Madame Favart (Duru-Chivot)/Acte II

La bibliothèque libre.
Libraire – Barbré – Editeur (p. 43-91).
◄  Acte I
Acte III  ►

ACTE DEUXIÈME


CHEZ HECTOR DE BOISPRÉAU

Le théâtre représente un salon, avec trois portes au fond, ouvrant sur un parc. — À droite et à gauche au premier plan, portes avec des draperies. — À droite, une cheminée, du même côté un canapé. — À gauche, une petite table sur laquelle sont des papiers, un encrier, une sonnette et un timbre.



Scène PREMIÈRE

HECTOR, MADAME FAVART, en soubrette, Un Tapissier, Un Agent de Police.

Au lever du rideau, Hector est assis à la petite table et feuillette des papiers. — Un agent de police et un tapissier sont debout devant lui, le chapeau à la main. — Madame Favart, à droite, époussette les meubles.

HECTOR, au tapissier.

Eh bien ! monsieur le tapissier, où en sont vos hommes ?

LE TAPISSIER.
Ils achèvent le grand salon.
HECTOR.

Dépêchez-vous… n’oubliez pas que je donne ce soir une grande fête et que vous avez encore cette pièce à décorer.

Le tapissier salue et sort.

HECTOR.

Quant à vous, monsieur l’exempt, j’ai lu vos rapports, ils sont en règle et vous pouvez vous retirer.

L’EXEMPT.

Pas d’ordres particuliers ?

HECTOR.

Aucun… Reprenez votre service et venez m’informer ce soir de ce que vous aurez vu… allez !…

L’agent s’incline et sort.

MADAME FAVART, son plumeau à la main.

Bravo ! La parole brève !… le geste plein d’autorité !… Vous étiez né pour commander…

HECTOR, se levant.

N’est-ce pas ?… Eh bien, et vous, Justine, savez-vous que je vous admire… On dirait que vous avez été soubrette toute votre vie… Seulement, ce qui me désole, c’est de vous voir forcée de continuer le personnage…

MADAME FAVART.

Il faut bien s’y résigner… jusqu’au moment où Favart et moi nous trouverons une occasion sûre de passer en Belgique…

HECTOR.

J’espère que cela ne tardera pas… du reste, il n’y a encore que huit jours que nous sommes arrivés à Douai et que je suis installé dans mes fonctions de lieutenant de police…

MADAME FAVART.
Et dans celles infiniment plus agréables… de nouveau marié !
HECTOR, gaîment.

C’est vrai ! Je suis marié.

COUPLETS.
I
––––––Suzanne est aujourd’hui ma femme,
––––––Et, jugez si c’est merveilleux,
––––––Elle est ma femme et je proclame
––––––Que je ne pouvais trouver mieux
––––––Pour moi c’est le ciel sur la terre,
––––––C’est plus que mon cœur n’espéra ;
––––––Et c’est à vous seule, ma chère,
––––––Que je dois tout ce bonheur-là.
II
––––––J’aime une nombreuse famille,
––––––Or donc, avant trois ou quatre ans,
––––––Je veux qu’autour de moi fourmille
––––––Une troupe de garnements.
––––––Enfin bientôt j’aurai, j’espère,
––––––Tous les ennuis d’être papa ;
––––––Et c’est encore à vous, ma chère,
––––––Que je devrai ce bonheur-là.
MADAME FAVART, légèrement.

Bah !… j’ai eu bien peu de mérite, allez !… Si vous saviez comme ce pauvre marquis a été facile à embobiner…

HECTOR.

On le dit pourtant très-dangereux…

MADAME FAVART.

Lui !… Allons donc ! C’est une réputation usurpée… J’en suis venue à bout avec quelques sourires et quelques œillades…

HECTOR.

De la menue monnaie…

MADAME FAVART.
Et toutes pièces fausses… Il s’est payé avec ça…
HECTOR.

N’importe ! Vous présenter comme ma femme, c’était hardi, et s’il apprenait jamais qu’on s’est moqué de lui à ce point-là, savez-vous qu’il me ferait jeter en prison…

MADAME FAVART.

Bah !… Que pouvez-vous craindre ?… Le marquis ne quitte jamais Arras, et il n’y a que vous et moi qui connaissions cette histoire. Votre femme n’en sait rien, ni Favart non plus…

HECTOR.

Heureusement ; car il serait capable d’en manquer toutes ses sauces…

MADAME FAVART.

Et ce serait dommage… car il les réussit à merveille… il a pris ses fonctions de cuisinier au sérieux… et ma foi, je trouve qu’il est superbe sous le tablier blanc et le casque à mèche…

HECTOR.

Superbe, c’est le mot…

MADAME FAVART.

Je ne peux pas le regarder sans rire… (Montrant Favart qui a paru au fond, en cuisinier.) Tenez, voyez-moi un peu cette tête ?


Scène II

Les Mêmes, FAVART, en cuisinier.
FAVART.

Elle est bonne, n’est-ce pas, la tête ?… (Entrant et prenant l’attitude d’un domestique qui attend des ordres.) Je viens prendre les ordres de monsieur. Qu’est-ce que monsieur commandera ce matin pour son déjeuner ?… (Changeant de ton et donnant familièrement une poignée de main à Hector.) Bonjour, Hector, ça va bien ?

HECTOR, lui serrant la main.

Pas mal, et vous, cher ami ?

FAVART.

Moi, ça boulotte !… je suis en train de vous préparer le grand souper de ce soir, tous mes marmitons sont l’œuvre… et moi, je les commande, la cuiller à pot à main, ça m’amuse beaucoup !

HECTOR.

Tant mieux !…

FAVART.

D’ailleurs, ça me rappelle ma jeunesse… mon premier état… lorsque, élève de mon père, je l’aidais à confectionner des échaudés… ce chef-d’œuvre de légèreté qu’il venait d’inventer…

HECTOR.

Jolie invention !

FAVART.

Invention sublime !… et qui prouve que le papa Favart connaissait bien son pays…

COUPLETS.
I
–––––––Quand du four on le retire,
–––––––Tout fumant et tout doré,
–––––––Aussitôt chacun admire
–––––––Le gâteau bien préparé.
–––––––Il a fort belle apparence,
–––––––On est pressé d’en manger.
–––––––Mais pour de la consistance
–––––––Il n’en faut pas exiger.
–––––––Mettez-le dans la balance,
–––––––C’est léger, léger, léger !
II
–––––––Chacun dit : La belle mine,
–––––––C’est un gâteau sérieux,
–––––––Mais pour peu qu’on l’examine,
–––––––On s’aperçoit qu’il est creux.
–––––––Bien des gens dans notre France
–––––––Ainsi peuvent se juger,
–––––––Tout pleins de leur importance
–––––––Vous les voyez se gonfler !
–––––––Mettez-les dans la balance,
–––––––C’est léger, léger, léger !
HECTOR.

Bravo, Favart ! toujours la chanson aux lèvres…

FAVART.

Toujours !… Que voulez-vous, la gaîté et moi nous sommes inséparables !… et puis, je suis si tranquille ici…

MADAME FAVART.

Oui… Eh bien ! moi je ne le suis pas tant que toi…

FAVART.

Bah depuis quand ?…

MADAME FAVART.

Depuis avant-hier… (A Hector.) Depuis la visite de votre tante, la vieille comtesse de Montgriffon…

HECTOR.

Pourquoi ?… Que craignez-vous d’elle ?…

MADAME FAVART.
Je ne sais… mais lorsque je lui ai servi un verre de malaga et un biscuit, elle m’a regardée d’un air singulier, à travers ses lunettes… elle vous a dit : (Imitant la voix de la comtesse.) « Mon neveu, quelle est donc cette petite ?… » Vous avez répondu : c’est Toinon ma servante… (Imitant la comtesse.) « Ah ! ah ! c’est Toinon, votre servante, ah ! ah !… » et elle a de nouveau braqué sur moi ses lunettes avec une ténacité, une persistance… J’ai peur qu’elle ne m’ait vue jouer à Paris et qu’elle ne m’ait reconnue…
FAVART.

