Madame Favart (Duru-Chivot)/Texte entier
FAVART | MM. | Lepers. |
LE MARQUIS DE PONTSABLÉ | Maugé. | |
HECTOR DE BOISPREAU | Simon Max. | |
LE MAJOR COTIGNAC | Luco. | |
BISCOTIN, aubergiste | Octave. | |
LE SERGENT LAROSE | Spech. | |
MADAME FAVART | Mmes | Juliette-Girard. |
SUZANNE | Gélabert. | |
JOLICŒUR | Réval. | |
SANS-QUARTIER | Becker. | |
LARISSOLE | Ricard. | |
BABET, servante | Rivero. | |
JEANNETON, id | Nelly. |
S’adresser pour la musique à MM. Choudens, Editeurs, 265 rue Saint-Honoré, près l’Assomption.
Et pour la mise en scène détaillée à M. RODRIGUÉS, au théâtre des Folies-Dramatiques.
ACTE PREMIER
Le théâtre représente une salle d’auberge, ouverte au fond sur une cour. — Dans la salle, une vaste cheminée à droite ; portes latérales. — Au milieu du théâtre, une trappe conduisant à la cave. — Tables, siéges, au fond deux buffets chargés de vaisselle.
Scène PREMIÈRE
Au lever du rideau, les voyageurs arrivent par le fond, et sont reçus par les servantes et les garçons d’auberge qui les débarrassent de leurs bagages. — Biscotin est au milieu son bonnet à la main.
- Enfin le coche est arrivé,
- Nous cahotant sur le pavé,
- Après cette course infernale,
- BISCOTIN.
Vite, vite, qu’on nous installe !
- Bonjour, messieurs, bonjour mesdames,
- Donnez-vous la peine d’entrer.
- Chez nous, pour vous satisfaire,
- On saura si bien vous plaire,
- Que tous vous viendrez revoir
- L’auberge du Lapin noir !
- Qu’on nous conduise promptement
- Chacun à notre logement.
- Après cette course infernale,
- Vite, vite, qu’on nous installe !
Pendant que les voyageurs entrent dans les chambres à droite et à gauche, précédés des garçons et des servantes qui portent leurs bagages, on voit arriver par le fond Cotignac et Suzanne.
Scène II
Venez donc, papa…
Me voici, ma fille… C’est curieux… je m’étais endormi… ça ne m’arrive jamais..
Eh ! mais, c’est M. le major Cotignac… et sa charmante fille…
Vous me faites beaucoup d’honneur !
Débarrasse-toi…, Suzanne… ôte la pelisse… ta mantille…
Suzanne retire sa pelisse et sa mantille qu’elle accroche à une patère contre le mur.
Comme elle est grande, mademoiselle… et belle maintenant…
Elle est très-belle… c’est dans le sang des Cotignac… Voilà tout ce qui me reste de dix-sept enfants, monsieur !… Mon aîné aurait aujourd’hui trente-deux ans… il serait dans la cavalerie… (A Suzanne qui regarde au fond.) Eh bien ! mademoiselle, qu’est-ce que vous regardez là ?
Rien, papa…
Est-ce que vous êtes pour longtemps à Arras ?
Du tout !… Je retourne au camp du maréchal de Saxe.
Ah ! ah ! on dit que ça va chauffer par là ?…
Je le crois… ma fille m’a fait la conduite jusqu’ici où j’ai une visite à rendre à M. de Pontsablé, le gouverneur de l’Artois.
Une requête à lui présenter… Est-il d’un abord facile, ce Pontsablé ?
Mais oui… (Riant.) Surtout pour les dames.
Bah !… Est-ce que ?…
C’est un vert-galant…
Vraiment ?… (Se retournant et voyant Suzanne qui regarde au fond.) Encore ?… (La prenant par la main et la ramenant en scène.) Ah çà ! mademoiselle, qu’est-ce que vous avez donc à regarder comme cela dans la rue ?…
Mais papa… je…
Ouais !… C’est pour voir si ce jeune homme nous a suivis, n’est-ce pas ?
Un jeune homme ?…
Un audacieux quidam qui, depuis Saint-Quentin, marche sur nos talons.
Oh ! sur nos talons, c’est impossible… puisque nous étions dans le coche, et lui à cheval…
Eh bien ?…
Eh bien ! pas du tout… nous n’étions pas plus tôt entrés dans une auberge, pour relayer et nous rafraîchir un peu, que nous entendions au dehors une voix qui criait : « Garçon ! un picotin d’avoine pour Aglaé, et une omelette pour moi !… » C’était lui et sa jument qui nous avaient rattrapés.
Voyons, papa, s’il a affaire du même côté que nous, il est bien libre de suivre la même route…
Tu trouves cela, toi… Heureusement qu’Arras est grand et qu’il ne sait pas à quelle auberge nous sommes descendus… J’espère donc cette fois, que nous ne le reverrons plus…
Garçon ! un picotin pour Aglaé, et une omelette pour moi…
Scène III
- C’est lui !
- C’est elle !
- Le voici !
- HECTOR, s’avançant.
Que vient-il faire ici !
- Quoi ! je vous rencontre encor
- Et la chance m’est fidèle…
A Cotignac.
- Bonjour, monsieur le major…
A Suzanne.
- Serviteur, mademoiselle…
- Halte-là ! monsieur… Suzanne
- Ne vous connaît pas du tout…
- Pardon si je vous chicane,
- Nous nous connaissons beaucoup…
- Tu le connais ?…
- Oui, papa…
- Et de plus nous nous plaisons !
- Vous vous plaisez ?…
- Oui, papa…
- En un mot nous nous aimons.
- Vous vous aimez ?…
- Oui, papa…
- Saprebleu ! qu’apprends-je là !
- Un soir nous nous rencontrâmes
- Chez ma tante, dans un bal ;
- Toute la nuit nous dansâmes…
- Nous ne pensions pas à mal !
- En nous livrant sans contrainte
- À ce joyeux tourbillon,
- Nous sentions dans notre étreinte
- Nos cœurs battre à l’unisson…
- Ah ! papa, lorsque l’on danse,
- Tous deux la main dans la main,
- C’est étonnant, quand j’y pense,
- Comme l’on fait du chemin !
- Ah ! papa, lorsque l’on danse.
- Etc.
- Quand vous faisiez votre sieste
- Le soir, après le dîner ;
- Dans le jardin, d’un pied leste,
- Moi j’allais… nous promener !
- Là, dans une douce ivresse,
- Nous échangions tous les deux
- Des serments pleins de tendresse…
- Et des boucles de cheveux !
- Ah ! papa ! lorsqu’on s’avance
- A pas lents dans un jardin,
- C’est étonnant, quand j’y pense,
- Comme l’on fait du chemin !
- Ah ! papa, lorsqu’on s’avance,
- Etc.
Corbleu ! ventrebleu ! maugrebleu !… Et je ne me suis aperçu de rien !…
Ni la mienne… Mais, maintenant que vous savez tout, je crois que le moment est venu de brusquer les choses… (Se posant.) Monsieur Cotignac, j’ai l’honneur de vous demander officiellement la main de mademoiselle votre fille.
C’est incroyable !… Mais, monsieur, je ne sais pas qui vous êtes, moi…
Hector de Boispréau… greffier à Saint-Quentin…
Greffier !… Un simple greffier…
Ça vous semble bien mesquin, je comprends cela… mais avant ce soir, j’aurai de l’avancement… La place de lieutenant de police à Douai est vacante ; c’est moi qui l’obtiendrai.
Vous !
Je suis venu à Arras pour solliciter M. le gouverneur de l’Artois.
Ah !… Et quels sont vos titres ?
Mais, mon travail… et j’ose ajouter mon mérite.
Ah ! ah ! si vous n’avez pas d’autres recommandations…
Jeune présomptueux, apprenez que je viens moi-même à Arras pour faire obtenir cette place à mon cousin Laroche Tromblon… qui doit épouser ma fille… Vous voyez donc bien qu’il ne vous reste aucun espoir.
Bah !… J’ai confiance dans mon étoile…
Et moi aussi…
Comment, tu fais des vœux contre Laroche-Tromblon ?
Ah ! ça m’est bien égal votre Laroche-Tromblon !…
Ma fille !
Cri du cœur !… on n’empêche pas les cris du cœur… (Avec courtoisie.) Quelle est, monsieur, votre réponse à la demande que j’ai eu l’honneur de vous faire ?…
Ma réponse, la voici… elle est catégorique… jamais ma fille n’épousera un simple greffier… (Avec ironie.) mais si vous obtenez la place de lieutenant de police à Douai…
Eh bien ?…
Eh bien ! Suzanne est à vous !
C’est tout ce que je demande….
C’est évident !…
Ainsi, vous m’avez bien compris, pas de place, pas de fille.
Parfaitement !
Sur ce, permettez-nous de vous quitter. (A Biscotin.) Conduisez-nous à notre chambre…
Par ici, monsieur le major !…
À bientôt, Suzanne !
À bientôt, Hector !
L’un à l’autre toujours !
Toujours !
Eh bien ! mademoiselle… (Sévèrement en l’entraînant) Suivez-moi !
Oui, papa…
Elle envoie un baiser à Hector.
Ventre de léopard !… Tenez, je… (A Suzanne.) Marchez devant !…
Ils entrent tous deux à gauche.
Ici, au numéro 6.
Bien !… mettons en ordre mes lettres de recommandation et faisons vite un bout de toilette.
Il entre au premier plan à droite.
Scène IV
Plus personne… (Regardant autour de lui.) Je suis seul ! (Allant au fond et parlant à quelqu’un en dehors.) Jean, fermez la porte de la rue… (Descendant.) Enfin, je puis penser à mon pauvre prisonnier… Son déjeuner est en retard… (Il va prendre un plat et du pain sur le buffet.) Là !… (Après avoir de nouveau regardé autour de lui.) Maintenant, ouvrons la trappe… (Il ouvre la trappe qui est au milieu du théâtre et appelle.) Monsieur Favart !
Voilà !
Monsieur Favart !…
Voilà !… Ah ! c’est vous, mon bon Biscotin !…
Oui !… Je vous apporte votre déjeuner…
- Dans une cave obscure, exilé sous la terre,
- Mon âme gémissait dans la captivité,
- Mais revoyant enfin le ciel et la lumière,
- Je puis donner l’essor à toute ma gaîté.
- Au diable l’humeur morose,
- Je n’ai pour elle aucun goût…
- Mon esprit voit tout en rose
- Et je m’arrange de tout !
- Quand le chagrin, à ma suite,
- Veut s’élancer, je me mets
- A courir si vite, vite,
- Qu’il ne m’attrape jamais !
- Eh ! gai ! gai ! c’est ma devise !
- Je ne suis pas un savant,
- Mon seul désir c’est qu’on dise :
- Favart est un bon vivant !
- Jamais je ne suis malade,
- Ça donne de l’embarras,
- Je fais une promenade
- Entre mes quatre repas,
- Bref ! plus heureux qu’un monarque,
- Plus sans souci qu’un enfant,
- Lorsqu’un jour viendra la Parque
- Je veux la suivre en chantant.
- Eh ! gai ! gai ! c’est ma devise !
- Je ne suis pas un savant,
- Mon seul désir, c’est qu’on dise :
- Favart fut un bon vivant !
Pas si haut !… S’il entrait quelqu’un…
Nullement… Vous êtes le fils de mon ancien patron… de celui qui m’a appris l’état de pâtissier… Vous êtes arrivé ici il y a huit jours en criant : cachez-moi !… Je vous ai caché sans vous en demander davantage…
Bon Biscotin… Excellente pâte… de pâtissier… Vous saurez tout…
Est-ce bien la peine ?…
Ça me soulagera… Il y a six mois, Biscotin, j’ai épousé une jeune artiste de mon théâtre… mademoiselle Duronceray… un bouton de rose… fraîche, mignonne, jolie comme un cœur, de l’esprit à en revendre, du talent jusqu’au bout des ongles… et une vertu !… Oh ! sa vertu, voilà l’origine de tous mes malheurs…
Je ne comprends pas…
Vous allez comprendre… Ici l’action s’augmente d’un troisième personnage… Le maréchal de Saxe !…
Un grand capitaine…
Très-grand et très-gros… Il venait souvent à notre théâtre et en voyant jouer la Chercheuse d’esprit, une pièce très-réussie… elle est de moi… il devint absolument amoureux de ma femme…
Ah ! bon !
Bon !… Je ne trouve pas… Il comptait sur son prestige guerrier, ce chef éminent… Après plusieurs assauts donnés à la vertu de mon épouse, il fut obligé de se replier en désordre après avoir éprouvé des pertes sensibles… pour son amour-propre…
Ça a dû le vexer.
Énormément… Alors, il jura de se venger, et sous un motif frivole, il fit enfermer madame Favart dans le couvent des Ursulines de Cambrai.
Ah ! ah !… Et vous ?
Moi… il voulut aussi me faire enfermer… pas chez les Ursulines… mais en prison… sous prétexte de quelques dettes criardes… Prévenu à temps, je parvins à m’enfuir, on me poursuivit, c’était une chasse à courre… Bref ! je ne m’arrêtai qu’ici, où vous m’avez accueilli comme un frère et fourré dans votre cave… Fin du premier acte.
C’est très-attachant… mais enfin, la position n’est pas si mauvaise… madame Favart est rassurée sur votre sort, grâce à ce billet que j’ai pu lui faire parvenir…
Oui… ce billet dans lequel je lui apprends que je suis en sûreté chez vous, digne ami… (S’animant.) Eh bien ! non, qu’il le sache, le grand capitaine… non, non !… nous ne capitulerons pas !…
Ne criez donc pas comme ça… et rentrez, je vous en prie… rentrez…
Il ouvre la trappe.
