Madagascar (RDDM)/02

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MADAGASCAR

II[1]
L’AME MALGACHE : LA FAMILLE, LES FÊTES ET LES MŒURS

Les diverses races qui occupent aujourd’hui Madagascar, fixées dans des régions dissemblables, possèdent des individualités particularisées[2] ; elles se distinguent les unes des autres par le type, le caractère et des coutumes locales. Mais les nombreuses immigrations jaunes ou noires dont elles proviennent et qui se sont prolongées dans l’île elle-même par des exodes en tous sens, des incursions, des guerres et des conquêtes, les ont fait se pénétrer les unes les autres ; et, habitant toutes ensemble une terre isolée par de vastes mers ou des courans contraires, une grande île qui se partage entre des climats gradués, mais à qui l’ossature montagneuse et le régime des vents assurent une unité assez compacte, elles devaient fatalement acquérir après quelques siècles sous ce ciel indo-africain une âme commune, dont on a souvent parlé sous le nom d’âme malgache. Et il est indiscutable que les Hovas eux-mêmes, qui tranchent le plus dans l’ensemble et sont restés les plus asiatiques, ont fini eux aussi par s’assimiler et s’unifier aux autres dont ils dominent un grand nombre depuis un siècle environ. Non seulement les principales coutumes, mais le fonds moral sont les mêmes de l’Est à l’Ouest. Et s’il n’y a donc pas encore de peuple malgache, il y a une âme malgache : la tendresse la plus caressante pour l’enfant et l’esprit de famille dans une entière liberté de mœurs, le respect des morts et le culte le plus pieux des tombeaux dans une indifférence religieuse absolue, une disposition languissante à la paresse avec un goût vif pour la musique et l’éloquence la caractérisent.


I. — LA DEMEURE

Toujours touchante par sa petitesse, sa nudité et sa position, la case malgache varie non seulement avec la stabilité mais avec la qualité de la fortune. Le Betsimisaraka des lagunes et le Sihanaka des lacs qui s’entretiennent de la pêche se tapissent dans des paillottes à peine plus grandes que des nasses ; le Mahafaly ou le Bara, riche propriétaire de bœufs, se terre dans une sorte de parc ; le Merina, riche propriétaire de riz, habite un logis bien fermé qui présente l’aspect d’un grenier, qu’il soit de bois ou d’argile. Il se manifeste aussi un rapport étroit entre le vêtement et la demeure des peuples sauvages : l’homme abrite sa famille de ce dont il couvre son corps. Comme l’Arabe du désert, enroulé dans sa gandoura de laine, dort sous une tente de laine, comme le Samoyède engoncé de fourrures gîte sous une tente de peaux, le Malgache, lui, vêtu d’étoffes d’écorces battues ou de fibres entrelacées, s’est bâti une maison avec ce que lui offraient de reste les arbres. Les éventails de latanier sur la côte occidentale, les palmes de ravenala et de rafia sur le littoral occidental, assujettis par des gaules, forment le toit ; les lamelles de bambou ou les tiges de roseaux, juxtaposées ou cousues avec des lianes, dressent les cloisons ; à l’intérieur, des nattes tapissent fraîchement les parois et le sol même de la case. La maison malgache primitive est donc sortie de la forêt. Seulement dans l’Emyrne dénudée, l’éloignement des sylves, l’horreur des incendies et la peur du froid ont fait bientôt triompher du bois la brique crue. L’habitat gagna en coloris, s’harmonisant aux tons pourpres du sol ; mais il perdit l’originalité des formes naturelles qui fait aimer la case tressée en feuilles, en joncs, en branches, en paille, présentant suivant les contrées forestières ou riveraines l’aspect de nids, de ruches, de paniers et de verveux.

Avec l’exiguïté, le caractère le plus commun aux cases malgaches est l’orientation du Nord au Sud dans le sens de la longueur. On se demande si c’est la direction de l’alizé qui la détermina ou si elle commémore le point de départ d’une ancienne émigration. Orientée de la sorte dans l’espace par une tradition séculaire, la case s’oriente aussi, pour ainsi dire, dans le temps suivant des lois sacrées : les quatre coins de la salle unique, plus longue que large, désignent les quatre phases mères de la lune, et chaque partie se trouve consacrée à l’un des douze mois. Tel, janvier est là, au coin des ancêtres, avec son horoscope de mois heureux portant un destin princier ; à l’angle Est, à l’endroit où est posé le lit, la tête au Nord, c’est février au destin rouge qui parle de foudre et d’incendie ; mai, magique et propice aux sorciers, est tapi à l’endroit où l’on attache le veau ; juin, au clair destin d’argent, repose sur le mortier à riz et le pilon ; septembre, avec son destin de force indomptable, est couché sur les nattes réservées à la Reine dans toute demeure malgache ; décembre, avec son destin léger et instable, couve la place qui attend les hôtes de moindre importance. Ainsi, tous les mois de la lune, avec leurs présages de prospérité ou de malheur, que leur a assignés l’expérience superstitieuse des ancêtres, entourent allégoriquement la vie de la case, la maintiennent dans une enceinte de mystère, font en quelque sorte de la paillotte familière le sanctuaire enfumé du temps et des saisons.

Cette maison construite sur une rigoureuse règle astronomique mesure les heures du jour. Il est de neuf heures à dix quand l’astre darde ses rayons sur le bord inférieur du toit ; c’est midi quand il est d’aplomb sur le faîtage ; on se sait entre midi et une heure quand il atteint le bas du seuil ; entre une heure et deux quand sa lumière sur le pas de la porte a un pied, deux pieds de longueur ; à trois heures et demie, elle touche le poteau Sud ; à cinq heures et demie, elle arrive à la muraille Est. Pour les peuples nomades accoutumés au plein air, le temps se marque par la progression du soleil dans le ciel et par les ombres des montagnes à la surface des vallées spacieuses. Pour un peuple casanier comme le Malgache, le temps se mesure géométriquement à l’étendue des rayons que la lumière du dehors projette dans l’ombre intérieure de la maison.

Au centre s’implante le poteau sacré qui soutient toute la demeure : « celui qui s’appuie contre lui est né sous une bonne étoile et aura de la chance. » A son pied, le Malgache laboureur pose l’angady, la bêche qui tire de la terre sacrée la nourriture essentielle. Dans de vieilles maisons d’andrianas (nobles), ce poteau, que l’on compare au souverain qui supporte tout le poids du royaume, est entaillé de dessins linéaires qui, sous la patine de la fumée et le frottement huileux des mains, composent des mosaïques de bois verni. La porte unique, l’unique fenêtre, parfois couvertes de rosaces gravées, s’ouvrent toujours à l’Ouest : « Tout doit regarder l’Occident, explique le Sakalave. Le soleil y va, la lune et les étoiles y vont et les hommes ont aussi leur porte de ce côté (la mort). » La maison n’a que peu d’ouvertures : faire beaucoup de fenêtres, c’est permettre à la richesse de s’en aller et au sorcier de lancer à l’intérieur des mauvais sorts. Le jour, la demeure reste obscure, assombrie encore par la fumée de paille et de bois vert qui la remplit. Le Malgache habite une cuisine, sa case est véritablement le foyer. Mais ce n’est pas tant le feu qu’il aime que la fumée intarissable qui se déplace et s’entasse mollement, pique les narines, fait larmoyer les yeux et offusque le cerveau en l’endormant dans une vapeur flottante. Le Malgache, dont on a tant accusé l’amour foncier du vague, hume avec délices la fumée de sa case. En jouant avec elle et avec la flamme, il a appris l’art. L’Antaimoro passe au boucanage les images de caïmans et de scorpions qu’il a entaillées sur un bambou de voyage ; le Tanala, avec un fer rouge, grave sur des gobelets de roseau des palais à étages, des bourjanes à la file et des soldats en marche ; le Belsimisaraka dessine avec des tisons sur ses cuillères et ses plats de bois ; le Sakalave souligne à la flamme les cheveux et les sourcils de ses statuettes ; le Merina zèbre de taches de feu la pourpre de ses poteries rondes. De la fumée le Malgache apprécie surtout ce qu’elle dépose sur chaque chose, le moulal qui veloute de noir le mur de brique ou dore la paille du toit : elle est sacrée comme la patine du temps. Loin de l’enlever, on la montre avec orgueil en témoignage que la famille occupe depuis longtemps la case[3]. Pour caractériser la fidélité ancienne de ses sujets, un souverain les appelle « la vieille suie. » Comme la lumière du soleil fait l’atmosphère commune de la vie extérieure, la fumée fait l’atmosphère familiale de la case. Une loi d’expulsion dit : « S’il vous demande du feu, ne lui en donnez pas. Forcez-le à quitter le village, il ne doit point partager votre fumée. » La fumée est l’encens domestique de cette civilisation de paille et de bois. Elle est le signe du temps. Il semblerait aussi que la flamme, la lumière allumée par les hommes, si précieuse aux âges où ils abordèrent dans l’île, ait été vénérée ou simplement choyée par cette race dans le sentiment plus ou moins conscient de la consomption du temps. Dans ces demeures, le flambeau, remplaçant la pendule, en a pris les formes artistiques analogues à celles que nous admirons en Europe. Il est devenu l’objet luxueux et stylisé de la maison humaine : modeste tabernacle de races plus réalistes que mystiques, elle copie la maison et le tombeau. Si le feu du foyer suffit à éclairer la case, cependant les Merinas se servent aussi de lampes taillées dans une belle pierre rouge : les plus décoratives se composent de piliers ornés de dessins de fleurs, d’oiseaux et de feuillages, qui, s’élevant en trapèze, soutiennent une petite coupe où une mèche brûle dans de la graisse de bœuf, de sorte que le feu y est présenté architecturalement comme sur un autel.