Diable, ce serait grave…

HECTOR.

Oui, car elle n’est pas bonne, la chère tante, — mais je suis convaincu que vous vous alarmez à tort, et la preuve, c’est qu’elle est partie sans faire la moindre observation et j’ai même remarqué qu’elle avait été charmante pour Suzanne… Tiens, mais à propos, où est-elle donc, Suzanne ?…

FAVART.

Elle vient de sortir, elle est allée faire les dernières commandes pour la fête de ce soir…

HECTOR.

Fête de mon installation. J’ai invité tous les notable de la ville… Je crois que ce sera superbe et que… (Grand bruit au dehors.) Hein ? Quel est ce bruit ?

MADAME FAVART.

Quelque rixe, sans doute… quelque malfaiteur qu’on vous amène… (A Favart.) Va donc voir, Charles…

FAVART.

Tout de suite…

Il sort. — Nouveau bruit au dehors.

HECTOR, à madame Favart.

Mais non, écoutez… ce sont des cris de joie, des vivats…

MADAME FAVART.

En effet… (Inquiète.) Qu’est-ce que cela signifie ?

FAVART, revenant vivement.

Grande nouvelle ! grande nouvelle ! quel honneur pour vous, mon cher Hector…

HECTOR.

Quoi donc ?

MADAME FAVART, de même.
Parle, parle…
FAVART.

C’est le marquis de Pontsablé, c’est le gouverneur de l’Artois qui vient vous voir et toute la foule qui le suivait a forcé les grilles… (Criant au fond.) Par ici, par ici, monseigneur !… (A Hector.) Moi je cours endosser ma livrée…

Il disparaît.

HECTOR, épouvanté.

Le marquis !… Le marquis chez moi !…

MADAME FAVART, poussant un cri étouffé.

Ah ! mon Dieu !

HECTOR, à madame Favart.

Et vous qui me disiez qu’il ne quittait jamais Arras…

MADAME FAVART, attérée.

C’est une fatalité !

HECTOR.

Il va me demander à voir ma femme…

MADAME FAVART.

C’est évident…

HECTOR.

Le voici… (A madame Favart.) Je suis perdu !…

MADAME FAVART.

Peut-être !…

Elle sort vivement par la droite.


Scène III

HECTOR, LE MARQUIS DE PONTSABLÉ, Officiers de sa suite, Paysans et Paysannes, au fond.
CHŒUR.
––––––––––Honneur, honneur
––––––––––A monseigneur
––––––––––Le gouverneur !
––––––Autour de lui que l’on s’empresse
––––––Et tous pleins d’une douce ivresse,
––––––––––Répétons en chœur :
––––––––––Honneur, honneur
––––––––––A monseigneur
––––––––––Le gouverneur !
PONTSABLÉ.
––Cet accueil très-flatteur dont je suis enchanté
––––––N’est après tout que mérité,
––Dernier des Pontsablé, je suis la noble trace
––––––Des chefs de mon illustre race.
I
–––––––Mes aïeux, hommes de guerre,
–––––––Dans le fond gens excellents,
–––––––Mais sujets à la colère,
–––––––N’étaient pas très-endurants !
–––––––Pour un rien, une vétille,
–––––––Ils rageaient à qui mieux mieux…
–––––––Enfoncer une bastille
–––––––Ce n’était qu’un jeu pour eux !
–––––––Par respect pour ma famille,
–––––––Je fais comme mes aïeux !
LE CHŒUR.
–––––––Par respect pour sa famille,
–––––––Il fait comme ses aïeux !
PONTSABLÉ.
–––––––Mes aïeux auprès des femmes
–––––––Etaient très-entreprenants,
–––––––Et beaucoup de nobles dames,
–––––––Les eurent pour leurs galants.
–––––––Leur longue histoire fourmille
–––––––Des exploits les plus fameux.
–––––––Nobles dames, jeunes filles,
–––––––Rien n’était sacré pour eux !
–––––––Par respect pour ma famille,
–––––––Je fais comme mes aïeux !
LE CHŒUR.
–––––––Par respect pour sa famille,
–––––––Il fait comme ses aïeux !
PONTSABLÉ, à la foule.
––––––Maintenant, vous m’avez bien vu,
––––––Je vous ai montré ma personne,
––––––De vos cris je suis rebattu.
––––––Eloignez-vous, je vous l’ordonne.
LES OFFICIERS, faisant reculer la foule.
––––––Eloignez-vous, on vous l’ordonne !
LA FOULE, se retirant.
––––––––––Honneur, honneur
––––––––––A monseigneur
––––––––––Le gouverneur !

Tout le monde se retire. Les officiers de la suite de Pontsablé restent au fond, dans le parc, en vue du public.


Scène IV

HECTOR, PONTSABLÉ.
PONTSABLÉ, à Hector.

Enfin ! nous pouvons causer… Ce n’est pas moi que vous attendiez, avouez-le…

HECTOR, troublé.

En effet… j’étais loin de supposer que vous me feriez l’honneur…

PONTSABLÉ.

Une affaire importante qui m’appelle à Douai…

HECTOR, inquiet.

Ah ! une affaire ?…

PONTSABLÉ.

Oui… vous comprenez que je n’ai pas voulu descendre chez un autre que chez vous !…

HECTOR.
Vous êtes vraiment trop bon… trop bon…
PONTSABLÉ.

Ainsi, vous voilà tout à fait installé ?

HECTOR.

Tout à fait… et je remercie monsieur le marquis de laa faveur qu’il m’a faite en me nommant.

PONTSABLÉ.

Ne parlons pas de ça… Votre mérite… vos talent : vos hautes capacités vous désignaient à mon choix…

HECTOR.

Je suis confus…

PONTSABLÉ.

Avec moi, jamais de passe-droit… je ne me laisse pas influencer… (Changeant de ton.) Et votre femme, comment va-t-elle ?

HECTOR.

Ma femme ?… (A part.) Nous y voilà !… (Haut.) Elle bien, monseigneur, elle va très-bien…

PONTSABLÉ.

J’en suis ravi… et j’ai hâte de lui présenter mes hommages…

HECTOR, balbutiant.

Oui… vous voulez lui présenter ?…

PONTSABLÉ.

Mes hommages… naturellement…

HECTOR.

Naturellement… mais c’est que c’est impossible.

PONTSABLÉ.

Comment ! impossible ?…

HECTOR.

Elle est sortie…

PONTSABLÉ.
Je l’attendrai…
HECTOR.

Elle ne rentrera que dans trois jours !…

PONTSABLÉ.

Dans trois jours !…

HECTOR.

Elle est allée voir une pauvre malade, une de ses amies de pension qui a soixante-dix-sept ans… (Le marquis étonné le regarde.) Non… je veux dire… dont la mère a soixante-dix-sept ans !… Alors, vous comprenez…

PONTSABLÉ.

C’est fâcheux !…

HECTOR.

Ah ! oui !…

PONTSABLÉ.

Et je suis désolé…

HECTOR.

Moi aussi…

PONTSABLÉ.

Est-ce qu’il n’y a pas moyen de la faire prévenir ?…

HECTOR.

Oh ! pas moyen… vous comprenez… l’humanité… une malade… quatre-vingt-dix-sept ans !


Scène V

Les Mêmes, FAVART, en grande livrée.
FAVART, entrant. Il porte deux candélabres qu’il va poser sur la cheminée.

Monsieur !…

HECTOR.
Qu’est-ce que c’est ?…
FAVART.

Je viens prévenir monsieur que madame est rentrée…

HECTOR, à part.

Haigne !… animal !…

PONTSABLÉ.

Bon… très-bien… C’est que la vieille dame va mieux…

HECTOR.

