Madame Inger à Ostraat

La bibliothèque libre.
Traduction par Colleville et Zepelin.
(p. 9-247).

PERSONNAGES

Madame Inger OTTISDATTER ROMER, veuve du gouverneur Nils GYLDENLOVE.

Eline GYLDENLOVE, sa fille.

Nils LYKKE, conseiller d’Etat, chevalier danois.

Olaf SKAKTAVL, gentilhomme norvégien (proscrit).

Nils STENSSON.

Monsieur Yens BJELKE, commandant suédois.

BJORN, valet de chambre à Ostraat.

FINN, domestique.

Ejnar KUK, maître d’hôtel à Ostraat.

Serviteurs, paysans et soldats suédois.



L’action se passe au château d’Ostraat près le fiord de Trondhjem,
l’an 1528.


ACTE PREMIER




La scène représente une salle à Ostraat. À travers la porte ouverte, au fond, on aperçoit, vaguement éclairée par la lune, la salle des chevaliers. Les rayons de lune pénètrent de temps à autre par une profonde fenêtre ogivale du mur opposé. À droite, une porte de sortie ; un peu avant cette porte, une fenêtre garnie d’un rideau. À gauche, autre porte conduisant à l’appartement privé. Plus en avant, une grande cheminée dont le feu éclaire la salle, C’est un soir orageux.


Scène I

BJÖRN et FINN
Les valets BJÖRN et FINN demeurent assis auprès du feu, FINN est occupé à nettoyer un casque de guerrier. Différentes armes, une épée et un bouclier sont à côté d’eux.
finn

Quel homme était exactement Knut Alfsön ?

björn

Les maîtres disent que ce fut le dernier chevalier Norvégien.

finn

Et les Danois l’ont tué à Oslo-fiord ?

björn

Demande cela à un gamin de cinq ans si tu l’ignores.

finn

Knut Alfsön fut donc notre dernier chevalier ? Et maintenant il est mort !

(Il lève son casque).

Ainsi, casque, tu resteras nettoyé et brillant dans la salle des chevaliers, désormais, tu n’es plus qu’une coquille de noix vide ; la noix les vers l’ont mangée depuis des années.

Ecoute, Björn, ne pourrait-on pas, en somme, comparer la Norvège à une coquille de noix vide, comme ce casque brillant au dehors, vermoulu à l’intérieur.

björn

Tais-toi, occupes-toi de ton travail. Le casque est-il nettoyé ?

finn

Il brille comme l’argent au clair de la lune.

björn

Eh bien ! mets-le de côté et, maintenant, dérouille cette épée.

finn
(En tournant et retournant l’épée).

Est-ce nécessaire ?

björn

Que veux-tu dire ?

finn

Elle ne coupe plus, le fil en est ébréché.

björn

Cela ne te regarde pas. Donnes-la moi. — Tiens, prends le bouclier

finn
(En le retournant).

Il n’a pas de poignée.

björn
(Murmurant).

Toi, je voudrais te tenir d’une solide poigne.

(finn chante un moment à voix basse pour lui-même).
björn

Qu’y a-t-il ?

finn

Un casque vide, un glaive sans tranchant, un bouclier sans poignée ; voilà toute notre richesse. Je ne crois pas que personne puisse reprocher à Madame Inger de garder de telles armes suspendues au mur de la salle des chevaliers, au lieu de les tremper dans le sang des Danois.

björn

Absurdités, n’avons nous pas la paix ?

finn

Oui, quand le paysan a tiré la dernière flèche, quand le loup lui a volé sa dernière brebis, la paix règne ; mais c’est une étrange paix.

Enfin laissons cela ! Il est naturel que les armures brillantes restent dans la salle ; car tu dois connaître l’ancien proverbe qui dit : Seul le chevalier est homme, comme nous n’avons plus de chevaliers dans le pays, nous n’avons donc plus d’homme, c’est la femme qui gouverne ; voilà donc pourquoi…

björn

Voilà pourquoi je te conseille de cesser tes mauvaises plaisanteries.

(Se levant).

Il commence à se faire tard. Tiens, remets le casque et les armes dans la salle des chevaliers.

finn
(A voix basse).

Non, attendons à demain.

björn

Aurais-tu peur ?

finn

Je ne crains rien le jour ! mais si j’ai peur le soir, je ne suis pas le seul. Eh bien ! oui, tu me regardes ! mais là-bas, à l’office, on conte tant de choses.

(A voix plus basse).

On dit que chaque nuit, dans la salle des chevaliers, se promène une grande femme toute habillée de noir.

björn

Sottise !

finn

Tout le monde jure que c’est la vérité.

björn

Je te crois.

finn

Et ce qu’il y a de plus drôle, c’est que Madame Inger est du même avis.

björn
(Etonné).

Madame Inger ! de quel avis est-elle ?

finn

De quel avis est Madame Inger ? Je crois qu’ils ne sont pas nombreux ceux qui connaissent sa pensée ; mais il est certain qu’elle ne possède pas la tranquillité. Ne vois-tu donc pas que, de jour en jour, elle devient plus pâle et plus maigre ?

(Avec un regard scrutateur).

Les gens disent qu’elle ne dort jamais… à cause du spectre…


Scène II

BJÖRN, FINN et Eline GILDENLÖVE
(Pendant ces dernières paroles Eline GILDENLÖVEse montre dans la porte entr’ouverte, côté gauche. Elle s’y arrête et écoute sans être aperçue des domestiques).
björn

Et tu ajoutes foi à de pareilles bêtises ?

finn

À moitié. Il y a des gens qui expliquent l’affaire d’autre façon. Naturellement, une calomnie. Ecoute, Björn, connais-tu la chanson qu’on chante dans le pays ?

björn

Quelle chanson ?

finn

Oui, tout le peuple la chante. C’est un mensonge, mais cela se chante tout de même beaucoup. Ecoute toi-même.

(Il chante à voix basse) :

— « Madame Inger habite le château d’Ostraat,
— « Elle est couverte de riches fourrures,
— « Elle est habillée de velours et de peaux de martre,
— « Dans ses cheveux sont des perles serties d’or rouge,
— « Mais la paix n’habite pas dans son cœur.
— « Madame Inger s’est vendue au roi de Danemark,
— « Son peuple, elle l’a livré à l’étranger.
— « Comme récompense…

(En colère BJÖRN saisit à la poitrine le chanteur ; Eline GILDENLÖVE se retire inaperçue).

björn

Moi, je t’enverrai sans récompense à tous les diables si tu te permets encore une parole déplacée sur le compte de Madame Inger.

finn

(En s’échappant des mains de BJÖRN). Doucement, doucement ! ce n’est pas moi qui ai composé cette chanson.

(On entend le son d’une trompette du dehors, à droite).
björn

Silence ! Qu’est-ce cela ?

finn

La trompe raisonne ! nous aurons des hôtes ce soir !

björn
(Auprès de la fenêtre).

On ouvre la porte, j’entends le pas d’un cheval dans la cour, ce doit être un chevalier.

finn

Un chevalier ? Impossible !

björn

Pourquoi donc ?

finn

Toi-même viens de le dire : notre dernier chevalier est mort.