Vous croyez que c’est indispensable ?…
Ça suffit… (Descendant par la trappe.) J’obéis, excellent Biscotin…
Emportez votre déjeuner.
Merci… (Gesticulant avec le plat.) Dérision amère ! Ma femme aux Ursulines ! moi dans cette cave ! Ah ! ce n’est pas ainsi que je comprenais la vie d’intérieur !
On entend une cloche.
La cloche du déjeuner… Cette salle va se remplir de monde… (A Favart.) Disparaissez !…
Il referme la trappe sur lui, au moment où tous les voyageurs sortent de leurs chambres et entrent en scène.
Scène V
- Allons, allons, vite à table,
- Qu’on serve en un tour de main ;
- Et qu’un repas confortable
- Vienne apaiser notre faim !
Les voyageurs et les voyageuses s’asseyent aux tables. Cotignac sort de la chambre de gauche.
- Qu’on me donne une côtelette,
- Avec du vin de Beaugency…
- Qu’on prépare mon omelette,
- Et presto l’apporte ici…
- Pardon, cette table est la mienne…
- Ne peut-on pas y tenir deux ?
- Du tout, monsieur, chacun la sienne…
Il s’assied.
- C’est un beau-père très-grincheux !…
Il s’assied. — On entend au fond les sons d’une vielle.
Tiens ! qu’est-ce que c’est que ça ?
C’est une petite chanteuse…
Faut-il la faire entrer ?
Oui… oui… qu’elle entre, qu’elle entre !
Madame Favart, en costume de vielleuse, parait au fond, elle entre et salue timidement.
Que vois-je !
Hector !
Vous, ici ?…
Pas un mot !
Se plaçant au milieu du théâtre.
- Je suis la petite vielleuse
- Qui va courant par les chemins,
- Et, toujours alerte et joyeuse,
- Sème partout ses gais refrains.
- Mon répertoire est immense !
- Que désirez-vous, messieurs ?
- Une plaintive romance,
- Ou bien un refrain joyeux ?
Se posant en chanteuse.
- Oh ! trop cruelle Sylvie,
- Je t’aime plus que ma vie,
- Sylvie !
- Sylvie !…
Changeant de ton.
- Elle aime à rire, elle aime à boire
- Elle aime à chanter comme nous !
- Elle aime à rire, elle aime à boire,
- Elle aime à chanter comme nous !
- Dans les gardes-françaises
- J’avais un amoureux…
- Dans les gardes-françaises
- J’avais un amoureux !…
- Je suis la petite vielleuse
- Qui va courant par les chemins,
- Et, toujours alerte et joyeuse,
- Sème partout ses gais refrains.
Elle fait la quête. — Les voyageurs lui donnent de l’argent et sortent ensuite. — Elle arrive près de Cotignac qui fouille vivement à sa poche et en tire sa montre.
Deux heures… Je n’ai que le temps de courir chez son Excellence.
Il remonte et disparaît par le fond. Madame Favart est arrivée prés d’Hector. — Tout le monde est sorti.Scène VI
Plus personne !…
Vous, Justine… Vous ici !… Comment se fait-il ?
Ecoutez, Hector, à vous, je peux tout dire. Votre père était un ami de ma famille, — nous avons été élevés ensemble… nous sommes presque frère et sœur, ce n’est pas vous qui me trahirez…
Oh ! non !…
Eh bien !… Favart est ici !…
Ah bah !…
Oui, caché par Biscotin… J’ai su cela par un petit billet qu’il m’a fait tenir, et alors, je n’ai plus eu qu’une idée, venir rejoindre mon mari.
Ce n’était pas facile…
Non, car j’étais au couvent des Ursulines et surveillée de très près… Mais, c’est justement là ce qui me piquait au jeu… Comment, me disais-je, toi, Favart, qui as tant joué la comédie, tu ne trouveras pas un moyen… J’ai cherché et j’ai trouvé. Il ne s’agissait que de tromper les bonnes sœurs… et c’est ce que j’ai fait….
- Prenant mon air le plus bénin
- Et des allures de novice…
- Il fallait sous mon grand béguin
- Me voir assister à l’Office !
- Les yeux baissés, la bouche en cœur,
- Tout le jour dans le monastère
- J’échangeais ce dialogue austère :
Croisant ses mains sur sa poitrine.
- Ave, ma mère !
- Ave, ma sœur !
- La jardinière du couvent
- Qu’un jour je parvins à séduire,
- Me prête enfin ce vêtement
- Qui dehors pouvait me conduire !
- Hier, franchissant, non sans peur,
- La porte du vieux monastère,
- Grand merci, dis-je à la tourière
- Ave, ma mère !
- Ave, ma sœur !
Très-bien…
Puis j’ai acheté une vielle… J’ai chanté tout le long du chemin… et me voilà…
Votre histoire est très-intéressante, mais il faut que je vous quitte.
Pourquoi si vite ?
En deux mots voici ma situation… J’adore une jeune fille, et je viens solliciter du gouverneur de l’Artois une place d’où dépend mon mariage avec elle…
Alors, vous alliez chez ce gouverneur ?…
Oui…
Et vous êtes pressé ?…
Beaucoup
Que je ne vous retienne pas… allez, mon cher Hector…
Au revoir…
Au revoir… et bonne chance !…
Merci !…
Il sort par le fond.
Scène VII
Pauvre garçon, il parait qu’il est amoureux… Voyons… tachons de savoir où est ce brave aubergiste…
Ce doit être lui…
Tiens, une paysanne !… Qu’est-ce que vous venez faire ici ?
Faites excuse… c’est-y vous qu’êtes M. Biscotin ?
C’est moi-même…
Ben vrai ? Là, vrai de vrai ?…
Puisque je vous le dis…
Alors, permettez-moi de vous embrasser.
Elle lui sauté au cou et l’embrasse sur les deux joues.
Qui est-ce qui m’a bâti une pareille effrontée…
Chut ! Je suis madame Favart…
Madame Favart !… oh ! pardon !
Je vous remercie de ce que vous avez fait pour lui. Où est-il ?…
Votre mari… Là…
Il frappe par terre.
Dans ma cave…
Oh ! ce pauvre chat… ouvrez vite…
Volontiers… mais…
Quoi ?
C’est que je viens d’apercevoir de ce côté des soldats…
Eh bien, vous ferez le guet pendant que je descendrai…
J’obéis… (Il soulève la trappe.) Attendez, il faut le préparer tout doucement… (Appelant.) Favart !….
Qu’est-ce qu’il y a ?…
Votre femme est là…
Il va cacher la vielle, puis revient au fond et fait le guet.
Ma f… ah ! quel coup !…
Il disparaît dans la cave.
Ah ! mon Dieu !… (Courant à la trappe.) Charles !… Charles !…
Je voudrais bien… mais…
Dans mes bras… la situation le commande !…
Attends… m’y voici…
Elle se baisse vers lui.
Embrassons-nous… (Ils s’embrassent.) Ah ! quel sujet pathétique !… un homme à moitié encavé qui étreint son épouse habillée en fille des champs… il y a des larmes là-dedans !
Calme-toi !
Je ne peux pas… Voilà le seul moment un peu agréable que j’aie éprouvé depuis longtemps… mais comment as-tu fait pour t’échapper ?…
Je vais te raconter cela…
Attends… je vais monter…
Non… c’est moi qui vais descendre…
Toi, dans cette cave… dans cette usine à rhumatismes… Jamais…
Laisse-moi descendre, c’est plus prudent…
Fermez la trappe… voilà des soldats !
Il baisse la trappe.
Des soldats !…
Je les brave !
Voulez-vous bien disparaître !
Encore la cave !… C’est du guignon… et dire que ça bonifie le vin !…
Il disparaît.
Enfin !… (A lui-même.) Ils sont sur la piste… je m’en doutais… (A madame Favart.) Vous, madame, du sang-froid…
Soyez tranquille… j’en ai…
Prenez cette serviette… ce broc… Vous êtes Toinon… ma nouvelle servante…
Bien !… j’ai compris…
Scène VIII
- A l’auberge de Biscotin
- On boit, dit-on, d’excellent vin !
- Nous sommes rompus et pour cause,
- Il faut ici qu’on se repose,
- Reposons-nous, le verre en main,
- A l’auberge de Biscotin !
- On va vous servir à l’instant
- Asseyez-vous…
- Ah ! oui, vraiment…
- Car depuis le soleil levant
- Nous recherchons un garnement…
- C’est lui !…
- Sans doute !…
- Et mêmement,
- Que dans votre établissement,
- Nous allons délicatement
- Faire quelques fouilles…
- Comment ?
- BISCOTIN.
C’est la consigne…
- Bien, sergent…
A madame Favart.
- Que faire ?
- Attendez !…
Prenant un broc et s’avançant vers les militaires,
- Militaires,
- Voilà le vin, tendez vos verres !
- Tiens !… quel est ce jeune tendron ?
- Toinon, ma nouvelle servante !
- Eh ! oui, pardi !… c’est moi, Toinon !
- Crédié ! cett’Toinon est charmante…
A madame Favart.
- Tu me rappelles Margoton…
- Qui fut ancienn’ment mon amante
- Et qui vous savait des chansons…
Il boit.
Se levant.
- Mais nos recherches… Commençons…
- Des chansons !… la belle affaire !
- J’en sais d’plus fort’s que Margoton…
- Pas possible !…
- Jarnicoton !
- Je vas vous l’prouver, militaire !
- Ecoutez-moi c’refrain gaillard…
Bas à Biscotin.
- Haut. C’est une ronde de Favart…
- Ma mère aux vignes m’envoyit,
- Je n’sais comment ça s’fit
- En parlant elle m’avait dit.
- « Travaille ma fille,
- » Vendange, grappille !… »
- En chemin Colin m’abordit,
- Il prit ma main et la baisit,
- Je n’sais comment ça s’fit !
- Il prit ma main et la baisit,
- Je n’sais comment ça s’fit !
- Puis v’là-t-y pas qu’il s’enhardit,
- « Travaille ma fille,
- » Vendange, grappille »
- Mais ma vertu le repoussit,
- Si rudement qu’il en tombit !
- Je n’sais comment ça s’fit !
- Mais en tombant il m’entraînit,
- Je n’sais comment ça s’fit !
- Ni l’un, ni l’autr’ne se blessit…
- « Travaille ma fille,
- » Vendange, grappille ! »
- Stapendant le coup m’étourdit
- Si ben qu’ma fin il m’endormit…
- Je n’sais comment ça s’fit…
- Mais, crac ! v’là qu’on me réveillit…
- Je n’sais comment ça s’fit !
- C’était ma mère et le bailli…
- « Travaille ma fille,
- » Vendange, grappille ! »
- Colin était tout interdit…
- Huit jours après il m’épousit…
- Voilà comment ça s’fit !
- MADAME FAVART.
Bravo ! bravo ! bonne chanson !
- Que dites-vous de mon histoire ?
- C’est encor mieux que Margoton !
- Tendez vos verres… il faut boire !
Elle verse à boire.
- Buvons, buvons à pleins verres,
- Aimable et jeune beauté,
- En braves, galants militaires
- Nous allons boire à ta santé !
- Buvez, buvez, buvez encore !
- Buvez, buvez, buvez toujours !
- Ah ! palsanguienne ! je t’adore !
- Verse, déesse des amours !
Il tend son verre.
- Buvez encore !
- Buvez toujours !
- Buvons encore !
- Buvons toujours !
- Ils sont tous gris !
- Vive la vigne !…
- Mais n’oublions pas la consigne
- Et cherchons ce particulier !
- LE SERGENT.
Montez d’abord dans le grenier…
- Elle a raison dans le grenier
- Cherchons notre particulier.
- Là-haut sur les bottes de paille
- Ils vont s’endormir…
- C’est certain !
- Venez tous !…
- Gare à la muraille !
- Je vais vous montrer le chemin !
- Buvons, buvons à pleins verres,
- Etc.
- Buvez, buvez à pleins verres,
- Etc.
Les soldats chancelant et se cognant, sortent par la gauche conduits par Biscotin.
Scène IX
Ils sont partis ?
Alors, je sors… (Il sort de la cave.) Enfin !… nous pouvons causer de nos petites affaires… Nous voilà tranquilles…
Oh !… tranquilles… pas tant que ça…
Qu’est-ce qu’il y a encore ?…
Il y a que je les ai fait boire, qu’ils vont probablement s’endormir, mais qu’ils peuvent se réveiller d’un moment à l’autre.
Alors, que faire ?
Parbleu ! il faut fuir…
Fuir !… fuir !… dis-tu ?… (Changeant de ton.) Oui, c’est une assez bonne idée…
Il ne s’agit que de la mettre à exécution… pour cela il faut trouver un plan !
Un plan… ça me regarde… c’est un scénario à faire…
Cherchons !
Attends… Je tiens l’embryon… avant tout il faut que je me déguise…
Oui !
Très-bien, mais après ?… où irons-nous ?
Les choses simples sont les meilleures… tout droit devant nous…
Sans argent, sans papiers… alors, mon pauvre ami, nous n’irons pas bien loin…
J’en ai peur…
Tiens, laisse-moi faire… moi je trouverai quelque chose…
Voilà un collaborateur… c’est moi qui cherche et c’est elle qui trouve… je vas toujours m’habiller.
Il sort par la droite, premier plan.