C’est impossible… Il ne sait pas ce qu’il dit… tu te trompes… (Il fait des signes à Favart.) Ma femme n’est pas rentrée.

FAVART, sans le voir.

Mais, si, monsieur, puisque je viens de lui parler…

HECTOR, désolé. — À part.

Il ne comprend rien…

PONTSABLÉ, à Hector.

C’est drôle… vous paraissez tout troublé…

HECTOR.

Moi… du tout… au contraire… (Vivement.) Monseigneur désirerait-il prendre un verre de liqueur et un biscuit ?

FAVART.

Du biscuit de Savoie… nous en avons de délicieux.

PONTSABLÉ.

Volontiers, mais plus tard. (A Hector, montrant Favart.) Quel est ce garçon ?…

HECTOR.

C’est… Benoît… un de mes domestiques.

PONTSABLÉ, examinant Favart.

Il a l’air fort intelligent, ce Benoît…

HECTOR, grommelant.
Oui, très-intelligent… (A Favart.) Va-t’en !
FAVART.

Oui, monsieur… Ah ! j’oubliais…

HECTOR.

Quoi encore ?…

FAVART.

Madame fait demander à monsieur à quelle heure il faut allumer dans les salons pour la fête de ce soir…

PONTSABLÉ, étonné.

Une fête… Comment, vous donnez une fête ?…

HECTOR, à part.

Haigne !… maladroit…

Il fait des signes à Favart.

FAVART, étonné, répétant les gestes d’Hector.

Qu’est-ce qu’il a donc à faire comme ça ?…

HECTOR.

Oh ! une fête… c’est-à-dire…

FAVART.

Une fête superbe… pour célébrer l’installation de monsieur…

HECTOR, à part.

Il est enragé !… (Haut.) Quelques personnes…

FAVART.

Monsieur a invité toute la ville… on s’écrasera…

HECTOR, à part.

Il ne se taira pas !…

PONTSABLÉ, à Hector.

Et vous ne me soufflez pas un mot de tout cela ?…

HECTOR.
L’émotion… le plaisir de vous voir… et puis je sais que les nombreuses affaires de monsieur le marquis ne nous permettent pas d’espérer l’honneur de sa présence…
PONTSABLÉ.

Pourquoi donc ?… Au contraire… je me ferai un véritable plaisir d’assister à cette fête.

HECTOR, à part.

Ah ! bon ! me voilà bien !… (A Favart avec colère.) Va-t’en !

FAVART.

Mais, monsieur, permettez…

HECTOR, à part.

Il va encore dire quelque sottise… (Haut.) Veux-tu t’en aller, crétin, idiot !…

FAVART.

Oui, monsieur… (A part.) Si j’y comprends quelque chose…

PONTSABLÉ.

Comme vous le secouez, ce pauvre garçon… (A Favart.) Mon ami !… (A Hector.) Voulez-vous me permettre de lui donner un ordre ?…

HECTOR, avec abattement.

Tout ce que vous voudrez, marquis, vous êtes chez vous !… (A part.) Je n’en puis plus !

PONTSABLÉ, à Favart.

Mon ami, va dire à ta maîtresse que le marquis de Pontsablé désire lui présenter ses hommages…

FAVART.

Oui, monseigneur, j’y cours… (Voyant Hector qui lui fait de nouveau des gestes.) Mais qu’est-ce qu’il a donc ? il est malade…

Il sort.

HECTOR, à part.
Allons ! c’est fini, impossible de lutter davantage… autant tout lui dire… (Haut.) Monseigneur, un mot… ma femme… que vous avez vue à Arras… ne peut paraître devant vous…
MADAME FAVART, paraissant dans le parc en grande dame.

Allons vite… des fleurs partout… Remplissez les jardinières…

PONTSABLÉ.

Eh ! mais… la voilà… c’est elle…

HECTOR, à part.

Justine !…


Scène V

MADAME FAVART, PONTSABLÉ, HECTOR.
PONTSABLÉ, allant au-devant d’elle.

Venez, venez donc, belle dame…

MADAME FAVART, jouant la surprise.

Monsieur de Pontsablé !… Quelle aimable surprise !…

HECTOR, bas et vivement.

Vous me sauvez encore ! merci !

PONTSABLÉ, à madame Favart.

Que je suis donc ravi de vous revoir… Alors, cette vieille dame va mieux ?…

MADAME FAVART, étonnée.

Quelle vieille dame ?… (Hector lui fait des signes.) Oui… oui… beaucoup mieux… je vous remercie… (Changeant la conversation.) Est-ce que nous aurons le bonheur de vous posséder longtemps à Douai ?

PONTSABLÉ.

Mon Dieu… je ne sais pas encore au juste… (A part.) Lançons mon hameçon et examinons bien mon lieutenant de police… (Haut. — Regardant Hector en face et accentuant bien chaque mot.) Cela dépendra de madame Favart.

HECTOR, vivement.
De madame Favart ?…
MADAME FAVART, à part.

Hein ?

Elle se rapproche doucement de Pontsablé.

PONTSABLÉ, examinant toujours Hector, à part.

Il a tressailli… mes renseignements étaient exacts… (Haut.) Oui, je ne suis ici que pour elle… elle s’est enfuie de son couvent et il faut absolument que je la retrouve… Ordre du maréchal de Saxe…

MADAME FAVART, s’oubliant.

Ah !… du maréchal !… (Se reprenant aussitôt et d’un air indifférent.) Ah ! du maréchal !

PONTSABLÉ.

Oui ! (A Hector.) Vous m’aiderez, Boispréau.

HECTOR, balbutiant.

Certainement… c’est mon devoir…

PONTSABLÉ.

On m’a signalé sa présence dans cette ville, avez-vous quelque indice ?…

HECTOR.

Aucun…

MADAME FAVART.

Aucun !…

PONTSABLÉ.

Aucun, c’est singulier…

HECTOR.

Je ne l’ai même jamais vue…

PONTSABLÉ.

Ah ! vous ne l’avez jamais… moi non plus, du reste.

MADAME FAVART, à part.

Heureusement…

PONTSABLÉ.
Et c’est bien là ce qui me gêne… (A madame Favart.) Car on la dit très-rusée cette comédienne !…
MADAME FAVART.

Eh ! ne le sont-elles pas toutes !… Ah ! ces actrices… Ah ! pouah !… quel métier !… Tenez, marquis, ne me parlez pas de ce monde des coulisses… il me porte sur les nerfs…

PONTSABLÉ.

Je le crois… quand on a votre distinction, votre noblesse… Oh ! du premier coup d’œil on voit la différence qui existe entre ces femmes de théâtre et une femme du monde… comme vous, madame.

MADAME FAVART.

Vous êtes physionomiste…

PONTSABLÉ.

On le dit ! (Il lui baise la main. — À part.) Elle est idéale ! (A Hector.) Mais revenons à cette comédienne. Je vais vous signer un ordre d’arrestation.

HECTOR, montrant la table.

Tenez, monseigneur, là… (Pontsablé s’asseoit. — Suzanne parait au fond dans le jardin.) Oh ! ma femme !

Pontsablé écrit.

SUZANNE, entrant vivement et courant à Hector.

Me voici…

HECTOR, bas et vivement.

Tais-toi !

MADAME FAVART, à part.

Elle va tout gâter.

HECTOR, poussant Suzanne vers la portière de gauche.

Et disparais… ou je suis perdu !…

Il laisse retomber la portière sur Suzanne stupéfaite.

PONTSABLÉ, levant la tête.

Qu’est-ce donc ?

HECTOR, très-troublé.
Rien, monseigneur… rien… je disais… Quel beau temps… quel superbe temps pour les asperges…
FAVART, entrant par la gauche.

Je viens… (Il se trouve en face de madame Favart.) Hein !… ma femme en grande dame !

MADAME FAVART, le poussant vers la portière de droite.