(Il sort à droite).
björn

Le maudit drôle, comme il ouvre l’œil. Ainsi mes efforts pour cacher et dissimuler auront été vains. Le monde parle déjà de Madame Inger, bientôt tout le monde saura que…

(Eline GILDENLÖVE se montre de nouveau à la porte à gauche, elle regarde autour d’elle et dit avec une émotion mal contenue).
eline

Es-tu seul Björn ?

björn

C’est vous, mademoiselle Eline ?

eline

Ecoutes ! dis-moi un conte, une légende, tu en as encore beaucoup à m’apprendre.

björn

Maintenant ? Si tard ?

eline

Qu’importe la nuit ! il fait sombre à Ostraat depuis si longtemps.

{{Personnage|björn|c} Qu’avez-vous donc ? Etes-vous contrariée ? Vous semblez inquiète ?

eline

Peut-être.

björn

Vous souffrez ? Depuis six mois, vous n’êtes plus la même.

eline

Rappelles-toi que depuis six mois ma sœur préférée Lucia dort dans le caveau des morts.

björn

Ce n’est pas à cause de cela, Mademoiselle Eline, ce n’est pas à cause de cela que vous vous promenez pâle, pensive, sombre et inquiète comme ce soir.

eline

Pourquoi donc ? Lucia n’était-elle pas douce, pieuse et belle comme une nuit d’été ? Björn, je te l’affirme, j’aimais ma sœur comme ma propre vie. As-tu donc oublié combien de fois l’hiver enfants, nous restions sur tes genoux. Tu nous chantais tes chansons, tu nous contais…

björn

Hélas ! à cette époque vous étiez joyeuse et insouciante !

eline

Oui, ami, à cette époque,

Délicieuse fut ma vie faite de légendes et de rêves.

Crois-tu qu’alors le rivage était aussi sauvage qu’aujourd’hui ?

Si cela était ainsi, je ne le sentais pas. C’était là que j’aimais surtout me promener, là où je vivais poétiquement toutes ces belles légendes. Mes héros venaient de loin et repartaient de nouveau sur la mer… Et, moi-même, je vivais avec eux et je les suivais quand ils repartaient.

(Elle se laisse tomber sur une chaise).

Maintenant, je suis si faible, si lasse. Les légendes ne me suffisent plus… ce ne sont que des rêves !

(Elle se lève vivement).

Björn, sais-tu ce qui m’a rendue malade ? C’est la réalité, la réalité laide, hideuse, qui me tourmente jour et nuit.

björn

Que voulez-vous dire ?

eline

Te souviens-tu que, souvent, tu nous donnais de bons conseils à nous, enfants, pour nous conduire ? Ma sœur Lucia les suivait tes conseils, tandis que moi, hélas !

björn
(Consolant).

Eh bien ! Eh bien !

eline

Non, je le sais bien, j’étais fière, orgueilleuse. Quand nous jouions ensemble c’était moi qui voulait toujours être reine, parce que j’étais la plus grande, la plus belle, la plus intelligente ! Oh ! oui, je le sais !

björn

Cela est vrai !

eline

Une fois tu me pris par la main, tu me regardas sévèrement et tu me dis : « Ne soyez pas fière de votre beauté, ni de votre intelligence, mais soyez fière comme l’aigle sur la montagne, chaque fois que vous vous rappellerez que vous êtes la fille de Inger Gildenlöve.

björn

En vérité, il y avait de quoi être fière.

eline

Oui, tu me le disais souvent, Björn. Combien d’aventures, combien ne m’as-tu pas contées alors !

(Elle lui serre la main).

Merci ! Encore une légende, peut-être aurai-je alors l’âme légère comme autrefois.

björn

Vous n’êtes plus une enfant.

eline

Certes ! mais laisses-moi m’imaginer que je le suis encore. Eh bien ! va, parle.

(Elle se jette sur une chaise. — BJÖRN s’assied près du feu).
björn

Il y avait une fois un chevalier très noble…

ELINE qui a écouté des bruits venant de la salle des chevaliers, saisit le bras de BJÖRN et dit à voix basse, mais avec force) :
eline

Chut ! Ne cries pas ainsi. Je ne suis pas sourde

björn
(À voix plus basse).

Il y avait une fois un chevalier très noble, sur lequel on racontait d’étranges choses.

(Eline se dresse à moitié, regardant vers la salle des chevaliers).
björn

Qu’avez-vous, Mademoiselle Eline ?

eline
(Se rassied de nouveau).

Moi, rien ! Continue seulement.

björn

Quand ce chevalier fixait son regard dans les yeux d’une femme, cette femme ne pouvait plus jamais l’oublier et elle le suivait par la pensée partout où il allait. Enfin de chagrin il lui fallait bientôt mourir.

eline

J’ai entendu dire cela. Du reste, ce n’est pas un conte. Le chevalier dont tu parles se nomme Nils Lykke et il est encore au nombre des conseillers d’Etat danois.

björn

Alors une fois il est arrivé.

(Eline se lève soudainement).
eline

Silence !

björn

Quoi donc ! Qu’avez-vous ?

eline
(En écoutant).

Entends-tu ?

björn

Mais quoi ?

eline

C’est là ! Par la croix du Christ, c’est là !

björn
(En se levant).

Où ? Qui ?

eline

Elle-même, elle est là dans la salle des chevaliers !

(Elle court vite vers le fond).
björn
(En suivant).

Comment pouvez-vous croire ? — Mademoiselle Eline, retournez dans votre chambre.

eline

Silence ! Ne te fais pas voir… Attends… voici la lune qui paraît… Peux-tu distinguer cette personne habillée de noir ?

björn

Par tous les saints !

eline

La vois-tu ? Elle retourne le portrait de Knut Alfsön contre le mur. Il paraît qu’il la regardait trop fixement !

björn

Mademoiselle Eline, écoutez-moi ?

eline
(S’approchant de la cheminée).

Maintenant je sais.

björn
(Se parlant à lui-même).

Ainsi c’est donc vrai ?

eline

Mais quelle est cette ombre, Bjôrn… Quelle est donc cette ombre ?

björn

Vous l’avez reconnue comme moi.

eline

Eh bien ! Qui ?

björn

Vous avez reconnu votre mère.

eline
(Se parlant à elle-même).

Chaque nuit j’ai entendu ces mêmes pas resonner là bas. Je l’ai entendue se plaindre et gémir comme une âme en peine.

Et la chanson dit… Ah ! je devine !

Je sais maintenant, je sais !

björn

Silence !

(Madame INGER-GILDENLOVE sort vite de la salle des chevaliers sans s’apercevoir de la présence des autres. Elle s’avance directement vers la fenêtre, en tire le rideau et regarde longuement dehors comme si elle attendait quelqu’un sur la route. Elle se retourne et rentre de nouveau lentement dans la salle des chevaliers).
eline
(À voix basse, en la suivant du regard).

Elle est pâle, blanche comme une morte.

(Du bruit et beaucoup de voix s’entendent du dehors, venant de la porte de droite).
björn

Qu’est-ce cela ?

eline

Vas voir.




Scène III

Ejnar KUK, BJÖRN, Mme INGER, les PAYSANS
(Le bailli Ejnar KUK accompagné dune grande quantité de serviteurs et de paysans se montre dans l’antichambre).
ejnar kuk
(Sur la porte).

