Madagascar (RDDM)/05

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MADAGASCAR

V.[1]
L’ÉDUCATION DES INDIGÈNES

Au matin, alors que sur le Plateau le soleil des premiers mois d’été fait reculer vers les hauteurs la brume ambrée qui se renfle en se soulevant, les enfans, le plus généralement vêtus à l’européenne, mais les épaules serrées dans le lamba blanc ou turquoise, se pressent pour la rentrée des classes. La tiédeur de l’air invite à la flânerie ; et les boutiques neuves qui s’ouvrent en grinçant, le filanzane d’un officier à cinq galons qui vole au-dessus des draperies flottantes des bourjanes à la course, un tontakely qui passe les mains liées, des femmes vahazas qui se dépêchent vers le Zoma en entraînant leurs fillettes rosées sous le casque, une machine dont on dispose les pièces sur le trottoir sous les cris du patron, tout ce que les Européens ont agencé de nouveau dans la vie attire la curiosité ; mais, par les routes où se tassent les petits métiers et où tant de Malgaches adultes paressent, accroupis sur les terre-pleins sans bouger, ils vont diligemment aux bâtisses scolaires, sans gambader, portant avec vantardise livres et taratassy[2] : les plus espiègles taquinent les plus somnolens avec des mots français, traduisant les sobriquets dont ils ont coutume de s’attifer suivant les ressemblances animales : « le fils de la souris,… le père de la taupe… » aux rires de tous.


I. — LE REGIME SCOLAIRE, LES MISSIONS ET LE PÉRIL PROTESTANT

Missionnaires et instituteurs sont d’accord pour déclarer que si l’enfant hova n’est guère débrouillard, il est plus éveillé et appliqué que l’enfant européen, plus souple et doué d’une incomparable mémoire, avide d’instruction. On a pu dire que s’il fallait souvent fouetter les gamins en France pour les forcer à aller à l’école, à Madagascar il faudrait plutôt les fouetter pour les empêcher d’y aller. Ils montrent parfois une précocité fébrile et on en voit tous les dangers dans le Boutou-Kely de M. Robert Dumeray que la Revue des Deux Mondes publia en 1895 : à les interroger dans les écoles, on discerne à quel point ces petits Hovas sont bien les rejetons d’une race affinée, vaniteuse, aristocratique parmi les autres, et exotique ; elle ne s’est ni acclimatée ni naturalisée, elle conserve l’état mental d’une race qui n’est point chez elle à Madagascar et pour qui la nature, l’extérieur reste nouveau et étrange, une perpétuelle curiosité, oisive mais fiévreuse, et cela est surtout sensible chez les enfans, qui grandissent dans un milieu que la conquête a rendu plus hétérogène. Leur esprit, trop divers et mobile, perçoit trop d’apparences en même temps : de là ce côté superficiel qu’on a tant remarqué, cette incapacité de rien approfondir, le défaut d’observation, bien qu’ils aiment à se rendre compte de tout ce qu’ils voient, l’absence de sens moral, voire de facultés morales ; cela même ouvre davantage leur curiosité, les rend plus susceptibles d’être frappés par les dehors brillans de la civilisation et de l’instruction, de les aimer, de s’en parer, avec une incomparable souplesse de mimétisme social. Le prestige de l’instituteur français est considérable, les galons d’instituteur indigène très recherchés, et les parens sont extrêmement fiers de la science de leurs enfans, autant que des dignités qu’elle leur assure.

Du temps de la Reine, l’école, qu’on appelait la corvée des enfans, était obligatoire, sous un contrôle militaire. Dans la suite, le Gouvernement général a apporté dans l’organisation administrative de renseignement à Madagascar un esprit non moins rigoureux en vue d’asseoir par lui la domination de l’État, recruteur d’impôts. Pour qu’elle lut absolue, il a été amené à réduire par une savante graduation les droits des Missions. L’argument principal invoqué contre elles par le Général fut que leur rivalité pour attirer chez elle les enfans déchaînait des luttes confessionnelles ; et certes elles furent acharnées dans certains villages. Mais, vu l’incrédulité des Malgaches, ces querelles auraient été sans grand inconvénient politique, et un militaire déterministe eût pu y voir précisément l’exutoire aux impulsions belliqueuses de peuples récemment soumis : il y avait lieu alors de laisser les missions se développer librement suivant leurs forces. Mais la rivalité confessionnelle se compliquait gravement de celle des influences française et étrangère, les pasteurs protestans étant le plus souvent Anglais, et pouvait constamment donner lieu à des incidens diplomatiques. Il ne saurait y avoir à Madagascar de péril religieux, cela y est reconnu de tous : il ne peut y avoir qu’un péril étranger.

La compétition des missions catholiques et des missions protestantes à Madagascar s’est poursuivie jusqu’en Europe où elle a provoqué des discussions au Parlement et des campagnes dans la presse ainsi que des ouvrages de polémique, dont le plus répandu est l’Enseignement primaire à Madagascar de M. Raoul Allier, ouvrage clair et méthodique qui fait autorité dans les milieux libéraux et universitaires. Cet humaniste protestant, attaquant les catholiques avec une partialité assez évidente, y demande si « oui ou non, il y a lieu de vivre perpétuellement dans les transes à la pensée que des missions anglaises ou norvégiennes sont établies à Madagascar, » et l’exagération même des termes dans lesquels la question est posée, obligerait tout voyageur à y répondre par une négative dont se prévaudrait M. Allier. C’est un des problèmes auxquels nous avons consacré sur les lieux l’étude la plus scrupuleuse. Les protestans ont fait valoir que, depuis la guerre, des pasteurs français avaient remplacé en plusieurs endroits les envoyés de la London Missionary Sy et qu’il serait indigne de penser qu’ils peuvent travailler pour l’Angleterre contre leur patrie parce que leur religion est la religion officielle de l’Angleterre, et l’on a cité des fragmens de sermons imprégnés du plus pur républicanisme. Il nous semble indéniable que les pasteurs sont d’excellens républicains et quelques-uns sont même de loyaux Français, mais tous ont de la répulsion pour l’Etat français et il est un grand nombre de cas, dans une colonie, où, en croyant parler seulement contre un gouvernement, on agit contre le pays qui l’a institué. Au reste, ils ont tort de se plaindre d’avoir été systématiquement persécutés, car plusieurs d’entre eux ont été décorés. En leur ensemble, et bien entendu, exceptis excipiendis, les missionnaires protestans font cause commune avec les indigènes contre l’Etat français, les cajolant et les plaignant d’avoir tant d’impôts à payer, parlant devant eux d’ « exploitation » et déclarant qu’ils étaient plus heureux sous leur Reine. Les évangélistes venus de nos riches départemens du Midi, souvent maladifs et voyant vivoter maigrement leurs familles malingres, sont aigris et fielleux, têtus et un peu hallucinés, ils restent comme héréditairement frappés de l’esprit de persécution, ce qui, sous un soleil dur, a affecté plus gravement encore leur mentalité ; ce sont des gens qui souffrent, à vous en donner le sentiment douloureux : ils se lamentent notamment de voir leur puissance diminuer, et parfois les pouvoirs publics usent vis-à-vis d’eux d’une arrogance inconvenante ; ils ont plus d’animosité que les catholiques contre les instituteurs officiels, et cela vient en grande partie de la persuasion intransigeante qu’ils ont de l’excellence de leur pédagogie.

Eux-mêmes ne sauraient nier qu’il y a contre les catholiques et les sceptiques, — c’est-à-dire contre tout le personnel français à Madagascar, — une solidarité étroite entre pasteurs des différentes confessions. Les plus accrédités sont des gens loyaux, et leur valeur a été reconnue par tous les Français : plusieurs, comme le géologue Baron et le paléontologue Standing, ont été nommés par le général membres de l’Académie de Tananarive ; mais ce sont aussi et avant tout des Vieux-Malgaches : ayant joui de la prédilection de la Reine, ils regrettent les temps anciens et, étant hardis et autoritaires, ils le disent, vous parlant avec le visage dur, les yeux nets, les mots brefs et âpres. Les autres, le plus grand nombre, sont sans instruction ni conscience ; ils ont un culte aveugle pour l’Angleterre, tous pleurent l’aisance et le repos dont ils jouissaient grassement avant la guerre, selon le rapport même de l’amiral sir Gore Jones sur Madagascar. On peut cependant observer, au voisinage de l’Itasy, que, dans leurs intérieurs riches, les luthériens coulent une existence abondante, se laissant construire ou donner par les indigènes ce dont ils ont besoin ; tout autour de Tananarive, les villages les plus modestes élèvent des temples luxueux. Ils se plaignent amèrement, mais on leur a laissé toute liberté de lever les subsides comme avant la guerre, et par là ils ne s’entendent point seulement à assurer leur subsistance mais à recruter des néophytes, tirant un délicat parti de la vanité des indigènes : ainsi, moyennant les cotisations de leurs écoliers, ils constituent des caisses qui assurent à ceux qui mourront des enterremens somptueux, — pour garder ses élèves, l’Etat a dû en faire autant ; — ils attirent le Hova adulte par le droit de prêcher en chaire, et il n’est rien par quoi il puisse être plus affriandé. Ils le tiennent aussi par la familiarité dont ils usent adroitement vis-à-vis de lui : « Je suis ton frère, disent-ils, je ne suis pas ton maître. » Le maître, l’exploiteur, c’est le Français.

Dans certaines provinces, ils ont formé tous les fonctionnaires indigènes qui leur gardent une grande reconnaissance et avec qui ils entretiennent des liens étroits : ils ont donc du pouvoir sur la masse. Ils lui parlent constamment de leur métropole dont ils exaltent la générosité sans égale et vantent l’hégémonie maritime : avec l’obséquiosité hova, leurs desservans, — les instituteurs protestans indigènes, — renchérissent sur leurs propos. Dans la guerre, ils ont caché « les héros » de l’insurrection, et les ont aidés à s’évader ; ils nouent encore des relations avec les Fahavalos. Tenus aujourd’hui d’enseigner le français dont quelques-uns seulement possèdent assez la langue pour la parler, ils consacrent la majeure partie du temps à psalmodier des cantiques dans les écoles : à quelque heure des jours de semaine que ce soit, on ne passe pas devant leurs bâtimens de briques fauves où grimpent gracieusement les guirlandes magenta du bougainvillier sans en entendre retomber les chants clairs et souvent stridens d’enfans et de femmes. Autrefois, ces cantiques étaient entremêlés de paroles de haine contre la France, et on y proclamait que le Christ naquit en Angleterre ; plusieurs administrateurs, qui ne sont point catholiques, nous affirment que de pareilles pointes hérissent encore fort souvent leurs homélies, surtout dans les campagnes distantes de Tananarive ; beaucoup ont été souvent obligés de faire des kabarys pour démentir les nouvelles de guerre entre l’Angleterre et la France et les bruits de bombardemens de nos ports qui circulaient parmi les indigènes : ils n’avaient pas un instant suspecté les missionnaires quand les indigènes, déçus au bout de quelques semaines, les leur dénoncèrent. Des portraits de Kitchener ornaient certaines écoles de l’Itasy à l’époque où nous y avons passé.