Tais-toi…

HECTOR, à part.

À l’autre maintenant.

MADAME FAVART.

Pas un mot et disparais…

Elle laisse retomber la portière sur lui.

PONTSABLÉ, levant la tête.

Qu’y a-t-il ?

MADAME FAVART.

Rien, monseigneur, rien… je disais… Quel beau temps… quel superbe temps pour les petits pois…

PONTSABLÉ, se levant.

Les oreilles me cornent donc… (Donnant un papier à Hector.) Voici l’ordre.

HECTOR, le prenant.

Bien, monseigneur… (Regardant la portière de droite.) Quelle position !…

PONTSABLÉ.

Mais cela, bien entendu, n’empêche pas la fête de ce soir… et je vais vous demander une grâce… mon cher ami…

HECTOR.

Laquelle, monseigneur ?… (A part.) Il m’effraie…

PONTSABLÉ, montrant madame Favart.

Celle de présenter votre charmante femme à toute la noblesse de la ville…

SUZANNE, à part, derrière le rideau.
Sa femme !…
FAVART, même jeu à droite.

Sa femme !…

HECTOR, à part.

Ah ! bon… il ne manquerait plus que ça.

PONTSABLÉ.

Vous me permettrez seulement d’aller donner quelques soins à ma toilette…

HECTOR.

Certainement… ! (Appelant.) Jean !… (Un domestique paraît au fond.) Conduisez monseigneur à sa chambre… la chambre des antiques…

PONTSABLÉ, se redressant.

Comment ! des antiques !

MADAME FAVART.

C’est la plus belle… Allez, cher marquis, et revenez-nous bien vite…

PONTSABLÉ.

Le plus tôt possible… (A Hector en sortant.) Boispréau, votre femme est un ange… (Au fond.) Elle est idéale…

Il sort.


Scène VII

MADAME FAVART, HECTOR, FAVART, SUZANNE.
QUATUOR.
SUZANNE, sortant de gauche.
––––––Ah ! c’est affreux !
FAVART, sortant de droite.
––––––Ah ! c’est affreux ! Ah ! c’est infâme !
SUZANNE.
––––––On nous trompait !
FAVART.
––––––On nous trompait ! Indignement !
SUZANNE.
––––––Parlez, monsieur !…
FAVART.
––––––Parlez, monsieur !… Parlez, madame ?…
SUZANNE.
––––––Expliquez-vous !…
FAVART.
––––––Expliquez-vous !… Et vivement !
MADAME FAVART, à son mari.
–––––––––Deux mots vont suffire
–––––––––Pour calmer tes sens…
HECTOR, à sa femme.
–––––––––Je vais tout te dire,
–––––––––Ecoute et comprends…
––––––––Pour que monsieur ton père
––––––––Consente à nous unir…
MADAME FAVART.
––––––––De ton réduit sous terre
––––––––Pour que tu puisses fuir…
HECTOR.
––––––––Qu’était-il nécessaire
––––––––Avant tout d’obtenir ?
MADAME FAVART.
––––––––La place ? Mais que faire ?
––––––––Et comment réussir ?
––––––––Il fallait…
HECTOR.
––––––––Il fallait… Qu’une dame…
MADAME FAVART.
––––––––Allât
HECTOR.
––––––––Allât Chez le marquis,
MADAME FAVART.
––––––––Sous le nom…
HECTOR.
––––––––Sous le nom… De ma femme…
MADAME FAVART.
––––––––J’y courus…
SUZANNE.
––––––––J’y courus… Bon, j’y suis !…
MADAME FAVART.
––––––––J’obtins tout.
FAVART.
––––––––J’obtins tout. Saprelotte !…
MADAME FAVART.
––––––––Or, il faut…
HECTOR.
––––––––Or, il faut… Devant lui…
MADAME FAVART.
––––––––Qu’ici rien…
HECTOR,
––––––––Qu’ici rien… Ne dénote…
MADAME FAVART.
––––––––Notre fraude…
HECTOR.
––––––––Notre fraude… Aujourd’hui…
MADAME FAVART.
––––––––Car le vieux…
HECTOR.
––––––––Car le vieux… Mascarille…
MADAME FAVART.
––––––––Par malheur…
HECTOR.
––––––––Par malheur… S’il l’apprend…
MADAME FAVART.
––––––––Pour Hector…
HECTOR.
––––––––Pour Hector… La Bastille !
MADAME FAVART.
––––––––Et pour moi…
HECTOR.
––––––––Et pour moi… Le couvent !
MADAME FAVART.
––––––––La Bastille !
FAVART.
––––––––La Bastille ! Le couvent !
ENSEMBLE.
–––––––La Bastille et le couvent !
–––––––––––Plus souvent !
HECTOR, à Suzanne.
–––––––––Il faut, tu vois bien,
–––––––––C’est le seul moyen,
–––––––––Quelque part en ville
–––––––––Chercher un asile…
SUZANNE.
–––––––––Quoi ! sans nul souci
–––––––––Te laisser ici —
–––––––––Le charmant programme —
–––––––––Seul avec madame !
MADAME FAVART.
–––––––––Oh ! quant à cela…
FAVART.
–––––––––Ne suis-je pas là ?
HECTOR, à Suzanne.
–––––––––Pars, ma chère amie,
–––––––––Pars, je t’en supplie…
SUZANNE, parlé.

Partir !…

COUPLETS.
I
––––––Après quelques jours seulement
–––––––––––De ménage,
––––––A m’en aller complaisamment
–––––––––––On m’engage,
––––––Afin qu’une autre, me chassant,
–––––––––––Quelle audace !
––––––Près de mon mari sur-le-champ
–––––––––––Me remplace.
–––––––––Non, non ! Halte-là !
–––––––––Si cela vous va,
––––––––Moi ça ne peut pas faire
–––––––––––Mon affaire !…
––––––Je n’me suis pas marié’pour ça !…
II
––––––De l’amour m’en tenant ici
–––––––––––Au prélude,
––––––Quand déjà j’ai pris d’un mari
–––––––––––L’habitude ;
––––––Il faudrait, hélas ! que bien loin
–––––––––––Pour vous plaire,
––––––Je reste dans un petit coin
–––––––––––Solitaire !…
–––––––––Non ! non ! halte-là !…
––––––––––––––––––Etc.
FAVART, HECTOR et MADAME FAVART.
––––––Eh bien ! que la Bastille s’ouvre !
SUZANNE, vivement.
––––––Non ! non ! je vais partir…
FAVART, HECTOR et MADAME FAVART.
––––––Non ! non ! je vais partir… Merci !
SUZANNE, à part.
––––––Si toutefois, je ne découvre
––––––Le moyen de rester ici !…
ENSEMBLE
SUZANNE.
Avec prudence
Fuyons bien loin,
De mon absence
On a besoin !
Pour qu’il évite
Un sort fâcheux,
Il faut bien vite
Quitter ces lieux !
FAVART et MADAME FAVART
Avec prudence
Fuyez bien loin,
De votre absence
On a besoin !
Pour qu’il évite
Un sort fâcheux,
Il faut bien vite
Quitter ces lieux !
HECTOR.
––––––––––Avec prudence
––––––––––Fuis et bien loin,
––––––––––De ton absence
––––––––––On a besoin !
––––––––––Pour que j’évite
––––––––––Un sort fâcheux,
––––––––––Il faut bien vite
––––––––––Quitter ces lieux !

Suzanne sort avec Hector.


Scène VIII

FAVART, MADAME FAVART.
FAVART, prenant la main de sa femme et la faisant descendre.

Pardon, madame Favart, un mot s’il vous plaît !…

MADAME FAVART, étonnée.

Qu’est-ce que tu as ?

FAVART.

Regarde-moi bien en face, entre les deux yeux…

MADAME FAVART.
Je te regarde… après ?
FAVART.

De quoi avez-vous causé l’autre jour avec le gouverneur ?