Nous irons tout droit à elle et sans peur.

björn

Qui cherchez-vous ?

ejnar kuk

Madame Inger elle-même.

björn

Madame Inger cette heure tardive ?

ejnar kuk

Il est tard, mais à peine assez tôt.

les paysans

Oui, oui, il faut qu’elle nous entende immédiatement.

Tout le monde pénètre dans la salle. Au même moment Madame Inger se montre sur la porte de la salle des chevaliers. Tout le monde se tait aussitôt.
madame inger

Que voulez-vous ?

ejnar kuk

Noble dame, nous vous cherchions pour…

madame inger

Eh bien ! pour ?

ejnar kuk

Enfin, la cause est honnête. Nous venions, en un mot, vous demander une permission et des armes.

madame inger

Une permission et des armes ? Pourquoi ?

ejnar kuk

De Suède on annonce que le peuple de Dalarn s’est soulevé et marche contre le roi Gustave.

madame inger

Le peuple de Dalarn aurait…

ejnar kuk

On le dit et il paraît que c’est absolument vrai.

madame inger

C’est possible ; mais qu’avez-vous à faire avec la révolte des garçons de Dalarn ?

les paysans

Nous voulons leur aider, nous aussi voulons nous libérer.

madame inger
(A voix basse).

Le moment serait-il enfin venu !

ejnar kuk

De toutes les petites villes frontières delà Norvège, les paysans se dirigent vers les pays de Dalarn. Même les bannis qui ont vécu, pendant de longues années, dans les montagnes comme des sauvages descendent vers les fermes, cherchent et appellent les hommes au combat et fourbissent leurs armes rouillées.

madame inger
(Après une pause).

Ecoutez ! Dites-moi si vous avez sérieusement réfléchi ?

Avez-vous calculé ce que cela vous coûterait si les soldats du roi Gustave étaient victorieux ?

björn
(A Madame Inger, d’une voix basse et suppliante).

Pensez aussi à ce que cela coûterait aux Danois si les soldats du roi Gustave étaient battus.

madame inger
(D’un ton tranchant).

Cela ne me regarde pas.

(Elle se tourne vers les paysans).

Vous n’ignorez pas que le roi Gustave peut sûrement compter sur l’aide du Danemark. Le roi Frédéric est son ami et ne l’abandonnera pas.

ejnar kuk

Mais si tous les paysans norvégiens se soulèvent ; si nous nous soulevons tous, gens de la noblesse et du peuple ! Oh ! Madame Inger Gyldenlöve, je crois que l’occasion que nous attendions est enfin venue. Si la bataille commence sérieusement, il faudra bien que l’étranger quitte notre pays.

les paysans

Oui, dehors les baillis ! Dehors les châtelains étrangers ! Dehors les traîtres à la solde des conseillers d’état danois.

madame inger
(A voix basse).

Ce sont des hommes ! Cependant… Cependant…

björn
(Se parlant à lui-même).

Elle est indécise.

(S’adressant à ELINE).

Voulez-vous croire, Mademoiselle Eline, que vous avez eu tort de juger mal votre mère ?

eline

Björn ! j’arracherais mes yeux de mon visage s’ils m’avaient trompée.

ejnar kuk

Voyez-vous, noble dame, il s’agit d’abord du roi Gustave. Une fois sa puissance brisée, les Danois ne pourront pas se maintenir longtemps dans le pays.

madame inger

Ensuite ?

ejnar kuk

Ensuite nous serons libres. Nous n’aurons plus de suzerain étranger, et nous pourrons élire un roi nous-mêmes comme les Suédois l’ont fait avant nous.

madame inger
(Vivement intéressée).

Elire un roi ! Penses-tu donc à la famille Sture ?

ejnar kuk

Le roi Christian et après lui d’autres ont su faire le vide dans nos fiers châteaux. Les meilleurs de nos châtelains sont bannis et errent dans les montagnes, si toutefois ils vivent encore ; mais il se pourrait quand même qu’on put trouver un descendant d’une ancienne famille.

madame inger
(Très vite).

Assez Ejnar Kuk ! assez ! (A elle-même.) Oh ! mon espoir le plus cher !

(Se tournant vers les serviteurs et les paysans).

Maintenant, je vous ai avertis de mon mieux ; je vous ai dit combien grand est le danger ; mais si vous êtes vraiment aussi décidés que vous le semblez, j’aurais peut-être tort de vous défendre ce que du reste je ne puis empêcher.

ejnar kuk

Ainsi vous consentez ?

madame inger

Vous avez une énergique volonté, écoutez-la.

Si vraiment, comme vous l’affirmez, on vous tracasse, on vous fait souffrir journellement… je ne sais rien moi et je n’en veux rien savoir… Qu’y puis-je faire ?… Une femme seule !

Même, si vous voulez prendre par force la salle des chevaliers… et là se trouvent maintes armes utiles…

N’est-ce pas vous qui, ce soir, êtes les maîtres à Ostraat.

Faites ce que vous voudrez, bonsoir !

(La foule témoigne bruyamment de sa joie. On fait de la lumière et les valets cherchent toutes sortes d’armes dans la salle des chevaliers).
björn
(Saisissant la main de Madame INGER qui se dispose à sortir).

Merci ma noble et grande dame. Moi qui vous ai connue depuis l’enfance, je n’ai jamais douté de vous.

madame inger

Silence Björn ! C’est un jeu dangereux que je joue ce soir.

Pour les autres il ne s’agit que de la vie, pour moi, mille fois plus que la vie. Crois-moi.

björn

Comment ? Vous avez peur de perdre votre pouvoir ?

madame inger

Mon pouvoir ? Oh ! mon Dieu !

un serviteur
(Il rentre de la salle avec un grand sabre).

Voici une bonne dent de loup, avec celle-là je me charge de déchirer les gens de l’usurpateur.

ejnar kuk
(S’adressant à un autre serviteur).

Qu’est-ce que tu as trouvé, toi ?

le serviteur

Une armure qu’on dit avoir appartenu à Herlof Hyttefad.

ejnar kuk

C’est trop pour toi. Moi, j’ai la lance de Sten Sture. Attachons l’armure à cette lance, alors personne n’aura plus noble bannière que nous.

(Le domestique FINN entre par la porte à gauche. Il porte une lettre à la main et s’avance vers Madame INGER).
finn

J’ai cherche madame ! dans toutes les pièces du château.

madame inger

Que me veux-tu ?

finn
(En lui tendant la lettre).

Voici un message.

madame inger

Voyons.

(Elle ouvre la lettre).

De Trondhjem ? Que peut signifier cela ?

(Elle parcourt la lettre).

Aide-moi, oh ! Christ ! Lui ! Ici, dans le pays.

(Elle continue, très émue, à lire la lettre, pendant que les hommes continuent à chercher des armes dans la salle des chevaliers).
madame inger
(A elle-même).