Point de sièges : des nattes doubles et triples, fines, légères, coloriées, recouvrent le sol. Le Malgache vit assis, les mains se fermant sur les genoux rejoints sous le lamba, « en tas. » Même en plein air, adossé au mur de la case ou à, croupetons devant un étalage de fruits, il conserve la position recroquevillée de l’homme qui se chauffe assis devant la flamme. La majorité des Malgaches dorment sur les nattes, la tête sur une pierre, près du foyer. A l’entour, l’instrument d’art, le tambour, creusé dans un tronc, ressemble au mortier de riz fouillé dans un madrier, ustensile de cuisine ; le bambou vidé avec lequel les femmes vont en bande puiser l’eau qui chante à la ravine, est pareil au bambou sonore du violon ou valiha ; les deux tronçons de bois où des pistons grossiers poussent l’air qui attise les forges à minerais se confondent avec les boîtes à miel ; la cuillère à long manche, les fourches à rôtir la viande, l’angady à piocher rappellent, au fond fuligineux de la case, la sagaie et la lance de guerre ; le plat de bois ovale et bombé, le bouclier recouvert de cuir de bœuf. C’est cette parenté logique, cette analogie plastique de tous les objets créés par l’homme pour ses divers usages au milieu de la nature qui constitue la puissante et simple beauté de la vie sauvage, comme la grandeur d’un paysage réside le plus souvent dans l’homogénéité, la répétition, la robuste monotonie des formes de la terre.

De même, ce qui rend la vie sauvage si frappante, si attirante et, pourrait-on dire, convaincante pour le voyageur, c’est le caractère d’unité dans lequel elle se révèle à ses regards. Pour qui accède au village après avoir traversé la confuse forêt ou suivi les tortueux dédales des défilés entre les collines, soudain et dans son ensemble elle se découvre. Il embrasse des yeux toutes les paillottes à la fois. Il y a la ramatoa qui, levant le calaou, va piler le riz au seuil du boucan ; la femme qui est debout devant cette maison dont un homme recoud la toiture, berce légèrement un enfant attaché à ses reins ; sous un manguier, une vieille au métier tisse l’étoffe de paille ; assise contre une cloison de chaume, une mère confectionne sur une tête ébouriffée la patiente coiffure de la jeune fille. Les rizières qui entretiennent l’existence des jeunes et des vieux sont au bas de la colline et le reflet du ciel baigne dans leurs eaux superficielles ; plus loin, des cris d’enfans font découvrir le troupeau de zébus parmi des rochers. Il n’est rien de caché à celui qui croit surprendre : une amphore d’argile rouge qui surgit au-dessus d’une tête brune au détour d’un sentier indique la source commune du village. Ainsi, toute la vie des hommes sur la terre se voit et se dispose clairement comme un paysage : on la comprend rien qu’à regarder et on la vit rien qu’à passer.


II. — LE CULTE DES ENFANS

Dans cette case humble et obscure comme une crèche, l’apparition de l’enfant est une fête de lumière : une semaine avant et après l’accouchement, un feu purificateur brûle nuit et jour près du lit de la mère. La perpétuation de la race est regardée comme le premier devoir et la joie la plus féconde de la vie. Le plus grand malheur dont puisse se plaindre un Malgache est de ne point posséder de fils : aussi ceux qui n’ont pu être pères le deviennent-ils « à la façon des tiges de maïs qui enfantent aux flancs, » c’est-à-dire en adoptant des enfans, ce qui est très fréquent. Une tendresse poétique qui les rend attentifs aux petites choses, aux herbes, aux minimes insectes, leur fait câliner en l’enfant la délicate faiblesse. Soucieux des honneurs funéraires auxquels ils tiennent plus qu’aux satisfactions de l’existence, ils voient dans les rejetons ceux qui seront là pour les ensevelir et veiller sur leurs tombeaux ; et comme ils ont acquis par la religion des ancêtres la conscience de la continuité sacrée de la vie à travers les âges, ils admirent aussi confusément en eux la force, la richesse mystérieuse de l’avenir. « Elle est malheureuse si elle n’a pas d’héritiers, la femme qui a des richesses, dit un proverbe sihanaka ; mais elle est heureuse, la femme pauvre qui a des enfans. » Ce que le Malgache honore avec aménité dans l’enfant, c’est la vie, dont il a, même dans la sordidité, le respect héréditaire le plus profondément pieux et idyllique. Ce respect rituel de la vie fait que la femme enceinte ne doit pas entrer dans une chambre mortuaire sans avoir frappé trois fois à la porte en prononçant tout haut pour chasser le souffle mortel : « Je suis enceinte, ô mort ! » ; qu’on n’enterre pas dans le tombeau des ancêtres, de ceux qui ont vécu, les restes de l’enfant né avant terme ; que pour conduire le défunt au tombeau, on attend quatre heures, l’heure où la vie du soleil baisse ; que, pour retourner un cadavre, on n’ouvre pas la tombe le matin alors que le soleil se lève et que la terre palpite de fécondité ; et qu’après les funérailles, les femmes, ces dépositaires de la vie, ont soin d’aller à la rivière pour se purifier des souillures de la mort.

Quand le Malgache devient père, il fait solennellement annoncer à tous ses parens et à ses amis « qu’il vit à nouveau » et que la « femme est ressuscitée. » Il tue des canards, des dindes, des poules, des porcs, des bœufs pour accueillir par une vaste distribution de viande ceux qui viennent avec une obole d’argent porter leurs félicitations au nouveau-né, et, aussi, pour répondre par un sacrifice de ses biens au présent que lui fait la vie. Des danses, des chants célèbrent, par leurs mouvemens enlacés et indéfiniment prolongés, le cours inépuisable de la nature. Des bombances de bonheur enveloppent d’opulence la venue au monde. Au creux des vallées belsiléos, le long des plaines sakalaves, des salves de fusils propagent au loin l’heureuse nouvelle, chaque détonation s’accompagnant de ce vœu habituel : « Puisse notre nouveau-né devenir un fameux voleur de bœufs ! » Suivant l’augure du mois, du jour, de l’heure où est né l’enfant, il reçoit un nom vil ou gracieux : il sera le petit lourdaud, le chien, la crevette, le mal bâti, le vilain chignon, le cloaque, ou il sera le désiré, la jolie fille, l’herbe odoriférante, la fleur de pêcher, le doux parfum de la forêt. La naissance est un événement, un tel « renouveau » que le père prend le nom de l’enfant comme s’il recommençait une existence. En Emyrne, sept jours après la nativité, s’accomplit la présentation de l’enfant à la lumière : on le tire de la case obscure où ont dormi les ancêtres pour lui en faire effectuer sept fois le tour. Un cortège le suit d’hommes portant une hache, une bêche, un fusil, une sagaie : la hache, afin qu’il soit un bûcheron ; la bêche, un cultivateur assidu ; le fusil, un vaillant soldat ; la sagaie, un prudent voyageur dans la forêt ; le couteau, un excellent boucher. On le promène ensuite sept fois autour du marché afin qu’il sache amasser dans l’avenir profits et richesses. Lorsque c’est une fille, les assistans la suivent avec une quenouille, une navette, une corbeille double, pour qu’elle aime l’ordre et ne perde point ses outils. Sous les yeux européens, ils ne mettent plus guère de croyance dans ces rites, encore que superstitieux, mais c’est toujours avec la même ardeur de gosier qu’ils crient : « Puisses-tu, petite fille, conquérir un beau village (un mari) ! »

La mère porte l’enfant noué dans une étoffe à son dos, ainsi chargée d’une bosse pareille à celle du bœuf malgache. Avec ce fardeau, on la voit piler le riz, s’élevant puis s’abaissant, le berçant au rythme du travail ; on la voit grimper les sentiers, emportant son petit à la façon du lémurien ; on la voit s’avancer sur les routes où elle cueille les fleurs pour en charger les mains du bambino noir. Chez certaines peuplades, elle retourne ses mains afin que, à la hauteur des reins, elles soutiennent les pieds de l’enfant accroché à ses épaules. Comme ainsi elle ne peut le bercer avec des mouvemens de bras, elle le berce d’un chantonnement imperceptible en changeant de pied sur place, dans une oscillation légèrement trépidante. L’enfant grandit ensuite, libre, abandonné, vite initié suivant les régions au travail des rizières, à la conduite des bœufs et des porcs sur les savanes fauves, aux pêches en pirogue, aux incendies de forêts, aux courses de pillage. Fureteurs et sauvages, les adolescens sont instinctivement portés à aimer les jeux guerriers. Au milieu du jour, devant les murs des cases dont midi brûlait la glaise rugueuse, sous des arbres qui ne projetaient qu’une ombre lacérée de traits de feu, nous on avons regardé qui s’amusaient à des danses de bataille venues de chez les Baras : maigres et souples, ils s’enroulaient en cercle, puis se déroulaient en s’espaçant, s’arrêtaient sur des reins cambrés en dardant leur sagaie, reprenaient la marche tournante avec des genoux saccadés, battant sèchement d’une baguette un petit bouclier rond, tandis qu’un tambour de cuir sonnait sa cadence caverneuse contre les parois rouges de la vallée. Mais, de bonne heure, ils se montrent plus musiciens que belliqueux : le plus spontané plaisir de ces petits êtres indépendans est de se grouper pour chanter en plein air. À Tananarive, quand descend le crépuscule, on écoute monter des terrasses distantes, sous les obscurs vergers de manguiers, tout un concert de voix d’enfans, si accordées qu’on les suppose assemblés. Il se prolonge très tard dans la nuit, s’élevant indiscontinu et frileux comme des chants d’oiseaux sous la lune naissante. Lointainement des feux de brousse brillent aux petites portes des cases. Les fumées bleues, après avoir nimbé les maisons, se dissipent dans l’air glacial ; on n’entend plus sur la plaine de l’Emyrne que cette mystérieuse et interminable histoire psalmodiée comme une prière par tout un village d’enfans aux voix de sources. Un soir, au bord du lac Itasy, nous en vîmes qui, tassés l’un près de l’autre autour d’un tombeau, recroquevillés dans leurs lambas pâles, chantèrent jusque fort tard aux étoiles, avec des voix frêles qui s’essayaient à la solitude de la nuit, tandis que le seul bruit de la terre était l’intarissable ruissellement de la rivière Lily où clapotait le trop-plein argenté du lac.