MADAME FAVART, avec reproche.

Des soupçons… Ah ! Charles !

FAVART, accentuant.

De quoi avez-vous causé ?… De quoi ?

MADAME FAVART.

Quels regards !… (Riant.) Ah ! ah ! ah ! ah ! (Apercevant Pontsablé qui paraît au fond.) Tiens, le voici, le gouverneur !… Tu peux le questionner toi-même… (Riant.) Ah ! ah ! ah !

FAVART.

Mais oui, je vais le questionner !


Scène IX

Les Mêmes, PONTSABLÉ.
PONTSABLÉ, en grande toilette, à part.

Elle est encore là… Je suis assez coquet… Je peux me lancer…(S’avançant vers madame Favart.) Eh ! mon Dieu ! belle dame, vous me paraissez d’une gaîté…

MADAME FAVART, toujours riant, montrant Favart.

C’est cet imbécile de Benoît… qui ne dit et ne fait que des sottises… s’il continue, nous ne pourrons pas le garder.

FAVART, à part.

Bon ! elle se moque de moi par-dessus le marché !

PONTSABLÉ.
Vraiment ?… Eh bien ! moi, il ne me déplaît pas ce garçon… et je le prends à mon service…
FAVART.

Vous, monseigneur ?

PONTSABLÉ.

Oui… et voici mes arrhes… (Il lui jette une bourse.) Tu vas me servir immédiatement…

FAVART, étonné.

Comment ça ?

PONTSABLÉ.

Tu vas voir… (Revenant à madame Favart.) Mais d’abord à nous deux… L’autre jour, traîtresse, vous vous êtes complètement moquée de moi… à Arras…

MADAME FAVART, bas à Favart.

Tu vois, jaloux !

FAVART, bas et vivement.

Pardonne-moi… je ne le ferai plus…

MADAME FAVART, à Pontsablé.

Me moquer de vous !… Ah ! marquis, pouvez-vous supposer ?… Le respect que je vous dois…

PONTSABLÉ.

Laissons le respect de côté… et puisque le hasard me procure en ce moment un charmant tête-à-tête, je veux en profiter…

MADAME FAVART.

Nous ne sommes pas seuls.

PONTSABLÉ.

Oh ! un domestique…

MADAME FAVART.

Oui, mais si on entrait !…

PONTSABLÉ.
J’ai prévu le cas, et c’est ici (Montrant Favart.) que ce maroufle va m’être utile.
FAVART.

Moi ?…

PONTSABLÉ.

Oui… tu vas te placer là… au fond… en sentinelle… et si tu vois venir le mari…

FAVART.

Le mari ?… Ah ! oui, oui… le mari !…

PONTSABLÉ.

Tu me préviendras…

FAVART.

Mais comment ?

PONTSABLÉ, cherchant des yeux et apercevant sur la table une sonnette qu’il lui donne.

Tiens… en agitant cette sonnette. (A madame Favart.) Vous voyez qu’il n’y a aucun danger…

MADAME FAVART, souriant.

En effet !…

PONTSABLÉ, poussant Favart vers le fond.

Allons, va…

FAVART, remontant.

Oui, monseigneur… (Au fond.) Eh bien, je vais jouer là un joli personnage ! Il disparaît au fond.


Scène X

PONTSABLÉ, MADAME FAVART, FAVART au fond, puis Huit Marmitons, puis Huit Tapissiers.
PONTSABLÉ, redescendant, à madame Favart, avec chaleur.

La place est à moi !… entamons vigoureusement. Enfin, madame, je puis donc vous dire que vous êtes adorable et que je vous aime à la folie.

FAVART, au fond, à part.

Oh ! oh ! comme il s’enflamme… Attends ! je vais te servir un petit plat de ma façon ! Il disparaît un instant.

PONTSABLÉ, à madame Favart.

Oui, vous êtes une déesse, digne d’une position plus élevée… ce qu’il vous faut, c’est un adorateur qui puisse satisfaire vos moindres caprices… Eh, bien ! dites un mot et je mets ma fortune à vos pieds.

MADAME FAVART.
––––––Marquis, grâce à votre richesse,
––––––Vous offrez — et même au delà —
––––––A qui sera votre maîtresse,
––––––Chevaux, voiture et cætera !
––––––Mon mari ne pourrait, je pense,
––––––Me donner rien de tout cela ;
––––––Entre vous, quelle différence…
PONTSABLÉ.
––––––––––Elle est immense !
MADAME FAVART.
––––––Vous, vous me promettez beaucoup,
––––––Au risque d’être téméraire,
––––––Lui ne me promet rien du tout,
––––––Mais me donne le nécessaire,
––––––––––Le nécessaire !
PONTSABLÉ.
––––––––––Le nécessaire !
––––––––––La belle affaire !
––––––––J’offre mieux entre nous
––––––––Car je t’aime, je t’aime.
––––––––Tu me vois ici-même
––––––––Tomber à tes genoux !

Il se jette à ses pieds. — Favart sonne.

MADAME FAVART, vivement.
––––––––Mon époux !
PONTSABLÉ, essayant de se lever.
––––––––Mon époux ! Votre époux !

Huit petits marmitons entrent vivement portant des plateaux chargés de gâteaux, de bouteilles, de verres, de fruits etc.

LES MARMITONS, entrant et entourant Pontsablé.
––––––Pour que Bacchus le tienne en joie,
––––––Nous apportons à monseigneur
––––––D’excellents gâteaux de Savoie,
––––––Vins exquis et fine liqueur !
PONTSABLÉ, qui s’est relevé, furieux à Favart.
––––––Ce drôle est des plus négligents !
––––––Pourquoi laisser entrer ces gens ?
FAVART.
––––––Vous vous trompez, ce n’est pas moi,
––––––Ce qui les fit venir, je croi,
–––––––C’est ma petite sonnette,
–––––––Ma sonnette mignonnette.
TOUS.
––––––––––C’est la sonnette !…
ENSEMBLE.
FAVART.
––––––Je vous le dis et c’est certain,
––––––Le coupable c’est la sonnette,
––––––Ils sont accourus au tin, tin !
––––––De ma sonnette mignonnette,
–––––––––––Tin ! tin ! tin !
PORTSABLÉ.
––––––Si ce qu’il me dit est certain,
––––––Si le coupable est la sonnette,
––––––Que le diable soit des tin, tin !
––––––De cette sonnette indiscrète,
–––––––––––Tin ! tin ! tin !
MADAME FAVART.
––––––Il a raison et c’est certain,
––––––Le coupable c’est la sonnette,
––––––Ils sont accourus au tin, tin !
––––––De la sonnette mignonnette,
–––––––––––Tin ! tin ! tin !
LES MARMITONS.
––––––Nous devons être, c’est certain,
––––––Attentifs aux coups de sonnette
––––––Et nous’accourons aux tin, tin !
––––––De la sonnette mignonnette,
–––––––––––Tin ! tin ! tin !
PONTSABLÉ, furieux, aux marmitons.
––––––Au diable ! Au diable allez-vous-en !
FAVART et MADAME FAVART, à part.
––––––Il est furieux ! c’est charmant !

Sur un geste de colère de Pontsablé, tous les marmitons se sauvent.

PONTSABLÉ, à Favart.
––––––Toi, fais donc plus attention !
FAVART.
––––––C’est mon grand zèle qui m’emporte…
PONTSABLÉ.
––––––C’est bon, reprends ta faction.
FAVART.
––––––Oui, je garderai bien la porte.
PONTSABLÉ, parlé.

Reprenons… Heureusement que j’ai du ressort… (A Madame Favart, avec feu.) Madame, ne me repoussez pas, vous ne savez pas ce que vous refuseriez… un mari, c’est un amoureux bien tiède, tandis que moi, je suis bouillant, et à toute heure du jour vous me trouverez prêt à vous prouver ma flamme.