Au moins, les Malgaches ont-ils profité de l’enseignement moral et « éducateur de la réflexion, » de la précellente « pédagogie protestante, » ont-ils été édifiés par les pasteurs ? Nous ne remonterons pas aux témoignages anciens, si convaincans que soient ceux du pasteur Sibree lui-même. Nous ne recourrons pas davantage aux témoignages parisiens, que ce soit ceux de M. Raoul Allier ou de M. William Vogt, qui a fait l’amère satire des missions protestantes dans son Calvinopolis (Stock, 1906). Mais il faut bien accorder quelques minutes d’attention aux Confessions de certain catéchumène hova lorsque, passant en revue ses souvenirs religieux, il examine le cas de W. Clayton Pikegill qui, arrivé comme méthodiste à Tananarive, fut nommé vice-consul de S. M. Britannique et « que, depuis, on n’a jamais revu dans aucune église. » Il soupçonne fort les diaconesses évangélistes de ne venir à Madagascar que pour y trouver des maris et des situations. « Tous, tant qu’ils sont, ils ont bien d’autres idées en tête que la parole de Dieu : » ils ont soutenu la New Oriental Bank : « ce sont des marchands d’âmes. »

S’ils n’ont pas été édifiés, au moins les Malgaches ont-ils été instruits. Recourons aux cahiers d’élèves remis par les instituteurs protestans eux-mêmes, bien plus par les pasteurs français qui ont remplacé les Anglais dans certaines écoles. Ils se sont attachés avec la bonne volonté la plus méritoire à suivre les programmes de l’Etat, et nous constatons qu’ils ne permettent aux petits Malgaches d’omettre aucune des victoires de Napoléon : celles de Marengo et de Montebello sont données avec leurs dates ; et les renseignemens sur le Directoire et la Convention sont précis : le malheur est déjà que toutes les leçons se trouvent coupées de telle sorte qu’en une fois l’élève apprend la deuxième partie d’une première campagne et le premier tiers de la seconde campagne. On discutera tout à l’heure ces fantastiques programmes de l’Etat ; en jugeant exclusivement ici du zèle que mettent à les suivre, non sans malignité, les missionnaires protestans, apercevons qu’il leur arrive non seulement de donner des leçons singulièrement partiales sur la Réforme, où ce n’est point Calvin qui joue le rôle le plus homicide, mais de faire porter des devoirs d’histoire exclusivement sur la série des pertes de colonies que l’Angleterre fit subir à la France. Nous relûmes plusieurs fois le texte d’un pareil sujet, tant il était stupéfiant qu’on eût pu en avoir l’idée dans une école de Madagascar, fût-elle protestante.


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center> II. — L’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL

Une autre critique porte sur ce fait que les écoles protestantes n’avaient donné aucun soin sérieux à l’instruction professionnelle : elle est juste. S’il y aura lieu de discuter les idées directrices de l’Enseignement Officiel à Madagascar, il est un éloge sans réserve à lui adresser : avec une volonté, une vigilance et un esprit de suite entraînans, il a donné une impulsion remarquable à l’enseignement technique, qui est méthodique, mesuré aux facultés des élèves, habilement réparti. Cela est d’autant plus méritoire que plusieurs instituteurs avaient quitté la France dénués de toute expérience ; c’est dans la Grande Ile inculte même, en apprenant avec leurs élèves, qu’ils sont devenus des contremaîtres ; ils y ont mis en même temps un zèle professionnel mûri et la passion juvénile de l’autodidacte pour l’œuvre à réaliser. Attachés aux pupilles dont ils ont à cultiver l’esprit comme leurs ancêtres paysans étaient attachés au sol labourable de la France, ils ressentent une amitié vraiment évangélique pour leurs élèves, disons même d’une façon générale, pour l’indigène, qui a pu les rendre suspects à certains administrateurs, mais en a fait un corps d’élite que les risques mêmes de l’initiative en un pays à conquérir maintenaient dans un constant effort de perfectionnement. A peu d’exceptions près, tous ceux que nous avons vus à Madagascar aiment profondément leur métier, en savent la noblesse et l’intérêt, parlent de leurs occupations avec ardeur et fraîcheur, avec une loquacité où se manifeste encore leur activité communicative. Ce sont des hommes nouveaux, aussi différens que possible des Jean Coste aigris et prématurément séniles de la métropole.

Après avoir traversé la brousse brûlante des plateaux et les landes incultes de la côte, lorsqu’on vient de regarder les vergers morts de caféries abandonnées, des plantations ensablées par une inondation du Mangoro, ou encore l’une de ces anciennes villes délabrées, telles que Mahela, qui donnent si souvent à Madagascar l’aspect d’un pays à ; la fois neuf et ruiné, il n’y a point de spectacle plus réconfortant, à l’arrivée dans un chef-lieu de province, que d’entrer dans les ateliers de l’Ecole Régionale. Sous un hangar, debout sur la terre battue, les jeunes gens sont groupés auprès des établis, tournant la meule, limant une serrure, sculptant lentement une feuille dans le bois rouge d’une chaise ou faisant voler la varlope, ou encore réunis plusieurs autour d’un contremaître européen qui leur établit des calculs au crayon sur une planchette. Ils sont plus qu’intéressés, attachés à leur besogne. Vraiment, ce ne sont plus seulement des « indigènes, » mais bien des jeunes gens : leur figure sérieuse, leurs yeux attentifs à l’exactitude du travail en cours ou malins à saisir l’interrogation de l’Européen qui les dirige en camarade et travaille à leur côté, leur front tenace, leur pensée lente à la réflexion, mais leurs gestes empressés à l’ordre précis, tout cela est extrêmement sympathique ; et, en l’absence des familles d’agriculteurs français, agrippés courageusement à la glèbe et dont les maisonnettes entourées de fleurs sont pour nous dans les colonies le signe et la représentation imagée de la civilisation française, c’est dans ces ateliers qu’à Madagascar on éprouve de la satisfaction et de l’allégement, on assiste à l’élaboration de Frances nouvelles formées de sujets laborieux qui sont initiés à l’intérêt de l’assiduité, civilisés par un travail pratique, éveillés avec attrait à notre civilisation complexe, et soucieux de se composer des familles « respectables » à l’image de celles de leurs maîtres. On ne ressent pas cette impression, simple et pénétrante, dans les salles d’école où d’autres ânonnent avec émulation mais fatigue les leçons d’histoire. De ces adolescens, parfois barbus, attablés à des besognes diverses dans les ateliers, certains ont parfois couru cent kilomètres à travers la brousse, boueux et en guenilles, pour venir demander à apprendre un métier qu’ils ont désigné avec certitude. Il en est qui se présentent, orphelins ou ayant fui leurs parens, sans offrir les conditions requises, ils supplient le directeur de les accepter comme domestiques pour qu’ils regardent les autres travailler.

L’école se distribue en ateliers de menuiserie, de ferblanterie, de fonderie et de céramique. La première année, les élèves touchent un peu à tout ; puis ils se spécialisent. On leur fait exécuter beaucoup de travaux d’ajustage, puis des objets usuels : le système qui autorise ces écoles à vendre aux particuliers des ustensiles confectionnés donne une excellente direction à l’enseignement qui ne s’anémie point dans les abstractions de la théorie ; burettes, lampes, boîtes à lait, entonnoirs, arrosoirs et plats, se rangent sur les étagères, façonnés avec un soin parfait à des prix inférieurs à ceux de la France. On ne peut suffire aux demandes ; non seulement les colons et les prospecteurs, mais les indigènes viennent acheter avec fierté, même commander les objets de ménage européens dont ils ne se servaient jamais auparavant et qui, accomplis par des Malgaches, vont porter dans les cases l’invite de notre civilisation. Une table à toilette à tiroirs et à étagère en bois découpé est vendue 6 francs ; une lanterne est livrée pour 95 centimes. L’acheteur l’emporte en la faisant miroiter joyeusement au soleil. Sur toute la côte Est, la civilisation du fer-blanc est appelée à remplacer la civilisation du bambou.

En dehors des sections professionnelles des Ecoles régionales, il existe à Tananarive une Ecole Professionnelle Supérieure dont l’examen est fort suggestif, car on y surprend à quoi peuvent aboutir dans nos colonies neuves un système d’instruction automatique et d’organisation expéditive et l’esprit systématique lui-même des fonctionnaires qui ne savent se borner à enseigner d’abord aux indigènes ce qu’ils ignorent complètement et veulent leur apprendre à perfectionner à l’européenne les choses qu’ils savent de routine. Jusqu’en mai 1906 où elle a été placée sous la direction de l’Instruction publique, elle se rattachait exceptionnellement à celle des Travaux publics (corps du Génie) qui avait mis tout son amour-propre à obtenir du général d’en être chargée, n’étant point fâchée d’avoir cette occasion de rivaliser avec l’Instruction publique et de lui prouver sa supériorité ; et elle avait acquis, entre autres privilèges, celui de placer ses élèves comme contremaîtres dans le service de l’enseignement, qui ne barguignait point à les lui déclarer médiocres et inférieurs à ses apprentis, — d’où des menus conflits à seule fin d’égayer l’ennui de la société administrative. Les Travaux publics, pour acquérir cette direction, avaient dû l’enlever aux Bâtimens civils, estimant qu’ils n’y avaient nul droit et se faisant fort de pouvoir la mener seule rondement, puisqu’ils avaient la science technique et l’expérience des grandes entreprises de la colonie. Des instructions nombreuses furent rédigées, un règlement sévère proclamé. Le colonel du génie, homme très intelligent mais absorbé dans les soucis de la construction du chemin de fer, se reposait entièrement sur la compétence de son service au point de donner toute sa confiance à un de ses sous-officiers qui venait lui faire chaque matin son rapport, la main à la visière du casque. Le personnel, diligent et affairé, mais n’ayant point reçu l’instruction nécessaire, et si vivement mené qu’il en gardait une surexcitation fébrile, était astreint à une initiative qui ne pouvait être que déplorable : la plantation et l’entretien inexpérimentés des pêcheraies pour le tannage rendit très coûteuse la section de peausserie, pourtant si importante, et qui ne saurait à aucun prix être supprimée, les peaux étant un des principaux articles d’exportation de Madagascar. La poterie, pour le surplus, confectionnée sur des modèles vétustes et peu vendables, bien inférieurs aux originales formes indigènes, réserva de plus graves désagrémens : on s’aperçut par hasard, la veille du jour où l’on devait faire une grande vente à bas prix destinée à la propagande et à l’émerveillement des indigènes, que les ustensiles de cuisine en terre avaient été teints avec des sels vénéneux.

Les élèves des sections de bijouterie et d’orfèvrerie, stylés sévèrement par des contremaîtres du Jura, apprennent seulement à copier le travail européen le plus rococo. Dans les ateliers de dentelles, les maîtresses venues des vallées de la Loire enseignent à confectionner sur des modèles du Puy, avec de la soie de Chine importée de France, des dentelles qu’on prétendait ensuite vendre comme malgaches sur les marchés métropolitains. L’administration se sent découragée d’avoir dépensé des sommes importantes pour aboutir au plus complet échec et elle vient d’établir que, malgré l’extrême adresse et la modicité de prix de la main-d’œuvre féminine, elle ne pourra faire concurrence aux dentelleries européennes, et nous sommes assurés de voir bientôt supprimer ces sections dans les écoles. Il en est toujours ainsi aux colonies : une liquidation hâtive ne permet de tirer aucune leçon profitable des expériences coûteuses.