Heureux, l’enfant croît dans l’amour de la famille : l’union familiale chez les Malgaches, les Mérinas surtout, est très resserrée. Il demeurera toute son existence attaché au sol, à la case des ancêtres, à ses parens ; et ainsi l’homme sera toute son existence un enfant parce qu’il reste enfant devant la terre natale, devant les ancêtres, devant son père et sa mère. Une poésie très répandue prédit des malheurs à celui qui quittera son foyer. Un poème merina recueilli par M. Carol consacre ce pieux attachement du fils à la famille :


Que mon père et ma mère soient bénis ! — C’est chez eux que je reviendrai toujours, quand je me déplairai ailleurs. — Quand la tristesse me gagnera, j’irai les visiter. — Ils sont notre orgueil et notre protection, à nous faibles enfans. — Mes amis, quand j’étais loin d’eux, mon pied s’est souvent heurté contre la pierre traitreusement cachée sous l’herbe. Loin du foyer, j’ai connu l’amertume des larmes. — Oh ! ne vous séparez jamais que par contrainte des êtres qui vous sont chers ! — Si vous venez à mourir loin d’eux, qui vous ensevelira ? — Quelle femme vous prêtera ses cheveux pour nouer — en guise de cordes — le lamba funèbre autour de vos reins ? — Et quelles sont les larmes étrangères, qui seront capables de faire fléchir la mort ? — Non, tout sera fini pour vous. — Le chemin rouge gardera les dernières traces de l’enfant disparu.


La plus grande fête malgache est la fête de l’Enfant : c’est la Circoncision, qui, importée par les émigrations sémitiques et adoptée par presque toutes les peuplades, est devenue dans leur génie symboliste la cérémonie où le garçon est solennellement « offert à l’esprit de vie qui règne en ce monde, et en retour on attend de cet esprit qu’il entre en lui pour le fortifier et lui donner la plénitude de la vie[4]. »


III. — L’AMITIE, L’AMOUR, LA BEAUTE, LA VIE DANS LE MENAGE

D’un naturel plutôt défiant, le Malgache, tout en comprenant la nécessité et la beauté de l’amitié, — « ceux qui n’aiment pas de leur vivant ressemblent aux morts et ceux qui sont morts sans avoir fait leurs volontés sont les plus malheureux, » — met d’instinct une certaine hésitation à s’y abandonner. Le Hova, lui, trop maladivement convaincu de la versatilité éternelle des choses et des êtres, redoute de parti pris dans l’amitié l’inconstance : « Ne faites pas de l’amitié, ainsi qu’on fait du savon qu’on aime, mais qu’on laisse partir au courant de l’eau ; faites au contraire pour l’amitié ce qu’on fait pour les jeunes crabes dont on absorbe jusqu’aux pattes. » D’une débilité de tempérament bien malaise qui lui fait fuir la passion et ne chérir que les sentimens d’où naît un langoureux plaisir, il craint l’énervement des caprices : « Ne faites pas de l’amitié un sentiment semblable à celui qu’on a pour une porte : on l’aime bien, mais on la pousse et repousse à tout instant. » Dans une aspiration ingénieuse à confondre son agrément avec son intérêt, il ne désire que la camaraderie durable qui, tranquille et sûre, est une force : « Faites que votre amitié ne ressemble pas aux pierres brisées dont les fragmens ne peuvent plus être réunis ; mais au contraire, faites-la semblable aux fils de soie, qu’il est si facile de renforcer même quand ils menacent de se rompre. » Vis-à-vis l’un de l’autre, les Malgaches seraient plutôt portés à garder une indifférence soupçonneuse. C’est contre cette défiance profonde que les ancêtres voulurent réagir par l’institution rituelle des frères de sang qui sanctionne tout pacte d’amitié d’une sorte de caractère sacré. Et l’on témoigne à l’amitié un respect superstitieux : détruire une toile d’araignée, lien entre deux murs, deux maisons, c’est risquer de perdre la concorde avec ses voisins. Pacifique et musicien, le Malgache sait goûter dans l’amitié l’harmonie, l’accord, pour ainsi dire, choral. « Salut à vous tous, chers amis, — module un chant de fête : — il serait bon de nous réjouir en chœur, surtout de marcher ensemble. Donc, chers amis, marchez devant ! » Fréquemment avons-nous vu les hommes s’avancer sur les routes en se tenant par le petit doigt de la main, signe d’un enchaînement léger mais fidèle. L’amitié met de l’ordre, de la mesure dans la vie, en fait un orchestre de gestes, de mouvemens : il y a des villages betsimisares où les hommes sont si unis entre eux qu’ils partent ensemble au travail, rentrent du repos à la même heure, entreprennent en même temps des voyages, laissant dans les cases les femmes, les enfans et les vieillards. Et l’on sait la solidarité des Antaimoros, systématique jusqu’à l’entêtement.

Plus encore dans l’amour le Malgache garde une extrême défiance, qui vient également de sa croyance, en quelque sorte instinctive, en l’instabilité des choses et l’inconstance des désirs. Pour lui, l’homme est un pauvre enfant faible qui a toujours besoin d’être enveloppé de la protection de ses ancêtres, de l’affection de ses parens, des dorlotemens de la femme. Dans son scepticisme élégiaque, il juge l’homme trop débile pour posséder la faculté de conserver longtemps le même sentiment. De cette incertitude de soi-même, d’une façon câline, l’amant fait l’aveu : « Je ne sais pas, ma chérie. Aujourd’hui, je vous aime bien. — Demain j’aime bien ma famille. Bonsoir. » Il trouve même un charme plus délicat à l’amour, sachant le cœur si fragile : il le limite ainsi à une amitié caressante qui entretient en l’homme un besoin de tendresse mélodieuse, fait flotter dans son âme une musique légère et insaisissable. De la sorte, par goût de la douceur, il s’initie à la discrétion, à la pudeur même. Très sociable et bavard, l’homme apprécie dans le commerce de la femme ce qu’il comporte de galanterie, disons même de marivaudage, un attrait de société. La femme n’est pas l’amante, mais « la sœur » choisie : éloigné d’elle, il la regrette, sans grand élan de passion, avec une mélancolie dolente, le même apitoiement que s’il regrettait sa famille. Comme celle d’un ami, la présence de la femme encourage l’homme au travail : elle absente, il retombe à la paresse : « Ma pirogue est perdue, la sagaie est perdue, je ne sors pas, j’attends ma chère amie. » Aussi bien est-ce parce que l’amour n’est pour lui que de l’amitié, qu’il peut aimer plusieurs femmes en même temps : la polygamie donne au Malgache le plaisir d’entrelacer ses affections comme dans un travail de tressage et de sentir son désir, son caprice balancer musicalement de l’une à l’autre comme dans une danse :


Oalavelo et moi — Lorsque nous étions dans le Nord — Nous avons mangé avec la même cuillère. Nous nous sommes assis sur la même natte. — Nous avons marché l’un à côté de l’autre. — Quoique nous trouvant côte à côte, — Nos pensées étaient différentes. — Je désire être l’amant — Des deux amies. — Si l’aînée part — La cadette me consolera. — L’aînée est sans défaut. — La cadette est attrayante. — Ma belle et moi, — Nous ressemblons aux lianes qui enlacent fortement le nonoka — Et qui ne s’en détachent que si elles sont coupées. — Réveillez-moi quoique je dorme. — Cherchez-moi quoique je sois enfermé. — L’ainée est comme de l’eau qui pénètre à travers les rochers. — La cadette est comme de l’eau qui passe dans la forêt. — L’eau qui pénètre à travers les roches emporte du sable ; — L’eau qui passe dans la forêt emporte des feuilles. — Buvez-les car elles sont toutes deux fraîches. — Ne marchez pas trop vite si vous êtes deux à faire la route. — Marchez vite si vous êtes seul.


Rarement passion, l’amour reste le plus souvent pour le Malgache un amusement voluptueux. Cependant il en sait reconnaître, non sans un certain effroi admiratif, la souveraine force d’emprise : « Les amours qui ont pris racine, dit un proverbe, sont difficiles à arracher. » Une poésie merina qui prélude par cet axiome : « L’amour est comme le riz : où qu’on le sème, il pousse, » berce la légende d’un Roméo et d’une Juliette madécasses s’aimant contre la volonté des parens et prêts à se jeter dans les eaux bleues du lac Itasy :


Celle que j’aime est l’Unique, chante l’amant passionné — La seule qu’on n’abandonne pas. — Il n’est pas deux femmes aimées, — Pas plus qu’il n’en est trois. — Celle qu’on aime est toute seule. — Pour elle seule est tout l’amour. — Je n’ai pas honte de l’appeler, répond l’amante solitaire. — Chaque jour, j’ai le cœur malade… Hélas ! Ramanjeny, — Ramanjeny est là-bas — Et l’amour est dans ma poitrine, — Il est fort comme la mort. — Mon amitié pour mon ami, mon amour ne me quitte pas… C’est un amour solide, Manjeny. — Il ne veut pas partir, Manjeny ; il est comme le plumage du poulet ; on ne s’en sépare qu’à la mort.