MADAME FAVART.
––––––En amour rempli de vaillance —
––––––Dites-vous — cette flamme-là,
––––––Pendant toute votre existence,
––––––A mes yeux se rallumera !
––––––Mon époux — je le sais d’avance —
––––––Est bien moins brûlant que cela ;
––––––Entre vous, quelle différence !
PONTSABLÉ.
––––––––––Elle est immense !
MADAME FAVART.
––––––Vous, vous me promettez beaucoup,
––––––Au risque d’être téméraire.
––––––Lui ne me promet rien du tout,
––––––Mais me donne… le nécessaire !
––––––––––Le nécessaire !

À ce moment et sur un signe de Favart, huit tapissiers entrent et dressent leurs échelles au fond. — Pontsablé, absorbé par sa déclaration, ne s’aperçoit pas de leur présence. — Les marmitons reparaissent aux portes du fond.

PONTSABLÉ, avec chaleur à madame Favart.
––––––––Ici plus de contrainte,
––––––––Dans une douce étreinte
––––––––Laisse-moi t’enlacer,
––––––––Sur mon cœur te presser.
MADAME FAVART.
––––––––La demande est hardie,
––––––––Finissez, je vous prie.
PONTSABLÉ.
––––––––Tu ne peux refuser
––––––––D’accorder un baiser.
MADAME FAVART.
––––––––Non, jamais…
PONTSABLÉ.
––––––––Non, jamais… O ma mie
––––––––Un baiser, je t’en prie !

Il se jette à genoux. — Favart sonne.

CHŒUR DES TAPISSIERS.

Montés sur les échelles et clouant des écussons aux murs.

––––––Pan ! pan ! pan ! pan ! amis, courage !
––––––Pan ! pan ! pan ! pan ! cognant, frappant !
––––––Pan ! pan ! pan ! pan ! faisons l’ouvrage !
––––––Pan ! pan ! pan ! pan ! frappons gaiement !
PONTSABLÉ, furieux à Favart.
––––––Ce drôle est des plus négligents !
––––––Pourquoi laisser entrer ces gens ?
FAVART.
––––––Vous vous trompez, ce n’est pas moi ;
––––––Ce qui les fit venir, je croi,
–––––––C’est ma petite sonnette,
–––––––Ma sonnette mignonnette.
TOUS.
––––––––––C’est la sonnette !
REPRISE DE L’ENSEMBLE.
FAVART.
––––––Je vous le dis et c’est certain,
––––––––––––––––––Etc.
PONTSABLÉ.
––––––Si ce qu’il me dit est certain,
––––––––––––––––––Etc.
MADAME FAVART.
––––––Il a raison et c’est certain,
––––––––––––––––––Etc.
LES MARMITONS.
––––––Nous devons être, c’est certain,
––––––––––––––––––Etc.
LES TAPISSIERS.
–––––––––––Pan ! pan ! pan !
––––––––––––––––––Etc., etc.
PONTSABLÉ, hors de lui, arrachant la sonnette des mains de Favart.

Allez-vous-en !… Par la sambleu !… ventrebleu ! Allez-vous-en !…

Les tapissiers se sauvent par le fond.


Scène XI

PONTSABLÉ, MADAME FAVART, FAVART.
PONTSABLÉ.

C’est inouï !… Ça n’a pas de nom !… impossible de faire ma déclaration au milieu d’un pareil tohu-bohu !… J’y renonce (A madame Favart, très-vite.) Mais il faut que vous sachiez une chose, madame… J’hésitais à vous le dire… par délicatesse… je n’hésite plus… et puisque vous me repoussez, puisque vous me sacrifiez à votre mari, apprenez que, lui, il vous trompe !… Oui, madame, il a une maîtresse !…

MADAME FAVART.

Allons donc !

PONTSABLÉ, continuant.

Qu’il cache ici dans votre propre maison !… (Avec éclat) Et cette maîtresse, c’est madame Favart..

FAVART, à part, se rapprochant.

Hein ?

MADAME FAVART, à part.

Ciel !… (Haut.) Qui a pu vous dire… ?

PONTSABLÉ.

Une vieille amie à moi… que je n’ai pas vue depuis une trentaine d’années… la comtesse de Montgriffon.

MADAME FAVART, à part.

Elle m’avait reconnue…

PONTSABLÉ.

Elle m’a écrit un petit billet, où elle me donne rendez-vous ici ce soir… et c’est elle-même qui me désignera notre habile comédienne.

MADAME FAVART, à part, très-vivement.

Je suis prise !… Maudite vieille ! ah ! il faut absolument que je m’éloigne… Mais que faire ? (Par inspiration.) Ah ! une attaque de nerfs… (Haut.) Ah ! marquis !… marquis !

PONTSABLÉ, courant à elle.

Quoi donc ?

MADAME FAVART, avec des pleurs.
Vous m’avez ouvert les yeux… lui !… une maîtresse !… Ici !… chez moi !… oh ! c’est affreux !
PONTSABLÉ.

C’est indigne !

MADAME FAVART.

Oh ! que je souffre !… Je ne pourrai paraître à cette fête… mon pauvre cœur brisé… J’étouffe !… (Elle chancelle.) Ah ! ah !

PONTSABLÉ, la recevant dans ses bras et la faisant asseoir sur le canapé.

Elle se trouve mal !…

FAVART, descendant.

Ah ! mon Dieu !… (Bas à sa femme, pendant que Pontsablé est remonté.) Qu’as-tu donc ?

MADAME FAVART, vivement et bas à Favart.

Tais-toi… c’est pour rire… (Renversant sa tête et criant.) J’étouffe !… ah ! ah !

FAVART, à part.

Bien joué l’évanouissement…

PONTSABLÉ, criant.

Des sels !… du vinaigre !


Scène XII

Les Mêmes, HECTOR, puis SUZANNE.
HECTOR, entrant.

Qu’y a-t-il ?

PONTSABLÉ, frappant sur un timbre.

Du vinaigre… des sels… il n’y a donc pas une femme de chambre…

SUZANNE, en soubrette, entrant.
On m’appelle ?
HECTOR, à part.

Suzanne !

SUZANNE, bas en passant devant lui.

Je vous avais bien dit que je trouverais un moyen de rester…

PONTSABLÉ, à Suzanne.

Secourez votre maîtresse…

MADAME FAVART, d’une voix languissante.

Merci… merci… je vais mieux… (Se levant.) Permettez-moi seulement de me retirer dans ma chambre…

HECTOR, s’avancent.

Je vais vous conduire…

MADAME FAVART, d’un ton sec.

C’est inutile… (A Favart.) Votre bras, Benoît…

FAVART, lui présentant le poing, sur lequel elle s’appuie.

Voilà, madame…

PONTSABLÉ, enchanté.

Elle est furieuse… très-bien !…

MADAME FAVART, se retirant et lançant une œillade à Pontsablé.

Au revoir… cher marquis…

Elle lui tend la main.

PONTSABLÉ, ravi, à part.

Quel regard ! elle est idéale ! mais quel regard !… (Bas en lui baisant la main.) Puis-je donc espérer ?

MADAME FAVART, bas.

Oui…

PONTSABLÉ, avec joie.

Ah !

MADAME FAVART.

Quand vous tiendrez madame Favart !

Elle sort avec Favart qui la soutient.

Scène XIII

PONTSABLÉ, HECTOR, SUZANNE, puis FAVART.
PONTSABLÉ, à part, joyeux.

Elle est à moi !

HECTOR, à Suzanne.

On n’a plus besoin de vous, vous pouvez vous retirer.

SUZANNE.

Oui, monsieur !

Elle remonte.

PONTSABLÉ, regardant Suzanne.

Tiens ! tiens !… mais elle est gentille cette petite… viens ici, petite… Comment t’appelles-tu ?

SUZANNE, faisant la révérence.