L’expérience tentée n’est cependant en rien probante. Il était oiseux de fabriquer à Madagascar une dentelle qui n’avait de malgache que le nom et la main-d’œuvre, et même d’en exécuter sur des dessins composés d’après des feuilles de fanjan ou des fleurs d’orchidées avec un goût officiel par des dessinateurs volontiers médiocres, prétendant ainsi créer de chic un style indigène. Mais on pouvait envisager que, dans un pays comme la France, où le Japon seul vend plusieurs millions d’articles de cadeaux et où un exotisme gracieux dans la surprise prévaut, surtout auprès des femmes, une dentelle originalement malgache, expressive et rare par un caractère d’harmonie rugueuse dans une bizarrerie de fins enchevêtremens, pourrait se faire rechercher, même à un prix assez rémunérateur. Au lieu d’abandonner tout ce qui subsiste de l’art indigène, jugé inférieur et fruste par les commis de l’administration, il faut emprunter aux admirables lambas nationaux les motifs décoratifs particulièrement aptes à servir de modèles pour les entre-deux et pour des plumetis mélodiquement nuancés, où s’associent luxueusement les ressources esthétiques des combinaisons géométriques et des tons gradués en gammes ; les pierres et les lits sculptés ou les poteaux mortuaires offrent des dessins d’ornementation dont la ligne sauvage ferait excellemment valoir les tons écrus, ou teintés des couleurs fortes de nate et de manguier, des fils indigènes. Les araignées séricigènes abondent à Madagascar et aux Mascareignes et le gouvernement supputait l’attrait que les mondaines auraient à porter de la dentelle de soie d’araignée, tissée suivant des modèles qui manifesteraient la provenance exotique : or, c’est à un ancien sous-officier qu’il confia le soin d’étudier quel parti on en pourrait tirer, et la première chose à quoi il ait songé, ç’a été qu’il pouvait, après les avoir mises en cage, changer radicalement leur nourriture : ignorant les plus élémentaires travaux de la science contemporaine sur la coloration des insectes, il ne soupçonnait pas un instant qu’il y eût là de quoi peut-être faire perdre à la soie son incomparable coloration d’or mielleux. C’est encore à lui qu’il revenait d’essayer et d’estimer les diverses terres à poterie, les minerais, les couleurs, les essences autochtones, la valeur des textiles inconnus. Voilà une grande colonie qui dépense des sommes considérables pour la création d’industries locales, et qui n’a pas un seul chimiste ni le moindre préparateur d’histoire naturelle pour étudier scientifiquement les ressources du pays, alors que la moindre maison allemande, pour spéculer à nouveau sur des produits minutieusement analysés, s’attache des savans auxquels l’industrie germanique doit son extension.

Quant à l’enseignement agricole, il n’existe guère en réalité. Il est cependant plus pressant de préparer l’exploitation agricole que l’exploitation industrielle de Madagascar. Celle-ci, fatalement, tend à dépeupler les campagnes ; celle-là seule empêchera les déclassés de pulluler dans les villes, pour la démoralisation et le vol. Il ne s’agit point évidemment d’initier seulement les Malgaches à la culture rationnelle des céréales comme on y songe, mais de leur apprendre à entretenir les prairies, à soigner les bœufs, à cultiver les plantes fourragères, à pratiquer l’ensilage, à planter autour de leurs cases de modestes vergers. Plus la grande agriculture semble impossible dans un pays, en raison de sa pauvreté et du caractère des indigènes, plus la petite agriculture y doit être le résultat d’une éducation scolaire. Le maraîchage a été heureusement l’objet de soins assidus : le préjugé social contre le travail agricole qui dominait les Hovas tend à disparaître depuis qu’on a fait du jardinage la matière d’études scolaires, le maître européen prenant la bêche à la main et plantant devant ses élèves haricots, carottes et choux. Un fait matériel montre l’évolution : les légumes, qui manquaient complètement avant la conquête, abondent maintenant sur le marché de Tananarive. Malheureusement, l’instituteur qui arrive de son village du Limousin ou du Languedoc, avec une touchante nostalgie s’ingénie seulement à introduire sur la côte tropicale les plantes potagères de France, et, assis sous sa varangue, il vous parle avec attendrissement du jour où la vigne cévenole aura recouvert le treillage de la tonnelle où jouent ses enfans tachés par le soleil : on ne songe ni à améliorer les plantes indigènes, ni à introduire les arbres fruitiers des Mascareignes, si précieux aux populations indigènes par la richesse et l’abondance de leur comestible et bien plus aisés à acclimater : le bibassier aux grappes couleur d’aurore ; le letchy qui, aux mois les plus chauds, charge ses hauts feuillages noirâtres de dix mille fruits roses, les plus sucrés du monde ; l’avocat, plus gros que la poire, qui enferme sous sa peau mince un beurre végétal, nutritif et sapide ; le jackier ; les goyaviers rouges de fruits à l’avril ; vingt variétés de bananiers.

Cependant, non plus que ses jujubiers et ses jamalacs, que les frais longanis, les caramboles acides, les jamrosas farineux, que les dattiers et les cocotiers, ces arbres ne sont originaires de Bourbon ou de l’île de France ; ce sont nos pères qui les y ont transplantés et fait prospérer, et on ne se représente plus assez aujourd’hui quelle industrie ils ont dépensée pour les apporter et les y acclimater, persévérant après maints infructueux essais et allant quérir au péril de leur vie les muscadiers et les mangoustans dans les jardins défendus des Moluques. Nous payons aujourd’hui des agens techniques d’agriculture, mais ce sont des fonctionnaires, inférieurs à ces hommes du XVIIIe siècle, un peu aventureux et légers, tête brûlée et le nez au vent, volontiers maraudeurs et nonchalans, mais avisés à l’heure favorable, opiniâtres et piqués d’amour-propre. On ne voit pas un seul pied d’avocat ou de fruit-à-pain dans les jardins d’instituteurs, alors que les vieux créoles en ont ombragé les profondes cours silencieuses de leurs maisons. Dans les vergers mêmes des écoles, les manguiers sauvages jettent avec surabondance des fruits âcres, sans qu’on songe à y opérer des marcottes qui en eussent fait les plus succulens. C’est par ces plantations profitables que nos pères excellaient à rendre savoureuse la vie aux îles, et fraîches et odorantes les premières résidences de leurs familles, de ces ombrages fortunés composant les berceaux d’une colonisation satisfaite et riante dont les éloges répandaient en France la réputation des Indes. La tâche coloniale n’était alors ni si sèchement universitaire, ni si déprimante.

Avec un utilitarisme exclusif, on plante dans les terrains d’écoles des mûriers ou des arbres à caoutchouc, encore qu’on se laisse assez rapidement décourager par la dépréciation en Europe de tel latex ou de telle liane. Dans l’abondance, la célérité, l’incertitude et, disons-le aussi, l’inconstance de ces diverses expérimentations, le but précis de l’administration se dénonce étroitement et fiévreusement pratique : l’effort considérable réalisé dans l’enseignement tend beaucoup moins à élever moralement les indigènes qu’à les adapter à l’évolution économique qu’entraînera le chemin de fer. Si, à l’époque où la voie atteindra Tananarive, les indigènes ne se trouvent pas formés militairement par les instituteurs à produire la soie comme à surproduire le riz, le chemin de fer ne fera pas ses frais et la métropole impatiente n’aura pas assez des voix des trois quarts de ses députés pour se plaindre amèrement d’avoir été dupée et d’avoir mal placé son argent dont elle exige un rapport immédiat. En principe, il n’y a nul mal à ce que l’école soit, pour dire franc, une entreprise financière, une école d’expériences industrielles, le gouvernement préparant les enfans en vue de deux ou trois grandes opérations, dont il ne recueillera pas les bénéfices en tant que patron, mais qui lui permettront seules de continuer à percevoir un certain total d’impôts, et d’autant plus qu’on y enseigne surtout à ne pas épuiser sauvagement les produits du pays. L’agriculture et l’industrie coloniales étant en pleine période de tâtonnemens, on ne peut demander à l’instituteur de remettre à l’élève un outil parfait et définitif, il suffit qu’il lui assouplisse les mains à un travail quelconque. Au moins faut-il l’orienter, sinon vers un métier, vers une branche d’activité où il puisse employer au mieux la dextérité acquise à l’école. Et, sans oublier d’ailleurs les innombrables difficultés de sa tâche, l’on peut reprocher au gouvernement de les avoir plutôt dirigés vers l’industrie que vers l’agriculture. On a pensé que l’évolution des indigènes dans leur ensemble se ferait avec plus de rapidité et que l’on n’aurait jamais assez de petits patrons pour munir toute la brousse malgache de pots, de marmites, de rôtissoires et d’écumoires, de chaises, fauteuils, tables et lits ; mais, une fois élevés à l’Ecole professionnelle de Tananarive, les jeunes Hovas ne veulent plus rentrer dans la campagne, et le marché de la capitale est encombré d’horlogers qui réparent les montres pour cinquante centimes et de menuisiers qui confectionnent à des prix vils. Grâce à la concurrence, le vol devient bientôt leur seul gagne-pain, d’autant que leurs besoins ont augmenté et qu’ils ont pris l’habitude du faux-col de haute envergure. Tant que les sociétés privées réclameront des artisans d’un revient inférieur à celui des ouvriers qu’elles ont d’abord dû appeler de France, les élèves qui sortent de certaines sections trouveront à s’employer. Mais il leur manque le petit capital nécessaire pour acheter les outils. Le gouvernement a dû s’ingénier et il a créé en 1904 une Association professionnelle malgache, qui ne parviendra pas d’ici longtemps à s’organiser en une corporation maintenant le travail à un prix rémunérateur, mais qui soutient pendant quelque temps ses membres miséreux, leur procure si possible leur outillage, les invite à fournir du travail d’avance pour le vendre au marché, en tout cas, développe l’esprit de solidarité. L’Ecole professionnelle de Tananarive ayant passé au service de l’Enseignement, cette association se fondra avec celles des écoles régionales.

Les artisans continueront ainsi à faire partie de la grande famille scolaire à laquelle l’instinct familial de l’indigène donne de la consistance, et qui est la seule qui soit véritablement constituée à Madagascar, grâce à l’esprit cordial et digne des instituteurs, à leur sens de la mutualité et au goût qu’ils ont de suivre leurs élèves dans la vie. Bien plus que les administrateurs ou même les médecins, ce sont les instituteurs auxquels les jeunes Malgaches s’attachent le plus, jusqu’à revenir de points fort distans pour dire adieu à celui qui rentre en congé ; ce sont les élèves des instituteurs qui sont le plus reconnaissans envers la France. Or, il est très important que les artisans, éparpillés par leurs professions dans les provinces, soient maintenus dans un sentiment d’émulation à la civilisation et de quiète docilité à l’Etat. Le journal officiel Vao-Vao, imprimé en langue malgache, intéresse les contribuables aux affaires du gouvernement, dont ils sont d’ailleurs assez curieux, mais il n’y a point de presse destinée à les franciser. Gardant des relations avec l’Enseignement, les artisans trouvent dans ses deux excellens périodiques L’École franco-malgache, et le Ny Mpitari Dalana, toutes les chroniques et notices documentaires sur la sériciculture, l’arpentage, la fonderie, l’hygiène, nécessaires à renouveler leurs connaissances, avec des variétés amusantes et des lectures d’un sentiment patriotique, aimable et familier.


III. — L’ESPRIT UTILITAIRE DE L’ENSEIGNEMENT CIVILISATEUR : PERSONNEL ET PROGRAMMES

L’enseignement professionnel tient donc la place capitale ; on y initie déjà les futurs instituteurs pour arriver à en pénétrer plus tard tout l’enseignement jusque dans les écoles primaires. L’idéal, très net dans l’esprit de certains, est que Madagascar devienne tout entier une vaste école professionnelle, modèle d’institution coloniale que ne sauront assez nous envier les Anglais et les Allemands, ce dont on n’est pas sans se préoccuper. Et cette méthode de colonisation par l’école doit apparaître éminemment rationnelle aux pédagogues, puisqu’il est entendu que les Malgaches sont paresseux et incapables d’initiative. Il est certain qu’il faut qu’ils travaillent pour payer l’impôt, et qu’ils ne travailleront pas d’eux-mêmes, et que c’est dès l’enfance qu’il faut leur donner l’impulsion : là est la pensée, maîtresse du régime. Il reste à savoir si ce procédé de mécanisme et de suggestion officielle ne se révélera pas à l’usage aussi dangereux que le magnétisme sur lequel on avait, un moment, tant compté pour l’éducation des enfans paresseux, et s’il n’épuisera pas assez rapidement les races indigènes en leur faisant rendre trop vite tout ce qu’elles sont susceptibles de donner. Il serait au contraire plus sage de restreindre l’enseignement professionnel à une élite dont l’existence et le développement normal stimuleraient peu à peu le reste des indigènes et leur laisseraient désirer l’instruction au lieu de la leur imposer ; il s’agit à Madagascar de races anémiées au sein desquelles il faut ménager une large réserve d’inactivité et d’ignorance : ainsi les Malgaches sont débilités au point qu’il serait dangereux de les soumettre aux exercices physiques, ce que les Anglais eux-mêmes avaient très bien compris en n’y donnant aucune part dans leurs établissemens ; à plus forte raison faut-il prendre garde de les fatiguer tous intellectuellement.