Scène X
Oui, ce moyen, il faut que je le trouve, il le faut ! (Hector entre par le fond, l’air sombre, et descend la scène sans rien dire. — Courant à lui.) Ah ! Hector !… si vous saviez !… mon pauvre Favart, je l’ai revu…
Tant mieux, j’en suis heureux pour vous…
Il y aurait eu un moyen bien facile…
Lequel ?
Si j’avais obtenu cette place que je sollicite, j’aurais pu vous faire passer pour mes domestiques et vous emmener tous les deux avec moi à Douai.
C’est vrai !
Dans ma propre voiture !….
La voiture du lieutenant de police !
On ne serait pas venu vous chercher là.
Oh ! non !… Ah ! mon cher Hector… Alors, nous étions sauvés.
Oui, mais cette place, je ne l’aurai pas.
Qu’en savez-vous ?
Je viens de l’hôtel du gouverneur… on n’a même pas voulu me recevoir.
Il fallait insister.
C’est ce que j’ai fait… j’ai pris huissier à part, je lui ai glissé un louis dans la main en le priant de s’intéresser à moi… Alors il a cligné des yeux et m’a dit tout bas : — Envoyez votre femme… — Mais… — Envoyez votre femme et votre affaire est dans le sac !… Voilà tout ce que j’ai pu en tirer.
Oh ! oh ! je crois comprendre… Le marquis est un vieux Céladon…
En pâte tendre… il paraît qu’à cet égard sa réputation est des mieux établies… il aime à se faire solliciter par les femmes de ses inférieurs… avec lui pas d’avancement sans cela… il n’y a pas de services rendus qui puissent lutter avec un nez retroussé !… Ah ! si j’avais eu une femme sous la main…
En voilà une idée…
Vous avez raison… Ça n’a pas le sens commun, et je n’ai plus qu’une chose à faire…
Quoi donc ?
Je vais écrire à Suzanne que je ne peux pas l’épouser… parce que je ne suis pas marié.
Il sort par la droite, deuxième plan.
Scène XI
C’est pourtant vrai… S’il avait eu la place, mon pauvre Favart était sauvé… et moi aussi… Ce moyen tant cherché le voilà… et il nous échappe… Mais cette place, pourquoi ne l’obtiendrait-il pas, au fait ?… Que faut-il pour cela ?… qu’on le croie marié… qu’il ait une femme pendant une heure… Eh bien ! il en aura une !… et cette femme, ce sera moi… je vais aller trouver ce gouverneur… Je saurai si bien l’enjôler, l’amadouer, que je l’emporterai sur toutes ces provinciales… ou alors, c’est que je ne serai plus madame Favart !… Allons !… (Elle fait quelques pas et revient.) C’est risqué !… oh ! non !… non… Décidément c’est trop risqué… Eh bien ! quoi, après tout ?… puisque j’ai résisté au maréchal de Saxe, je saurai bien tenir à distance respectueuse ce vieux gouverneur… allons, allons… c’est dit… je n’hésite plus… (Elle va pour sortir et revient.) Oui… mais je ne peux pas me présenter à son hôtel dans ce costume… (Apercevant la pelisse et la mantille de Suzanne.) Ah ! cette pelisse, cette mantille… Je ne sais à qui elles sont… mais, ma foi tant pis !… à la guerre, tous les moyens sont bons… (Elle met la mantille et la pelisse.). Maintenant, allons jouer la comédie… et tâchons de bien jouer, car c’est à notre bénéfice !…
Elle sort au moment où Hector entra par la droite.
Scène XII
Voilà ma lettre… (Apercevant madame Favart qui sort par le fond.) Justement, c’est elle… (Remontant.) Suzanne !… Suzanne !… Eh bien ! elle ne répond pas, elle se sauve… Suzanne !…
Qui m’appelle ?…
Comment vous voilà de ce côté… lorsque je viens de vous voir partir par là… Vous êtes donc double ?…
Ah ! mon Dieu !… Est-ce que vous deviendriez fou ?…
Ça ne m’étonnerait pas. (Avec émotion lui tendant une lettre.) Tenez, Suzanne, lisez cette lettre que j’avais préparée pour vous et vous comprendrez tout…
Voyons…
Elle lit à l’avant-scène, côté gauche, Hector tombe sur une chaise près d’une table et reste la tête plongée dans ses mains.
Me voilà costumé… où est ma femme ?
Il remonte vers le fond.
Ainsi… cette place… plus d’espoir ?…
Aucun espoir… aucun !…
Tiens !… Mais, c’est Boispréau !…
- Adieu, Suzanne, je vous rends
- Votre promesse et vos serments ;
- Quant à moi, j’ai trouvé, ma chère,
- Un moyen pour me distraire !…
- O ciel ! que prétendez-vous faire ?
- Un petit tour dans la rivière !
- Halte-là ! monsieur, s’il vous plaît…
- Qu’est-ce ?…
- Favart !…
Vivement à Suzanne.
- FAVART.
C’est mon valet !
- Mettre fin à son existence,
- C’est simplement de la démence ;
- Ne faites pas ça, car après
- Vous en auriez bien des regrets !
- Il est, pour dénouer la chose,
- Un moyen beaucoup moins morose…
- Parlez…
- Quel est donc ce moyen ?
- Il est très-simple… écoutez bien :
- De quoi s’agit-il ?
- Mon esprit subtil
- Devine aisément
- Tout votre roman.
- S’aimer et s’unir
- Est votre désir ;
- Mais un dur papa
- N’entend pas cela !
- Pour forcer la main
- Du père inhumain,
- C’est facile, il faut
- S’enfuir au plus tôt ;
- Rien de plus charmant
- Qu’un enlèvement !
- De suite ça fait
- Un terrible effet !
- Le père ombrageux
- Vous poursuit tous deux ;
- Et sur vous enfin,
- Pose le grappin !
- Tout en sanglotant,
- Alors vous jetant
- Aux pieds du barbon
- Vous criez : Pardon !
- Soudain, à ce cri,
- Le tigre attendri
- Pardonne et bénit ;
- Puis il vous unit !
- Transport général
- Avec chœur final !
- Et sur ce tableau
- Baisse le rideau !
Allons, c’est entendu… partez !…
Un enlèvement… non, non, je refuse.
Moi aussi… je refuse.
Oui… et disons-nous adieu pour jamais !
Pour jamais…
Ma parole !… Ils me fendent le cœur !…
Scène XIII
- Pour la lieut’nance
- Il y a deux concurrents
- Qui s’sont mis sur les rangs ;
- Nous allons, je pense,
- Savoir quel est celui
- COTIGNAC. Qui l’emporte aujourd’hui !
Entrant, très en colère.
- J’enrage, je suis en fureur,
- Je viens de chez le gouverneur,
- Dans l’antichambre je demeure
- A me morfondre plus d’une heure,
- Pendant qu’il était — le fripon —
- Tête-à-tête avec un jupon !
- Alors, je crie et je proteste,
- L’huissier me répond d’un ton leste :
- Vous pouvez partir maintenant,
- Il a nommé son lieutenant !
- Ainsi
- L’affaire est terminée ?
- Et la place est donnée ?
- Dites-nous vite à qui ?
- A qui ?
- Eh mordieu ! je l’ignore !
- Je n’en sais rien encore !
Scène XIV
Monsieur de Boispréau…
Qu’y a-t-il ?
- Je viens vous dir’, monseigneur,
- Qu’un gard’du gouverneur
- M’a donné cett’grand’lettre
- HECTOR, parlé. En m’priant d’vous la remettre…
Une lettre… Voyons… (Il prend la lettre.) Lisons : « Mon cher monsieur de Boispréau, vu les talents hors ligne dont vous n’avez cessé de faire preuve… Vu les immenses services que vous avez rendus à l’Etat… Et vu, surtout, la haute et puissante recommandation d’une personne influente… Vous êtes nommé, par les présentes, au poste de lieutenant de police à Douai ! »
- Je suis nommé ! quel bonheur !
- Il est nommé ! quel bonheur !
- Peste soit du gouverneur !
- Il est nommé ! quel honneur !
- Mais comment se fait-il ?
- Quelque femme, je pense,
- Aura parlé pour vous…
- Vous, peut-être ?
- Silence !
- Enfin, nous allons être unis…
- Permettez…
- N’est-ce pas le prix
- Que vous-même m’avez promis ?
- TOUS.
C’est vrai, papa, tu l’as promis !
- Il l’a promis ! il l’a promis !
- O mon papa, je t’en supplie
- A deux genoux,
- Il faut que vite on nous marie,
- Ecoute-nous !
- Cette fois sera la première,
- Après j’attendrai mon p’tit père…
- Voyons, voyons, sois bien mignon,
- Ne dis pas non !
- Pour sa fille, il faut être bon !
- Ne dis pas non !
- Sois bien mignon,
- Ne dis pas non !
- Allons, papa, laisse-toi faire,
- Un bon mouv’ment.
- Ce mariage, c’est l’affaire
- D’un p’tit moment ;
- Tu m’as dit bien souvent : j’espère
- Qui un beau jour je serai grand-père !…
- Voyons, voyons, sois bien mignon…
- Ne dis pas non !
- Pour sa fille, il faut être bon !
- Ne dis pas non !
- Sois bien mignon,
- Ne dis pas non !
- Soit donc !… Va pour le mariage !
- Mais corbleu ! saprebleu ! j’enrage !
À ce moment, les soldats et le sergent redescendent du grenier et entrent par le fond.
- Les soldats ! Je suis pris…
- Non ! non !
- À Favart et à madame Favart. Je me souviens de ma promesse…
- Dépêchons-nous, car le temps presse…
- Allons, Benoît, allons, Toinon…
- Nous sommes à votre service,
- Monsieur le lieutenant de police.
Le lieutenant de police !
Il fait signe à ses hommes qui portent les armes.
- Et votre carrosse est tout prêt.
- Avec ma bonne et mon valet,
- Mettons-nous bien vite en voyage,
- A Douai, nous ferons notre mariage !
- En voyage !
- En voyage !
- Allons soudain
- Mettons-nous en voyage !
- Car de l’hymen
- Un voyage est l’image !
- On part gaîment,
- Mais un orage
- Survient grondant,
- Gar’le ménage !
- Clic, clac !
- Fouette, fouette, fouette, cocher !
- Il faut se dépêcher,
- Que la voiture vole
- Dans une course folle,
- Clic, clac !
- Fouette, fouette, cocher !
- Clic, clac !
- MADAME FAVART.
Fouette, fouette, cocher !
- Mais un cahot
- L’un vers l’autre vous jette,
- L’amour bientôt
- Apaise la tempête !
- Le ciel est pur,
- Plus un nuage,
- Et dans l’azur
- Fin du voyage !
- On s’enlace
- Doucement,
- On s’embrasse
- Tendrement ;
- Tout s’achève
- Dans l’ardeur
- D’un doux rêve
- De bonheur !
- Clic, clac !
- Fouette, fouette, fouette, cocher !
- Il faut se dépêcher,
- Que la voiture vole
- Dans une course folle !
- Clic, clac !
- Fouette, fouette, fouette, cocher !
- Clic, clac !
- Fouette, fouette, cocher !
Pendant cette dernière reprise de l’ensemble, Hector, tenant Suzanne par la main, se dirige vers le fond, suivi de Cotignac, puis de Favart et de madame Favart portant des paquets, un parapluie, une petite valise, etc. Le sergent et ses soldats font le salut militaire. — Tableau. — Le rideau baisse.
ACTE DEUXIÈME
Le théâtre représente un salon, avec trois portes au fond, ouvrant sur un parc. — À droite et à gauche au premier plan, portes avec des draperies. — À droite, une cheminée, du même côté un canapé. — À gauche, une petite table sur laquelle sont des papiers, un encrier, une sonnette et un timbre.
Scène PREMIÈRE
Au lever du rideau, Hector est assis à la petite table et feuillette des papiers. — Un agent de police et un tapissier sont debout devant lui, le chapeau à la main. — Madame Favart, à droite, époussette les meubles.
Eh bien ! monsieur le tapissier, où en sont vos hommes ?
Dépêchez-vous… n’oubliez pas que je donne ce soir une grande fête et que vous avez encore cette pièce à décorer.
Le tapissier salue et sort.
Quant à vous, monsieur l’exempt, j’ai lu vos rapports, ils sont en règle et vous pouvez vous retirer.
Pas d’ordres particuliers ?
Aucun… Reprenez votre service et venez m’informer ce soir de ce que vous aurez vu… allez !…
L’agent s’incline et sort.
Bravo ! La parole brève !… le geste plein d’autorité !… Vous étiez né pour commander…
N’est-ce pas ?… Eh bien, et vous, Justine, savez-vous que je vous admire… On dirait que vous avez été soubrette toute votre vie… Seulement, ce qui me désole, c’est de vous voir forcée de continuer le personnage…
Il faut bien s’y résigner… jusqu’au moment où Favart et moi nous trouverons une occasion sûre de passer en Belgique…
J’espère que cela ne tardera pas… du reste, il n’y a encore que huit jours que nous sommes arrivés à Douai et que je suis installé dans mes fonctions de lieutenant de police…
C’est vrai ! Je suis marié.
- Suzanne est aujourd’hui ma femme,
- Et, jugez si c’est merveilleux,
- Elle est ma femme et je proclame
- Que je ne pouvais trouver mieux
- Pour moi c’est le ciel sur la terre,
- C’est plus que mon cœur n’espéra ;
- Et c’est à vous seule, ma chère,
- Que je dois tout ce bonheur-là.
- J’aime une nombreuse famille,
- Or donc, avant trois ou quatre ans,
- Je veux qu’autour de moi fourmille
- Une troupe de garnements.
- Enfin bientôt j’aurai, j’espère,
- Tous les ennuis d’être papa ;
- Et c’est encore à vous, ma chère,
- Que je devrai ce bonheur-là.