Toinon, monseigneur… (Bas à Hector.) Elle a pris mon nom, je prends le sien.

PONTSABLÉ.

Toinon !… c’est tout à fait champêtre… ça sent les foins… (Lui prenant le menton.) Sais-tu bien, soubrette, que tu es agaçante !

HECTOR, rangeant, a part.

Oh ! oh !… devant moi !

PONTSABLÉ.

Tiens, voilà un louis pour t’acheter une croix d’or.

SUZANNE.

Merci, monseigneur…

PONTSABLÉ.

Et un baiser par-dessus le marché…

Il l’embrasse.
HECTOR, n’y tenant plus.

Oh ! oh !… (A Suzanne.) Sortez, effrontée, sortez !

SUZANNE, s’éloignant.

Oui, monsieur… (A part, en sortant.) Il est jaloux… chacun son tour !…

Elle disparaît.

PONTSABLÉ, à lui-même.

C’est étonnant comme il rudoie ses domestiques…

FAVART, entrant par le fond.

Voici déjà des invités de monsieur qui arrivent.

HECTOR, avec humeur.

C’est bien, faites entrer.


Scène XIV

PONTSABLÉ, HECTOR, FAVART, Invités et Invitées, puis MADAME FAVART, en vieille douairière. — Musique en sourdine.
FAVART, annonçant dans le fond.

M. le comte et madame la comtesse de Beaucresson, M. et madame le Barrois, M. le vidame des Ablettes, M. le baron et madame la baronne de Verpillac…

HECTOR, saluant.

Mesdames… messieurs…

PONTSABLÉ, à part.

Je ne vois pas la vieille comtesse de Montgriffon, me manquerait-elle de parole ?

FAVART, au fond, annonçant.
Madame la comtesse de Montgriffon !
HECTOR, à part.

Ma tante !… quel fâcheux contre-temps !

PONTSABLÉ, joyeux.

Enfin !… la voilà…

HECTOR, qui est remonté, bas à Favart.

Mais ce n’est pas ma tante !

FAVART, bas.

Chut !… c’est ma femme !

PONTSABLÉ, allant à madame Favart.

Venez donc, chère comtesse, je vous attendais avec une impatience…

MADAME FAVART, en douairière, d’une voix cassée.

Bonjour, marquis, bonjour ! (Le lorgnant.) Ah ! mon cher ! comme vous êtes changé ! quelle dégringolade !

PONTSABLÉ, vexé.

Vous trouvez… moi je vous ai reconnue tout de suite ! (A part.) C’est une ruine !

MADAME FAVART.

Ah ! nous étions mieux que ça autrefois, dans notre jeune temps… mais que voulez-vous ! on ne peut pas être et avoir été, n’est-ce pas ?… ah ! mon existence a été bien remplie, je ne me plains pas.

RONDEAU.
–––––––Je passe sur mon enfance,
–––––––J’arrive à mes dix-sept ans ;
–––––––Cette époque d’innocence
–––––––Qu’on appelle le printemps !
–––––––Innocente !… j’ose à peine
–––––––Affirmer tant de vertu ;
–––––––Ce bon monsieur Lafontaine
–––––––Déjà !… chut !… je l’avais lu !
–––––––Quand passait sous ma fenêtre
–––––––Un jeune et bel officier,
–––––––Je sentais dans tout mon être
–––––––Un… je ne sais quoi vibrer !
–––––––Le cœur chaud, la tête prompte,
–––––––Quand vinrent mes dix-huit ans,
–––––––J’épousai monsieur le comte…
–––––––Vrai !… Je crois qu’il était temps !
–––––––Puis l’été… de vingt à trente.
–––––––Tout bas, je l’avoue ici… —
–––––––Cette saison trop brûlante…
–––––––Fut fatale à mon mari !
–––––––A quarante ans c’est l’automne.
–––––––Au dire des amoureux,
–––––––C’est alors que l’arbre donne
–––––––Ses fruits les plus savoureux.
–––––––Mais, hélas ! l’hiver s’avance,
–––––––Il neige sur mes cheveux ;
–––––––Aux douceurs de l’existence
–––––––Il faut faire mes adieux !
–––––––A cette vie… un peu leste…
–––––––J’ai renoncé… malgré moi
–––––––Mais le souvenir m’en reste,
–––––––Et c’est encore ça, ma foi !
PONTSABLÉ, à lui-même.

Peste ! ce fut une gaillarde… (Haut.) Chère comtesse, je vous remercie d’être venue… (Regardant Hector.) Maintenant, je puis démasquer mes batteries…

HECTOR, inquiet, à part.

Ses batteries… qu’est-ce qu’il manigance encore ?…

PONTSABLÉ.

Je vous ai dit, Boispréau, que j’étais venu à Douai pour y arrêter madame Favart ; vous m’avez promis de m’y aider… Eh bien, la besogne sera facile, attendu que vous cachez madame Favart ici même !…

HECTOR.

Moi !

MADAME FAVART.

Certainement, petit drôle…

HECTOR.
Mais…
MADAME FAVART.

Ah ! ne niez pas, débauché que vous êtes, je l’ai reconnue l’autre jour cette comédienne.

HECTOR, bas à Favart.

Comment !… et c’est elle-même.

FAVART, bas.

Laissez-la faire… laissez-la faire.

PONTSABLÉ, à Hector.

Ah ! ah ! vous êtes confondu… je ne vous en veux pas… (A madame Favart.) Il ne vous reste plus qu’à me la montrer…

MADAME FAVART.

Je n’étais venue que pour ça, mais…

PONTSABLÉ.

Mais quoi ?

MADAME FAVART.

C’est impossible !…

PONTSABLÉ.

Comment, impossible !

MADAME FAVART.

Vous êtes arrivé trop tard, mon bon ami… la cage est vide… l’oiseau est envolé.

PONTABLÉ.

Envolé !

MADAME FAVART.

Madame Favart n’est plus ici depuis une heure…

PONTSABLÉ, très-agité.

Elle m’échapperait… mais le maréchal de Saxe va me révoquer… je suis destitué !…

MADAME FAVART.
Allons, allons… mon bon !… calmez-vous… tout n’est pas perdu… Je sais où est la belle.
HECTOR, stupéfait.

Hein ?

FAVART, bas.

Laissez-la faire… Laissez-la faire !

PONTSABLÉ.

Vous savez… parlez, parlez vite…

MADAME FAVART.

Oh ! la la ! oh ! la la !… Doucement… vous êtes d’une vivacité… pour votre âge. (Tirant un papier de son sac.) Connaissez-vous son écriture ?…

PONTSABLÉ.

Certainement… J’ai là des lettres d’elle.

MADAME FAVART, lui donnant une lettre.

Bien, alors… comparez-les avec ce billet qu’elle adressait à mon neveu et que je viens d’intercepter au passage… (A Hector.) Grondez-moi donc, vous…

HECTOR, bas.

Oui… (Haut.) Comment ma tante, vous avez osé…

MADAME FAVART, sèchement.

Silence, Hector !

PONTSABLÉ.

Silence, Hector !… (Comparant la lettre avec des papiers qu’il a tirés de sa poche.) Parfaitement… écriture identique… même signature.

MADAME FAVART.

Bon… lisez maintenant.

PONTSABLÉ, lisant la lettre.
« Mon cher Hector, je pars pour Saint-Omer où je vais me réfugier chez une de mes parentes, madame Dubois… j’espère enfin être à l’abri de mes persécuteurs… Justine Favart ! » (Avec joie.) Je la tiens !
MADAME FAVART.

Nous la tenons, cette péronnelle… mais il ne faut pas perdre de temps…

PONTSABLÉ, vivement.

Pas une minute…

MADAME FAVART.

Il faut partir pour Saint-Omer…

PONTSABLÉ.

À l’instant même…

MADAME FAVART, toussant.