Quelque incapable de constance qu’il se soit cru, l’homme est arrivé à éprouver la beauté de l’attachement :


Je suis satisfait, car ce que j’ai planté a réussi, — et puisque j’ai trouvé celle que j’ai cherchée ; — Je ne resterai plus ici, puisque ma bien-aimée est déjà partie. — O ma chérie, deux amours réunis font un grand bonheur. — Notre amour est inséparable, malheur à qui le séparera !


Le Malgache, qui a peur de la solitude, ressent, aussitôt éloigné de son pays et des êtres chers, une satisfaction mélancolique d’enfant à se croire perdu et à se lamenter sur son abandon. A peine séparé de l’amie, son amour chantonne plaintivement, puis s’affole : « Si je ne vois pas sa pommette, je soupire. — Où est donc ma chérie ? si je ne pouvais la voir, je perdrais la tête. » Il ne voit dans la mort que la suprême séparation des amans. « La richesse, l’or, l’argent blanc, dit l’amant à l’amie, moi, je n’aime pas ça ; c’est vous que j’aime. » Le plus original n’est point qu’il le dise, mais qu’il soit sincère : l’amour absorbe sa vie, ses forces, à le laisser dédaigneux du reste.

Le Malgache n’y goûte point seulement le plaisir et sa routine ; il a le sentiment de la beauté et la conscience qu’elle est un don inappréciable. Une légende conte l’aventure d’un petit sauvage de la forêt qui, souffrant d’être disgracié, met le feu à un arbre, boucane les narines de Dieu jusqu’à ce qu’il lui accorde la beauté. En artiste, l’amant sait apprécier la couleur des yeux et du visage aimé, leur étrange harmonie : « Hé ! hé ! qu’il me tarde de voir ta joue rougeâtre et tes yeux bleus ! » — l’originalité de la coiffure en tresses, la fraîcheur des dents blanches, la souplesse de la taille : « elle est une liane qui serpente sur un arbre ; » la richesse élancée des formes : « elle est un jeune lilas touffu et d’aplomb ; » le parfum de la chair : « Comme la fleur qui s’appelle dahlia, ainsi sent bon votre figure. — Une fleur de rose, ainsi votre main. — Donne-la-moi pour que je t’embrasse. » Une poésie tanala analyse l’art avec lequel le Malgache peut jouir, en ses détails les plus subtils, de la grâce féminine.

Il n’admire point la beauté qui fait souffrir et sait critiquer spirituellement la coquetterie : « Si vous allez au loin vers le Nord, vous rencontrerez les trois filles de Takatsara ; elles sont jolies, ces trois filles. Mais pourquoi ne se marient-elles pas ? Il n’y a, sachez-le bien, aucune différence entre la femme laide et la jolie fille qui ne se marie pas. La beauté ne sied qu’aux femmes qui désirent un mari. » Le sentiment que la beauté n’est jamais plus souveraine que lorsqu’elle se réalise dans la joie de l’homme, va jusqu’à se raffiner de convoitise communiste : « Ils étaient tous les deux très beaux et d’une tournure si élégante qu’en les voyant passer chaque fille désirait ce garçon et chaque garçon cette fille. » Mais il a parfois une forte expression morale : « Une jeune femme jolie qui ne respecte pas son mari ne vaut pas une autre qui, déjà mère d’un enfant, n’a que de beaux yeux. »

La beauté féminine, qui chez les peuplades les plus primitives se manifeste et est goûtée uniquement dans le corps, se marque à la figure chez les peuplades les plus civilisées, en même temps qu’elle se différencie de plus en plus de l’apparence masculine. Alors elle s’orne, empruntant parfois la matière de sa parure aux produits locaux, mais non la forme qui semble garder le style de très vieilles coutumes des premières patries. La femme bezanozano est si simple qu’elle porte le même costume rudimentaire, la même coiffure à boucles graisseuses que l’homme : dans un visage ovale, mâle, un peu de la douceur féminine allonge des yeux soumis. Pour susciter le désir au cœur de son maître brutal et batailleur, la femme bara qui a la figure osseuse et bouffie au point qu’on la croirait piquée des guêpes possède un torse lisse où la poitrine s’arrondit avec charme. La Tanala, qui vit généralement nue, revêt de tatouages ses jambes robustes pour séduire le forestier. D’un enduit de kaolin et de safran, l’Antakarana se peint les tempes. Avec ses prunelles grandes ouvertes sous des sourcils arqués d’intelligence, sa face doucement hardie dont l’ossature et les joues s’harmonisent à la carrure et à la plénitude du buste, la Betsileo se contente d’appliquer sur les coques noires de sa chevelure un grand anneau d’argent qui y luit de blancheur comme un croissant de lune. La Betsimisaraka sensuelle enroule son galbe potelé dans des châles de coton aux fleurs éclatantes et couvre d’une capeline surchargée de rubans aux tons acides son minois grêlé et comme marqué de sorcellerie. La femme hova retient l’homme, son ami, artiste et musicien, par sa démarche à la fois droite et langoureuse, par les nuances pâles, — rose turc, mais clair, bleu turquoise, — qu’elle sait choisir en harmonie avec sa peau ambrée, et par l’art voluptueux avec lequel elle drape son élégance flexible dans les étoffes blanches qu’elle préfère à toutes. La Hova est belle quand son visage de Malaise, d’un jaune jaspé de rouge comme la goyave, et chaud comme l’orange, s’offre ovale sous une masse de chevelure sèche et luisante qui se répartit sur les omoplates en deux tresses lourdes à demi dénouées. Sa physionomie est faite de passivité féline et de réticence. Le front est grand, plat, vague ; les sourcils, d’une très fine sensitivité, se froncent sur un regard bridé, aiguisé, qui guette ; les pommettes carrées élargissent la figure épanouie. Tempes, joues et menton sont reposés, indiquent le peuple longtemps dominateur, tranquille, sûr de sa paix, en sorte que la lumière se plaît à en teinter le modelé aux lignes recueillies. Souvent même le visage poli de l’Andriana (noble), pesant de placidité, porté avec dignité sur des épaules sereines, impose un caractère de majesté princière qui se poursuit à la finesse des mains et des pieds. Plus massive, ornée comme une souveraine de boucles, d’anneaux, de bracelets, de chaînes, de verroteries, de porcelaine et de métal, la Sakalave domine la vie avec des yeux contemplatifs et forts où commande plutôt la vigueur de la race africaine. Aussi ardente aux fêtes qu’elle est tenace au labeur, elle emporte le désir de l’homme par une virtuosité de danseuse à se draper.

Mais la plus souple ingéniosité amoureuse de la femme malgache s’exerce assurément dans l’art de sa coiffure : tantôt sculpture quand elle fait de ses cheveux des couronnes de boules rondes en forme de fruits tropicaux, — Baras, Sakalaves, Betsimisarakas, — qui s’harmonisent parfaitement aux courbes accomplies du front, des joues et du menton ; tantôt dentelle, du plus subtil tressage, quand, à la façon de la Hova, elle divise sa chevelure, sur sa tête presque dénudée, en menues nattes fines comme des cordelettes qui vont s’amarrer en chignon court à la nuque, surtout quand, à la manière de la Betsileo, elle superpose une série de coques ouvragées comme de petits paniers ovales qui, s’adaptant au crâne, le recouvrent de toutes parts avec un relief de cabochons. La femme indigène qui, à part la Tanala, d’ailleurs la plus simplement peignée, ne porte pas de chapeau, s’en tresse un avec sa toison touffue, y mettant l’industrie de ses corbeilles et de ses saisies de paille : c’est ainsi qu’il se compte autant de genres de coiffures raffinées dans la Grande Ile que de coiffes en pays bretons. Les races se distinguent excellemment par la coiffure des femmes, encore qu’il n’y en ait pas un seul mode pour celles d’une même peuplade. Ainsi les Sihanakas encadrent leurs visages mobiles et curieux de lémuriens dans des torsades, dans des mèches effilochées ou dans des boucles tombant aux épaules, au caprice de leurs goûts instinctifs. Rien n’était vraiment plus propre à relever d’un travail de finesse les formes lourdes et comme ébauchées du visage malgache que ces modelages, ces dentelleries et ces orfèvreries de la chevelure. Péniblement échafaudée, rarement défaite, la coiffure est l’œuvre d’art, la parure par excellence : preuve d’une industrie et d’une patience qui seront précieuses en ménage, elle est destinée si exactement à l’admiration de l’époux que, quand il meurt, la veuve se dépeigne et porte sa tignasse sauvagement ébouriffée à ses épaules.