Bah !… j’ai eu bien peu de mérite, allez !… Si vous saviez comme ce pauvre marquis a été facile à embobiner…
On le dit pourtant très-dangereux…
Lui !… Allons donc ! C’est une réputation usurpée… J’en suis venue à bout avec quelques sourires et quelques œillades…
De la menue monnaie…
N’importe ! Vous présenter comme ma femme, c’était hardi, et s’il apprenait jamais qu’on s’est moqué de lui à ce point-là, savez-vous qu’il me ferait jeter en prison…
Bah !… Que pouvez-vous craindre ?… Le marquis ne quitte jamais Arras, et il n’y a que vous et moi qui connaissions cette histoire. Votre femme n’en sait rien, ni Favart non plus…
Heureusement ; car il serait capable d’en manquer toutes ses sauces…
Et ce serait dommage… car il les réussit à merveille… il a pris ses fonctions de cuisinier au sérieux… et ma foi, je trouve qu’il est superbe sous le tablier blanc et le casque à mèche…
Superbe, c’est le mot…
Je ne peux pas le regarder sans rire… (Montrant Favart qui a paru au fond, en cuisinier.) Tenez, voyez-moi un peu cette tête ?
Scène II
Elle est bonne, n’est-ce pas, la tête ?… (Entrant et prenant l’attitude d’un domestique qui attend des ordres.) Je viens prendre les ordres de monsieur. Qu’est-ce que monsieur commandera ce matin pour son déjeuner ?… (Changeant de ton et donnant familièrement une poignée de main à Hector.) Bonjour, Hector, ça va bien ?
Pas mal, et vous, cher ami ?
Moi, ça boulotte !… je suis en train de vous préparer le grand souper de ce soir, tous mes marmitons sont l’œuvre… et moi, je les commande, la cuiller à pot à main, ça m’amuse beaucoup !
Tant mieux !…
D’ailleurs, ça me rappelle ma jeunesse… mon premier état… lorsque, élève de mon père, je l’aidais à confectionner des échaudés… ce chef-d’œuvre de légèreté qu’il venait d’inventer…
Jolie invention !
Invention sublime !… et qui prouve que le papa Favart connaissait bien son pays…
- Quand du four on le retire,
- Tout fumant et tout doré,
- Aussitôt chacun admire
- Le gâteau bien préparé.
- Il a fort belle apparence,
- On est pressé d’en manger.
- Mais pour de la consistance
- Il n’en faut pas exiger.
- Mettez-le dans la balance,
- C’est léger, léger, léger !
- Chacun dit : La belle mine,
- C’est un gâteau sérieux,
- Mais pour peu qu’on l’examine,
- On s’aperçoit qu’il est creux.
- Bien des gens dans notre France
- Ainsi peuvent se juger,
- Tout pleins de leur importance
- Vous les voyez se gonfler !
- Mettez-les dans la balance,
- C’est léger, léger, léger !
Bravo, Favart ! toujours la chanson aux lèvres…
Toujours !… Que voulez-vous, la gaîté et moi nous sommes inséparables !… et puis, je suis si tranquille ici…
Oui… Eh bien ! moi je ne le suis pas tant que toi…
Bah depuis quand ?…
Depuis avant-hier… (A Hector.) Depuis la visite de votre tante, la vieille comtesse de Montgriffon…
Pourquoi ?… Que craignez-vous d’elle ?…
Diable, ce serait grave…
Oui, car elle n’est pas bonne, la chère tante, — mais je suis convaincu que vous vous alarmez à tort, et la preuve, c’est qu’elle est partie sans faire la moindre observation et j’ai même remarqué qu’elle avait été charmante pour Suzanne… Tiens, mais à propos, où est-elle donc, Suzanne ?…
Elle vient de sortir, elle est allée faire les dernières commandes pour la fête de ce soir…
Fête de mon installation. J’ai invité tous les notable de la ville… Je crois que ce sera superbe et que… (Grand bruit au dehors.) Hein ? Quel est ce bruit ?
Quelque rixe, sans doute… quelque malfaiteur qu’on vous amène… (A Favart.) Va donc voir, Charles…
Tout de suite…
Il sort. — Nouveau bruit au dehors.
Mais non, écoutez… ce sont des cris de joie, des vivats…
En effet… (Inquiète.) Qu’est-ce que cela signifie ?
Grande nouvelle ! grande nouvelle ! quel honneur pour vous, mon cher Hector…
Quoi donc ?
C’est le marquis de Pontsablé, c’est le gouverneur de l’Artois qui vient vous voir et toute la foule qui le suivait a forcé les grilles… (Criant au fond.) Par ici, par ici, monseigneur !… (A Hector.) Moi je cours endosser ma livrée…
Il disparaît.
Le marquis !… Le marquis chez moi !…
Ah ! mon Dieu !
Et vous qui me disiez qu’il ne quittait jamais Arras…
C’est une fatalité !
Il va me demander à voir ma femme…
C’est évident…
Le voici… (A madame Favart.) Je suis perdu !…
Peut-être !…
Elle sort vivement par la droite.
Scène III
- Honneur, honneur
- A monseigneur
- Le gouverneur !
- Autour de lui que l’on s’empresse
- Et tous pleins d’une douce ivresse,
- Répétons en chœur :
- Honneur, honneur
- A monseigneur
- Le gouverneur !
- Cet accueil très-flatteur dont je suis enchanté
- N’est après tout que mérité,
- Dernier des Pontsablé, je suis la noble trace
- Des chefs de mon illustre race.
- Mes aïeux, hommes de guerre,
- Dans le fond gens excellents,
- Mais sujets à la colère,
- N’étaient pas très-endurants !
- Pour un rien, une vétille,
- Ils rageaient à qui mieux mieux…
- Enfoncer une bastille
- Ce n’était qu’un jeu pour eux !
- Par respect pour ma famille,
- Je fais comme mes aïeux !
- Par respect pour sa famille,
- Il fait comme ses aïeux !
- Mes aïeux auprès des femmes
- Etaient très-entreprenants,
- Et beaucoup de nobles dames,
- Les eurent pour leurs galants.
- Leur longue histoire fourmille
- Des exploits les plus fameux.
- Nobles dames, jeunes filles,
- Rien n’était sacré pour eux !
- Par respect pour ma famille,
- Je fais comme mes aïeux !
- Par respect pour sa famille,
- PONTSABLÉ, à la foule.
Il fait comme ses aïeux !
- Maintenant, vous m’avez bien vu,
- Je vous ai montré ma personne,
- De vos cris je suis rebattu.
- Eloignez-vous, je vous l’ordonne.
- Eloignez-vous, on vous l’ordonne !
- Honneur, honneur
- A monseigneur
- Le gouverneur !
Tout le monde se retire. Les officiers de la suite de Pontsablé restent au fond, dans le parc, en vue du public.
Scène IV
Enfin ! nous pouvons causer… Ce n’est pas moi que vous attendiez, avouez-le…
En effet… j’étais loin de supposer que vous me feriez l’honneur…
Une affaire importante qui m’appelle à Douai…
Ah ! une affaire ?…
Oui… vous comprenez que je n’ai pas voulu descendre chez un autre que chez vous !…
Ainsi, vous voilà tout à fait installé ?
Tout à fait… et je remercie monsieur le marquis de laa faveur qu’il m’a faite en me nommant.
Ne parlons pas de ça… Votre mérite… vos talent : vos hautes capacités vous désignaient à mon choix…
Je suis confus…
Avec moi, jamais de passe-droit… je ne me laisse pas influencer… (Changeant de ton.) Et votre femme, comment va-t-elle ?
Ma femme ?… (A part.) Nous y voilà !… (Haut.) Elle bien, monseigneur, elle va très-bien…
J’en suis ravi… et j’ai hâte de lui présenter mes hommages…
Oui… vous voulez lui présenter ?…
Mes hommages… naturellement…
Naturellement… mais c’est que c’est impossible.
Comment ! impossible ?…
Elle est sortie…
Elle ne rentrera que dans trois jours !…
Dans trois jours !…
Elle est allée voir une pauvre malade, une de ses amies de pension qui a soixante-dix-sept ans… (Le marquis étonné le regarde.) Non… je veux dire… dont la mère a soixante-dix-sept ans !… Alors, vous comprenez…
C’est fâcheux !…
Ah ! oui !…
Et je suis désolé…
Moi aussi…
Est-ce qu’il n’y a pas moyen de la faire prévenir ?…
Oh ! pas moyen… vous comprenez… l’humanité… une malade… quatre-vingt-dix-sept ans !
Scène V
Monsieur !…
Je viens prévenir monsieur que madame est rentrée…
Haigne !… animal !…
Bon… très-bien… C’est que la vieille dame va mieux…
C’est impossible… Il ne sait pas ce qu’il dit… tu te trompes… (Il fait des signes à Favart.) Ma femme n’est pas rentrée.
Mais, si, monsieur, puisque je viens de lui parler…
Il ne comprend rien…
C’est drôle… vous paraissez tout troublé…
Moi… du tout… au contraire… (Vivement.) Monseigneur désirerait-il prendre un verre de liqueur et un biscuit ?
Du biscuit de Savoie… nous en avons de délicieux.
Volontiers, mais plus tard. (A Hector, montrant Favart.) Quel est ce garçon ?…
C’est… Benoît… un de mes domestiques.
Il a l’air fort intelligent, ce Benoît…
Oui, monsieur… Ah ! j’oubliais…
Quoi encore ?…
Madame fait demander à monsieur à quelle heure il faut allumer dans les salons pour la fête de ce soir…
Une fête… Comment, vous donnez une fête ?…
Haigne !… maladroit…
Il fait des signes à Favart.
Qu’est-ce qu’il a donc à faire comme ça ?…
Oh ! une fête… c’est-à-dire…
Une fête superbe… pour célébrer l’installation de monsieur…
Il est enragé !… (Haut.) Quelques personnes…
Monsieur a invité toute la ville… on s’écrasera…
Il ne se taira pas !…
Et vous ne me soufflez pas un mot de tout cela ?…
Pourquoi donc ?… Au contraire… je me ferai un véritable plaisir d’assister à cette fête.
Ah ! bon ! me voilà bien !… (A Favart avec colère.) Va-t’en !
Mais, monsieur, permettez…
Il va encore dire quelque sottise… (Haut.) Veux-tu t’en aller, crétin, idiot !…
Oui, monsieur… (A part.) Si j’y comprends quelque chose…
Comme vous le secouez, ce pauvre garçon… (A Favart.) Mon ami !… (A Hector.) Voulez-vous me permettre de lui donner un ordre ?…
Tout ce que vous voudrez, marquis, vous êtes chez vous !… (A part.) Je n’en puis plus !
Mon ami, va dire à ta maîtresse que le marquis de Pontsablé désire lui présenter ses hommages…
Oui, monseigneur, j’y cours… (Voyant Hector qui lui fait de nouveau des gestes.) Mais qu’est-ce qu’il a donc ? il est malade…
Il sort.
Allons vite… des fleurs partout… Remplissez les jardinières…
Eh ! mais… la voilà… c’est elle…
Justine !…
Scène V
Venez, venez donc, belle dame…
Monsieur de Pontsablé !… Quelle aimable surprise !…
Vous me sauvez encore ! merci !
Que je suis donc ravi de vous revoir… Alors, cette vieille dame va mieux ?…
Quelle vieille dame ?… (Hector lui fait des signes.) Oui… oui… beaucoup mieux… je vous remercie… (Changeant la conversation.) Est-ce que nous aurons le bonheur de vous posséder longtemps à Douai ?
Mon Dieu… je ne sais pas encore au juste… (A part.) Lançons mon hameçon et examinons bien mon lieutenant de police… (Haut. — Regardant Hector en face et accentuant bien chaque mot.) Cela dépendra de madame Favart.
Hein ?
Elle se rapproche doucement de Pontsablé.
Il a tressailli… mes renseignements étaient exacts… (Haut.) Oui, je ne suis ici que pour elle… elle s’est enfuie de son couvent et il faut absolument que je la retrouve… Ordre du maréchal de Saxe…
Ah !… du maréchal !… (Se reprenant aussitôt et d’un air indifférent.) Ah ! du maréchal !
Oui ! (A Hector.) Vous m’aiderez, Boispréau.
Certainement… c’est mon devoir…
On m’a signalé sa présence dans cette ville, avez-vous quelque indice ?…
Aucun…
Aucun !…
Aucun, c’est singulier…
Je ne l’ai même jamais vue…
Ah ! vous ne l’avez jamais… moi non plus, du reste.
Heureusement…
Eh ! ne le sont-elles pas toutes !… Ah ! ces actrices… Ah ! pouah !… quel métier !… Tenez, marquis, ne me parlez pas de ce monde des coulisses… il me porte sur les nerfs…
Je le crois… quand on a votre distinction, votre noblesse… Oh ! du premier coup d’œil on voit la différence qui existe entre ces femmes de théâtre et une femme du monde… comme vous, madame.
Vous êtes physionomiste…
On le dit ! (Il lui baise la main. — À part.) Elle est idéale ! (A Hector.) Mais revenons à cette comédienne. Je vais vous signer un ordre d’arrestation.
Tenez, monseigneur, là… (Pontsablé s’asseoit. — Suzanne parait au fond dans le jardin.) Oh ! ma femme !
Pontsablé écrit.
Me voici…
Tais-toi !
Elle va tout gâter.
Et disparais… ou je suis perdu !…
Il laisse retomber la portière sur Suzanne stupéfaite.
Qu’est-ce donc ?