Vertu de ma vie ! si je n’avais pas mon asthme, j’irais avec vous… partez vite, marquis ! (Bas à Hector.) Grondez-moi donc…

HECTOR.

Mais, ma tante…

MADAME FAVART.

Silence, Hector !…

PONTSABLÉ.

Silence, Hector ! (A Favart.) Vite, vite, ma voiture.

Favart remonte au fond pour donner l’ordre.

MADAME FAVART.

Dès que vous la tiendrez, vous m’écrirez, n’est-ce pas ?…

PONTSABLÉ.

Soyez tranquille… Au revoir et merci… (Aux officiers.) En route, messieurs, en route pour Saint-Omer !

Il sort vivement avec les officiers. — Les invités remontent pour le voir partir.

Scène XV

MADAME FAVART, FAVART, HECTOR, puis SUZANNE. Un instant de silence.
FAVART, avec joie.

Parti !

HECTOR, de même.

Enfin !

MADAME FAVART, ôtant sa douillette, sa coiffe et jetant sa béquille.

Eh bien, comment trouvez-vous que je m’en suis tirée ?

HECTOR.

Superbe !…

FAVART.

Tu as été tout bonnement splendide…

SUZANNE, entrant, toujours en soubrette.

Ah ! madame, je vous écoutais… et je vous admirais !

FAVART, à sa femme.

Je te ferai un rôle de vieille pour ta rentrée au théâtre…

MADAME FAVART.

Oui, mais en attendant, il faut fuir et gagner la frontière…

FAVART.

Tu as raison… la route est libre… partons !

Ils remontent tous les quatre.

PONTSABLÉ, au fond en dehors.
Gardez bien toutes les issues, que personne ne puisse sortir !
TOUS LES QUATRE.

Lui !…

MADAME FAVART, vivement.

Du sang-froid !


Scène XVI

Les Mêmes, PONTSABLÉ, Les Invités.
CHŒUR.
––––––––La fureur le transporte,
––––––––Que va-t-il se passer ?…
––––––––Et qui vient de la sorte,
––––––––Ainsi le courroucer ?

La musique continue en sourdine.

MADAME FAVART, à Pontsablé qui entre furieux.

Que signifie, cher marquis ?…

PONTSABLÉ.

Cela signifie que l’on voulait me bafouer.

MADAME FAVART.

Comment ?

PONTSABLÉ.

Heureusement que la première personne que j’ai rencontrée en sortant d’ici, c’est la vraie comtesse de Montgriffon qui arrivait dans son carrosse.

MADAME FAVART, à part.

Aïe !

FAVART, à part.

Très-scénique !… mais bien fâcheux !

PONTSABLÉ, à madame Favart.

Ai-je besoin d’ajouter que l’autre… celle qu’on m’a servie tout à l’heure, c’était madame Favart elle-même.

MADAME FAVART, à part.

Je suis prise !

SUZANNE et HECTOR.
Tout est perdu !
PONTSABLÉ, avec éclat.

Oui, madame Favart ! que je tiens enfin, et que je vais conduire au camp de Fontenoy… Ordre du maréchal de Saxe !

FAVART, s’élançant.

Du maréchal !… un instant ! je ne la quitte pas !… vous nous arrêterez ensemble !

PONTSABLÉ, étonnée.

Qui donc êtes-vous ?

FAVART, se croisant les bras et avec force.

Je suis Favart !

PONTSABLÉ, joyeux.

Favart !… le mari et la femme !… je les tiens tous les deux… quel coup de filet !…

FINALE.
ENSEMBLE.
PONTSABLÉ.
Tous deux je les attrape,
Je les pince, je les happe
C’est avoir du bonheur !
La charmante aventure !
Cette double capture
Me fera grand honneur.
MADAME FAVART.
Tous deux il nous attrape,
Il nous pince, il nous happe ;
C’est avoir du malheur !
La funeste aventure !
Nous voilà la capture
De ce vieux gouverneur.
FAVART.
Par ma faute il m’attrape,
Il me pince, il me happe ;
C’est avoir du malheur !
Quelle absurde aventure !
Je deviens la capture
De ce vieux gouverneur.
SUZANNE et HECTOR.
Tous deux il les attrape,
Il les pince, il les happe ;
C’est avoir du malheur !
La funeste aventure !
La voilà la capture
De ce vieux gouverneur.
LE CHŒUR.
––––––––Tous deux il les attrape,
––––––––Il les pince, les happe ;
––––––––C’est avoir du bonheur !
––––––––La bizarre aventure !
––––––––Cette double capture
––––––––Lui fera grand honneur.
PONTSABLÉ.

Et maintenant agissons vite… Madame, vous avez un talent exquis…

Il s’avance vers Suzanne.

SUZANNE, étonnée.

Moi !…

TOUS, à part.

Que dit-il ?

PONTSABLÉ, à Suzanne.

Oh ! ne niez pas, je sais tout… La vieille comtesse vient de me dire que je trouverais madame Favart, ici sous les habits d’une servante… nommée Toinon… ainsi…

SUZANNE, vivement.

Mais je suis…

HECTOR, bas et vivement.

Tais-toi !… la Bastille !

PONTSABLÉ.

Eh bien, vous êtes ?… vous êtes ?…

SUZANNE, avec résolution.
–––––––Pour mentir il est trop tard,
–––––––Oui, je suis madame Favart !
PONTSABLÉ, enchanté.
–––––––Quelle victoire que la mienne !
MADAME FAVART, à Favart, bas.
–––––––Je suis sauvée !
FAVART, bas.
–––––––Je suis sauvée ! Et moi, mordienne !
––––––––Je suis un maître sot
––––––––D’avoir parlé trop tôt.
MADAME FAVART, bas à son mari, parlé.
–––––––Laisse-le faire et compte sur moi.
HECTOR, bas à sa femme, parlé.

Sois tranquille, je te rejoindrai.

PONTSABLÉ, joyeusement.
––––––––––Et maintenant
––––––––Prenons la chose gaîment,
–––––––––Partons sur-le-champ
–––––––––Partons pour le camp !
MADAME FAVART.
–––––––Avec mon père, souvent
–––––––J’ai visité plus d’un camp ;
–––––––Je vous garantis, vraiment,
–––––––Que c’est un endroit charmant !
––––––––––Après la guerre,
––––––––––Le militaire
––––––––––Aime à s’offrir
––––––––––Quelque plaisir ;
––––––––––Là, sous la tente,
––––––––––On rit, on chante,
––––––––––Rien de plus beau
––––––––––Que ce tableau !
SUZANNE.
––––––––––La vivandière
––––––––––Verse à plein verre
––––––––––Maintes liqueurs
––––––––––A nos vainqueurs.
––––––––––Puis la trompette,
––––––––––Tout à coup jette
––––––––––Dans tous les rangs
––––––––––Ses sons bruyants.
––––––––––La foule immense
––––––––––Soudain s’élance,
––––––––––Et le tambour
––––––––––Roule à son tour !
TOUS.
–––––––––Tambour et trompette
–––––––––Rapatataplan !
–––––––––La fête est complète ;
––––––––––Rien n’est brillant
––––––––––Comme le camp !
FAVART.
–––––––Et puis au commandement,
–––––––––––Ra ta plan !
–––––––Chacun s’élance gaîment,
–––––––––––Ra ta plan !
–––––––C’est un bruit étourdissant,
–––––––––––Ra ta plan !
–––––––Un coup d’œil éblouissant
–––––––––––Ra ta plan !
TOUS.
–––––––––Tambour et trompette
–––––––––La fête est complète,
––––––––––Rien n’est charmant
––––––––––Comme le camp !
–––––––––––Rantanplan !
–––––––––––Rantanplan !
–––––––Partons, partons sur-le-champ.
–––––––Partez, partez
–––––––––––Rantanplan !
–––––––Partons, partons pour le camp !
–––––––Partez, partez
–––––––––––Rantanplan !

Le rideau baisse.