Il n’y a guère de place pour les fiançailles dans les coutumes de l’Ile. C’est seulement chez les Tsimihetys, race presque blanche, qu’on trouve une sorte de rite de la pudeur féminine avant l’abandon à l’homme. Après avoir résisté aux tentatives de l’amant, la jeune Tsimihety, jolie fille éveillée aux attaches délicates, prend la fuite, laissant flotter des boucles abondantes et délicatement soignées. Il la poursuit avec un cœur de chasseur voluptueux pour qui la femme est tout le bonheur. Si elle se laisse atteindre, l’union est conclue, libre, sans témoins. Pour consacrer l’entrée en ménage, on ne fait guère de cérémonie : la plupart des Malgaches, tels les Betsileos, dans un tapage de chants et de bourdonnantes musiques, servent aux parens et aux amis des festins qui, parfois, durent jusqu’à huit jours. En général le mariage, pacte léger de formalité, est moins fêté que la naissance, avènement de la vie. Seuls les Hovas, toujours attentifs à décorer l’existence de cérémonies pompeuses où se déploieront étoffes, musiques, chansons et discours, ont tenté de l’illustrer d’un caractère de solennité sociale. Lorsque le jeune homme a résolu de prendre ramatoa, il en demande l’autorisation à ses parens qui, représentans des ancêtres, vont, au jour faste, s’entretenir avec ceux de la jeune fille dans un dîner où ils leur demandent pour leur fils « une femme capable d’être bonne ménagère et de faire souche de beaux enfans. » On fixe le jour des noces. Vers quatre heures, quand le soleil commence à décliner, le garçon, accompagné d’amis revêtus de lambas rouges, pénètre dans la maison de l’adolescente. Avec elle il va occuper l’angle Nord de la pièce, la place d’honneur, tandis que les parens de l’épousée se rangent du côté Est, la mère adossée au poteau central, près du foyer. Le jeune homme parle : « Nous venons, enfans de la même famille, frapper à la porte de la vôtre ; nous venons vous demander de faire souche avec nous, pour multiplier le nombre de nos rejetons. » Le doyen de la famille répond : « Nous vous ouvrons toute grande la porte à laquelle vous avez frappé. » L’aîné des amis du marié en offrant les cadeaux prononce les remerciemens : « Vous avez comblé nos désirs. Nous avions soif, vous nous avez offert de l’eau ; nous avions faim, vous nous avez offert du riz ; nous voulions nous asseoir, vous nous avez offert une pierre ; nous voulions entrer chez vous, vous nous avez ouvert la porte. Si vous nous donniez du linge, de l’argent, des esclaves, le linge finirait par s’user, l’argent par s’épuiser, les esclaves par mourir : le don que vous nous faites, — votre jeune fille, — est plus précieux et plus, durable. » Les parens s’assurent dès lors du droit qu’aura leur enfant de rompre si elle est maltraitée, ou si les conjoints « obéissaient à cet instinct de nature que les hommes se comportent dans la vie comme les anguilles dans l’eau, c’est-à-dire qu’ils aillent butiner à droite et à gauche. » Au repas qui suit, les époux mangent avec des cuillères en corne noire, significative de résistance et de durée, dans des assiettes d’argile dont le symbole est ce vœu : « Puissiez-vous toujours manger les fruits de la terre ! » Par ces incantations à la fois rituelles et familières, symboliques et pratiques, ce peuple sceptique et cérémonieux se prémunit de l’infidélité tout en l’envisageant dès ce jour avec philosophie.

Dans le ménage, excepté chez les Betsileos où, paresseuse, elle ne tisse ni ne laboure, et s’enivre, la femme est bonne ouvrière : les Mahafalys batailleurs, se volant leurs épouses comme leurs bœufs, en prennent plusieurs pour avoir plus d’esclaves laborieuses à leur service. Elles ne mangent pas avec l’homme ; malades, il les tient à l’écart ; mortes, il les enterre loin des enclos réservés aux mâles. Pour réagir contre la dureté d’une telle exclusion, les femmes de Farafangane élisent des femmes-chefs chargées de les défendre : si l’une d’entre elles est outragée, la femme-chef réunit son conseil et demande justice au clan des hommes. La Sakalave jouit presque des mêmes droits que son mari, mais elle paie cet avantage par une somme considérable de travail : c’est elle qui reçoit et ramasse l’argent, règle les dépenses, prépare la nourriture qu’elle sert au maître dans un plat spécial, distribuant les parts à table. Mais quelle que soit son aspiration à une émancipation progressive, voire à l’égalité, la femme malgache s’accommode pacifiquement de la polygamie : cet usage ancestral contre lequel elle ne songe même pas à s’élever, assure une division du travail à laquelle elle trouve toujours quelque bénéfice. Les épouses vivent en excellent accord, les dernières venues se montrant bienveillantes aux premières suivant le conseil du proverbe : « Il n’est pas bien pour une pintade au beau plumage d’abandonner la poule habituée de la maison. » La jalousie n’existe, — et alors féroce, — que contre la dame blanche chez les Betsimisares. Au contraire, elles trouvent dans leur cohabitation le grand attrait du bavardage, essentiel à leur race. Chez les Tsimihetys, les femmes partagent en parfaite harmonie une vie militairement réglée : sur un commandement de l’épouse du chef, elles vont à la fontaine, aux rizières, préparent le repas. Foncièrement, la Malgache est courageuse au travail : elle passe des journées dans l’eau à pêcher, ou, courbée sur la boue des rizières, à piquer le riz ; elle accomplit aussi de longs voyages, équilibrant de ses bras polis sur la tête des fardeaux de bois, de briques, de sacs de riz.

Pourquoi est-ce la femme qui travaille ? Ce n’est point, le plus souvent, comme chez les Marocains, par soumission forcée au mari brutal, mais plutôt peut-être par émulation dans le ménage ; besoin de prouver sa vigueur sans y être obligée, entraînement nerveux et instinctif à supporter après les peines de la maternité celles du ménage : du moins est-ce ce que vous suggère la connaissance de cette gent fanfaronne et exubérante ! Dans le ménage, c’est l’homme qui, avec dédain et spirituelle raillerie, abandonne les travaux à la femme. Supérieur à elle, il est dilettante. « Rares sont les Malgaches qui meurent comme les hannetons, attachés à la même tige d’arbrisseau. » Ayant son lit au-dessus de son poulailler, il invoque pour expliquer son inconstance que, « attirés par la vue des jeunes pintades au joli plumage, les hommes rejettent les vieilles poules habituées à la maison. » En conséquence, il ne s’autorise point à demander la fidélité à sa femme. Ainsi l’époux et l’épouse betsileo ou sakalave, entre tous, rivalisent-ils d’indépendance insouciante : le mariage est une trame de vol galant et de complaisance artiste.

Moins guerrier et plus raffiné de sentiment, plus intelligent aussi de l’économie de sa vie et de son bien, le Merina (Hova) est de tous les Madécasses le plus porté à la monogamie. Attaché à sa terre, à sa famille, à ses ancêtres, il comprend la poésie de l’attachement à l’épouse. Un de ses proverbes dit : « Aime-moi comme la source qui donne peu d’eau à la fois, mais qui en donne beaucoup. » Un autre prescrit : « Faites du mariage ainsi que les poules font de leur plumage qu’elles ne quittent qu’à la mort. » L’homme, dans cette race casanière, tient la femme pour son égale : « Il faut s’abstenir d’orgueil pour que notre chérie puisse nous aimer tendrement. »

On pressent la facilité naturelle avec laquelle s’effectue le divorce chez ces races qui, violentes ou mélancoliques, ne connaissent pas la force durable du sentiment. Quand le mari a décidé de divorcer, il envoie ses parens chez ceux de son associée : alors ils enveloppent de sentences leur décision dans un palabre familial où les comparaisons ingénieuses jouent toujours un rôle diplomatique : « Les époux sont parfois de l’humeur des enfans qui gardent les bœufs : ils peuvent revenir dans les prairies qu’ils ont quittées si celles-ci leur offrent encore quelque attrait : mais s’ils en sont vraiment dégoûtés, ils les abandonnent pour toujours. C’est notre cas… Mais, unis comme nous le sommes, nous ne saurions enjamber les jarres qui sont près de nous pour aller prendre de l’eau dans une jarre plus éloignée. » De part et d’autre on se souhaite bénévolement une heureuse union nouvelle sur cette conclusion philosophique : « On se marie pour pouvoir se séparer et la séparation causée par la mort est vraiment la seule qui mérite des regrets. » Le Betsileo n’a qu’à briser la cruche que la femme a portée en dot : c’est le signe suffisant de la répudiation : il ira boire à une autre l’eau quotidienne. Et l’enfant est répudié avec la mère. Il est un chant betsileo où la femme, si animalement changeante, si incapable d’attachement qu’on l’ait dite, laisse pleurer, outre son désespoir de mère, la douleur de l’épouse légitime délaissée :

Je suis perdue, car il m’a abandonnée — Hier dans l’après-midi. — Laissez-moi rester ici — Parce que vous avez de moi un enfant. — Je ne me plaindrai pas quoique vous me fassiez jeter les eaux sales, — Quoique je doive balayer les cendres. — Nous avons la jarre à emporter, — Les nattes propres sont dans la cour. — Mets-toi sur mon dos, ma petite Kala, — car il ne nous aime plus. — Vous et votre femme, vous coucherez sur le lit, — Mon enfant et moi, nous coucherons par terre. — Vous et votre femme, vous tirerez le riz de la marmite et le mettrez dans les plats, — Kala viendra manger chez vous. L’enfant qui a encore sa mère — Ressemble au riz blanc apporté dans la maison : — Il se met à la place d’honneur — Et s’assoit près du lit. — L’enfant qui n’a pas sa mère — Ressemble aux pailles à brûler apportées dans la maison : — On les met dans le coin, — On les jette dans l’âtre. — Si on tire le riz de la marmite, — L’enfant qui a sa mère reçoit trois grandes cuillerées ; — Mais l’enfant qui n’a pas sa mère — Reçoit une grande cuillerée y compris l’eau et lorsqu’il boit l’eau qui est dans son riz, — Il lui reste une seule cuillerée. — L’enfant qui a sa mère, — S’il est malade, ne fût-ce que d’un léger mal de tête, — Ne sort de la maison qu’après avoir pris un médicament ; — Au contraire, l’enfant qui n’a pas sa mère, — quoiqu’il vomisse fortement, — Est tenu de chercher du bois de chauffage, — et doit piler du riz. — La douleur n’a plus qu’à se taire ; — Les réponses vagues font désespérer.