Mais il est peu probable qu’on s’arrête maintenant en aussi beau chemin. Les écoles régionales forment des instituteurs pour qui il faudra bien créer sans cesse de nouvelles écoles. Et s’il est indispensable, quoi qu’en pensent les colons, de répandre l’instruction à Madagascar, avec lenteur et progression méthodique, encore convient-il que ce soit vraiment de l’instruction qu’on répande, et il ne nous semble pas qu’un enseignement sérieux puisse être plus heureusement confié à des instituteurs malgaches que l’administration à des gouverneurs malgaches. Certes les premiers sont de beaucoup supérieurs aux seconds, et il y a moins lieu dans leur service de se laisser aller aux exactions, encore que certains aient l’esprit assez inventif pour vendre les pantalons de leurs élèves ou se faire payer par les parens afin que leurs enfans restent chez eux. D’autre part, l’état des finances de la Grande Ile ne permet point de demander plus d’instituteurs européens qu’il n’y en a, et il vaut mieux qu’un certain nombre de petits Malgaches apprennent à lire avec d’anciens élèves des Ecoles régionales plutôt que de vagabonder. Le malheur est qu’ils n’apprennent pas à lire, car on veut trop leur enseigner. Les programmes restent beaucoup trop lourds, non peut-être pour l’intelligence d’un bon nombre d’enfans malgaches pris à l’âge où ils fréquentent l’école, mais, si l’on peut dire, pour l’intelligence collective de la race. Nous nous expliquons : un petit noir de la Réunion peut impunément absorber les grammaires et les arithmétiques, parce qu’en sortant de classe il rentre dans un milieu civilisé, régi par les mêmes conditions de concurrence vitale qu’en Europe, où ses capacités trouveront assez aisément à s’adapter aux besoins de la société et aux connaissances de ceux qu’il fréquentera, tour à tour plus ou moins instruits que lui : il utilisera ce qu’il a retenu et, au contact du monde, il comprendra ensuite ce qu’il a seulement d’abord appris par cœur, nous en avons maints exemples : les bribes d’enseignement s’agrègent et s’harmonisent alors dans l’esprit qui s’en allège ; — tout au contraire, un petit Betsiléo ou Betsimisare, doué des mêmes aptitudes, alors même qu’il aura pu s’assimiler les leçons de ses livres, — ce qui est très rare, non parce qu’il n’est pas intelligent, mais parce qu’elles lui sont expliquées par un instituteur malgache, — retombe parmi des gens ignorans, paresseux et sans besoins, parlant une langue qui l’éloigné de la civilisation. A quoi peuvent lui servir, au milieu de familles parlant malgache, non seulement les notions d’histoire du XVIIe siècle, de géographie physique de la France[3] et les préceptes de la traduction, mais même les règles théoriques de l’arithmétique, qui ne sont utiles au petit noir de la Réunion que parce qu’il est en contact quotidien avec des patrons blancs, qu’il sera employé dans des banques, se placera comme garçon de bureau ou domestique chargé d’achats ?

Le vernacular (éducation indigène des États inférieurs de l’Inde anglaise) est un peu mieux conçu. D’abord, on ne prend les enfans que le matin seul, pendant trois heures, afin de leur permettre de travailler pour leurs parens l’après-midi : c’est le principe du demi-temps. En quatre ou cinq ans, on leur enseigne l’écriture, le calcul, la géographie et l’histoire sous la forme la plus succincte, la comptabilité, — ce qui est plus adapté à l’état de civilisation et de colonisation du pays, — l’agriculture, l’étude de l’impôt et des feuilles de l’impôt, afin qu’ils ne se laissent pas exploiter par le percepteur, ce qui serait très important à Madagascar, et l’éducation physique, à quoi il faudrait une méthode spécialement adaptée à la constitution de l’enfant malgache. Des comités d’école consultatifs, formés des notables indigènes, sont adjoints à l’instituteur. Ce qu’il y a à retenir, c’est que l’enseignement de l’agriculture est le plus développé ; ils y ont un livre spécial : ceux de l’enseignement à Madagascar portent, sur l’histoire et la géographie, ce qui est moins pratique ; il n’y en a point sur les leçons de choses malgaches, les arbres et les produits du pays. Les concours d’admission à une école régionale sont des exercices de vocabulaire, de gymnastique intellectuelle ; on vise avant tout dans les écoles primaires à former des élèves parmi lesquels on puisse recruter un ou deux lauréats pour les écoles régionales.

Les écoles de campagne, vu leurs programmes, ne sont guère utiles qu’à ceux qu’on destine aux écoles régionales, particulièrement afin qu’ils y deviennent instituteurs malgaches, ce qui est un cercle vicieux ; et il faut bien en convenir, le personnel supérieur se satisfait un peu trop exclusivement de ce looping-the-loop où il fait briller toute son habileté. En revanche, on relève dans ces programmes une part très sage de notions sur l’agriculture, les légumes, les vers à soie ou le chemin de fer et autres leçons de choses, et les écoliers gagneraient beaucoup si on y limitait les leçons qu’on leur donne ; pour l’hygiène, l’on a rédigé aux divers degrés de l’enseignement des notices simples et utiles, et elle est l’objet d’une attention suivie dans les villages scolaires construits auprès des principaux établissemens.

Réciproquement, les écoles régionales, écoles du second degré qui devraient constituer de préférence une sorte d’enseignement secondaire pour les indigènes appelés à l’avenir le plus divers, sont trop exclusivement destinées à former des instituteurs. De là, par exemple, l’importance qu’on y donne à l’analyse grammaticale et à l’analyse logique : nous avons vu des jeunes gens répondre avec une rare perfection mnémotechnique aux questions de décomposition que leur adressait le maître, mais quelles figures émaciées, quels yeux voilés, quels fronts pâles, déjà ridés et suans, épuisés par l’effort continu d’abstraction auquel la race est si rebelle ! ils sortent de l’école stylés à souhait et incapables de scruter avec intelligence les dispositions des enfans qui leur sont confiés. On les charge notamment de leur apprendre les fables de La Fontaine traduites par Basilide Rahidy. On les initie à cette tâche en leur faisant commenter à eux-mêmes la troisième année de Méthode de lecture et de langage de Machuel, livre spécialement composé pour les Arabes de Tunisie et que sa réputation universelle a imposé dans toutes les écoles des colonies : il eût mieux valu qu’on leur mît franchement La Fontaine entre les mains, puisqu’on retrouve dans les dialogues pédantesques de bêtes de Machuel ce que les Rousseau et les Lamartine ont reproché au fabuliste, et qu’il y manque son esprit enjoué, son naturel et celle naïveté charmante qui, à défaut des finesses du métier, touchent même les enfans qui ne comprennent pas analytiquement le texte. La première chose à réaliser à Madagascar, comme dans nos autres colonies, est un livre de lectures, non seulement pour l’écolier, mais pour l’enfant malgache, et M. Deschamps, qui aime les enfans, y excellerait. Celui qu’a composé d’office le commandant Dubois, pour être distribué à 30 000 exemplaires, est plutôt indigeste, émaillé de citations de Moltke et de Pariset, s’il est vrai qu’il a été écrit avec un sens très juste et mesuré de l’esprit général de francisation dont l’enseignement à Madagascar doit être imprégné pour faire œuvre durable et utile aux indigènes.

L’impropriété des livres classiques et la surcharge des programmes sont choses d’autant plus graves, que les enfans sont encore appelés à un âge trop tendre aux écoles. Les instituteurs ont remarqué que l’éclosion de leur esprit ne se produisait guère qu’entre quatorze et seize ans, mais ce dernier âge est celui où le Malgache commence à être astreint à l’impôt, et il reste donc une limite pour les études. Les protestans ont réclamé contre les mesures qui fixaient rigoureusement un terme au-dessus duquel les enfans devaient sortir des écoles de village et pouvaient entrer seulement dans les écoles supérieures. L’Etat, alors, désigne ceux qui auront le privilège d’y être admis, il fait la sélection de l’élite, de sa propre et seule autorité, ce qui a été assez vivement critiqué. En réalité, quelque danger qu’il y ait à confier exclusivement à des fonctionnaires la détermination d’une élite, on ne peut refuser à l’Etat de choisir ses futurs instituteurs ; le mal est que tout renseignement, méthodes et service, soit subordonné à ce choix, à la composition d’un corps d’instituteurs. On a vu que c’était ce qui faisait grever les programmes généraux ; les missionnaires protestans signalent un autre inconvénient : l’Etat, trop utilitaire et visant uniquement à former des maîtres qui auront à ressasser des leçons de choses, d’histoire et de géographie, ou de mathématiques, ne donne à cette élite aucune direction morale.

Mais ceux-là mêmes qui incriminent cette « interdiction d’un enseignement un peu général pour une élite malgache » et voudraient qu’on leur confiât le soin « d’essayer des méthodes d’éducation de la réflexion, » ont fait par ailleurs une psychologie exacte des enfans malgaches, d’où il ressort que, trop sages, ils ne savent même pas écouter, mais seulement entendre. Ils ne sauraient donc, de sitôt, « réfléchir, » et ce serait perdre du temps que vouloir leur créer du caractère par une « pédagogie spéciale » qui leur commenterait ses préceptes en malgache. Pour le moment, comme le déclare M. Deschamps, ils comprennent facilement les faits, peu les idées, et « l’enseignement méthodiste qui veut leur inculquer des idées les détraque. » Le caractère s’acquiert par l’expérience de la vie à gagner au contact de l’étranger et s’élabore spontanément : ceux des Malgaches, qui comprennent le français, entrent en rapports avec les vahazas (étrangers) ; lorsque cette langue européenne, réceptrice et inspiratrice d’idées, sera plus répandue, la sélection s’accomplira naturellement : ceux qui seront aptes à comprendre des idées iront à un enseignement plus philosophique, plus dialectique, grâce à leur prédilection instinctive pour les kabarys.


IV. — LE PROBLÈME DE LA LANGUE FRANÇAISE

La prééminence de la langue française dans l’enseignement aux colonies est aujourd’hui presque universellement combattue par les gouverneurs et les pédagogues de nos territoires, gagnant facilement à leurs idées les parlementaires qui veulent s’intéresser aux questions coloniales, tel M. Pierre Baudin (campagne du Journal contre le français en Tunisie). En 1906 même, le gouverneur d’une de nos plus importantes possessions, M. Beau, alarmé par les indices de la faillite dont est menacée l’Indo-Chine et par les événemens d’Extrême-Orient, a estimé qu’il fallait faire la part du feu et sacrifier notre langue ; et, après avoir consulté un conseil extraordinaire d’Instruction publique, il a remplacé l’enseignement du français par celui de l’annamite : fait très grave, il a poussé la réforme jusqu’à restaurer les caractères chinois là où ils avaient disparu depuis longtemps, comme en Cochinchine, alors que le chinois se prête assez peu à l’enseignement élémentaire indispensable aux Indo-Chinois, — et réclamé par eux, — pour forcer adonner les leçons de ; choses scientifiques dans une troisième langue, le gnoc-ngu, patois qui se sert de caractères latins[4]. L’exemple de cette colonie sera d’un grand poids et a déjà été longuement commenté en Algérie et à Madagascar. En laissant à ceux qui étudient spécialement l’Indo-Chine le soin de discuter pour ce qui concerne cette région le système nouveau, on peut déplorer qu’il soit l’œuvre de fonctionnaires de passage et de réformateurs couvés dans les écoles de Paris, dont pas un n’a la connaissance innée de l’indigène, de la nature exacte de son intelligence, de ses besoins fonciers à long terme. Et il est d’autant plus urgent de considérer avec attention les singularités du régime scolaire à Madagascar et les théories sur lesquelles il s’étaie avec un souci de logique et une conscience qu’on ne rencontre nulle part ailleurs. C’est là que se doit discuter délibérément l’importance de l’expansion de la langue nationale pour la prospérité et le résultat durable de la colonisation, pour la conservation de nos colonies. Et, par la même occasion, en ce moment où se pose avec plus d’acuité que jamais la question de l’avenir de nos grands établissemens, il n’est peut-être point de psychologie plus passionnante que celle du fonctionnaire colonial, — le pédagogue, — qui est le mieux armé par sa profession pour sonder l’âme indigène, mesurer les ressources de la race, et à qui incombe le plus le soin de prévenir le séparatisme.

