-là, et après avoir médité sur elles avec la plus sérieuse, attention, j’ai renfermé le résultat de ce pénible et profond travail en un petit volume ; et c’est ce petit volume que j’envoie à Votre Magnificence.

Quoique cet ouvrage me paraisse indigne de votre grandeur, j’ai néanmoins la confiance que votre bonté lui procurera l’avantage d’un accueil favorable, si vous daignez considérer que je ne pouvais vous faire un don plus précieux que celui d’un livre par lequel vous pourrez comprendre en peu d’heures ce que je n’ai connu et compris qu’en plusieurs années, avec beaucoup de fatigue et de très-grands dangers.

Je n’ai pas rempli cet ouvrage de ces gloses prolixes avec lesquelles on fait parade de science ; je ne l’ai point orné de phrases pompeuses, d’expressions ampoulées, ni de tous ces autres charmes extrinsèques à la matière, par lesquels beaucoup d’auteurs ont coutume de parer ce qu’ils ont à dire[3]. J’ai voulu que mon livre n’eût d’autre parure et d’autre agrément que la vérité des choses et l’importance du sujet.

Je désirerais cependant qu’on ne regardât pas comme une présomption répréhensible dans un homme de condition inférieure et même basse si l’on veut, la hardiesse qu’il a de discourir sur les gouvernements des princes, et de prétendre leur donner des règles. Les peintres chargés de dessiner un paysage, doivent être, à la vérité, sur les montagnes quand ils ont besoin que les vallées se découvrent bien à leurs regards ; mais aussi ce n’est que du fond des vallées qu’ils peuvent bien voir dans tous leurs développements les montagnes et les sites élevés[4]. Il en est de même en politique : si, pour connaître la nature des peuples, il faut être prince ; pour bien connaître celle des principautés, il convient d’être parmi le peuple.

Que Votre Magnificence reçoive ce faible don avec la même intention que j’ai en le lui offrant. Quand elle daignera lire cet ouvrage et le méditer avec soin, elle y reconnaîtra le désir extrême que j’ai de la voir parvenir à cette élévation que lui promettent déjà son destin et ses éminentes qualités. Et si Votre Magnificence daigne ensuite, du haut de sa grandeur, abaisser quelquefois ses regards sur l’humiliation dans laquelle je me trouve, elle comprendra toute l’injustice des rigueurs extrêmes que me fait éprouver sans interruption, la malignité de la fortune.





  1. La présente traduction a été collationnée sur le manuscrit original qui est dans la Bibliothèque Medici-Laurenziana, à Florence. (Note de l’Editeur.).
  2. Neveu du pape Léon X, et père de Catherine de Médicis, qui épousa, en 1533, le Dauphin de France, devenu roi en 1547, sont le nom d’Henri II. (Idem.).
  3. Comme Tacite et Gibbon. Note de Buonaparte. G.
  4. C’est par-là que j’ai commencé, et qu’il faut commencer. On connaît bien mieux le fond des vallées quand on est ensuite au faîte de la montagne. Note de Buonaparte. R. C.