Ainsi, il va venir ! Ici, cette nuit. Alors il s’agit de lutter avec l’intelligence et non avec les armes.

ejnar kuk

Assez, assez mes braves paysans. Je pense que nous voilà bien armés ; maintenant, en route !

madame inger

Personne ne quittera Ostraat cette nuit !

ejnar kuk

Mais, noble dame, le vent est favorable pour traverser le fiord et…

madame inger

Il en sera comme j’ai dit.

ejnar kuk

Faut-il attendre jusqu’à demain ?

madame inger

Jusqu’à demain et plus longtemps encore. Aucun homme armé ne quittera Ostraat ces jours-ci.

(La foule murmure avec colère).
quelques paysans

Nous partirons malgré vous. Madame Inger.

beaucoup d’autres

Oui ! Oui, nous partirons malgré vous.

madame inger
(En s’approchant d’un pas).

Qui l’oserait ?

(Tout le monde se tait. Après une pause, Madame INGER ajoute).

Je pense pour vous. Qu’entendez-vous, pauvres gens du peuple, aux affaires de l’Etat ? Comment osez-vous porter jugement sur ce qui se passe ? Il vous faut supporter encore un moment le poids de vos chagrins, Et vous pourrez le faire quand vous réfléchirez que même nous, les nobles, nous devons souffrir comme vous aujourd’hui.

Rapportez donc toutes les armes dans la salle des chevaliers.

Plus tard vous saurez ma volonté. Sortez tous !




Scène IV

ELINE, Mme INGER, BJÖRN
(Les serviteurs rapportent les armes, puis tous s’en vont par la porte à droite).
ejnar eline
(A voix basse à BJÖRN).

Penses-tu toujours que j’ai péché dans mon jugement sur la dame d’Ostraat ?

madame inger
(Fait approcher BJORN et dit :)

Fais préparer une chambre pour un hôte !

björn

Bien madame.

madame inger

Que la porte soit ouverte pour quiconque frappera

björn

Mais…

madame inger

Que la porte soit ouverte !

björn

La porte sera ouverte.

(Il sort du côté droit).




Scène V

Mme INGER, ELINE
madame inger
(A Eline qui déjà se trouve vers la porte côté gauche).

Reste ! Eline, mon enfant ! J’ai quelque chose à te dire à toi seule.

eline

Je vous écoute.

madame inger

Eline, tu juges mal ta mère !

eline

Vos actes m’obligent à agir ainsi, si douloureux que cela soit pour moi.

madame inger

Et tu me réponds, comme ton âme ardente te force à me répondre.

eline

Qui donc a rendu mon âme dure et ardente ?

Dès l’enfance je m’étais habituée à vous considérer comme une grande et noble femme. Je m’imaginais que celles dont parlent les légendes et les chansons héroïques vous ressemblaient. Je croyais que notre Seigneur Dieu lui-même avait marqué votre front et vous avait désignée pour guider les faibles et les craintifs.

Dans la salle des chevaliers, les gentilshommes et les dames chantaient vos louanges et même le peuple, de près comme de loin, vous nommait l’espoir et l’appui du pays.

Tous pensaient que par vous reviendraient des temps heureux ; que par vous allait naître un nouveau jour.

Mais il fait nuit encore et je ne sais plus si je dois espérer que l’aube va poindre enfin grâce à vous.

madame inger

Il est facile de deviner où tu as appris ces paroles venimeuses.

Tu as entendu ce que le peuple ignorant murmure sur des choses qu’il ne saurait comprendre.

eline

La vérité se trouve sur les lèvres du paysan disiez-vous, quand le peuple chantait vos louanges.

madame inger

Soit ! Si j’ai choisi l’inaction alors que j’aurais pu agir, ne crois-tu pas que ce rôle me pèse assez, sans que tu aies besoin de le faire plus lourd en me jetant des pierres ?

eline

Les pierres que j’ajoute à votre fardeau me sont aussi lourdes qu’à vous. Libre et gaie je recherchais la vie tant qu’il me fut possible d’avoir foi en vous. Car pour vivre il faut que je puisse me sentir fière et j’aurais pu continuer à l’être si vous étiez demeurée ce que vous fûtes autrefois.

madame inger

Qui te dit que je ne sois plus la même ?

Eline, es-tu sûre que tu ne juges pas injustement ta mère ?

eline
(Exclamation).

Oh ! si cela était vrai !

madame inger

Un instant ! Tu n’as pas de comptes à demander à ta mère. D’un seul mot je pourrais… mais il ne serait pas bon pour toi d’entendre ce mot. Plus tard. Le temps… enfin.

eline
(Se préparant à sortir).

Dormez bien ma mère.

madame inger
(Hésitante).

Non, reste. Approches-toi. Il faut que tu m’écoutes, Eline.

(Elle s’assied près de la table devant la fenêtre).
eline

Je vous écoute !

madame inger

Bien que tu sois peu communicative je n’ignore point que, souvent, tu as souhaité t’éloigner de moi, Ostraat te paraît trop solitaire.

eline

Et cela vous étonne, ma mère ?

madame inger

Il dépend de toi qu’il en soit autrement.

eline

Comment ?

madame inger

Ecoute bien. Cette nuit j’attends un hôte.

eline
(En s’approchant).

Un hôte ?

madame inger

Un hôte dont le nom et les qualités doivent rester ignorés ?

Personne ne doit savoir d’où il vient et où il va !

eline
(Se jette avec un cri de joie aux pieds de Madame INGER et lui saisit les mains).

Ma mère ! ma mère ! Pardonnez-moi mes torts vis-à-vis de vous s’il vous est possible de me pardonner ?

madame inger

Que veux-tu dire ? Eline, je ne comprends pas !

eline

Ainsi tous se sont trompes ? Votre cœur est toujours fidèle.

madame inger

Mais lève toi donc et explique moi…

eline

Croyez-vous que j’ignore quel est l’hôte dont vous parlez ?

madame inger

Tu le sais et cependant ?

eline

Croyez-vous que les portes d’Ostraat soient si étroitement closes que jamais n’y soit passé l’écho du malheur.

Croyez-vous que j’ignore que certain descendant d’une ancienne famille vit en banni, sans maison sans lit, cependant que les seigneurs danois habitent ses châteaux.

madame inger

Ensuite ?

eline

Je sais parfaitement que certain noble chevalier, chassé comme le loup dans la forêt, ne possède ni foyer ni pain.

madame inger
(Froidement).

Assez ! j’ai compris.

eline

Voilà donc pourquoi cette nuit vous ouvrirez toutes grandes les portes d’Ostraat !

Voilà pourquoi il faut que l’hôte demeure ignoré, voilà pourquoi personne ne doit savoir d’où il arrive et où il va,

Vous vous révoltez contre nos tyrans qui vous défendent d’hébeger d’aider et de soigner le proscrit

madame inger

Assez, assez te dis-je !

(Elle se tait un moment, puis ajoute péniblement).

Tu te trompes Eline. Ce n’est point un banni que j’attends.

eline

Alors je vous ai mal comprise.

madame inger

Ecoute enfant. Mais écoute avec calme si tu peux maîtriser ton humeur farouche.

eline

Je serai calme jusqu’à ce que vous ayez fini de parler.

madame inger

Alors écoute bien.

Tant que je le pus je tâchai de te laisser ignorer les misères et les malheurs qui sont tombés sur notre peuple.