Analysant les circulaires du général Galliéni, le dernier chef de service de l’Instruction publique, M. Deschamps, exposa, en les éclairant de comparaisons spécieuses, les considérations philosophiques très modernes qui lui font tenir pour dangereuse l’importance donnée à l’enseignement du français dans les écoles. « La connaissance de la langue française était considérée, ainsi qu’autrefois du temps des Romains le culte d’Auguste, comme une preuve de soumission… A l’examiner de près, c’est une étrange entreprise de vouloir substituer la langue française à une langue indigène quelconque… Il n’y a pas de peuple dans l’histoire qui ait abandonné l’usage de sa langue maternelle pour n’employer que celle de son vainqueur. L’exemple lointain de la Gaule n’est guère probant, car ce n’est plus le latin qui est parlé en France : en passant par les cerveaux gaulois et germains, le latin est devenu le français ; en passant par les cerveaux malgaches, la langue française se déformerait aussi ; avant que l’étude du français ait modifié la mentalité malgache, cette mentalité aurait modifié la langue française [souligné par M. Deschamps]… S’imaginer que le peuple qu’on élève va, subitement, quitter la voie qu’il suit depuis des siècles pour s’engager dans celle que suit le peuple éducateur, c’est se leurrer d’un espoir vain ; la force acquise le maintiendra dans la voie qu’il suivait. » Il semble déjà audacieux de comparer les cerveaux malgaches à ceux des Gaulois, et tous les instituteurs ont reconnu que les Malgaches n’étaient point à proprement parler des « cerveaux ; » ils n’assimilent pas, ils imitent ; si les Gaulois et les Germains ont transformé le latin, c’est qu’ils « assimilaient, » et ils l’ont transformé à des époques où l’Italie était devenue inférieure à la Gaule et à la France pour y exprimer des idées et des croyances nouvelles. Il n’y a pas à craindre que de sitôt « la mentalité malgache, » éminemment servile, modifie la langue française, d’autant qu’elle n’obéit nullement à une longue impulsion personnelle : le fait brutal de la conquête a complètement distrait le Malgache de la voie qu’il suivait depuis plusieurs siècles, voie qui était à peine une piste, siècles peu nombreux dont les Malgaches n’avaient point la conscience.

A la tête de l’enseignement de notre colonie, M. Deschamps représente l’esprit français nouveau, généreux mais indéterminé, instruit richement, mais sans assez de cohésion : c’est un de ces fils de la Révolution qui n’en ont gardé que la sensibilité humanitaire sans la volonté dont étaient fortement soutenus les conventionnels de faire participer l’énergie et la mentalité françaises à l’élaboration de l’avenir, chez qui, en un mot, le rationalisme n’est plus en équilibre avec la sensibilité et le patriotisme instinctif avec l’humanisme intellectuel. Il se laisse dominer par une sentimentalité charmante, le respect de la vie sous toutes ses formes spontanées, l’intelligence précieuse de la poésie malgache : il la goûte en artiste, il écoute chanter à son oreille les terminaisons mélodieuses de la langue indigène, il regrette qu’elle puisse disparaître, que puisse mourir cet « être » si original, comme Mistral pleure la langue provençale ; il a peur que, pour le bénéfice des marchands et des députés, nous ne voulions habiller en vestons de coutil français le Betsimisare des forêts sauvages et aromatiques, pacifique exploiteur d’abeilles, qui l’a étonné dans les bois par sa douceur d’Aristée austral et son hospitalité. Bien qu’il se soit gardé d’exprimer dans ses Rapports autant que dans ses causeries le fond essentiel de son sentiment, il y trahit parfois son désir : « Sans doute, dit-il, il y aura rapprochement entre les deux peuples (français et malgache), mais ce ne sera pas seulement l’indigène qui se rapprochera du blanc ; vivant parmi les indigènes, le blanc subira comme eux l’influence du milieu qui a contribué à le former. Il pourra naître des civilisations métisses, eu quelque sorte filles de la civilisation française comme la langue française est fille du latin, mais qui ne seront pas plus la civilisation française que la langue française n’est le latin. » Il cède là voluptueusement à la grande erreur des linguistes, et notamment de Renan lorsqu’il dissertait sur les Arabes et les Berbères, de confondre langue et civilisation : la langue n’est pas attachée à la civilisation ni à la race ; il y a au Maroc des tribus essentiellement berbères qui parlent l’arabe mieux que des tribus arabes, et la langue, étrangère, que les Hovas ont adoptée rapidement en arrivant à Madagascar ne traduit nullement leur mentalité. Encore moins la langue est-elle déterminée par le « milieu, » qui n’a même pas profondément agi sur la constitution des Hovas. Ce n’est point par un dialecte propre que se peut le mieux exprimer le caractère esthétique d’une région ou même l’originalité d’une peuplade : elle se communique par l’ordonnance des mots et la finesse analytique du sentiment qui sont d’autant plus souples que la langue, parlée par un plus grand nombre d’hommes, est plus riche : en particulier, la langue malgache est bien moins apte que la langue française à exprimer le pittoresque bigarré des mœurs malgaches dans leur complexité actuelle et la couleur des paysages dans leur sécheresse chatoyante. Et il est assez illogique au gouvernement qui se refuse à enseigner le breton ou le provençal dans les villages où il est parlé, d’accorder plus de faveur au malgache qu’à la langue illustrée par Mistral ?

Depuis 1894, l’enseignement du malgache a été développé dans les écoles conformément à cette pensée qu’ « il doit être l’objet de tous les soins, la langue malgache étant le seul instrument de pensée qui soit fait à la mesure des cerveaux malgaches[5]. Cette langue se développera, s’enrichira ; son perfectionnement sera la preuve des progrès de l’intelligence malgache, en même temps qu’un des moyens de les déterminer. » Or, on peut voir dès maintenant comment elle s’enrichit : par de nombreux mots et tournures français qui s’y incorporent, aussi peu harmonieusement que les phrases métaphysiques des missionnaires anglais, et celles-ci, selon le mot de M. Gautier dans son étude spéciale sur les dialectes malgaches, « y font l’effet de corps enkystés dans un organisme. » De cette façon, se forme donc un sabir. Or, ce que redoutent le plus M. Deschamps et ses émules dans l’expansion du français chez des peuples incapables de le parler dans sa délicatesse, c’est qu’elle aboutisse fatalement à la création d’un petit-nègre. Cela est inévitable. Mais le sabir, constitué par l’introduction de mots et de tournures français dans un malgache conservé avec soin, persistera, se cristallisera et prendra l’importance d’une langue littéraire comme le gnoc-ngu, patois bâtard, gâché par les Portugais en Annam, y est devenu la langue littéraire officielle, objet du culte de nos pédagogues ; au contraire, le petit-nègre se rapproche de plus en plus du français à mesure que les noirs évoluent, comme on l’a vu dans nos vieilles colonies où il a aidé à la propagation de notre langue et de nos idées sans les corrompre, acheminant les noirs à parler un français pur.

En soi-même, le malgache qu’on veut protéger dans son intégrité comme exprimant avec exactitude l’âme de la race et du pays, contient un nombre considérable de barbarismes dont on goûtera ces exemples plaisans : le duvin pour signifier le vin, la lalimoara pour l’armoire, la latabatra pour la table. En outre, ce n’est pas une langue naturelle mais artificielle qu’on intronise dans les écoles, car, pour compléter le lexique, on a dû emprunter aux vieux textes administratifs des archives des termes et formes tombés en désuétude, et on l’a enrichi de vocables archaïques glanés dans le folklore. Or, l’idiome populaire a évolué considérablement depuis trente ans. Celui qu’on enseigne est donc en même temps une langue restaurée et une langue qui n’est pas malgache, sabir anglo-franco-hova qu’on accrédite et impose administrativement par l’intermédiaire des maîtres d’école. Les caractères, substitués aux anciens caractères par les missionnaires anglais en 1861, ne sont pas malgaches ; l’orthographe, difficile et fantaisiste, est encore l’œuvre des pasteurs, comme la syntaxe ; et l’esprit même d’une syntaxe correspond le moins du monde à la mentalité indigène, surtout l’esprit de celle qui est codifiée dans les grammaires malgaches, combinaisons tâtonnantes d’esprits européens peu souples et intelligens, raffinées ensuite à l’excès par des administrateurs érudits comme M. Julien, professeur à l’Ecole coloniale, dont la grammaire compliquée tend à transformer le malgache amorphe en langue savante.

Enfin, comme à Madagascar il n’y a point un idiome unique, c’est le dialecte hova, « le moins malgache de tous, au dire des philologues, et certainement assez différent des autres pour créer une grande difficulté aux Sakalaves et aux Betsimisares[6], » qu’on a élu pour dialecte officiel et qu’on impose ainsi aux autres peuplades, quoiqu’elles détestent les Hovas, ce qui est encore le moyen le plus efficace de travailler à la suprématie de ces derniers. Nous avons vu à Mahanoro un professeur de malgache envoyé de Tananarive qui ne pouvait se faire comprendre de ses élèves. On perçoit alors à quel surmenage de polyglottisme les enfans de races déjà affaiblies sont assujettis : parler leur propre dialecte vulgaire, apprendre le hova savant, son orthographe et sa grammaire, puis le français, son orthographe et sa grammaire, sans compter que, l’évolution naturelle et fatale de la colonisation, les mettant surtout en contact avec les créoles noirs, ils s’entretiennent avec eux en petit-nègre. Certains instituteurs sont les premiers à reconnaître qu’ils en sont littéralement ahuris ; et d’ailleurs autrefois en Hindoustan, on constatait peu de progrès dans les écoles parce que, dans toute la péninsule, les livres étaient imprimés en hindi pur qu’il n’était pas plus logique d’inculquer à tous les indigènes que de restaurer l’arabe littéral en Algérie.

Certes, on ne pouvait songer à remplacer subitement du Nord au Sud de l’île le malgache par le français, et tout le monde est d’accord à reconnaître qu’il était indispensable de se servir des dialectes indigènes pour se faire comprendre des enfans ; mais il suffisait de leur parler malgache, et non de créer l’enseignement du hova écrit. Juste au moment où, selon les méthodes nouvelles, les langues européennes elles-mêmes s’apprennent par la conversation, il fallait simplifier les programmes coloniaux dans ce sens : d’abord supprimer tout enseignement écrit du hova, mauvais héritage des pasteurs anglais, et se servir dans chaque province de son dialecte pour donner aux enfans les notions indispensables, puis réduire au minimum l’enseignement écrit du français lui-même. C’est en revenant de son voyage aux colonies que Bernardin de Saint-Pierre a écrit : « Apprendre à parler par les règles de la grammaire, c’est apprendre à marcher par les lois de l’équilibre. C’est l’usage qui enseigne la grammaire d’une langue. » Plutôt que la grammaire française, il fallait d’abord répandre à Madagascar l’usage du français, suivant le système des Américains aux Philippines. Et n’y avait-il point à s’inspirer quelque peu de l’évolution libre, au cours du XIXe siècle, de nos paysans qui, pour la plupart, au début, ont appris à lire sans avoir eu le temps de s’appliquer même à l’écriture ? A notre sens, il n’y avait pas lieu de former à grands frais un corps d’instituteurs indigènes, le plus souvent désemparés, pour inculquer le hova et le français à tous les petits Malgaches : ils auraient dû se borner à être des sortes de contremaîtres élémentaires expliquant aux enfans par l’idiome le plus simple les leçons de choses nécessaires au développement économique de l’île que préparait le gouvernement : le français eût été répandu par des instituteurs français. On objecte qu’il y aurait fallu un personnel d’Européens trop coûteux : mais nulle obligation ne presse l’Etat de payer au minimum de 6 000 francs par an des jeunes gens sortis d’écoles métropolitaines spéciales ; les colonies voisines eussent fourni des brevetés à moitié prix.