De son côté, quelque blasé qu’il se montre sur la faiblesse de la femme que, enfant lui-même, il regarde comme un enfant encore plus volage et irresponsable, le mari malgache n’accepte pas toujours l’adultère avec l’insouciance habituelle. Non seulement celui qui est vindicatif, comme l’Antaimoro autrefois musulman, tue avec l’amant l’épouse complice, mais le Tanala, encor que résigné, souffre une longue tristesse aussi touchante à s’exprimer que celle de l’épouse répudiée :

Rakoto est grand et ses bras sont forts. Il part, l’angady en main, avant le lever du jour et ne rentre que la nuit tombée. — Rakoto aime la belle Razafy. — Que la tempête fasse gémir la forêt ou que les torrens débordés roulent des eaux boueuses, Rakoto creuse le sol pour y chercher de l’or. — Rakoto aime la belle Razafy. — Razafy porte le lamba betsileo et ses sobikas sont rondes comme ses seins. — Des bijoux de l’Est ornent son cou. — Sa case est grande et pleine d’amoureux. — Rakoto aime la belle Razafy. — Rakoto est las de déchirer le sol. Son bras s’est affaibli et ses jambes fléchissent. L’amour de Razafy le récompensera. — Rakoto aime la belle Razafy. — Razafy est étendue sur sa couche et Ranaivo l’entoure de ses bras. La pluie tombe, la nuit s’approche et Rakoto s’éloigne tristement. — Rakoto aime la belle Razafy.

L’Européen est porté à juger des sentimens malgaches par ce qu’il en voit se manifester négativement devant lui ; mais, à notre contact, le fond de la race, déjà si trouble par tant d’instabilité ethnique et politique, se trouble encore, et l’on ne discerne plus la souffrance chez ces gens pour qui la dissimulation est une nécessité cérémonieuse. Les Malgaches affectent plus d’indifférence qu’ils n’en éprouvent, et c’est surtout l’anarchie politique où ils vivent qui a déterminé l’anarchie de leurs mœurs : on sent qu’elle n’est point propre à la race, quand on observe leur silence, et surtout qu’on écoute leur poésie, car chez eux le naturel ne se trahit que dans l’artificiel de la littérature. Ils commencent à rechigner, de plus en plus, à en vouloir à l’étranger qui les trompe ; ils en voudront ensuite à leurs congénères.


IV. — LE SENTIMENT DU BONHEUR ; LES FÊTES ET LA DANS

L’humeur du Malgache est instable. Il flotte entre l’irritation et l’indifférence comme entre la gourmandise et la sobriété. Le Malgache aime à se croire gourmand ; il use de proverbes gloutons : « Le ventre est un tambour : c’est celui qui est bien tendu qui résonne. — Ventre plein n’a pas de regrets. — Ne ressemblez pas aux ciseaux qui ont une bouche, mais pas de ventre à remplir. » Il exagère à plaisir dans des contes tels que celui de Fara la Molle et de Koto le Ventru les délices de la digestion dans la vie des êtres, mais il est d’une très grande sobriété : une blanche écuelle de riz, quelques tronçons de manioc bouilli, des cannes à sucre aqueuses, la pulpe de quelques fruits suffisent à le nourrir. Or, une fois piqué, le riz pousse sans qu’on ait à s’en soucier ; on n’a qu’à fouiller un peu le sol pour récolter, gonflées de sève, les racines qu’a multipliées une seule tige de manioc ; autour de la case, des jardins de bananiers laissent pendre à hauteur d’homme, d’entre les palmes prolifiques, des régimes lourds où les fruits étages jaunissent avec les jours. La flamme du foyer grille la chair fine des marakelys des lacs ; sa fumée boucane les anguilles pochées dans les rivières. L’arbre de la forêt, qui n’a pas de fruits comestibles, porte au creux de ses branches mortes des ruches de miel aromatique. Puisque peu d’efforts assurent la subsistance, quelle devient l’utilité d’un travail continu ? Le Malgache n’a pas la répulsion pour ainsi dire physique de l’effort, car il saura accomplir au besoin et sans en avoir conscience des prodiges de labeur ; encore faut-il que ce soit d’une immédiate nécessité. Il comprend fort bien qu’on doive travailler à certains momens plus qu’à d’autres parce que la nature agit ainsi, mais il n’accepte pas la servitude volontaire d’une besogne régulière. Le Malgache a une notion trop foncière de la légèreté de la vie pour vouloir la surcharger du poids de la tâche fatigante. A peine drapé dans un lamba qui flotte, l’esprit vide de soucis absorbans, le cœur exempt de passions tenaces, il aime à s’éprouver essentiellement libre, maître de ses fantaisies, goûtant l’existence en artiste au lieu de la subir comme une condamnation. Il n’est pas indispensable de se donner du mal pour avoir le bonheur : au contraire, car ce qui constitue le bonheur, c’est précisément le repos, l’immobilité, le « petraka, » le doux abandon au temps qui passe. « Reposons-nous, — dit le proverbe, — le temps ne nous manque pas, » conception d’un peuple qui est particulièrement fataliste par alanguissement. La conscience du temps, de son empire, de son éternité, a frappé ces êtres d’une sorte d’impuissance au travail. Aussi ce sentiment de défiance, que nous avons constaté envers l’amitié et l’amour, le Malgache l’éprouve-t-il, d’une façon générale, envers les charges de la vie de société, en laquelle il ne croit pas assez pour lui accorder le crédit d’une longue série d’efforts. Il est inutile d’en faire, car tout ce qui est pris de force est dangereux et se tourne en malheur. Avec la vie il faut être soumis et adroit, ne pas vouloir agir en maître, mais l’aimer en ami, d’une amitié légère à porter, qui traîne en patience et en insouciance. N’étant point fait de travail, le bonheur n’est pas l’œuvre de l’homme, mais le lent tissage de la vie sur le métier du temps qui est bien pour eux comme une rabane que les femmes déroulent mollement : « Puissent nos jours ressembler à un beau tissu d’argent et de soie ! » formule un vœu betsileo.

L’indolente joie de vivre se célèbre fréquemment, à tout propos : la moindre réunion divague bientôt en fête ; les oisifs sont innombrables, toujours prêts à rallier aux premiers grincemens du violon de bambou, aux battemens du tambour. L’idée de rassemblement pour le Madécasse se confond étroitement avec celle d’amusement : il n’y a pas de réunion triste ; la joie est l’exhalaison et comme l’odeur même, grossière et alcoolique, des groupemens toujours tumultueux, bavards et débraillés. C’est ainsi que l’enterrement ne se distingue pas d’une naissance, le mariage d’un retournement-de-cadavre : les mêmes bourdonnemens de musique font tourner les mêmes rondes qu’enlacent les mêmes guirlandes de chansons nasillardes. Toujours, une joie plus forte que les circonstances, presque démente, consacre le plaisir que les hommes éprouvent à se sentir soudain les uns près des autres sur la terre où ils ont le frisson frileux d’être égarés les uns loin des autres. Une fois réunis, ils ont tant de peine à se séparer que les réjouissances durent parfois plus d’une semaine. Dans l’enveloppement des fêtes se rythment les jeux significatifs des énergies des races : les Baras, guerriers des déserts épineux du Sud, scandent des danses militaires au claquement des sagaies frappées au bouclier. Souples grimpeurs des bois, les Tanalas se défient à des exercices d’adresse dans des combats simulés où le village se divise en deux camps. Chez les Sakalaves, le délire des foules ne peut qu’exaspérer leur plus puissant instinct, celui de la bataille, et ils mesurent leur arrogante vaillance en des pugilats, morengy, autour desquels un public passionné compte les coups de poing sonores avec des exclamations. Habiles voleurs de taureaux dans les plaines, ils excitent jusqu’à la fureur, poursuivent, provoquent le bœuf gras qu’on immole dans toute assemblée sur la terre rouge des Ancêtres.