Je viens… (Il se trouve en face de madame Favart.) Hein !… ma femme en grande dame !
Tais-toi…
À l’autre maintenant.
Pas un mot et disparais…
Elle laisse retomber la portière sur lui.
Qu’y a-t-il ?
Rien, monseigneur, rien… je disais… Quel beau temps… quel superbe temps pour les petits pois…
Les oreilles me cornent donc… (Donnant un papier à Hector.) Voici l’ordre.
Bien, monseigneur… (Regardant la portière de droite.) Quelle position !…
Mais cela, bien entendu, n’empêche pas la fête de ce soir… et je vais vous demander une grâce… mon cher ami…
Laquelle, monseigneur ?… (A part.) Il m’effraie…
Celle de présenter votre charmante femme à toute la noblesse de la ville…
Sa femme !…
Ah ! bon… il ne manquerait plus que ça.
Vous me permettrez seulement d’aller donner quelques soins à ma toilette…
Certainement… ! (Appelant.) Jean !… (Un domestique paraît au fond.) Conduisez monseigneur à sa chambre… la chambre des antiques…
Comment ! des antiques !
C’est la plus belle… Allez, cher marquis, et revenez-nous bien vite…
Le plus tôt possible… (A Hector en sortant.) Boispréau, votre femme est un ange… (Au fond.) Elle est idéale…
Il sort.
Scène VII
- Ah ! c’est affreux !
- SUZANNE.
Ah ! c’est infâme !
- On nous trompait !
- Indignement !
- Parlez, monsieur !…
- Parlez, madame ?…
- Expliquez-vous !…
- Et vivement !
- Deux mots vont suffire
- Pour calmer tes sens…
- Je vais tout te dire,
- Ecoute et comprends…
- Pour que monsieur ton père
- Consente à nous unir…
- De ton réduit sous terre
- Pour que tu puisses fuir…
- Qu’était-il nécessaire
- Avant tout d’obtenir ?
- La place ? Mais que faire ?
- Et comment réussir ?
- Il fallait…
- Qu’une dame…
- HECTOR.
Allât
- Chez le marquis,
- Sous le nom…
- De ma femme…
- J’y courus…
- Bon, j’y suis !…
- J’obtins tout.
- Saprelotte !…
- Or, il faut…
- Devant lui…
- Qu’ici rien…
- Ne dénote…
- Notre fraude…
- Aujourd’hui…
- Car le vieux…
- Mascarille…
- HECTOR.
Par malheur…
- S’il l’apprend…
- Pour Hector…
- La Bastille !
- Et pour moi…
- Le couvent !
- La Bastille !
- Le couvent !
- La Bastille et le couvent !
- Plus souvent !
- Il faut, tu vois bien,
- C’est le seul moyen,
- Quelque part en ville
- Chercher un asile…
- Quoi ! sans nul souci
- Te laisser ici —
- Le charmant programme —
- Seul avec madame !
- Oh ! quant à cela…
- Ne suis-je pas là ?
- Pars, ma chère amie,
- SUZANNE, parlé. Pars, je t’en supplie…
Partir !…
- Après quelques jours seulement
- De ménage,
- A m’en aller complaisamment
- On m’engage,
- Afin qu’une autre, me chassant,
- Quelle audace !
- Près de mon mari sur-le-champ
- Me remplace.
- Non, non ! Halte-là !
- Si cela vous va,
- Moi ça ne peut pas faire
- Mon affaire !…
- Je n’me suis pas marié’pour ça !…
- De l’amour m’en tenant ici
- Au prélude,
- Quand déjà j’ai pris d’un mari
- L’habitude ;
- Il faudrait, hélas ! que bien loin
- Pour vous plaire,
- Je reste dans un petit coin
- Solitaire !…
- Non ! non ! halte-là !…
- Etc.
- Eh bien ! que la Bastille s’ouvre !
- Non ! non ! je vais partir…
- Merci !
- Si toutefois, je ne découvre
- ENSEMBLE Le moyen de rester ici !…
SUZANNE.
|
FAVART et MADAME FAVART
|
- Avec prudence
- Fuis et bien loin,
- De ton absence
- On a besoin !
- Pour que j’évite
- Un sort fâcheux,
- Il faut bien vite
- Quitter ces lieux !
Suzanne sort avec Hector.
Scène VIII
Pardon, madame Favart, un mot s’il vous plaît !…
Qu’est-ce que tu as ?
Regarde-moi bien en face, entre les deux yeux…
De quoi avez-vous causé l’autre jour avec le gouverneur ?
Des soupçons… Ah ! Charles !
De quoi avez-vous causé ?… De quoi ?
Quels regards !… (Riant.) Ah ! ah ! ah ! ah ! (Apercevant Pontsablé qui paraît au fond.) Tiens, le voici, le gouverneur !… Tu peux le questionner toi-même… (Riant.) Ah ! ah ! ah !
Mais oui, je vais le questionner !
Scène IX
Elle est encore là… Je suis assez coquet… Je peux me lancer…(S’avançant vers madame Favart.) Eh ! mon Dieu ! belle dame, vous me paraissez d’une gaîté…
C’est cet imbécile de Benoît… qui ne dit et ne fait que des sottises… s’il continue, nous ne pourrons pas le garder.
Bon ! elle se moque de moi par-dessus le marché !
Vous, monseigneur ?
Oui… et voici mes arrhes… (Il lui jette une bourse.) Tu vas me servir immédiatement…
Comment ça ?
Tu vas voir… (Revenant à madame Favart.) Mais d’abord à nous deux… L’autre jour, traîtresse, vous vous êtes complètement moquée de moi… à Arras…
Tu vois, jaloux !
Pardonne-moi… je ne le ferai plus…
Me moquer de vous !… Ah ! marquis, pouvez-vous supposer ?… Le respect que je vous dois…
Laissons le respect de côté… et puisque le hasard me procure en ce moment un charmant tête-à-tête, je veux en profiter…
Nous ne sommes pas seuls.
Oh ! un domestique…
Oui, mais si on entrait !…
Moi ?…
Oui… tu vas te placer là… au fond… en sentinelle… et si tu vois venir le mari…
Le mari ?… Ah ! oui, oui… le mari !…
Tu me préviendras…
Mais comment ?
Tiens… en agitant cette sonnette. (A madame Favart.) Vous voyez qu’il n’y a aucun danger…
En effet !…
Allons, va…
Oui, monseigneur… (Au fond.) Eh bien, je vais jouer là un joli personnage ! Il disparaît au fond.
Scène X
La place est à moi !… entamons vigoureusement. Enfin, madame, je puis donc vous dire que vous êtes adorable et que je vous aime à la folie.
Oh ! oh ! comme il s’enflamme… Attends ! je vais te servir un petit plat de ma façon ! Il disparaît un instant.
Oui, vous êtes une déesse, digne d’une position plus élevée… ce qu’il vous faut, c’est un adorateur qui puisse satisfaire vos moindres caprices… Eh, bien ! dites un mot et je mets ma fortune à vos pieds.
- Marquis, grâce à votre richesse,
- Vous offrez — et même au delà —
- A qui sera votre maîtresse,
- Chevaux, voiture et cætera !
- Mon mari ne pourrait, je pense,
- Me donner rien de tout cela ;
- Entre vous, quelle différence…
- Elle est immense !
- Vous, vous me promettez beaucoup,
- Au risque d’être téméraire,
- Lui ne me promet rien du tout,
- Mais me donne le nécessaire,
- Le nécessaire !
- Le nécessaire !
- La belle affaire !
- J’offre mieux entre nous
- Car je t’aime, je t’aime.
- Tu me vois ici-même
- Tomber à tes genoux !
Il se jette à ses pieds. — Favart sonne.
- PONTSABLÉ, essayant de se lever.
Mon époux !
- Votre époux !
Huit petits marmitons entrent vivement portant des plateaux chargés de gâteaux, de bouteilles, de verres, de fruits etc.
- Pour que Bacchus le tienne en joie,
- Nous apportons à monseigneur
- D’excellents gâteaux de Savoie,
- Vins exquis et fine liqueur !
- Ce drôle est des plus négligents !
- Pourquoi laisser entrer ces gens ?
- Vous vous trompez, ce n’est pas moi,
- Ce qui les fit venir, je croi,
- C’est ma petite sonnette,
- Ma sonnette mignonnette.
- C’est la sonnette !…
- Je vous le dis et c’est certain,
- Le coupable c’est la sonnette,
- Ils sont accourus au tin, tin !
- De ma sonnette mignonnette,
- Tin ! tin ! tin !
- Si ce qu’il me dit est certain,
- Si le coupable est la sonnette,
- Que le diable soit des tin, tin !
- De cette sonnette indiscrète,
- Tin ! tin ! tin !
- Il a raison et c’est certain,
- Le coupable c’est la sonnette,
- Ils sont accourus au tin, tin !
- De la sonnette mignonnette,
- LES MARMITONS.
Tin ! tin ! tin !
- Nous devons être, c’est certain,
- Attentifs aux coups de sonnette
- Et nous’accourons aux tin, tin !
- De la sonnette mignonnette,
- Tin ! tin ! tin !
- Au diable ! Au diable allez-vous-en !
- Il est furieux ! c’est charmant !
Sur un geste de colère de Pontsablé, tous les marmitons se sauvent.
- Toi, fais donc plus attention !
- C’est mon grand zèle qui m’emporte…
- C’est bon, reprends ta faction.
- Oui, je garderai bien la porte.
Reprenons… Heureusement que j’ai du ressort… (A Madame Favart, avec feu.) Madame, ne me repoussez pas, vous ne savez pas ce que vous refuseriez… un mari, c’est un amoureux bien tiède, tandis que moi, je suis bouillant, et à toute heure du jour vous me trouverez prêt à vous prouver ma flamme.
- En amour rempli de vaillance —
- Dites-vous — cette flamme-là,
- Pendant toute votre existence,
- A mes yeux se rallumera !
- Mon époux — je le sais d’avance —
- Est bien moins brûlant que cela ;
- Entre vous, quelle différence !
- MADAME FAVART.
Elle est immense !
- Vous, vous me promettez beaucoup,
- Au risque d’être téméraire.
- Lui ne me promet rien du tout,
- Mais me donne… le nécessaire !
- Le nécessaire !
À ce moment et sur un signe de Favart, huit tapissiers entrent et dressent leurs échelles au fond. — Pontsablé, absorbé par sa déclaration, ne s’aperçoit pas de leur présence. — Les marmitons reparaissent aux portes du fond.
- Ici plus de contrainte,
- Dans une douce étreinte
- Laisse-moi t’enlacer,
- Sur mon cœur te presser.
- La demande est hardie,
- Finissez, je vous prie.
- Tu ne peux refuser
- D’accorder un baiser.
- Non, jamais…
- O ma mie
- Un baiser, je t’en prie !
Il se jette à genoux. — Favart sonne.
Montés sur les échelles et clouant des écussons aux murs.
- Pan ! pan ! pan ! pan ! amis, courage !
- Pan ! pan ! pan ! pan ! cognant, frappant !
- Pan ! pan ! pan ! pan ! faisons l’ouvrage !
- Pan ! pan ! pan ! pan ! frappons gaiement !
- Ce drôle est des plus négligents !
- FAVART.
Pourquoi laisser entrer ces gens ?
- Vous vous trompez, ce n’est pas moi ;
- Ce qui les fit venir, je croi,
- C’est ma petite sonnette,
- Ma sonnette mignonnette.
- C’est la sonnette !
- Je vous le dis et c’est certain,
- Etc.
- Si ce qu’il me dit est certain,
- Etc.
- Il a raison et c’est certain,
- Etc.
- Nous devons être, c’est certain,
- Etc.
- Pan ! pan ! pan !
- Etc., etc.
Allez-vous-en !… Par la sambleu !… ventrebleu ! Allez-vous-en !…
Les tapissiers se sauvent par le fond.
Scène XI
C’est inouï !… Ça n’a pas de nom !… impossible de faire ma déclaration au milieu d’un pareil tohu-bohu !… J’y renonce (A madame Favart, très-vite.) Mais il faut que vous sachiez une chose, madame… J’hésitais à vous le dire… par délicatesse… je n’hésite plus… et puisque vous me repoussez, puisque vous me sacrifiez à votre mari, apprenez que, lui, il vous trompe !… Oui, madame, il a une maîtresse !…
Allons donc !
Qu’il cache ici dans votre propre maison !… (Avec éclat) Et cette maîtresse, c’est madame Favart..
Hein ?
Ciel !… (Haut.) Qui a pu vous dire… ?
Une vieille amie à moi… que je n’ai pas vue depuis une trentaine d’années… la comtesse de Montgriffon.
Elle m’avait reconnue…
Elle m’a écrit un petit billet, où elle me donne rendez-vous ici ce soir… et c’est elle-même qui me désignera notre habile comédienne.
Je suis prise !… Maudite vieille ! ah ! il faut absolument que je m’éloigne… Mais que faire ? (Par inspiration.) Ah ! une attaque de nerfs… (Haut.) Ah ! marquis !… marquis !
Quoi donc ?
C’est indigne !
Oh ! que je souffre !… Je ne pourrai paraître à cette fête… mon pauvre cœur brisé… J’étouffe !… (Elle chancelle.) Ah ! ah !
Elle se trouve mal !…
Ah ! mon Dieu !… (Bas à sa femme, pendant que Pontsablé est remonté.) Qu’as-tu donc ?
Tais-toi… c’est pour rire… (Renversant sa tête et criant.) J’étouffe !… ah ! ah !
Bien joué l’évanouissement…
Des sels !… du vinaigre !
Scène XII
Qu’y a-t-il ?