En outre, le système actuel de Malgaches enseignant le français est particulièrement défectueux en ce que les deux ou trois inspecteurs de la colonie ont juste le temps d’inspecter et qu’il leur faudrait assister pendant des périodes de quelques semaines consécutives les maîtres indigènes, car ceux-ci oublient vite parmi leurs semblables ce qu’ils ont appris de notre langue par un programme chargé. Cette tâche exigerait donc au moins un personnel mobile d’agens français se déplaçant de village en village. Aux Philippines, ce sont des Américains qui enseignent eux-mêmes leur langue ; et pour qu’on en fasse circuler le plus possible dans le pays, on n’exige pas d’eux des diplômes spéciaux : ils répandent l’anglais par la conversation et en s’entre tenant avec les parens autant qu’avec leurs enfans. C’est particulièrement à Madagascar qu’il conviendrait d’agir ainsi au cours de ces longues heures de pétrake (repos) où tous les indigènes adorent causer, car, dans l’état présent des choses, les enfans, en rentrant chez eux, n’emploient que le malgache, et c’est là qu’ils oublient ce qu’on leur a montré à l’école. N’ayant qu’à parler, le même effectif de maîtres instruirait un bien plus grand nombre de personnes, la langue se divulguerait rapidement, puisque le Malgache a le plus vif désir de l’apprendre, et c’est seulement lorsqu’elle serait répandue qu’une sélection spontanée se ferait d’une élite apte à notre enseignement tel qu’il existe. D’ailleurs ainsi ont procédé nos soldats, au lendemain de la conquête, lorsque, le drapeau planté dans un village sakalave, ils s’improvisaient instituteurs, et ils ont obtenu dans l’Ouest des résultats supérieurs à ceux de l’enseignement officiel.

L’erreur initiale a été de croire que la protection d’une langue indigène est une mesure libérale. Maint humanitaire a félicité les Hollandais d’avoir respecté les dialectes javanais : ils les ont même maintenus d’office et défendus comme ils défendaient au XVIIIe siècle en camps retranchés les plants d’épices ; mais précisément voulaient-ils ainsi empêcher leurs sujets d’arriver à posséder une langue commune civilisée où ils pussent exprimer et faire connaître à l’Europe leurs revendications. A Madagascar, ce ne furent point les indigènes, mais certaines chambres consultatives de colons indigénophobes qui demandèrent à M. Lépreux, dans sa tournée d’inspection de la fin de l’année 1905, la suppression du français dans les écoles ; et si les protestans nous ont déclaré être partisans de l’enseignement du malgache le plus développé, y consacrant d’ailleurs beaucoup plus de temps qu’aux exercices de notre langue, il était sensible qu’ils obéissaient inconsciemment à un esprit d’animosité générale, avec l’instinct de rester en possession plus directe et sans contrôle de l’âme indigène. De l’avis de plusieurs instituteurs et de Hovas lettrés, les autochtones se sont rendu compte que le malgache était aussi difficile à apprendre que le français. La même chose nous fut certifiée par un des plus brillans élèves de l’École Le Myre de Vilers avec qui nous nous entretenions à Tananarive. Nous le revoyons assis devant nous en complet fantaisie dans un petit salon meublé de fauteuils Louis XV : à chaque phrase, finement conçue, difficilement prononcée, sa bouche s’épaissit et s’avance, son visage se tend dans un effort, les yeux roulent, le front se barre ; et, nous rappelant les Malgaches que nous avons vus élevés au lycée de la Réunion et qui s’exprimaient avec une si limpide aisance, conservant d’ailleurs le tour d’esprit indigène, mais ne gardant de l’idiome parlé dans leur enfance qu’une plus chantante souplesse de volubilité, nous avons l’impression qu’il ne serait pas si embarrassé s’il ne lui avait fallu sur les bancs de l’école se perfectionner analytiquement en langue et phonétique malgaches. Il parle lentement, hésitant entre les sons différens qu’il a appris concurremment. Sa pensée est d’une dialectique et d’un développement tout français, mais reste engoncée dans le pratique attentive de cette syntaxe indigène qu’il a dû acquérir, remonter dans ses moindres replis pour obtenir son diplôme. Il nous révèle que, pour encourager les jeunes Hovas à apprendre le malgache littéraire, on leur a dit que, s’il se perdait, la race perdrait de sa force, et ils finissent par le croire sans le bien comprendre ; néanmoins, ils aimeraient autant n’avoir à s’assimiler que le français.

Souple et nerveux, friand de civilisation, avisé non à agir, mais à ne pas se laisser tromper, le Malgache désire vivement s’approprier le français, et M. Raoul Allier, qui se prononce contre l’enseignement de notre langue aux Malgaches des campagnes, cite à ce sujet des pasteurs protestans qui en font l’aveu. Le premier chef du service de l’Instruction publique, M. Gautier, constatant une émulation étonnante à apprendre notre langue, perçut que le Hova a un besoin urgent de s’exprimer en français : il s’évite par là des malentendus et des désagrémens quotidiens, il échappe à la tyrannie et aux exactions des gouverneurs et des interprètes, il peut se mettre en communication directe avec le nouveau maître. Voilà les besoins réels de l’indigène, et ce n’est pas à ses besoins que répond la restauration du vieux-hova, mais à la satisfaction artistique des Vieux-Malgaches et autres Français malgachisans pour qui l’on a créé, en 1902, une Académie Malgache en vue « d’assurer la conservation de la langue indigène dans toute sa pureté. » On grève l’indigène d’impôts afin de mieux lui apprendre sa propre langue. « Le développement et les préoccupations des élèves, qui désirent avant tout acquérir des connaissances immédiatement monnayables, conclut M. Gautier, ne se prêteraient pas à une tentative de culture générale. Il s’agit, pour nous, de donner une vigoureuse impulsion à l’enseignement de notre langue ; pour eux, de se rendre dignes des hauts traitemens réservés de plus en plus aux Malgaches parlant français. » Ayant vécu longtemps au milieu de populations en partie malgaches, nous concluons à notre tour, d’une longue observation particulièrement orientée vers ce problème, que c’est par une langue qu’on civilise les gens, et qu’on les civilise lentement, et qu’ils se civilisent par une sélection spontanée : possédant par cette langue le moyen de relation, les indigènes s’en servent de leur initiative, conformément à leurs instincts, pour s’élever suivant leurs désirs ou leurs besoins.

Plus encore que le régime administratif, le système actuel d’enseignement ne peut aboutir qu’à créer l’unité de Madagascar par la langue hova et à préparer ainsi la domination hova, car, en raison de la densité et de l’intelligence de sa population, c’est de l’Imerina que le service de l’Instruction s’est occupé tout d’abord, c’est là qu’il a son centre, ses principaux établissemens, avec le siège de l’Académie malgache, c’est le dialecte hova qu’il est obligé, tout en en reconnaissant les dangers, d’imposer dans l’île entière, c’est aux légendes nationales et nationalistes des Hovas qu’il emprunte les textes des versions.

Sans craindre de se laisser fasciner par de grands mots, il fallait encore attirer ici l’attention sur la façon dont on travaille inconsciemment à une hégémonie hova dans la future fédération malgache qu’on se propose de susciter sous notre direction, car le service de l’enseignement est très important. Il ne l’est point seulement par l’émulation des Malgaches à s’instruire et parce qu’il imprègne de son esprit des instituteurs indigènes qui ont une bien plus grande influence sur la population que les administrateurs indigènes, mais parce qu’il préside encore à la formation des administrateurs et des interprètes judiciaires : il dirige même l’Ecole Administrative, siégeant à Tananarive, dont les étudians sont Hovas. Et c’est encore lui qui prépare les élèves de l’Ecole de Médecine.


V. — L’ASSISTANCE MÉDICALE

L’Assistance est considérée par les admirateurs et par les adversaires du général Galliéni comme son œuvre capitale à Madagascar, la plus originale, la plus sympathique et la plus heureuse. Objet de l’admiration des Allemands, elle a été copiée en Afrique Occidentale et en Indo-Chine. Le général eut tout à créer. Jusqu’en 1900, la pacification absorbant les énergies, on dut se borner à aménager quelques hôpitaux et à multiplier les consultations gratuites, ce qui se trouva être d’une excellente politique. On constata alors que la population était bien inférieure à ce que l’on croyait : on manda d’urgence à tous les officiers des secteurs d’aviser aux plus pressantes mesures « pour favoriser l’accroissement de la population. » Guerre à la mortalité ! Après la campagne de répression, il fallait donc se donner tout entier à une seconde campagne dirigée avec autant de précision et de vigueur : l’Assistance indigène a été conçue comme une opération militaire. Après la lutte défensive contre la variole, on prit l’offensive, on organisa une sorte d’occupation sanitaire des hauts plateaux qui furent investis d’hôpitaux et de postes (1900-1902), puis des provinces excentriques (1902-1905) : les administrateurs et les officiers font des incursions dans les campagnes, rabattent les lépreux dans les léproseries et les malades dans les hôpitaux ; le chiffre des indigènes soignés passe de 250000, en 1899, à 750 000 en 1901 pour arriver à 1700 000 en 1905, statistiques proclamées en bulletins de victoires.

En 1900 a été créé le corps des Médecins Indigènes de colonisation, institution principale qui donnera dans l’histoire coloniale son caractère et sa couleur à toute l’œuvre de l’Assistance : ces médecins sont formés à l’Ecole de Médecine de Tananarive par cinq années de cours assidus, militarisés ; diplômés, ils deviennent fonctionnaires, sont envoyés dans les postes de province pour y soigner gratuitement la population, la vacciner, diriger les hôpitaux ; en 1903, on leur a adjoint un corps de sages-femmes indigènes. Ces jeunes Hovas étaient-ils susceptibles de devenir des médecins ? Leur cerveau était-il apte à l’instruction suffisante, aux programmes très chargés qu’appliquent disciplinairement les médecins de l’armée qui les leur enseignent ? Et envoyés dans des postes isolés, perdus au milieu de leurs compatriotes inférieurs, n’allaient-ils pas bientôt rétrograder vers l’ignorance ? La Direction du Service de santé se déclare très satisfaite de ses élèves, et ils y montrent un esprit éveillé, attentif et prompt qui satisfait. Mais, Tananarive quitté, on est frappé de voir combien, à deux ou trois exceptions près, ceux qui ont déjà été appelés à pratiquer se révèlent inférieurs à leur tâche, plus piteux encore de toute leur suffisance. Hâves, jaunâtres, flétris, l’œil éteint et toute la personne falote, n’ayant d’éclat qu’à l’or des galons, ce sont d’impressionnans gardes-malades, plus attristans en vérité que comiques dans leurs uniformes européens où ils ressemblent à de malingres poupées japonaises et, dans l’exercice automatique de leurs fonctions, incapables de s’intéresser à leur tâche, tant ils restent fourbus, — plus encore que les instituteurs, — par leur long surmenage universitaire. Hagards à la moindre question, ils relèvent fiévreusement un front opaque où luisent ensemble l’épuisement et une certaine arrogance entêtée, muets et taciturnes, tremblans et toujours inquiets, et ils sont encore énervés par la dureté de maints administrateurs qui, maladroitement, ne leur ménagent en public ni mépris ni rebuffades, leur refusant la main et les traitant en « indigènes, » alors qu’à Tananarive on leur avait fait miroiter légalité comme privilège de l’instruction. Ils n’ont guère retenu que des formules. Certes, un programme limité à des cours fondamentaux d’hygiène et à des notions précises sur les maladies les plus courantes eût été davantage à leur portée ; ils auraient rendu autant de services qu’aujourd’hui et, très utiles rabatteurs, ils auraient adressé aux praticiens européens les cas complexes de médecine et la plupart des cas de chirurgie que les indigènes leur présentent.