Mais l’attraction la plus générale, le plaisir où Belsimisarakas, Sakalaves, Bezanozanos, Betsileos, Antaimoros, Hovas, aiment à se trouver une âme commune, est la pacifique danse. Elle semble avoir dû être au début le privilège esthétique des femmes, car chez les Tanalas, race turbulente, encore sauvage, seules elles ont le droit d’accomplir leur danse langoureuse : une gracieuse oscillation du corps et des bras la balance, puis elle palpite à la façon d’un vol de papangue royal par les saccades convulsives des mains étendues, à la fois lâches et poignantes. Chez les Betsileos aussi, seules, les femmes sont déléguées à exécuter, parées de bijoux d’argent, la salamanga, danse mystique qui sollicite des esprits fiévreux de la saison des pluies la guérisoii des affections. Chez les Sakalaves, les hommes dansent, mais en ne se mêlant jamais aux femmes : si, dans une sorte de quadrille, il arrive qu’ils leur font vis-à-vis, ils ne doivent pas les toucher et ils ne peuvent se relier à elles que par un mouchoir. La danse malgache diffère de la bamboula africaine, contorsionnée, sensuelle et obscène, en ce qu’elle demeure très décente. Aussi bien représente-t-elle un plaisir d’art supérieur. Comme les pantomimes cambodgiennes et javanaises, elle est avant tout sculpturale, elle est une sculpture qui s’anime. La femme n’entraîne pas en ses évolutions, ainsi que dans les valses européennes, le poids d’un homme attaché à sa taille : elle est seule, détachée, sa stature jaillit et se moule librement dans l’air : le lamba retroussé à la poitrine laisse toute leur aisance aux bras qui ondulent dans un modelé mobile et aux mains qui jouent, théâtralement, miment avec une énergie subtile, exprimant de façon pressante la réalité dans le mystère qui maintient la bouche close, mordue. Elle ne tourne, ni ne bondit, ni ne court, elle glisse à petits pas très plats ; on voit à peine bouger le bas du corps ; imperceptiblement les hanches vibrent sous un torse impeccablement droit. Les paupières longuement baissées au bord des tempes où des anneaux de chevelure s’enroulent en serpens, les lèvres fermées sur un sourire aigu qui survit à l’effacement du regard, les joues comme endormies de calme dans l’ovale du visage stable, imposent un solennel caractère de recueillement. C’est une statue qui se déplace insensiblement, poussée scéniquement, à petits coups très doux, par la cadence d’une musique basse et saccadée. Les bras étendus horizontalement, marquant la mesure, s’élèvent et fléchissent ensemble,… séparément,… parfois suspendus dans un geste souverain qui, commandant alors tout l’orchestre, intercale une pause émouvante dans la représentation. Spectacle de beauté qu’ordonna l’homme instinctivement soucieux de pénétrer de mystère son amour. Isolant de lui la femme, il la dresse en face de ses yeux, il la regarde s’avancer lente et fatidique devant son désir, il voit son corps s’immobiliser sous une trépidation des bras qui la maintient, dirait-on, planante au-dessus de la terre. Par la danse, il réalise l’art d’adorer en la femme, compagne familière, un être lointain, une statue étrangère divinement fixée en attitudes sacrées, une idole impérieuse et muette, ne parlant que par les inflexions des hanches, les convulsions des mains magiques. Car, toute l’émotion secrète dont la musique et l’extase de l’homme emplissent alors la femme, ne se laisse anxieusement deviner que par le jeu des mains aux doigts serrés, tantôt présentées de face et ouvertes comme un livre, tantôt de profil et repliées comme une aile. Nerveuses, petites et fines, — mains qui tressent les nattes, tissent les dentelles, godronnent les chevelures, — elles se brisent pour se relever, se brisent pour se cambrer, au point qu’on croit entendre claquer, comme des castagnettes, poignets et phalanges, pour vibrer, papilloter frénétiquement, jetant par spasmes leurs sortilèges de fluide amoureux aux cerveaux malgaches si aisément hypnotisables. Évidemment, pour quiconque les a vues exécutées par les anciennes danseuses de la Reine dans la ville sainte d’Ambohimanga du Nord, au préau du Rova, sur le sol battu à l’ombre sacrée des aviavys, ces danses sont d’origine asiatique, et elles ne correspondent plus à la mentalité actuelle, plus fruste, du Malgache ; mais il reste dans sa torpeur d’esclave assez nerveusement raffiné pour y goûter l’art sans prurit de sensualité. Ayant perdu la religiosité des ancêtres, il laisse dans la danse la femme loin de lui pour qu’elle continue à allégoriser et à fixer un peu de sa religion ancienne, de son désir timide de la vie, de ses émois troubles et peureux devant le passé et l’avenir.


V. — LA POÉSIE ET LA MUSIQUE

C’est dans les fêtes que, sur la sourdine des instrumens de musique, le bavardage conteur du Malgache se module en chanson. « Il y a, — écrit M. Gautier, directeur de l’Enseignement à Madagascar, qui s’est trouvé y être un peu le conservateur des Beaux-Arts, — des chansons charmantes à écouter. Les indigènes ont un instinct très sûr de la technique chorale ; les voix sont agréables et se marient bien ; les airs sont jolis, simples et déconcertans, car les intervalles musicaux ne sont pas les mêmes que les nôtres. C’est l’air qui fait la chanson. » Les sujets des romances importent peu, car tout est bon à être mis en mélopée : le proverbe léger qui traverse l’esprit, une observation malicieuse inspirée par l’attitude d’un spectateur ou le passage d’un animal, des mots sur la blancheur du clair de lune indéfiniment répétés, des notations sur « l’eau claire et bleue de la forêt, » un souvenir incertain qui soulève mollement le cœur, un désir vague comme un soupir… mille impromptus. Le chanteur, la chanteuse chez les Sakalaves, improvise : un refrain repris en chœur par l’auditoire lui donne le temps de préparer le couplet suivant. Les motifs préférés de la sensibilité madécasse, ce sont des thèmes élégiaques, tout le cycle plaintif des séparations : l’enfant séparé de ses parens, l’homme séparé de son pays, l’amoureux séparé de l’amie, l’amie regrettant l’absence de l’amant. Les Malgaches organisent de grandes fêtes pour y prendre le plaisir enivrant d’entendre des airs tristes. Conformée pour les interminables récitatifs qu’on débite presque sans respirer, la voix malgache est grêle et aigrelette : elle est dénuée des notes profondes qui montent de la poitrine ; tirée avec effort du fond du gosier, elle devient argentine aux narines, s’amenuise aux dents fines ; c’est une voix, pour ainsi dire, de derrière la tête, qui, mince à se briser sans jamais défaillir, donne l’impression de venir de très loin, flûtée dans l’éloignement, perdue, désolée dans l’espace et timbrée de nostalgie. Aussi bien ce qui fait aimer le chant au Malgache, c’est qu’il lui donne l’exquis et long frisson de son insignifiance terrestre. En chantant, il aime à faire pitié, au monde et à lui-même, à implorer une vague et sublime protection sur son infirmité. Par le chant, il se rabougrit et se cache, il devient une petite, très petite chose :


Je suis une fourmi enlevée sur le fagot,
Le soir vient, elle est là sur l’âtre des hommes.
Elle se distrait toute seule, elle n’a personne avec qui causer,
Pas d’ami avec qui bavarder.
Je suis un brin d’herbe sur le plateau,
Tout seul là-haut dans le brouillard :
Sans voisin contre qui s’appuyer :
Un enfant qui passe l’emporte entre ses dents.


Ce qui, outre le rythme et la câlinerie des mots, donne à la poésie madécasse une très savoureuse originalité enfantine, c’est l’abondance d’images ingénieuses et fraîches. Ainsi que l’a remarqué M. Gautier plus particulièrement des Sakalaves, « ils ont gardé de toutes les formes de civilisations que les différentes immigrations leur ont fait traverser… les images de tout, des formules poétiques. » Il en résulte une incomparable luxuriance : si dans les catalogues qu’ont dressés les grammairiens nous en relevons qui se rattachent à l’imagination malaise, — ciel : toit de Dieu ; voie lactée : liane céleste ; soleil : œil du jour ; trombe : la queue du ciel ; nouer des relations : tresser l’entente ; doigts : les rameaux de la main ; faire des châteaux en Espagne : compter les feuilles des arbres ; — d’autres trahissent l’inspiration arabe : arc-en-ciel : cimeterre de Dieu ; prunelle : prince de l’œil ; canines : princesses des dents ; canif : lieutenant du couteau ; — beaucoup sont d’ancestration indienne : enfant chéri : graisse de ma vie ; colline : enfant de montagne ; fiancée : qui sent l’époux. Enfin un grand nombre s’apparentent au génie réaliste et malicieux des races africaines venues du sud du continent ; et l’observation des animaux dans le folk-lore malgache rappelle sournoisement celle des Bantous. De cette collaboration il résulte que le seul langage ordinaire, chez ces gens tenus pour inférieurs, est une poésie parlée, où jaillissent de toutes parts les métaphores tendres ou vives. Sans nul doute, cela indique moins une généreuse richesse d’âme qu’une jolie sensibilité superficielle qui ne garde de tout que les reflets entremêlés. Mais dans la perpétuelle paresse où elle vit, cette âme se fixe, s’approfondit, la poésie qui l’effleure y pénètre et s’y incorpore ; il se constitue un fonds imaginatif d’une incomparable ressource dont un beau génie insulindien pourrait un jour profiter.