Du vinaigre… des sels… il n’y a donc pas une femme de chambre…
Suzanne !
Je vous avais bien dit que je trouverais un moyen de rester…
Secourez votre maîtresse…
Merci… merci… je vais mieux… (Se levant.) Permettez-moi seulement de me retirer dans ma chambre…
Je vais vous conduire…
C’est inutile… (A Favart.) Votre bras, Benoît…
Voilà, madame…
Elle est furieuse… très-bien !…
Au revoir… cher marquis…
Elle lui tend la main.
Quel regard ! elle est idéale ! mais quel regard !… (Bas en lui baisant la main.) Puis-je donc espérer ?
Oui…
Ah !
Quand vous tiendrez madame Favart !
Elle sort avec Favart qui la soutient.Scène XIII
Elle est à moi !
On n’a plus besoin de vous, vous pouvez vous retirer.
Oui, monsieur !
Elle remonte.
Tiens ! tiens !… mais elle est gentille cette petite… viens ici, petite… Comment t’appelles-tu ?
Toinon, monseigneur… (Bas à Hector.) Elle a pris mon nom, je prends le sien.
Toinon !… c’est tout à fait champêtre… ça sent les foins… (Lui prenant le menton.) Sais-tu bien, soubrette, que tu es agaçante !
Oh ! oh !… devant moi !
Tiens, voilà un louis pour t’acheter une croix d’or.
Merci, monseigneur…
Et un baiser par-dessus le marché…
Il l’embrasse.Oh ! oh !… (A Suzanne.) Sortez, effrontée, sortez !
Oui, monsieur… (A part, en sortant.) Il est jaloux… chacun son tour !…
Elle disparaît.
C’est étonnant comme il rudoie ses domestiques…
Voici déjà des invités de monsieur qui arrivent.
C’est bien, faites entrer.
Scène XIV
M. le comte et madame la comtesse de Beaucresson, M. et madame le Barrois, M. le vidame des Ablettes, M. le baron et madame la baronne de Verpillac…
Mesdames… messieurs…
Je ne vois pas la vieille comtesse de Montgriffon, me manquerait-elle de parole ?
Ma tante !… quel fâcheux contre-temps !
Enfin !… la voilà…
Mais ce n’est pas ma tante !
Chut !… c’est ma femme !
Venez donc, chère comtesse, je vous attendais avec une impatience…
Bonjour, marquis, bonjour ! (Le lorgnant.) Ah ! mon cher ! comme vous êtes changé ! quelle dégringolade !
Vous trouvez… moi je vous ai reconnue tout de suite ! (A part.) C’est une ruine !
Ah ! nous étions mieux que ça autrefois, dans notre jeune temps… mais que voulez-vous ! on ne peut pas être et avoir été, n’est-ce pas ?… ah ! mon existence a été bien remplie, je ne me plains pas.
- Je passe sur mon enfance,
- J’arrive à mes dix-sept ans ;
- Cette époque d’innocence
- Qu’on appelle le printemps !
- Innocente !… j’ose à peine
- Affirmer tant de vertu ;
- Ce bon monsieur Lafontaine
- Déjà !… chut !… je l’avais lu !
- Quand passait sous ma fenêtre
- Un jeune et bel officier,
- Je sentais dans tout mon être
- Un… je ne sais quoi vibrer !
- Le cœur chaud, la tête prompte,
- Quand vinrent mes dix-huit ans,
- J’épousai monsieur le comte…
- Vrai !… Je crois qu’il était temps !
- Puis l’été… de vingt à trente.
- Tout bas, je l’avoue ici… —
- Cette saison trop brûlante…
- Fut fatale à mon mari !
- A quarante ans c’est l’automne.
- Au dire des amoureux,
- C’est alors que l’arbre donne
- Ses fruits les plus savoureux.
- Mais, hélas ! l’hiver s’avance,
- Il neige sur mes cheveux ;
- Aux douceurs de l’existence
- Il faut faire mes adieux !
- A cette vie… un peu leste…
- J’ai renoncé… malgré moi
- Mais le souvenir m’en reste,
- Et c’est encore ça, ma foi !
Peste ! ce fut une gaillarde… (Haut.) Chère comtesse, je vous remercie d’être venue… (Regardant Hector.) Maintenant, je puis démasquer mes batteries…
Ses batteries… qu’est-ce qu’il manigance encore ?…
Je vous ai dit, Boispréau, que j’étais venu à Douai pour y arrêter madame Favart ; vous m’avez promis de m’y aider… Eh bien, la besogne sera facile, attendu que vous cachez madame Favart ici même !…
Moi !
Certainement, petit drôle…
Ah ! ne niez pas, débauché que vous êtes, je l’ai reconnue l’autre jour cette comédienne.
Comment !… et c’est elle-même.
Laissez-la faire… laissez-la faire.
Ah ! ah ! vous êtes confondu… je ne vous en veux pas… (A madame Favart.) Il ne vous reste plus qu’à me la montrer…
Je n’étais venue que pour ça, mais…
Mais quoi ?
C’est impossible !…
Comment, impossible !
Vous êtes arrivé trop tard, mon bon ami… la cage est vide… l’oiseau est envolé.
Envolé !
Madame Favart n’est plus ici depuis une heure…
Elle m’échapperait… mais le maréchal de Saxe va me révoquer… je suis destitué !…
Hein ?
Laissez-la faire… Laissez-la faire !
Vous savez… parlez, parlez vite…
Oh ! la la ! oh ! la la !… Doucement… vous êtes d’une vivacité… pour votre âge. (Tirant un papier de son sac.) Connaissez-vous son écriture ?…
Certainement… J’ai là des lettres d’elle.
Bien, alors… comparez-les avec ce billet qu’elle adressait à mon neveu et que je viens d’intercepter au passage… (A Hector.) Grondez-moi donc, vous…
Oui… (Haut.) Comment ma tante, vous avez osé…
Silence, Hector !
Silence, Hector !… (Comparant la lettre avec des papiers qu’il a tirés de sa poche.) Parfaitement… écriture identique… même signature.
Bon… lisez maintenant.
Nous la tenons, cette péronnelle… mais il ne faut pas perdre de temps…
Pas une minute…
Il faut partir pour Saint-Omer…
À l’instant même…
Vertu de ma vie ! si je n’avais pas mon asthme, j’irais avec vous… partez vite, marquis ! (Bas à Hector.) Grondez-moi donc…
Mais, ma tante…
Silence, Hector !…
Silence, Hector ! (A Favart.) Vite, vite, ma voiture.
Favart remonte au fond pour donner l’ordre.
Dès que vous la tiendrez, vous m’écrirez, n’est-ce pas ?…
Soyez tranquille… Au revoir et merci… (Aux officiers.) En route, messieurs, en route pour Saint-Omer !
Il sort vivement avec les officiers. — Les invités remontent pour le voir partir.Scène XV
Parti !
Enfin !
Eh bien, comment trouvez-vous que je m’en suis tirée ?
Superbe !…
Tu as été tout bonnement splendide…
Ah ! madame, je vous écoutais… et je vous admirais !
Je te ferai un rôle de vieille pour ta rentrée au théâtre…
Oui, mais en attendant, il faut fuir et gagner la frontière…
Tu as raison… la route est libre… partons !
Ils remontent tous les quatre.
Lui !…
Du sang-froid !
Scène XVI
- La fureur le transporte,
- Que va-t-il se passer ?…
- Et qui vient de la sorte,
- Ainsi le courroucer ?
La musique continue en sourdine.
Que signifie, cher marquis ?…
Cela signifie que l’on voulait me bafouer.
Comment ?
Heureusement que la première personne que j’ai rencontrée en sortant d’ici, c’est la vraie comtesse de Montgriffon qui arrivait dans son carrosse.
Aïe !
Très-scénique !… mais bien fâcheux !
Ai-je besoin d’ajouter que l’autre… celle qu’on m’a servie tout à l’heure, c’était madame Favart elle-même.
Je suis prise !
Oui, madame Favart ! que je tiens enfin, et que je vais conduire au camp de Fontenoy… Ordre du maréchal de Saxe !
Du maréchal !… un instant ! je ne la quitte pas !… vous nous arrêterez ensemble !
Qui donc êtes-vous ?
Je suis Favart !
Favart !… le mari et la femme !… je les tiens tous les deux… quel coup de filet !…
PONTSABLÉ.
|
MADAME FAVART.
|
FAVART.
|
SUZANNE et HECTOR.
|
- Tous deux il les attrape,
- Il les pince, les happe ;
- C’est avoir du bonheur !
- La bizarre aventure !
- Cette double capture
- PONTSABLÉ. Lui fera grand honneur.
Et maintenant agissons vite… Madame, vous avez un talent exquis…
Il s’avance vers Suzanne.
Moi !…
Que dit-il ?
Oh ! ne niez pas, je sais tout… La vieille comtesse vient de me dire que je trouverais madame Favart, ici sous les habits d’une servante… nommée Toinon… ainsi…
Mais je suis…
Tais-toi !… la Bastille !
Eh bien, vous êtes ?… vous êtes ?…
- Pour mentir il est trop tard,
- Oui, je suis madame Favart !
- Quelle victoire que la mienne !
- Je suis sauvée !
- Et moi, mordienne !
- Je suis un maître sot
- D’avoir parlé trop tôt.
- HECTOR, bas à sa femme, parlé. Laisse-le faire et compte sur moi.
Sois tranquille, je te rejoindrai.
- Et maintenant
- Prenons la chose gaîment,
- Partons sur-le-champ
- Partons pour le camp !
- Avec mon père, souvent
- J’ai visité plus d’un camp ;
- Je vous garantis, vraiment,
- Que c’est un endroit charmant !
- Après la guerre,
- Le militaire
- Aime à s’offrir
- Quelque plaisir ;
- Là, sous la tente,
- On rit, on chante,
- Rien de plus beau
- Que ce tableau !
- La vivandière
- Verse à plein verre
- Maintes liqueurs
- A nos vainqueurs.
- Puis la trompette,
- Tout à coup jette
- Dans tous les rangs
- Ses sons bruyants.
- La foule immense
- Soudain s’élance,
- Et le tambour
- Roule à son tour !
- Tambour et trompette
- Rapatataplan !
- La fête est complète ;
- Rien n’est brillant
- FAVART.
Comme le camp !
- Et puis au commandement,
- Ra ta plan !
- Chacun s’élance gaîment,
- Ra ta plan !
- C’est un bruit étourdissant,
- Ra ta plan !
- Un coup d’œil éblouissant
- Ra ta plan !
- Tambour et trompette
- La fête est complète,
- Rien n’est charmant
- Comme le camp !
- Rantanplan !
- Rantanplan !
Partons, partons sur-le-champ. Partez, partez
- Rantanplan !
Partons, partons pour le camp ! Partez, partez
- Rantanplan !
Le rideau baisse.
ACTE TROISIÈME
Le théâtre représente le camp du maréchal de Saxe. — À droite, une maisonnette en bois avec un écriteau portant ces mots : Cantine des Officiers. — À gauche, une tente assez riche. — Au fond et jusque dans l’éloignement, une quantité d’autres tentes rangées symétriquement. — Au milieu de la scène vers le troisième plan, un théâtre dressé à la hâte dont l’ouverture est censée tournée vers le fond de la scène, et dont par conséquent on ne voit que le derrière. — Ce théâtre improvisé est composé de quatre mâts au sommet desquels flottent des banderolles, il est surmonté d’une sorte de velum et d’un cartouche sur lequel on lit : Théâtre du camp.— À un mètre environ du sol est dressé le plancher de la scène à laquelle on parvient par un escalier placé face au public ; le derrière de la scène et les côtés sont fermés par des tentures et des feuillages. — Une affiche de spectacle est posée sur la maisonnette.
Scène PREMIÈRE
Au lever du rideau, tableau pittoresque et très-animé. Des soldats jouent aux cartes et aux dés sur des tambours, d’autres astiquent leurs armes, etc.
- Par une brillante victoire,
- Nous nous sommes couverts de gloire !
- Au son du fifre et du tambour,
- Célébrons tous cet heureux jours !
- Petits fifres du régiment,
- Avec des notes sans pareilles,
- Nous charmons le soldat vaillant,
- En lui déchirant les oreilles !
- Pfitt ! pfitt ! pfitt !
- Écoutez ça !
- La musique
- La plus magique,
- Ventrebleu la voilà !
- Pfitt ! pfitt ! pfitt !
- Écoutons ça,
- Etc.
- Vivandières du régiment,
- Des nôtres réchauffant le zèle,
- On nous voit courir bravement
- Où l’son du fifre nous appelle,
- Pfitt ! pfitt !
- Écoutez ça,
- Etc.
- Petits troupiers du régiment,
- Remplis d’ardeur et de vaillance,
- Nous nous comportons brillamment,
- Quand le fifre nous met en danse,
- Pfitt ! pfitt !
- Écoutez ça !
- La musique
- La plus magique,
- Ventrebleu la voilà !
- Pfitt ! pfitt !
- Écoutez ça !
- La musique
- La plus magique,
- COTIGNAC, aux fifres et aux trompettes Ventrebleu la voilà !
Rompez les rangs !…
Vive le major !
Très-bien !
Enfin… nous allons donc savoir…
Il se dirige vivement vers la tente de gauche et va pour soulever le rideau.
Hé ! là-bas, Jolicœur… Qu’est-ce que vous faites là ?
Pardon, major, je regardais…
Qu’est-ce que vous regardiez ?…
Ne vous emportez pas, major… C’est Larissolle qui prétend qu’une femme a passé la nuit sous cette tente.