À quoi bon verser la tristesse et la haine dans ta jeune âme ? Ce ne sont pas les larmes ou les plaintes des femmes qui nous libéreront. Pour cela il faut le courage et la force des hommes.

eline

Mais qui vous dit que moi je ne posséderais pas le courage et la force d’un homme s’il le fallait ?

madame inger

Tais-toi mon enfant, tais-toi. Je pourrais te prendre au mot.

eline

Comment cela ma mère ?

madame inger

Je pourrais te demander à la fois d’avoir ce courage et cette force, je pourrais… mais laisse-moi d’abord finir.

Il faut que tu saches que le moment approche, le moment depuis de longues années préparé par le conseil d’État.

Où l’on va définitivement nous arracher tous nos droits et toutes nos libertés. C’est pourquoi il s’agit…

eline
(Vivement).

De frapper ! ma mère ?

madame inger

Il faut gagner du temps.

Le Conseil d’Etat est actuellement réuni à Copenhague pour décider de quelle façon nous serons plus aisément vaincus. La plupart des conseillers sont d’avis que la lutte ne doit cesser que par l’annexion de la Norvège au Danemark. En effet, s’il nous restait la moindre indépendance, il est présumable qu’à la prochaine élection du roi, entre nous et les Danois il y aurait lutte. Ce que ces Seigneurs de Copenhague veulent empêcher.

eline

Oui c’est bien cela qu’ils veulent empêcher. Mais nous, le supporterons-nous ? devons-nous…

madame inger

Certainement non ! Mais saisir les armes, livrer bataille.

À quoi bon ? puisque nous sommes désunis entre nous.

Malheureusement, plus que jamais, règnent ici les querelles intestines !

Si nous voulons aboutir il importe d’agir patiemment et secrètement.

Je te le répète il faut gagner du temps. Dans le sud de la Norvège une grande partie de la noblesse est favorable aux Danois ; mais ici, dans le Nord, on est hésitant. C’est pourquoi le roi Frédéric a envoyé un de ses conseillers pour se rendre compte par lui-même de l’état des esprits.

eline
(Anxieuse).

Et alors ?

madame inger

Alors ce chevalier sera à Ostraat cette nuit.

eline

Ici ? Cette nuit.

madame inger

Un bateau marchand l’a amené hier à Trondhjem. À l’instant on m’informe qu’il va venir. Dans une heure il sera ici.

eline

Avez-vous pensé, ma mère, à l’état de l’opinion ? Que va-t-on dire quand on saura que vous avez accordé une entrevue à ce diplomate danois ? Le peuple vous regarde déjà avec défiance. Comment pouvez-vous espérer que le peuple se laisse jamais conduire par vous en sachant que…

madame inger

Ne te préoccupe pas de cela. J’ai tout prévu. Nous ne courons aucun péril. La mission du gentilhomme est secrète. C’est sous un faux nom qu’il a débarqué à Trondhjem. Il viendra à Ostraat sans être connu de personne.

eline

Comment s’appelle ce noble Danois ?

madame inger

Son nom est fameux, Eline ! La noblesse danoise ne possède guère de meilleur gentilhomme.

eline

Quelles sont donc vos intentions. Je n’ai pas encore compris votre dessein.

madame inger

Tu vas comprendre. Comme nous ne pouvons pas écraser le serpent il faut nous efforcer de le captiver et de le lier.

eline

Prenez garde que la corde ne se rompe.

madame inger

Il dépend de toi que la corde soit solide.

eline

De moi ?

madame inger

Depuis longtemps, j’ai compris que tu te trouvais emprisonnée comme un oiseau en cage dans ce château. Et il ne convient guère à un jeune aigle de vivre derrière des barreaux de fer.

eline

Mon aile est coupée. Alors même que vous m’accorderiez la liberté cela ne me servirait de rien.

madame inger

Tes ailes ne seront coupées, qu’autant que tu le voudras bien.

eline

Ma volonté est en vos mains. Et si vous restez la femme que vous fûtes autrefois, moi aussi je…

madame inger

Il suffit… Ecoute. Il te plairait de quitter Ostraat ?

eline

Peut-être ma mère.

madame inger

Autrefois tu disais que tu n’étais heureuse qu’en lisant les fables et les chroniques héroïques du passé. Eh bien ! cette existence héroïque pourrait encore se réaliser.

eline

Que signifient ces paroles ?

madame inger

Eline ! S’il arrivait ici un puissant chevalier, qui te mènerai ! ensuite dans son château où tu trouverais suivantes, écuyers, robes soyeuses et salons magnifiques.

eline

Vous dites un chevalier.

madame inger

Oui.

eline
(À voix basse).

Et l’envoyé Danois va arriver cette nuit.

madame inger

Cette nuit ! Oui !

eline

Ah ! j’ai peur de comprendre.

madame inger

Pourquoi avoir peur ! si tu veux bien me comprendre. Je n’ai pas l’intention d’user de la force. Toi-même décideras ?

eline
(S’approchant de sa mère).

Connaissez-vous l’histoire de cette mère qui, la nuit avec ses enfants, voyageait en traîneau par la montagne. Nombre de loups affames suivaient le traîneau. Comme il y allait de la vie, l’un après l’autre elle jeta ses enfants aux bêtes féroces pour gagner du temps et sauver sa propre existence.

madame inger

Ce sont des mensonges. Une mère s’arracherait plutôt le cœur que de jeter ses enfants aux loups.

eline

Si vous n’étiez pas ma mère, je dirais que cela est vrai. Mais vous ! vous avez agi ainsi. L’une après l’autre vous avez jeté vos filles aux loups ravisseurs.

L’aînée d’abord : Il y a cinq ans, Mérète a quitté Ostraat avec Vincent Lunge dont elle est l’épouse, la croyez-vous heureuse avec son chevalier Danois ?

Vincent Lunge est puissant comme un roi. Mérète a des suivantes, des écuyers, des vêtements de soies, des salles spacieuses ; mais, pour elle, le jour est sans soleil, la nuit sans repos, car elle n’a jamais aimé son mari. Il est venu au château, il a demandé la main de Mérète, parce qu’elle était l’héritière la plus riche de la Norvège et parce qu’il lui était utile de se fixer dans le pays.

Je le sais, allez. Je le sais parfaitement !

Mérète vous a obéi. Elle a suivi docilement l’étranger.

Mais combien cruel est son sort, elle a versé trop de larmes pour qu’une mère puisse en prendre la responsabilité devant Dieu.

madame inger

Je connais ma responsabilité et elle ne m’effraye pas.

eline

Elle ne se borne pas au malheur de Mérète votre responsabilité,

Où est Lucia votre second enfant ?

madame inger

Demande-le à Dieu qui me l’a prise.

eline

C’est à vous que je le demanderai, car c’est vous qui êtes responsable de sa mort prématurée. Elle quitta Ostraat, joyeuse comme un oiseau printannier, pour aller visiter Mérète à Bergen. Quand elle revint à Ostraat, ses joues pâlirent et une toue mortelle déchira bientôt sa poitrine.

Vous voici bien étonnée, ma mère ! Vous vous imaginiez que ce secret abominable était enseveli avec la morte, elle m’a tout confié. Un grand seigneur l’aimait et voulait l’épouser, l’honneur de votre fille exigeait cette union, vous le saviez, vous êtes demeurée inflexible et votre enfant est morte.