Aux intonations particulièrement veloutées et enveloppantes de la langue correspond dans l’esprit malgache l’incapacité de dire les choses d’une façon nette et directe. On a vu qu’ils désignent les objets, non par un mot, mais par une périphrase ; de même, ils émettent leur pensée non en l’affirmant dans une formule claire, mais en la sous-entendant. Ils procèdent par allusions, par comparaisons, ils parlent naturellement et quotidiennement par proverbes. C’est par des observations faites d’un œil curieux et malin sur les végétaux, les animaux, les objets usuels, qu’ils expriment des pensées morales s’appliquant aux hommes. Ainsi ils ne disent pas : « Soyez solidaires, » mais : « Un doigt ne suffit pas pour tuer un pou. » Ils ne disent pas : « L’union fait la force, » mais : « Quand les pintades sont en nombre, les chiens ne les mettent pas en déroute. » Ils ne disent pas non plus : « Ayez de la reconnaissance, » mais : « Ne repoussez pas du pied la pirogue sur laquelle vous avez passé l’eau. » Ils ne songeraient pas à conseiller la pudeur, mais ils reconnaissent qu’ « il n’est pas décent d’imiter la grande cruche à eau, dont la tête seule est recouverte, alors que tout le reste du corps est à nu. » Ils ne se sont peut-être pas formulé la philosophie qu’on n’est jamais sûr de rien, mais ils s’avertissent que « les anguilles ne se sont jamais doutées que c’est dans l’eau qu’on les ferait cuire. » Il y a longtemps que pour se méfier des paroles habiles qui ont toujours une mystérieuse intention, ils se sont aperçus que « l’on voit comme le chien s’assoit, on ne sait pas comment il met sa queue. » Ils mettent de la politesse à appeler le bavard « celui qui est comme le coq qui chante même la nuit, » le pique-assiettes « celui qui s’avance comme une pirogue abandonnée. » Il faut voir là une façon douce ou plaisante, courtoise, pour cette race délicate par indolence et aussi par scepticisme, d’indiquer ce qu’elle croit être la vérité. Elle aime mieux faire dire par la nature à l’homme ce que lui-même n’ose déclarer directement à son prochain : rouerie de peuples qui se plaisent à rire et qui, asservis et perfides, se méfient de la vengeance. Entre les danses, après les chansons, nous avons vu dans les fêtes un jeune homme aux belles épaules, dignement drapé dans un lamba, s’avancer au milieu des groupes. La tête haute, souple à se retourner à droite et à gauche, il étourdit l’assistance par une vertigineuse harangue qu’il scande de gestes diserts et fanfarons et dont des violons cachés soulignent certaines phrases plus hautement accentuées. La prolixité du diseur, sa volubilité, la verve de ses attitudes théâtrales, réjouissent la foule : caricature musicale que le Hova fait lui-même de son éloquence[5] facile, de sa puérilité à se griser du charme sonore et langoureux des mots, de la résonance du raisonnement humain.

Leur goût du babillage et de la fainéantise prélassée, de la légèreté et du vague, de ce qui est suspendu et de ce qui flotte, la versatilité de leur âme et leur indécision trouvent la jouissance suprême dans la musique qui enveloppe tous les plaisirs malgaches. Le Tanala tire de sa flûte de bambou un glougloutement doux, d’une modulation très finement déchirante. Le Sakalave appuie contre sa poitrine la calebasse creuse de sa lokanga, y fait trembler les cordes qui relient les deux extrémités d’une tige arquée et s’engourdit dans une évaporation de sons lents et gris. Assis dans son lamba blanc, sous le grand chapeau de paille jaunie à la fumée, les moustaches tombantes à la mongole, le Merina égratigne de l’ongle les cordes de bois surélevées le long du calumet de bambou de la valiha et les paupières baissées, égrène des harmonies perlées et sautillantes. Trop légères sont les notes : elles oppressent le cœur par leur inconsistante fugacité ; trop lent, le débit des sons trop menus : il vous endort bientôt dans une mélancolie dissolvante semblable à celle qu’on éprouve à voir s’écouler le sable d’une clepsydre… une tristesse du temps. « Les plus indifférens, a écrit M. Carol, se laissent prendre au charme de cette musique ineffablement triste qui se lamente sur le mode mineur… » Résonance de fibres de bois ou de parois de calebasses, la musique malgache est naturellement mate et sourde, chaque note pour ainsi dire s’étouffe sous une pédale qui la maintient très basse ; en outre, jouée par des hommes assis, elle a quelque chose de recroquevillé qui se replie sur soi, elle ne s’élance pas en hauteur, elle ne se propage pas en largeur, elle tourne sans cesse sur elle-même, elle enveloppe le joueur comme le bourdonnement des abeilles enveloppe la ruche, comme la fumée enveloppe le foyer.

Cependant, très sociable, le Malgache n’aime pas la musique solitaire. Il chérit au contraire cet art parce qu’il rapproche merveilleusement les êtres en établissant entre eux un improvisé, un insaisissable, mais pressant langage d’amitié, en répandant comme une atmosphère de charme où les âmes communiquent sans effort, se donnent l’une à l’autre sans défiance. « Des célèbres chanteurs et artistes musiciens, — annonce une affiche populaire que nous avons copiée à Tananarive, — sont prêts à faire de doux et mélodieux airs de rêverie et à entonner des chants vibrans sous l’influence desquels rien qu’en se regardant on peut causer et se comprendre par la pensée. » Naturellement la musique parvint à ses formes les plus sociales, le chœur et l’orchestre. Rien n’attire plus le Malgache que les concerts. Cédant peut-être à quelque goût ancestral polynésien, les Hovas ont, à Tananarive, construit une île dans le lac Anosy, où ils se réunissent à la seule fin d’en entendre : ils y goûtent l’agrément délicat de chanter sous les arbres voûtés, d’être groupés en foule de lambas clairs sur un îlot isolé au milieu des eaux planes d’un lac où les reflets du ciel nuancé accordent leurs pâleurs :


Hélas ! Regardez un peu : — Est-ce que vous voyez ceux qui s’appellent — à Anosy entourée des eaux, — décorée par des arbres ombrageant le cœur qui peut soupirer ? — A qui est donc cette voix ressemblant à la voix des oiseaux, surprenant le cœur des amoureux au pied de cet arbre ?


Sédentaire, le Malgache voue à la musique une reconnaissante admiration de ce qu’elle berce la paresse, et, pour employer le mot vague par lequel cette race crédule aux sorciers se définit à elle même de façon précise son pouvoir, elle « charme » : « On entendra, — dit une autre affiche, — de belles poésies pour les jeunes gens, des morceaux choisis pour attirer les paresseux, on entendra également des instrumens pour charmer les oreilles et des chansons pour charmer les amans. » Elle évente doucement l’âme au point que l’homme croit respirer un air plus fin, caressé de brises fuyantes : « C’est chose charmante que ce lieu ! Que dire de cet îlot (Anosy) rond et bien aplani et des arbres ombrageant le public, tout en appelant sur lui un vent d’une douceur et d’une fraîcheur incomparable ! » En rendant de la sorte la vie terrestre d’une légèreté idéale, la musique doue les âmes d’une nervosité déliée. Est-ce inspiration personnelle, est-ce adaptation au goût de prédication des missionnaires protestans qui ont joué un grand rôle d’éducation sociale, le Merina, très préoccupé de morale en même temps que voluptueux amateur de mélodie, fait servir celle-ci à entretenir et à développer celle-là. Les invitations aux concerts populaires qu’on placarde en été à Tananarive sont de vraies litanies de proverbes sages, la suite des thèmes moraux que l’auditeur doit méditer sous les thèmes musicaux dont il entendra les développemens, prône qui prépare l’auditoire à tirer un profit spirituel des plaisirs du concert :


L’arbre s’élève parce qu’il est poussé par sa racine. — La paix est parfaite parce qu’on a de bons conseillers. — Les conseillers sont habiles parce qu’ils sont choisis parmi les gens du monde. — Ces derniers sont les pères et mères. — Soyez donc sages. — Aimez ceux qui vous aiment. — Évitez l’orgueil qui amène au danger et suivez ce qui est vrai, chers amis. — C’est le plus beau jour : on se rappellera les chants malgaches d’autrefois qu’ont chantés les vieux joueurs et qui les ont rendus célèbres dans le temps. — Réfléchissez donc un peu. Le temps enrouille l’amitié : seulement pourvu qu’on s’aime au début, peu importe si on s’aimera dans l’avenir ; mais pensez au passé ainsi qu’à l’avenir. — Gardez bien ce que vous possédez car il est difficile de chercher autre chose. — Finissez donc ce qui n’est pas fini. — Que la main de ceux qui ont l’habitude de caresser son ami par hypocrisie se retire ! — Il faut supporter la discussion. — Réjouissons-nous donc car c’est le jour de plaisir et de paix.


Du moment que toute cette sagesse eurythmique a été chantée, on est dispensé de l’appliquer dans les mœurs. Et cela encore caractérise l’esprit et surtout la vieillesse de civilisation de la race, qu’elle ait relégué et harmonieusement emprisonné la morale dans la musique, avec douceur et dilettantisme, que noblesse et peuple bercent leur amoralité d’une musique toute de stances et d’apophtegmes, sentencieuse jusqu’en sa mélopée grave et perlée de litanie, dans un pétrake philosophique et voluptueux fait de détachement supérieur et de vile paresse.


MARIUS-ARY LEBLOND.


  1. Voyez la Revue du 1er janvier 1907.
  2. Dans le précédent article : les Régions et les Races, nous n’avons étudié, pour mieux les caractériser, que les races qui se sont plus particulièrement différenciées en s’adaptant aux diverses grandes régions naturelles de l’île malgache : le littoral, la forêt, les hauts plateaux. Ce n’était point oublier qu’il existe d’autres races importantes : les Betsiléos qui partagent avec les Hovas le plateau central, les Sakalaves qui, sur la côte Ouest, s’opposent aux Betsimisarakas de l’Est, les Sibanakas du Nord, les Baras, les Mahafalys du Sud.
  3. Les biens héréditaires se dénomment mainty molali (noirs de suie) ; et « prendre à quelqu’un les biens de sa famille » se dit « secouer la suie. »
  4. Les Idées religieuses des Hovas par Mondain, ancien élève de l’École Normale supérieure, missionnaire. Le livre de M. Van Gennep : Tabou et totémisme à Madagascar, est une œuvre de valeur où un esprit méthodique et lucide tire d’une documentation abondante et pittoresque des généralisations très importantes.
  5. Par cela même qu’il se sait très habile orateur, le Malgache se méfie excessivement de la parole. « Les paroles ressemblent à la toile d’araignée qui, bien arrangée, constitue une demeure, et qui, mal faite, est un véritable piège. » « Être victime de sa langue comme l’anguille » (qui mord l’hameçon).