Madame Chrysanthème/14

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Calmann Lévy (p. 90-91).
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XIV


M. Sucre et madame Prune[1], mon propriétaire et sa femme, deux impayables, échappés de paravent », habitent au-dessous de nous, au rez-de-chaussée. Bien vieux l’un et l’autre pour avoir cette fille de quinze ans, Oyouki, Tamie inséparable de Chrysanthème.

Confits tous deux en dévotion shintoïste ; toujours à genoux devant leur autel familial ; toujours occupés à dire aux Esprits leurs longues oraisons, en claquant des mains de temps en temps pour rappeler autour d’eux ces essences inattentives qui flottent dans les airs. — À leurs moments perdus, cultivent, dans des petits pots de faïence peinturlurée, des arbustes nains, des fleurs invraisemblables qui le soir sentent très bon.

M. Sucre, silencieux, peu visiteur, desséché comme une momie dans sa robe de coton bleu. Écrivant beaucoup (ses mémoires, je pense) avec un pinceau tenu du bout des doigts, sur de longues bandes de papier de riz légèrement teintées de grisâtre.

Madame Prune, empressée, obséquieuse, rapace, les sourcils rigoureusement rasés, les dents soigneusement laquées de noir, ainsi qu’il convient à une dame comme il faut. À toute heure, apparaissant à quatre pattes à l’entrée de notre logis, pour nous offrir quelque service.

Oyouki, faisant chez nous, dix fois par jour, des entrées intempestives (quand on dort, quand on s’habille), arrivant comme une bouffée de jeunesse mignarde et de gaîté drôle, comme un vivant éclat de rire. Toute ronde de taille, toute ronde de figure. Moitié bébé, moitié jeune fille. Et de si bonne amitié, à propos d’un rien vous embrassant à pleine bouche, avec ses grosses lèvres ballantes qui mouillent un peu, mais qui sont bien fraîches, bien rouges…


  1. En japonais : Sato-san et Oumé san.