Je sais tout, vous le voyez.

madame inger

Tu sais tout. Tu connais donc le nom du chevalier.

eline

Non elle ne me l’a pas dit. Elle tremblait follement à la pensée seule de ce nom. Jamais elle ne l’a prononcé.

madame inger
(Avec soulagement, à elle-même)

Ah ! tu ne sais pas tout alors.

Eline tout ce que tu dis est vrai. Mais ce que tu ignores, c’est que le séducteur de Lucia était Danois.

eline

Non, je le sais.

madame inger

Son amour était feint, il réussit, par la ruse et des paroles dorées, à abuser de ta sœur.

eline

Elle, l’aimait-elle ? Et si vous aviez eu le cœur d’une mère, l’honneur de votre fille eût passé avant tout.

madame inger

Non avant son bonheur. Avec l’exemple de Merete sous les yeux, pouvais-je sacrifier mon enfant en la donnant à un homme qui ne l’aimait pas ?

eline

On peut tromper les autres par des paroles dorées, mais non moi. Pensez-vous que j’ignore ce qui se passe ici ? Je connais vos agissements. Je sais bien que vous n’êtes pas l’amie fidèle des Danois. Je crois même que vous les haïssez, mais vous les craignez. Quand vous avez donne Merete à Vincent Lunge, les Danois étaient les plus forts ; mais, trois ans plus tard, la situation était bien modifiée ; c’est alors que vous défendîtes à Lucia d’épouser celui qui l’avait séduite. Les représentants du roi de Danemark avaient commis tant de crimes dans notre pays surexcité qu’il vous semblait peu prudent de vous lier outre mesure avec ces étrangers.

Qu’avez-vous fait pour venger votre enfant qui est mort ? Rien ! Eh bien ! moi, j’agirai à votre place. Le mal qu’a subi notre nation, le malheur de notre famille, je rendrai tout cela à l’ennemi. Je m’en charge.

madame inger

Toi ? Que comptes-tu faire ?

eline

Je choisis ma route comme vous avez choisi la vôtre. Ce que je compte faire je ne le sais pas moi-même, mais je me sens de force à tout entreprendre pour notre cause sacrée.

madame inger

Tu auras alors une lutte cruelle à soutenir !

Autrefois je fis le même serment… et mes cheveux ont blanchi avant que soit venue la vengeance.

eline

Bonne nuit !

Votre hôte va venir et ma présence est inutile.

Peut-être en est-il temps encore… Que Dieu vous assiste et vous donne la force. N’oubliez pas que tous les regards sont tournés vers vous. Songez à Merete qui pleure sa jeunesse brisée. Pensez à Lucia qui dort dans le cercueil sombre. Et, surtout, n’oubliez pas que cette nuit vous jouez l’existence de votre dernier enfant.

(Elle sort à gauche).




Scène VI

Mme INGER
(Seule).
madame inger
(La suivant longtemps du regard).

Mon dernier enfant ! tu ne penses pas avoir dit aussi vrai, cependant, Dieu me pardonne, ce n’est pas seulement de l’enfant qu’il s’agit. Dans cette nuit tragique se joue la destines de mon pays, de la Norvège. Ah !… c’est le pas d’un cheval dans la cour.

(Elle tend l’oreille).

Non, c’est le vent ! Il fait froid comme dans une tombe ici !

(Elle frissonne).

Dieu pouvait-il me traiter ainsi ? Me faire femme, et charger mes épaules d’une tâche lourde pour un homme ; car c’est moi qui tient en mes mains la destinée de ce pays, je puis soulever tout ce peuple.

C’est de moi qu’il attend le signal de la révolte, et si je ne le donne pas maintenant, jamais il ne retentira.

Comment, j’hésite ? Les sacrifier tous pour un seul.

Ne vaudrait-il pas mieux, s’il était possible…, non, non, je ne le veux et je ne le peux pas.

Elle jette un regard vers la salle des chevaliers, puis le détourne avec lenteur ; à voix basse.)

Ah ! les voici encore ! pâles spectres des ancêtres trépassés, des aïeux tombés dans les combats ; combien vos regards sont terribles.

Ah ! de tous côtés comme ils me guettent.

(Avec un geste elle crie :)

Sten Sture ! Knut Alfson ! Olaf Skaktavl !

Laissez-moi. Laissez-moi ! Je ne puis pas !




Scène VII

Mme INGER, L’HOMME
Un homme très fort, les cheveux et la barbe grisonnants, entre dans la salle des chevaliers.
Il est vêlu de peaux de moutons déchirées et il porte des armes couvertes de rouille.
l’homme
(Il s’arrête à la porte et dit d’une voix basse :)

Je vous salue Mme Inger Gyldenlöve.

madame inger
(Elle se retourne et pousse un cri).

Dieu ! Seigneur du Ciel !

(Elle tombe sur la chaise. L’homme, immobile, appuyé sur son épée, contemple longuement Mme Inger.


Rideau.




ACTE II

Même décor qu’au premier acte.


Madame INGER GYLDENLOVE est assise près d’une table, du côté droit ; devant la fenêtre, OLAF SKAKTAVL reste debout non loin de MADAME INGER. Leur visage crispé marque qu’une discussion vive a eu lieu entre eux.




Scène I

Mme INGER, OLAF SKAKTAVL
olaf skaktavl

Une dernière fois, Inger Gyldenlove, votre décision est-elle irrévocable ?

madame inger

Je ne puis agir autrement. Et je vous conseille de faire comme moi. Si le Ciel veut que la Norvège périsse elle périra, alors même que nous nous y opposerions tous les deux.

olaf skaktavl

Et vous vous imaginez que ce fatalisme me convient, et que je demeurerai tranquille lorsque le moment suprême est enfin venu ? Avez-vous donc oublié ce que j’ai à venger, moi ?

Ils m’ont pris mon bien, se le sont partagés entre eux, mon fils, mon enfant unique, le dernier de mon nom ; ils l’ont massacré.

Quant à moi, pendant vingt ans, j’ai vécu en banni par les forêts et les montagnes.

Plus d’une fois on m’a cru mort ; mais je crois pourtant qu’on ne m’enterrera pas avant que je tienne ma vengeance.

madame inger

Il vous faudra compter de longs jours encore avant cela. Et qu’espérez-vous faire ?

olaf skaktavl

Que sais-je ?

Je ne me suis jamais préoccupe de dresser des plans, j’attends votre aide pour cela. Vous êtes intelligente, vous. Moi, je ne sais me servir que de mes deux bras et de mon épée.

madame inger

Votre épée est rouillée, Olaf Skaktavl ! elles sont toutes ainsi les épées de Norvège.

olaf skaktavl

Aussi ne lutte-t-on plus que par la parole.