Un peu que je le prétends… puisque je l’ai vue…
Une femme !… une femme !… Est-ce vrai… monsieur le major ?
Une femme… une femme !… voyez-vous, ce blanc-bec, comme il prend feu. Eh bien ! oui, c’est vrai, une femme et une femme charmante.
Eh !… ventre de léopard !… vous m’étouffez.., dégageons, dégageons… quel paquet d’étoupes que tous ces gaillards-là ! c’est madame Favart, parbleu !…
Madame Favart !
La célèbre comédienne ?
Elle-même !… En l’honneur de la victoire de Fontenoy, il y a aujourd’hui grande fête au camp, spectacle et tout le tremblement… (Montrant le fond.) Voilà le théâtre, et tout à l’heure, madame Favart jouera devant vous tous le rôle de la Chercheuse d’esprit qu’elle a créé à Paris.
Une comédienne, mon rêve ! (Cherchant à se friser la moustache.) Mille, millions !…
Veux-tu laisser ça, toi… tu vois bien que tu perds ton temps. (Reprenant.) Oui, mes enfants… de plus elle chantera des vers en l’honneur du maréchal de Saxe… des vers magnifiques que M. Favart est en train d’improviser… il les pioche depuis ce matin…
Roulement de tambour à la cantonade.
Qu’est-ce que c’est que ça ?…
C’est l’ordre du jour qui va vous donner les détails de la fête.
Courons l’entendre !
Halte-là !… Qui m’aime me suive… (Les fifres et les trompettes sortent en courant. — Seul à l’avant-scène.) Comme c’est dressé… Attendez-moi donc, tas de clampins !
Il sort. — On voit entrer Favart par la gauche, gesticulant et en train de composer des vers.
Scène II
- O valeureux fils de Bellone,
- Toi qu’une auréole environne…
(S’interrompant.) Voilà donc à quoi j’en suis réduit !… faire l’éloge du maréchal de Saxe… Et cela pendant que ma femme est là-bas… avec l’autre… et que moi je suis ici… avec la sienne… allez donc rimer dans des conditions pareilles… Moi d’abord, pour que l’inspiration me vienne, il me faut… ma femme !
- Quand je cherche dans ma cervelle,
- Pour parler la langue des dieux,
- Il y manque cette étincelle
- Qui brille dans deux jolis yeux !
- Le regard si doux d’une femme,
- Lorsque sur nous il resplendit,
- C’est la lumière, c’est la flamme…
- Mais son absence c’est la nuit !
- Oui, c’est la nuit !
- Toutes ces éloquentes choses,
- Ces mots que l’amour fait jaillir,
- N’est-ce pas sur des lèvres roses
- Qu’un poëte va les cueillir ?
- Ce doux sourire d’une femme,
- Quand près de nous il resplendit,
- C’est la lumière, c’est la flamme…
- Mais son absence c’est la nuit !
Scène III
Ah ! monsieur Favart !… Eh bien ?… pas de nouvelles d’Hector ?
Aucune… pas plus que de Justine… et pourtant je comptais sur elle… Je me disais : elle trouvera un moyen… quelque chose, mais rien !… rien !… je n’entends pas parler d’elle… ah ! notre situation n’a rien de folâtre !
Qu’allons-nous faire ?
Ça je l’ignore… Tous mes comédiens sont là… ils s’habillent dans cette maisonnette (Il montre ta cantine.) qu’on a mise à ma disposition… mais après ?
Après ?… dame ! il faudra bien avouer que je ne suis pas madame Favart… Ah ! pourquoi suis-je venue ici !…
Pouvions-nous prévoir que l’on voudrait vous faire jouer la comédie… Tout ça, voyez vous, c’est la faute de ce vieux croûton de gouverneur… de ce don Juan fossile… de ce…
Scène IV
Madame Favart ! (Apercevant Favart et Suzanne.) Vous êtes là… Ah ! mes enfants, je suis aux anges… aux anges !… Je sors de chez le maréchal de Saxe… il a la goutte…
Tant mieux !…
Comment, tant mieux ?…
C’est un trop plein de santé…
Le grand homme est cloué dans son fauteuil… (A Suzanne.) sans quoi il serait déjà venu vous faire une petite visite… Du reste il est enchanté… Il sait que c’est grâce à mon adresse que vous êtes au camp… Il m’a bombardé d’éloges… bombardé est le mot.
Eloges bien mérités.
Je le crois… car j’ai été fin…
Oh ! oui… (A part.) Ganache, va !…
Voyons, ça marche-t-il ?… Avez-vous terminé votre impromptu ?…
À peu près. Déclamant.
- O valeureux fils de Bellone !…
- Toi qu’une auréole environne…
Très-bien… (A Suzanne.) Et vous, madame, avez-vous repassé votre rôle ?
Mon rôle… oui… certainement. (A part.) Quelle position !
Alors, tout va bien… Tant mieux ! car j’ai une grande nouvelle à vous annoncer… Le roi vient d’arriver au camp et va assister à la représentation…
Le roi ?…
Ah ! mon Dieu !
Depuis longtemps il désirait vous voir jouer… votre fortune est faite.
Ah ! il n’y a plus à hésiter…
Il faut tout lui dire…
Monseigneur !…
Quoi ?…
Hein ?…
Il y a erreur dans la personne… J’ai mis ça très-souvent dans mes pièces.
Mais alors, qui êtes-vous donc ?
Je suis madame de Boispréau…
La femme d’Hector… Il serait possible !…
C’est même tout à fait certain.
Et je vous prie, monseigneur, je vous supplie de me permettre d’aller retrouver mon mari…
Bon ! bon !… je comprends… (Riant.) Ah ! ah ! ah !
Tiens, il prend la chose gaiement…
Adorable ?… délicieux !… Mais pas assez fort pour moi
Comment ?
Vous cherchez encore à m’échapper… Fi ! que c’est mal… vous voulez me jouer un petit tour dans le genre de l’autre.
Moi !
Seulement cette fois-ci, c’est une scène de sentiment… mais l’on ne m’attrape pas deux fois !…
Comment ! il ne croit pas…
Mais, monseigneur, je vous jure…
Oui, oui, c’est entendu, vous jouez la comédie à ravir… et je vous prédis tout à l’heure un énorme succès devant Sa Majesté !… Ah ! ah ! ah ! madame de Boispréau… Elle est un peu forte celle-là !… À bientôt, chère belle, à bientôt ! Et repassez votre rôle…
Il se dirige vers le fond.
Permettez, monseigneur…
Vous, mon cher Favart, terminez votre impromptu… L’heure s’avance. (En s’en allant.) Oh ! non, non !… on ne m’attrape pas deux fois…
Il sort.
Eh bien ! vrai, je ne m’attendais pas à celle-là !…
Que vais-je faire, moi ?
Bruit en dehors. — On voit arriver des soldats par le fond.
Quel est ce bruit ?… Retirez-vous dans votre tente, et attendons les événements.
Attendons !
Elle entre sous la tente.Et moi, rimons !…
Il sort en déclamant avec colère. — Hector et madame Favart, tous deux en costume de porte-balles, paraissent au fond, entourés par les soldats.
Scène V
- Allons, sans plus attendre,
- Montrez, petits marchands,
- Si vous avez à vendre
- Beaucoup d’objets charmants.
- Quels sont ces deux petits bonshommes ?
- Et que viennent-ils faire au camp ?
- Vous voulez savoir qui nous sommes…
- On va vous le dire à l’instant.
- Tyroliens de naissance,
- Tout le jour nous chantons ;
- Gagnant notre existence,
- Du mieux que nous pouvons.
- La, la, i, ti !
- La, la, i, ti !
- La, i, la !
Ils s’agenouillent, défont leurs ballots et montrent leurs marchandises à des soldats.
- HECTOR.
Mon grand frèr’vend des mouchoirs,
- Mon p’tit frèr’vend des bretelles,
- Mon grand frèr’vend des rasoirs,
- Mon p’tit frèr’vend des dentelles.
- Choisissez, braves soldats,
- Ach’tez, l’instant est propice,
- A mon grand frère Thomas !
- A mon p’tit frère Simplice !
- Mon grand frère aime au vallon,
- Mon p’tit frère aime au village,
- Mon grand frère un jeun’tendron,
- Mon p’tit frère un’fille sage.
- Mais la dot, nous n’l’avons pas,
- Ach’tez, pour nous rendr’service,
- A mon grand frère Thomas !
- ENSEMBLE.
A mon p’tit frère Simplice !
- Tyroliens de naissance,
- Tout le jour nous chantons ;
- Gagnant notre existence,
- Du mieux que nous pouvons.
- La, la, i, ti !
- La, la, i, ti !
- La, i, la !
Sont-ils gentils tous les deux… Mais vous ne ferez pas beaucoup d’affaires avec nous, camarades.
Tant pis !
Un peu plus loin, nous serons plus heureux.
À votre aise… essayez…
Il remonte avec les soldats, Hector et madame Favart restent sur le devant de la scène.
Vous voyez, ça va tout seul… nous voilà de la maison… Il s’agit maintenant de savoir où est mon mari…
Et ma petite femme.
Et de les avertir que tout est préparé pour notre fuite et qu’une voiture nous attend à cinq cents pas du camp… Cherchons !…
Oui, cherchons bien vite !
Un théâtre !…
Ah ! que c’est bête, tout de suite mon cœur a battu… Une affiche !…
Venez… venez…
Madame Favart ! (A Hector.) Une minute seulement. (Lisant.) « Théâtre du camp à trois heures. Représentation devant le roi. » (S’arrêtant.) Devant le roi ! (Continuant.) « La Chercheuse d’esprit. Madame Favart remplira le rôle de Nicette… » Moi !
Voilà qui est curieux !
Mais non, c’est impossible, je me trompe !…
C’est écrit.
Et le roi assistera… mais alors je pourrais peut-être… Oui ! mais dans ce costume… Bah ! ce sera bien plus original… C’est dit ! (Apercevant le sergent Larose qui vient d’entrer par la gauche.) Sergent ?
Petit !…
Est-il vrai que le roi soit au camp ?
C’est authentique !… Même que voilà sa tente là-bas !…
Celle où flotte le drapeau ?
Merci, sergent !…
Il n’y a pas de quoi.
Il sort.
Que voulez-vous faire ?
Hector, j’ai une autre idée.
Une idée ?…
Une idée hardie, mais qui peut nous sauver.
Expliquez-moi…
Non… plus tard… attendez-moi ici, je reviens.
Elle sort encourant par la gauche au fond.
Hein ?… Elle me laisse là… tout seul… (Les soldats se sont peu à peu éloignés. Hector est seul en scène.) Ah ! si ce n’était pas pour ma femme… Oh !… Suzanne ! Suzanne !…
Mon nom !… (Elle aperçoit Hector, le reconnait et court à lui.) Hector !
Scène VI
Enfin !… je te revois !…
Mon ami… quelle imprudence !
Il n’y a pas de danger… nous sommes seul
Mais comment as-tu pu pénétrer dans ce camp ?
Tu vois, grâce à ce costume de porte-balle… Ah ! c’est que je n’y tenais plus, vois-tu… loin de toi… j’étais inquiet, tourmenté…
Et jaloux…
Et jaloux… je ne m’en cache pas… Si tu crois que c’est rassurant de savoir sa jeune épouse au milieu d’un corps d’armée de soixante mille hommes parmi lesquels il y en a au moins… cinquante-cinq mille de très-entreprenants…
Quelle folie !… c’est là justement ce qui devait te rassurer.
- Le péril que court ma vertu
- Bien à tort te trouble la tête ;
- Et ma sécurité, vois-tu,
- N’a jamais été plus complète.
- S’il s’agissait d’un amoureux,
- Tu pourrais n’être pas tranquille…
- Mais ce n’est pas bien dangereux
- Quand on en a… soixante mille !…
- On peut d’un cœur compatissant,
- A l’amant qui prie et s’enflamme
- Laisser cueillir en rougissant
- Le tendre baiser qu’il réclame ;
- Mais, vrai ! l’on y regarderait
- — La tâche étant trop difficile —
- Si par aventure, il fallait
- En recevoir… soixante mille !
Tu as raison, le nombre me rassure.
À la bonne heure !… Enfin l’important, c’est que te voilà… Et madame Favart ?
Elle était avec moi… mais elle vient de partir comme une flèche.
Ah ! où est-elle allée ?
Je l’ignore.
Mais le temps presse.
Scène VII
D’où venez-vous ?
De chez le roi !
Quoi ! vous avez osé ?…
Oui… et si vous aviez vu quel effet quand l’officier de service a annoncé : madame Favart !
- J’entrai sous la royale tente,
- Le front baissé, toute tremblante,
- Et je m’arrêtai, l’air penaud,
- Roulant dans mes doigts mon chapeau.
- Il se fit un profond silence,
- Chaque courtisan, à part soi,
- Se demandant si ma présence
- N’allait pas déplaire au grand roi.
- J’étais là, ne sachant que dire,
- Quand j’entends un éclat de rire
- Ah ! ah ! ah !
- Je regarde un peu de côté…
- Ça partait de Sa Majesté…
- Ah ! ah ! ah !
- Il prenait la chose au comique,
- Aussitôt chaque courtisan
- Et tout le corps diplomatique
- S’empressèrent d’en faire autant.
- Ah ! ah ! ah ! ah !
- Ce fut un rire mémorable.
- Jugeant le moment favorable,
- Je n’hésite plus, et ma foi,
- Je me jette aux genoux du roi.
- Alors au plus vite,
- Je vous lui récite,
- Je vous lui débite
- Toutes mes raisons ;
- Pour moi le caprice
- Du bouillant Maurice
- Qui met sa police,
- A mes cotillons.