Il faudra en venir à la révision du programme, comme elle a été effectuée en Indo-Chine : en effet, renchérissant sur Tananarive qu’il s’agissait de surpasser, puisque les Chinois sont une race lettrée bien supérieure à celle des Malgaches, on avait fondé, en 1902, à Hanoï, une Ecole de médecine indigène qui ambitionnait d’être non seulement un établissement d’instruction professionnelle, mais « un centre d’études supérieures affectées aux recherches scientifiques de l’ordre le plus élevé ; » un arrêté de 1904 dut réorganiser l’École, supprimant du programme l’histologie, l’anatomie pathologique, la bactériologie et la médecine légale. On ne vise plus qu’à faire des aides indigènes pour les médecins, au lieu de diplômer comme à Tananarive des « médecins de colonisation. », Tout en appréciant dans son ensemble l’œuvre d’assistance qui rend de réels services, on peut d’autant plus regretter les prérogatives et la liberté donnée aux impétrans indigènes que le contrôle européen auquel ils ont été astreints n’est pas effectif. Le personnel de Tananarive réunit des gens d’initiative, de caractère et de volonté : le docteur Jourdran, le docteur Fontoynont ou le docteur Maurras, esprits ingénieux et constructeurs, curieux des mœurs autant que des maladies indigènes, intelligences d’explorateurs et hommes d’action, au travail du matin au soir, donnent la plus vigoureuse impulsion à l’enseignement de la médecine à Tananarive et, psychologues autant que bons praticiens, le dirigent avec autorité et sagacité ; mais leur œuvre est d’autant plus vite compromise que leurs collègues de province ne mettent pas grand zèle à la continuer et à la compléter, que ce soit par aigreur ou parce qu’ils sont préoccupés de leur clientèle blanche.

Le résultat, c’est qu’en dépit des dépenses et du zèle de beaucoup, Madagascar se dépeuple. La variole, malgré la vaccination, a diminué de 20 p. 100 la population dans certaines provinces ; sur le plateau central même, le paludisme a fait son apparition, frappé par milliers de victimes : les médecins se déclarent découragés. On commence à s’en rendre compte : dans un pays qui était déjà infesté de graves maladies contagieuses, que l’insurrection avait dépeuplé et bouleversé, préparant le meilleur lit au cours débordé des épidémies, il était urgent d’attirer le plus de coloniaux possible ayant reçu une certaine instruction thérapeutique ; leur aide devait être beaucoup plus précieuse aux docteurs européens que celle des infirmiers indigènes et même des médecins de colonisation, néanmoins si indispensables qu’on n’hésitait pas à dépenser les sommes nécessaires à la création et à l’entretien de l’Ecole supérieure de Tananarive. Cependant, l’Administration Française faisait appliquer par trop prématurément, en 1904, la loi de 1892, conçue pour la métropole en vue d’y régir l’exercice de la médecine, loi qui écartait désormais et chassait de Madagascar les officiers de santé et les pharmaciens de 2e classe : ces derniers y étaient assez nombreux et avaient rendu de grands services pendant et après l’expédition ; les plus anciens d’entre eux, qui comptaient parmi les premiers pionniers de la colonisation française, durent faire intervenir des influences politiques pour ne pas être expulsés. On pourrait se demander comment l’idée d’une mesure aussi bizarre et préjudiciable a pu inspirer l’Administration, si on ne se rendait compte qu’il y avait tout intérêt pour certaines sociétés de commerce tard venues, grevées de frais généraux, ayant à leur solde des pharmaciens de première classe, de créer un privilège en faveur de ceux-ci[7], de monopoliser la pharmacie à Madagascar. Après quelques recherches au ministère des Colonies, on voit quels parlementaires intervinrent pour faire prendre le décret du 7 mars 1904, et les journaux de Tamatave ont publié les lettres pressantes qui leur furent adressées par leurs compatriotes, les agens des sociétés à Madagascar, liés avec les électeurs influens de leurs départemens. Au lieu de persécuter « les pharmaciens munis de diplômes étrangers ou coloniaux, » — toi est le texte officiel confondant aussi singulièrement les Français nés aux colonies avec les étrangers, — ce qui est d’autant plus inexplicable que ces Français nés aux colonies y ont subi leurs examens devant les commissions militaires composées de métropolitains, il eût été plus logique d’accueillir avec empressement ces diplômés qui ont l’expérience des maladies et de la thérapeutique coloniales, et il est certain que, bénéficiant des travaux de plusieurs générations de praticiens, ils connaissent des traitemens antipaludiques supérieurs à ceux qui sont prescrits par les Européens sans usage des pays tropicaux.

Les médecins civils de nos Facultés eux-mêmes peuvent se plaindre justement[8] que la part ait été mesurée trop belle à leurs confrères du corps de l’Etat par le décret de 1898, appuyé sur des faits fort contestables qui n’ont pu être fournis que par ces derniers. Ce décret a pour résultat d’éliminer des colonies nouvelles les praticiens indépendans qui y vivraient aisément si, en dehors de leur clientèle privée, fatalement incertaine, ils étaient utilisés par l’Administration au service des hôpitaux indigènes, comme cela a lieu dans les anciennes colonies, moyennant des subventions bien inférieures au prix de revient des chirurgiens de l’Etat. Au lieu d’attirer l’élément civil instruit, on a pris toutes les mesures qui pouvaient l’écarter : cependant, il est seul propre à créer dans nos nouvelles possessions des familles qui s’y établissent définitivement, premiers foyers de peuplement français de valeur supérieure, premiers ménages qui, attachés au pays par une charge professionnelle et par leurs intérêts, en subissent à l’accoutumance la beauté, se naturalisent, fixent autour d’eux des groupes indigènes dans une pacifique domestication, mettent au jour des enfans qui se sentent créoles en grandissant dans l’île, jaloux d’en défendre les intérêts dans une relation étroite avec les progrès de l’expansion française.


VI. — LES INCONVÉNIENS DE L’AUTODIDACTISME

Une considération générale s’impose lorsqu’on a étudié le système administratif, l’instruction publique et l’assistance médicale à Madagascar, en un mot le régime d’éducation des indigènes : le gouvernement de la Grande Ile semble avoir poussé jusqu’à l’héroïsme, voire jusqu’au sacrifice, la fierté de tout tirer de lui-même, de faire acte de création, de mener à bout son entreprise sans avoir recours à aucun exemple ni aux ressources d’aucune autre colonie. Nos plus remarquables historiens de la colonisation, M. Leroy-Beaulieu et M. Marcel Dubois, ont cependant mis en valeur que les progrès de l’expansion française dans une partie du monde dépendaient étroitement de la collaboration et de la solidarité entre établissemens voisins. S’ils ont fait ressortir que la prospérité économique mutuelle de deux colonies proches est en raison directe des bonnes relations qu’elles entretiennent, il est encore plus vrai que lorsque l’une est nouvelle, comme Madagascar, et organisée dans des conditions particulièrement difficiles avec des exigences de célérité, et que l’autre, comme la Réunion, a été peuplée à l’origine de Français qui n’y ont pas trouvé d’autochtones et ont transplanté la plus franche civilisation nationale dans l’île où ils se sont adaptés au climat, aux cultures tropicales et à l’éducation des races noires domestiquées par une œuvre de trois siècles, c’est une œuvre, c’est une expérience qu’on ne saurait négliger de consulter.

En vain l’île de la Réunion a-t-elle reçu ses institutions des Français du plus généreux génie, les Dumas, les La Bourdonnais, les Pierre Poivre ; en vain cette île a-t-elle attesté la pureté et la richesse de sa culture française en donnant au cours d’un siècle à la France plus d’écrivains qu’aucun département, Parny, Bertin et Dayot, Leconte de Lisle, Lacaussade et Léon Dierx, Ed. Hervé, J. Hermann et M. J. Bédier ; en vain a-t-elle prouvé sa force et sa souplesse d’expansion et le plus vivace patriotisme par la conquête de l’île Maurice sur l’inertie hollandaise, par sa participation capitale aux guerres de l’Inde et aux courses héroïques dans l’océan Indien comme aux expéditions de Madagascar, par le peuplement de la Cochinchine, de Nossibé et de la Nouvelle-Calédonie ; en vain est-ce l’initiative de ses habitans et de ses gouverneurs, la constance de leurs efforts dans la Grande Ile et l’insistance de leurs représentans au Parlement qui ont acquis Madagascar à la France, — « c’est la Réunion qui a conquis Madagascar, » déclare M. Gautier, — le Gouvernement général a eu pour préoccupation dominante de ne considérer rien de ce qui y avait été fait, d’écarter tous les créoles qui ne lui étaient point imposés par la protection des députés. On verra ultérieurement quel apport de colons et quelles leçons d’agriculture tropicale les Mascareignes (la Réunion et Maurice) pouvaient fournir à la Grande Terre : il convient de démontrer ici qu’on ne pouvait compter sans elles pour entreprendre l’éducation des races malgaches si on voulait les franciser. Ceux-là mêmes qui ont dénigré âprement ou malicieusement les créoles, volontiers têtus et présomptueux, ont toujours proclamé l’ardeur et l’intensité de leur patriotisme en quelque sorte condensé au cœur des montagnes insulaires pendant les deux siècles derniers de colonisation qui furent aussi deux siècles de lutte avec les Anglais, plus acharnée, étroite et continue qu’en Europe. Si l’on estimait que la meilleure façon de laisser sentir aux Hovas ou aux Betsiléos la valeur de la civilisation, c’était de leur faire apprécier la race française, de leur montrer comment elle use de cette civilisation chez elle, dans ses logis aimables et hospitaliers, si l’on estimait que, pour les assujettir sûrement, doucement et définitivement, par une attraction spontanée, il fallait non point leur inculquer toutes les connaissances des Français, mais les franciser lentement par la sensibilité et le commerce le plus large et le plus enjoué des mœurs nationales, il valait mieux ne pas expédier coûteusement en Europe quelques lauréats, dont les plus distingués sont morts de la poitrine, et en diriger vers la colonie voisine où, retrouvant fixés un certain nombre de leurs compatriotes, ils ne se fussent pas sentis dépaysés. Elevés en camarades au milieu des jeunes blancs, ils y eussent appris à comprendre, non par des leçons, mais par l’accoutumance de la vie quotidienne, nos idées, notre langue et nos sciences ; ils eussent acquis, au contact et par l’émulation taquine et pressante des enfans, l’amour de la France. Les Réunionnais qui ont été élevés à Saint-Denis, au lycée Leconte de Lisle, y ont souvent eu pour condisciples de petits Betsimisares, que leurs parens y envoyaient faire des études avant la conquête, et ils peuvent témoigner qu’à la sortie des classes la tonalité de la peau permettait seule d’établir une différence entre ces Malgaches et leurs camarades. Outre qu’ils parlent un français plus correct que celui de notre petite bourgeoisie ouvrière, y mettant du soin sans effort et, pour mieux dire, de la civilité, ils n’ont eu aucune peine à s’assimiler, tout aussi bien que les plus blancs, l’esprit des sciences et du progrès, le sens de la composition française, la grâce des manières polies, le goût de la race et le génie des auteurs classiques.