Inger Gyldenlove, vous êtes bien changée, autrefois un cœur viril battait dans votre poitrine de femmes.

madame inger

Ne me rappelez pas le passé.

olaf skaktavl

Mais je ne suis venu vous voir que dans ce but. Il faut que vous m’écoutiez, je le veux.

madame inger

Soit ! mais vite ! car vous n’êtes pas en sûreté à Ostraat, sachez-le.

olaf skaktavl

Je sais depuis longtemps qu’un banni n’est plus en sûreté à Ostraat, mais vous oubliez qu’un banni n’est en sûreté nulle part.

madame inger

Parlez, je vous écoute.

olaf skaktavl

Il y a bientôt trente ans que je vous rencontrai pour la première fois à Abershus, chez Knut. Vous étiez encore une enfant pourtant courageuse comme un jeune faucon. Vous sembliez sauvage et indomptable, et déjà nombreux étaient ceux qui sollicitaient votre main.

Moi aussi je vous aimai, oui, je vous aimai comme depuis ni avant je n’ai aimé aucune autre femme.

Vous, vous n’aviez qu’une préoccupation, vous n’étiez obsédée que d’une unique pensée, le malheur, la misère de notre infortuné pays.

madame inger

J’avais quinze ans, ne l’oubliez pas. Et à cette époque une fureur terrible nous animait tous.

olaf skaktavl

Comme vous voudrez, moi je sais seulement que les anciens, les hommes expérimentés d’entre nous disaient que Dieu vous avait choisie pour briser nos chaînes et pour nous rendre nos droits.

Et je sais encore qu’à ce moment-là vous partagiez vous-même cette opinion et que vous l’affirmiez.

madame inger

C’était mal de penser ainsi, Olaf Skaktavl, et c’était l’orgueil et non Dieu qui parlait par ma bouche.

olaf skaktavl

Vous auriez pu devenir l’élue si vous l’aviez voulu. Vous descendiez des plus nobles familles de la Norvège, vous aviez devant vous la richesse et le pouvoir……, votre oreille était ouverte aux plaintes du peuple… air jadis !

Vous souvenez-vous de ce soir où Hendrick Krummedike vint avec la flotte danoise devant Akershus. Les commandants des bateaux offraient la paix. Sur leur parole Knut Alfson se rendit à leur bord pour traiter.

Trois heures plus tard nous portions son corps au château.

madame inger

Il était mort ! Ce n’était plus qu’un cadavre.

olaf skaktavl

Le plus grand cœur de la Norvège avait été brisé par les stipendiés de Kummedike !

Il me semble encore voir la scène qui suivit le meurtre. La foule entrant dans la salle des chevaliers, deux par deux les hommes s’avançant.

Il était là, étendu sur la civière, pâle comme un nuage du printemps, le front fendu d’un coup de hache.

J’ose dire que les plus nobles seigneurs de la noblesse de Norvège étaient réunis-là cette nuit.

Madame Magrete se penchait sur le visage de son mari mort, et tous, tous nous jurâmes de risquer notre vie et nos biens pour venger ce dernier forfait avec tous les autres crimes.

Inger Gyldenlöve ! qui donc, alors, fendit la foule de ces hommes ? Faut-il vous rappeler cette jeune fille, presque une enfant, l’œil en feu, les larmes dans la voix, et le serment qu’elle fit ? Faut-il que je vous répète vos propres paroles ?

madame inger

J’ai juré comme vous autres, ni plus, ni moins.

olaf skaktavl

Eh quoi ! vous vous rappelez votre serment et vous avez oublié de le tenir.

madame inger

Et les autres ? Qu’ont-ils donc fait malgré leur serment ?

Je ne parle pas de vous, Olaf Skaktavl, mais de vos amis, de la noblesse Norvégienne. Pas un d’eux, durant ce long nombre d’années, n’a eu le courage d’être homme. Et ils m’en veulent à moi qui ne suis qu’une femme.

olaf skaktavl

Je sais ce que vous voulez dire.

Pourquoi se sont-ils soumis au lieu de braver la force brutale jusqu’au bout ? C’est vrai ! Pauvre est le sang qui coule dans les veines de nos nobles d’aujourd’hui ; mais si vraiment ils s’étaient unis, qui sait, ce qui serait arrivé ?

Et vous, vous pouviez faire l’union. Devant vous, tous se seraient inclinés.

madame inger

Il me serait aisé de vous répondre ; mais vous ne me croiriez pas.

Dites-moi plutôt ce qui vous amène à Ostraat. Avez-vous besoin d’un asile ? Soit. Je tâcherai de vous cacher. Vous faut-il autre chose ? Vous me trouverez prête à vous servir.

olaf skaktavl

Pendant vingt ans j’ai vécu comme un proscrit ; c’est en errant sur les montagnes de Joemteland que mes cheveux sont devenus blancs. J’ai dormi dans la caverne de l’ours et dans le repaire du loup.

Vous voyez, Madame Inger, que je n’ai pas besoin de votre secours, c’est la noblesse et le peuple de Norvège qui ont besoin de vous.

madame inger

Toujours la même chanson !

olaf skaktavl

L’air en résonne mal à votre oreille ! Je le sais.

Il faut cependant que vous m’écoutiez. En un mot, je viens de Suède. Ce pays est en révolte. C’est dans les Dalarn que va commencer l’agitation.

madame inger

Oui, c’est vrai !

olaf skaktavl

Poder Kanzler est mêlé à l’affaire… mais secrètement, vous comprenez ?

madame inger
(Etonnée).

Tiens !

olaf skaktavl

C’est lui qui m’a envoyé à Ostraat.

madame inger
(Se levant).

Vous dites ? Peder Kanzler ?

olaf skaktavl

Lui-même. Peut-être ne vous le rappelez-vous plus ?

madame inger
(Se parlant à elle-même).

Trop bien, hélas !

Dites-moi, je vous prie, quelle nouvelle m’apportez-vous de lui ?

olaf skaktavl

Quand sur les montagnes voisines de la frontière les bruits de la révolte me parvinrent je me rendis immédiatement en Suède. Je pensais bien que Peder Kanzler était mêlé au mouvement.

Donc j’allai le trouver et lui offrit mon aide. Il m’a connu autrefois, vous ne l’ignorez pas. N’est-ce pas ? Il savait qu’il pouvait compter sur moi et m’a envoyé ici.

madame inger
(Avec impatience).

Eh bien ! eh bien ! il vous a envoyé ici pour…

olaf skaktavl
(Avec importance).

Madame Inger : Un étranger arrivera à Ostraat cette nuit.

madame inger
(Avec surprise).

Comment vous savez ?…

olaf skaktavl

Oui, je sais, je sais tout.

C’est pour que je m’abouche avec cet étranger que Peder Kanzler m’a envoyé ici.

madame inger

Lui ! impossible, Olaf Skaktavl — impossible !

olaf skaktavl

C’est comme je vous le dis. Et s’il n’est pas encore arrivé, il ne tardera pas…

madame inger

Certainement, mais…

olaf skaktavl

Ainsi, vous l’attendiez ?

madame inger

Parfaitement. Il m’a prévenu lui-même de sa venue. Et c’est pour cela que vous avez pu entrer ici avec tant de facilité.

olaf skaktavl
(Tendant loreille).

Chut ! Quelqu’un à cheval passe sur la route.

(Il s’approche de la fenêtre).