- Je raconte ensuite
- Notre double fuite,
- Sans pain et sans gîte,
- Et tous nos malheurs.
- Je suis éloquente,
- Je suis émouvante,
- Et ma voix touchante
- Se mouille de pleurs !
- Ah ! ah ! ah !
- Du marquis je vise
- La sotte méprise,
- Quand, dans sa bêtise,
- Il nous arrêta.
- Bref, toute l’affaire,
- Et ta ti ta taire !
- Et ta ti ta taire !
- Et ta ti ta ta !
- Daignant alors me relever,
- Le roi me dit d’un ton léger :
- « Nous savons, madame, qu’on vante
- » Votre grâce, et l’on nous a dit,
- » Qu’où vous êtes surtout charmante
- » C’est dans la Chercheuse d’esprit. »
- « — Mais, sire, enfin que dois-je attendre ?
- » — C’est un plaisir de vous entendre,
- » Nous aurons ce plaisir ce soir
- » À bientôt, madame, au revoir. »
Et voilà tout ce que j’ai pu en tirer !
Oui… et remarquez que maintenant me voilà forcée de jouer…
C’est vrai… impossible de désobéir à Sa Majesté…
Aussi, j’ai pris mon parti… oui, je paraîtrai sur ce théâtre… je jouerai, je chanterai, je danserai… j’y mettrai ma tête, mon cœur et mes jambes… je brûlerai les planches… et alors nous verrons…
Et nous ?…
Vous, c’est une autre affaire… Il faut, quoi qu’il arrive, vous mettre à l’abri de la colère du gouverneur… Partez !…
Vous abandonner !…
Jamais !…
Allons, pas d’enfantillage… (Donnant à Suzanne son manteau et son chapeau.) Prenez ce chapeau, ce manteau, et fuyez bien vite !
Oui, je vais la prévenir…
Le marquis ! (Les poussant vers le fond.) Mais allez donc !… allez donc !
Hector et Suzanne disparaissent par le fond.Scène VIII
Voyons si madame Favart est prête…
Tâchons de le retenir un instant pour leur donner le temps de s’enfuir… (Lui frappant sur l’épaule.) Bonjour, marquis…
Bonjour, marquis… Voilà un garçon familier…
Un garçon… regardez-moi bien…
Madame de Boispréau !… que venez-vous faire ici ?… et sous ces habits ?
Ingrat !… vous me le demandez !…
Je vous le demande… pour le savoir…
Pontsablé ! je vous ai promis que si mon mari me trompait, je le tromperais avec vous… (Avec dignité.) Une honnête femme n’a que sa parole !…
Alors c’est pour moi que vous êtes ici ?…
Je la vois… et je suis au comble de la félicité… Ah ! femme divine… femme idolâtrée… femme…
Scène IX
M. le gouverneur !… M. le gouverneur !…
Ah ! son père !
Il arrive bien, celui-là !
Je venais !… (Apercevant madame Favart et poussant un cri.) Ah !
Il a reconnu sa fille…
La servante d’Hector !… Et déguisée !
Evitez sa colère… allez !
Oui… (A part.) Hector et sa femme sont loin. Allons m’habiller…
Elle entre à droite, dans la maisonnette.Scène X
Tâchons de calmer ce père irrité…
C’est bien Toinon !… La servante d’Hector… Oh !…
Pas de bruit, pas d’éclat, mon cher Cotignac… Je comprends votre colère… elle est légitime… Ne touchez pas à votre sabre !
Je n’y touche pas…
Vous avez reconnu la personne qui était là ?
Si je l’ai reconnue ! Je crois bien !… c’est…
Chut !… Pas de bruit ! pas d’éclat !… Ecoutez-moi, Cotignac… j’ai une excuse… la passion !… Je l’aime cette femme !…
Ah bah !…
Oui, je l’aime !… je l’adore !… (Vivement.) Ne touchez pas à votre sabre !…
Vous avez l’air de ne pas y toucher… Quant à elle, mon ami, je vous jure qu’elle n’est pas coupable…
Coupable ou non… qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ?…
Ça ne vous fait rien ?…
À moi, rien du tout… et puisque vous y tenez tant que ça, vous n’avez qu’à dire à Hector de vous la céder…
Vous croyez qu’il consentirait… ?
Pourquoi pas ?… Il ne demande qu’à vous être agréable… D’ailleurs, je crois qu’il n’était pas très-content de son service…
Ah !…
Et qu’il allait lui donner ses huit jours…
Ses huit jours… il a une manière de s’exprimer…
Seulement, c’est un drôle de goût que vous avez là… et il est regrettable qu’à votre âge vous donniez dans les cuisinières…
Dans les cuisinières !… Qu’est-ce qu’il dit ?… Mais ce petit paysan, c’est votre fille !…
La femme d’Hector…
Allons donc !… Jamais de la vie !… C’est sa domestique…
Sa domestique !… Il m’aurait envoyé une femme à gages… et moi, un Pontsablé, j’aurais courtisé une Margoton… une nymphe potagère !…
Mais, qu’est-ce qu’il a ?
Scène XI
Le roi est arrivé… Tout le monde se place… Nous sommes perdus…
Monseigneur, Sa Majesté ordonne que l’on commence à l’instant.
Cotignac sort vivement à la suite de l’officier.
Sa Majesté !… (A Favart.) Vite, monsieur, appelez vos artistes…
Oui, monseigneur ! (Remontant vers la maisonnette.) Subtil !… M. Narquois, madame Madré…
En scène… en scène !… Et madame Favart… où est elle ?… Je cours l’avertir… oh ! ma tête !…
Il entre vivement sous la tente à gauche. — Les acteurs montent sur le petit théâtre.
Scène XII
Allons… c’est fini… la bombe va éclater… Il ne reste plus qu’une porte de derrière : « La mort !… » Vatel s’est tué pour moins que ça. Suivons l’exemple de cet illustre cuisinier.
Il tire son épée, dont il dirige la pointe vers sa poitrine. — En entendant le chœur suivant, il s’arrête.
- Favart ! Favart !
- L’heure s’avance,
- Pas de retard,
- Que l’on commence ;
- Favart ! Favart !
Scène XIII
Me voilà !…
Toi !… Est-ce bien toi ?… ici !… et dans le costume de Nicette ?… Comment se fait-il ?…
Plus tard je t’expliquerai… mais… j’ai peur… va, j’ai bien peur…
- Je tremble, je tremble !
- Et c’est en vain que je combats,
- La terre me semble
- S’ouvrir et craquer sous mes pas.
- Tu trembles, tu trembles !
- Mordieu ! je ne te comprends pas,
- Et vraiment tu sembles
- Faire aujourd’hui tes premiers pas.
- Mes yeux se troublent, je chancelle,
- Tout déménage en ma cervelle !
- Voyons, soutiens-toi, pas de peur,
- MADAME FAVART.
C’est l’instant de montrer du cœur.
- Non, non, la force m’abandonne,
- Mon sang se glace !… Je frissonne !
- Dompte ce ridicule effroi,
- Allons, sois homme comme moi !
- Tu le vois, je suis brave… écoute,
- Tu vas me suivre, et je vais, moi,
Montrant le théâtre.
- Sans crainte, te montrer la route.
Il s’élance vers le théâtre et monte l’escalier.
- Le roi ! le roi !
- Qu’on fasse
- Place !
- Et chapeau bas devant le roi !
Favart redescend l’escalier, pâle et tremblant.
- Le roi !
- Tu l’as entendu, c’est le roi !
- C’est le roi !
Avec résolution.
- Eh bien, non ! pas d’enfantillage !
- Dans mon art, je trouve un soutien !
- Et pour me donner du courage,
- Embrasse-moi !
- Je le veux bien.
- Un gros baiser.
- Bien doux ! bien tendre !
- FAVART.
Qu’il sonne fort !
- Il sonnera !
- Allons, prends-le !
- Je vais le prendre.
- Dépêche-toi !
- Tiens, le voilà !
- Un autre là !
- Bien doux ! bien tendre !
- Etc.
- Ce bon baiser
- M’a rendu mon courage ;
- Sans plus tarder,
- Mordienne ! à l’abordage !
- Ce bon baiser
- Lui rend tout son courage ;
- Sans plus tarder,
- Mordienne ! à l’abordage !
Madame Favart monte vivement sur le petit théâtre.
Ah !… je renais !… Place au théâtre ! (Il monte l’escalier.) Je frappe les trois coups !
Il disparaît un instant.Scène XIV
Elle n’y est pas… je l’ai cherchée partout… Où peut-elle être passée ?
On entend frapper les trois coups.
Ça y est !… le rideau est levé !…
Mais il est fou !… Et madame Favart ?…
Monseigneur !… monseigneur !…
Quoi ?
On vient de saisir un homme et une femme qui cherchaient à sortir du camp.
Qu’est-ce que ça me fait ?
On va les amener devant vous…
Je n’ai pas le temps…
Les voici…
Le sergent fait entrer Hector et Suzanne suivis de deux soldats.
Je vous répète que… (Les reconnaissant.) Hein ?
Ma fille et mon gendre !…
Hector… et madame Favart !… (A Hector.) Ah ! ah ! je comprends… Un rapt !… Vous vouliez l’enlever… faire manquer la représentation…
Silence donc, là-bas… ma femme est en scène…
En scène… Qu’est-ce qu’il chante, celui-là. (A Favart.) C’est impossible, puisque…
Comment impossible !… (Applaudissements au fond.) Vous êtes donc sourd comme un pot ? Vous n’entendez donc pas les applaudissements ? (Applaudissant de toutes ses forces.) Bravo ! Justine, bravo !…
Je n’y suis plus du tout… oh ! ma tête !… (Avec force.) Ah çà ! voyons, qui trompe-t-on ici ?…
Vous, monsieur le marquis.
Moi !…
Mais vous nous pardonnerez…
Mais, je vous l’ai dit, monseigneur !
Ma femme !…
Ma fille !…
Sa femme… sa fille… Oh ! ma tête !… Mais, alors, on s’est moqué de moi ?… On m’a traité comme un Cassandre !… (Furieux.) Morbleu !… Ventrebleu !…
Monseigneur…
Arrière !… (Au sergent.) Vite… de quoi écrire. (A Hector, avec rage.) Ah ! vous m’avez bafoué, monsieur !… ah ! vous m’avez dindonné, monsieur… moi !… Un Pontsablé !… Mais, chacun son tour !… Je vous tiens !… et je vais prendre ma revanche !… Oh ! ma tête !… oh ! ma tête !…
Mais, taisez-vous donc !… Vous troublez la représentation… On va vous faire sortir, vieille pie borgne !…
Cabotin !
Mon pauvre Hector !
Le sergent a apporté à Pontsablé une plume et une écritoire. — Pontsablé écrit sur un tambour que le sergent tient devant lui.
Ça roule… ça roule !… chauffons, mes enfants… Le couplet au public maintenant. (Regardant par les plis de la tenture.) Bon, très-bien !… Le roi a souri… le grand roi a daigné sourire… (Applaudissements prolongée.) Quel succès !… quel succès !… c’est du délire !… (Applaudissements.) Bravo ! bravo ! Tous ! tous !… (S’essuyant le front.) Ah ! nous avons été beaux !
Il descend l’escalier.
Vive Favart !
Braves militaires… (Agitant son chapeau.) Vive l’armée !…
Scène XV
- Vive, vive Favart,
- La reine de son art !
- A sa grâce, à ses charmes,
- Il faut rendre les armes,
- Vive, vive Favart !
A la fin du chœur, madame Favart descend du théâtre et court à son mari.
Ah ! Charles !… Charles !… (Se jetant dans les bras de Favart.) soutiens-moi… Je me sens mourir !…
Eh bien ! qu’est-ce que c’est ?… Tu pleures !
C’est de joie et de plaisir !… Oh ! je suis bien heureuse, va !…
C’est complet !… Quel grand roi !… et quel gros bouquet !
Il est superbe… (Tirant un pli du bouquet.) Un billet !…
Bravo ! madame, bravo !… Mais si vous triomphez d’un côté… (Montrant Hector et Suzanne.) moi, je triomphe de l’autre…
Quoi !… Vous ici !…
Hélas !…
On nous a rattrapés !…
Et voici mes ordres… La prison pour monsieur… Soldats, assurez-vous de sa personne…
Un instant !… (Elle arrête les soldats du geste, à Pontsablé.) Vous n’avez plus le droit de donner des ordres…
Comment ?
Tenez, lisez… Le roi accepte votre démission…
Accepte… Mais je ne l’avais pas donnée…
Oh ! ma tête…
Ah ! madame…
Mais… il y a encore quelque chose !…
Ah ! voyons !…
Ce n’est pas un bouquet… c’est une boîte aux lettres !…
Le roi t’accorde le privilége de l’Opéra-Comique… Voilà le brevet !
Bravo !… Je t’engage comme premier sujet !…
Madame, vous êtes un démon !…
Un ange, monsieur.
Ni l’un ni l’autre… une femme seulement… (A Pontsablé.) Et c’était bien suffisant pour vous vaincre.
Elle est idéale !…
- De Favart, cett’femme d’esprit,
- Ce soir j’ai pris l’habit.
- Je n’sais comment ça s’fit !
- Je tremblais fort, mais on m’a dit :
- L’public te f’ra crédit,
- Courage, ma fille,
- Vendange, grappille !
- Dans ma tâch’si j’ai réussi,
- Puiss’-t-on dire en sortant d’ici
Faisant le geste d’applaudir.
- Voilà comment ça s’fit !…
- Après la guerre,
- Le militaire
- Etc., etc.
Le rideau baisse.