Voyageant plus tard dans la Grande Ile, on y rejoint quelques-uns de ceux qui s’y sont établis et l’on entend dire par les Européens qu’ils sont redevenus sauvages dès qu’ils sont rentrés dans leurs familles : sans doute est-ce qu’ils ne se livrent pas aux métropolitains dont ils sentent les préventions et écoutent débiter péremptoirement les préjugés. L’un d’eux, par exemple, est avocat à Tamatave : aimable, un peu négligé, mais galant, spirituel, disert à avoir une fois tenu sous le charme par une demi-heure d’improvisations élégantes un cercle de professeurs parisiens et bourbonnais, il emploie le plus volontiers sa parole souple et son éloquence sentimentale, même un peu larmoyante devant les juges, à faire acquitter à tort ou à raison ses congénères illettrés : pour lui ne sont-ils pas toujours pitoyables ou amusans ? Il ne cache point leurs défauts, mais il se plaît davantage à affirmer leurs qualités, pour sacrifier à la sensibilité humanitaire qui fut cultivée chez lui au lycée et pour en favoriser le développement ; et c’est uniquement sur le respect de leurs droits qu’à son avis on peut asseoir solidement le gouvernement de la France, il ne dit point la domination, parce qu’instinctivement il voit dans les Malgaches des sujets-citoyens qui s’élèveront peu à peu à la conscience sans que s’altère en rien pour cela le fond de leur race. D’ailleurs, selon lui, qu’est-ce qui peut s’y modifier profondément ? Les Malgaches ne possèdent-ils pas en germe les mêmes facultés que les autres hommes et qu’il s’agit simplement de sélectionner sous une administration libérale ; ne sont-ce pas exactement les qualités et défauts qu’il retrouve combinés en proportions différentes chez les Européens, et que ses professeurs et le commerce de la société blanche ont développés et polis ? De ses sensations et de ses sentimens la partie superficielle seule, un certain lustre tropical, la coloration originale sont malgaches, parce qu’il a subi l’impression du milieu natal et goûté la poésie de la « Terre des Ancêtres ; » mais il les a subies et goûtées avec une sensibilité que la culture française même a rendue plus vive et pénétrante. Avec un humour très malgache où s’insinuent peut-être des souvenirs de Rabelais et l’assimilation rapide du talent de nos conteurs modernes, il débite en riant de pétulance les légendes paysannes où se narre la crédulité matoise des Betsimisares. Il en a plein la bouche, remuant de verve sa tête crépue à la Dumas ; jovial, il se grise comme les Parisiens aux fins de souper de la facilité de son débit et du pittoresque des mots, il promet d’écrire une histoire savoureuse des Betsimisares, il critique l’administration métropolitaine : c’est un Français, bistré de méridionalisme, voilà tout.

Dans un toast à une réunion des anciens élèves du lycée Leçon te de Lisle, il a expliqué comment il se sentait à la fois Malgache par les sens et Français par l’intelligence et le cœur : le lycée a modelé son intelligence malléable et le milieu créole a formé son cœur. Il n’a pas beaucoup de volonté : elle n’est point nécessaire à une race qui a encore à enrichir son esprit. Les Hovas des Ecoles de Tananarive en détiennent bien plus que lui : c’est qu’on a développé chez eux le sens pratique, l’intérêt et même l’ambition, en cultivant avec soin l’émulation. Ceux qui étaient élevés à la Réunion en éprouvaient aussi, mais ce n’était point seulement le zèle scolaire et l’ardeur d’arriver qui y étaient incités ; elle venait du commerce quotidien avec leurs camarades de race supérieure mais de mœurs bienveillantes. Peut-être bien n’était-ce point à Tananarive, métropole des Hovas restée le lieu de concentration de leur hostilité sournoise et le réservoir marécageux des forces latentes de désorganisation, qu’il fallait édifier les grandes écoles pour l’éducation des Malgaches, mais plutôt, à trente heures de Tamalave, au chef-lieu de la Réunion, dans un centre français, où tout était prêt pour les recevoir, au milieu d’une population blanche, raffinée et hospitalière, et d’une population noire urbanisée dont les enfans, très fiers de leurs titres de citoyens français, eussent stimulé le dévouement des lauréats malgaches à leur nouvelle patrie ? A Saint-Denis, dans cette ville de jardins et de mœurs gracieuses où vivent toutes nos traditions et se propagent les inventions modernes par le cours naturel et non forcé de l’industrie publique, où se perpétue une société stable et patiente, attachée au pays et constante dans sa morale au lieu de la colonie flottante, composite, spleenétique et fêtarde de Tananarive, tout parle de la France, tout les eût discrètement, insensiblement imprégnés de la fraîcheur de notre civilisation. Mais on ne s’est jamais préoccupé de franciser les Malgaches ; ignorant notre histoire coloniale, on a même considéré que c’était une chose impossible ; on a fait une colonisation à l’américaine qui ne correspond étroitement ni à l’évolution de notre expansion séculaire dans l’océan Indien, ni à notre génie national.

A défaut de vues patriotiques, les considérations d’économie eussent pu prévaloir : à Saint-Denis, les services depuis longtemps existans de l’Instruction publique et des hôpitaux eussent été améliorés et adaptés à l’œuvre nouvelle avec des sommes moindres. On ne saurait d’ailleurs instituer d’écoles supérieures que dans un pays où le niveau de l’éducation publique est moyen. Une condition plus importante encore indiquait la Réunion comme le meilleur lieu où les jeunes Malgaches pussent accomplir leurs études : cette île est le seul sanatorium naturel de l’océan Indien ; en vain toutes les autorités compétentes se sont-elles appliquées à en découvrir d’autres à l’intérieur de la Grande Ile ou dans ses annexes : le climat suave et capiteux des cirques intérieurs de la Réunion est seul susceptible de tonifier les organismes que la chaleur des côtes ou les orages des hauts plateaux ont anémiés et alanguis de spleen. Il attire les Anglais et les Allemands des colonies voisines, et le général Galliéni était enfin décidé en 1904, après un voyage, à y diriger les malades de Madagascar ; son projet mérite d’être examiné à nouveau par le docteur Augagneur : c’est à leur chevet et dans les hôpitaux communaux de l’île, véritables musées ethnologiques, que, sous la direction des médecins militaires et dans la compagnie des médecins civils de la Réunion, héritiers des Azéma et des Trolet, rivalisant d’initiative, les plus brillans étudians malgaches et créoles, mêlés en un concours studieux, eussent le mieux observé les maladies, fondant ainsi sur des bases solides et par une collaboration variée la médecine tropicale : livrés à leurs seules ressources, les chirurgiens de l’Etat de Tananarive, qui, pour la plupart, n’y résident guère plus de quatre ou cinq ans, seront insuffisans à la constituer ; et c’est une perte pour la science et pour la France qui ne pouvait trouver un meilleur terrain où favoriser l’essor d’une lignée de médecins coloniaux aussi investigateurs que les docteurs indiens des Facultés anglaises.

Cette vie d’échange, de relations constantes entre Madagascar et la Réunion, eut avivé et développé les forces intellectuelles de celle-ci et l’eût forcée à réformer ce qu’il y a de routinier dans ses services. Cette collaboration fervente des deux colonies eût produit une activité dans l’entraînement de laquelle tous eussent été contraints, encore que par un libre jeu, de progresser. Mais l’on a élevé des barrières entre les deux îles : barrières douanières, frontières académiques. La Réunion, aux produits de laquelle on a fermé, depuis 1898, les portes de Madagascar, tandis que l’Angleterre ouvre toutes grandes celles de l’Inde aux sucres mauriciens, la Réunion a été en partie ruinée par la conquête de Madagascar où ses enfans ont versé leur sang sans compter ; Madagascar a son budget indéfiniment obéré pour avoir voulu trop tôt s’émanciper, non de la tutelle, mais d’une assistance de son aînée qui ne pouvait être gênante, puisqu’elle avait pour base nécessaire une mutualité de bons offices, et ce n’est pas seulement ses services d’administration, d’instruction et d’assistance qui sont entravés, mais son développement économique qui est compromis par la frénésie d’autodidactisme de ses directeurs d’agriculture et d’industrie. On a isolé Madagascar ; et, dans cette île isolée, la population emprisonnée, — à qui l’on a ôté le droit d’aller travailler dans les plantations des Mascareignes, d’où elle rapportait jadis de l’argent, quelque usage du français et la connaissance des principales cultures tropicales, — la population enrégimentée dans les écoles semble devoir se laisser de plus en plus atteindre de consomption, et on s’apercevra plus tard que le paludisme n’était peut-être pas le plus grave fléau dont il importait de la protéger : on épuise la race, l’ennui la gagne, et l’ennui est susceptible de désoler les Malgaches surmenés et étiolés comme il a démoralisé et désagrégé les populations canaques de nos établissemens d’Océanie.


MARIUS-ARY LEBLOND.


  1. Voyez la Revue du 1er janvier, du 15 mars, du 1er avril et du 15 juin.
  2. Papiers écrits ou imprimés ; mot très employé auquel s’attache du prestige.
  3. Type de devoir d’élève : « Le seul affluent français du Rhin est la Moselle grossie de la Meurthe et dont le cours s’achève en Allemagne. La Meuse prend sa source aux Monts Faucilles, elle passe à Sedan, à Mézières, continue son cours en Belgique où elle reçoit la Sambre et se jette dans la mer du Nord. L’Escaut passe aussi de France en Belgique. » Ecole Rabaut Saint-Etienne.
  4. Le but de cette réforme est l’économie : il s’agit de former « des auxiliaires qui prennent la place du prolétariat administratif français. » (J. Off.)
  5. Plus analytiquement et péremptoirement, M. Raoul Allier dogmatise de Paris : « Eh bien ! je pose délibérément en principe que des hommes n’apprennent à réfléchir que dans leur propre langue, avec des mots qui sont bien à eux et dont ils saisissent toutes les nuances, avec une syntaxe qui incarne leur logique particulière. Ils n’y arrivent pas dans un idiome qui leur est étranger et dont toute la vie intime ne répond à rien dans leur vie intellectuelle. » A quoi l’observation répond : les indigènes, l’esprit éveillé par la nécessité de se l’assimiler, saisissent beaucoup plus les nuances et intentions d’une langue étrangère que celles de leur langue maternelle, devenue routinière et fruste pour eux. La syntaxe malgache, enseignée pédantesquement dans les écoles, ne peut incarner leur logique intime. Il ne peut être question de la vie intime d’une grande langue comme le français pour des indigènes à qui on en apprend ce qu’il y a d’extérieur. Enfin, comme il ne s’agit pas de leur apprendre à « réfléchir » dans le sens où M. Allier l’entend, sa remarque vaut surtout pour l’enseignement religieux et non pour les leçons de choses ; et la langue malgache est reconnue absolument impropre aux plus essentielles explications scientifiques. M. Allier oublie qu’en Europe même les enfans ont des bonnes étrangères. — Il cite victorieusement cet adage de M. Michel Bréal au sujet des écoles de France : « C’est pour avoir méconnu la force des attaches locales que notre culture est trop souvent sans racine et sans profondeur. » Veut-on prétendre que M. Bréal demande d’enseigner le breton en Bretagne ? Les attaches locales, ce n’est point la langue, mais l’histoire naturelle du pays.
  6. Selon M. Deschamps lui-même qui établit que, « pour ceux-ci, le dialecte hova, loin d’être leur langue maternelle, est presque une langue étrangère. » Mais c’est pour demander que des livres soient publiés dans tous les dialectes : on voit quelle dépense et à quoi cela aboutirait : à créer autant de « mentalités » futures que de peuplades.
  7. C’est à eux seuls que les commandes du Gouvernement général sont faites lorsque les magasins de l’État sont vides, sans adjudication : le pharmacien en chef sait qu’ils exigent alors des prix élevés.
  8. Voyez le Concours médical du 28 décembre 1901.