C’est un chevalier et son écuyer. Ils descendent de cheval.

olaf skaktavl

Ainsi c’est lui. Son nom.

madame inger

Vous l’ignorez ?

olaf skaktavl

Peder Kanzler s’est refusé à me l’apprendre. Il m’a dit seulement que je rencontrerais cette homme à Ostraat, la troisième nuit qui suivrait celle de la St-Martin.

madame inger

C’est bien ce soir.

olaf skaktavl

Il doit me remettre des lettres et aussi, par vous, j’apprendrais qui il est.

madame inger

Laissez-moi alors vous conduire à votre chambre. Vous avez besoin de repos et de soins. Bientôt vous verrez le seigneur étranger.

olaf skaktavl

Comme vous voudrez.

(Tous deux sortent du côté gauche).




Scène II

FINN, Nils LYKKE et Jens BJELKE
Un instant après, arrive avec précaution le domestique FINN du côté droit. Il examine la pièce, jette un coup d’œil dans la salle des chevaliers et retourne vers la porte, ou il fait signe à quelqu’un. Entre alors Nils LYKKE et Jens BJELKE.
nils lykke
(A voix basse).

Personne !

finn
(A voix basse).

Non, seigneur.

nils lykke

Nous pouvons absolument compter sur ton dévouement.

finn

Le commandant à Trondhjem a toujours été satisfait de moi.

nils lykke

Bien, il me l’a dit. Voyons d’abord : Un étranger est-il arrivé à Ostraat ce soir ?

finn

Oui, il est venu voici une heure.

nils lykke
(A voix basse à Jens BJELKE).

Il est ici ?

(Se retournant vers FINN).

Saurais-tu le reconnaître ? L’as-tu aperçu ?

finn

Non, sauf le gardien de la tour, personne ne l’a vu. On l’a conduit à Madame Inger immédiatement et elle…

nils lykke

Eh bien ! et elle… ?

Il n’est pas déjà parti au moins ?

finn

Non, Madame le tient caché dans ses appartements pour…

nils lykke

C’est bien.

jens bjelke
(Chuchotant).

Avant tout, que la porte soit bien gardée, il ne peut nous échapper.

nils lykke
(Souriant).

Hum !

(A Finn).

Dis moi, à Ostraat, se trouve-t-il d’autres issues que la porte ? Ne me regarde pas ainsi stupidement ! j’entends : Peut-on s’évader d’Ostraat quand la grande porte est close ?

finn

Je ne sais. On dit que des passages secrets sont ménagés par les caves ; mais il n’y a personne de renseigné la dessus que Madame Inger et peut-être aussi Mademoiselle Eline.

jens bjelke

Tonnerre de Dieu !

nils lykke
(A Finn).

C’est bien. Tu peux te retirer.

finn

Si vous aviez encore besoin de moi vous n’auriez qu’à frapper à la seconde porte à droite de la salle des chevaliers, je me mettrais aussitôt à vos ordres.

nils lykke

Entendu !

(Il montre la porte de sortie à FINN qui se retire).
jens bjelke

Savez-vous, mon cher et excellent ami, que ceci s’annonce assez mal pour nous deux.

nils lykke
(En souriant).

Mais non, pas pour moi, j’espère.

jens bjelke

Ah !

D’abord, il y a, selon moi, peu de gloire à faire la chasse à ce maigre et jeune gamin de Nils Sture.

Est-il fou ou raisonnable, je vous le demande ?

D’abord, il soulève les paysans en leur promettant monts et merveilles ; puis la révolte éclatée, il se sauve et se cache dans les jupes d’une femme.

Du reste, à vrai dire, je regrette d’avoir suivi vos conseils et de ne pas avoir agi selon mon sentiment.

nils lykke
(A voix basse).

Ce regret est bien tardif, mon ami.

jens bjelke

Voyez-vous, aller déterrer un blaireau dans son trou, moi ce n’est pas mon affaire. J’aurais préféré autre chose.

Je viens, depuis Joemteland avec mes cavaliers, muni d’une autorisation du commandant de Tromdhjem, de chercher le conspirateur comme je l’entendrais. Tout faisait supposer qu’il se dirigeait vers Ostraat.

nils lykke

Il est ici ! oui, ici, vous dis-je.

jens bjelke

Soit, mais, dans ce cas, il me semble que nous aurions trouvé porte close et bien gardée. Je l’aurais mieux aimé ainsi : dans ce cas, j’aurais eu besoin de mes soldats.

nils lykke

Mais, au contraire, on nous ouvre poliment la porte, et, soyez-en sûr, si Madame Inger est véritablement telle qu’on le dit, nous n’aurons ni soif, ni faim.

jens bjelke

Assurément, elle nous recevra fort bien pour nous séduire et nous faire oublier nos affaires.

Comment avez-vous pu avoir l’idée de me faire laisser mes soldats à deux kilomètres d’ici. Ah ! si nous étions venus avec des hommes armés, alors…

nils lykke

Alors elle nous aurait reçus tout aussi aimablement ; mais, remarquez bien que, dans ce cas, notre visite aurait éveillé l’attention. Les paysans n’auraient pas manqué de parler de violences et, de nouveau, Madame Inger serait devenue populaire parmi eux.

Et c’est précisément ce qu’il faut éviter.

jens bjelke

Soit ! mais que faire maintenant ?

Vous prétendez que le comte Sture est à Ostraat, cela m’avance bien. Comme le renard, Madame Inger a, certainement, plus d’une tanière et plus d’une issue. Et nous deux nous attendrons vainement ici.

Que le diable emporte toute cette affaire.

nils lykke

Eh bien ! mon cher chevalier, si vous ne trouvez pas à votre goût la tournure qu’a prise l’affaire, cédez-moi la place.

jens bjelke

À vous ? Que ferez-vous donc ?

nils lykke

L’intelligence et la ruse seraient plus utiles que la force brutale en ce cas là.

Pour vous parler sincèrement, Jens Bjelke…, depuis que nous nous sommes rencontrés hier à Tromhjen, je pense ainsi.

jens bjelke

Et c’est pourquoi vous m’avez persuadé de me séparer de mes cavaliers.

nils lykke

Vos affaires et les miennes s’en trouveront mieux, et puis…

jens bjelke

Que le diable vous emporte et moi aussi !

J’aurais dû savoir que vous étiez un diplomate.

nils lykke

Oui, mais ici la ruse est indispensable pour égaliser les armes.

Il faut que je vous le dise, il est pour moi de la dernière importance de m’acquitter bien de cette mission. Vous ne savez peut-être pas que le Roi s’est montré fort peu gracieux pour moi lors de mon départ.

Il croyait pour cela avoir des raisons, bien que dans maintes circonstances difficiles je l’ai bien loyalement servi, je puis le dire.

jens bjelke

Oui, vous pouvez l’affirmer et tout le monde sait fort bien qu’il n’existe pas, dans les trois pays, de personnage plus habile que vous.

nils lykke

Grand merci ! Du reste cela ne veut pas dire encore grand’chose ; mais ce que je dois accomplir ici, je le considère comme une œuvre magistrale, car il s’agit de triompher d’une femme.

jens bjelke

Ha, ha, ha ! Sur ce chapitre, il y a longtemps, mon camarade, que vous êtes passé maître.

Croyez-vous donc que nous ignorons la chanson Suédoise.

» — Toute demoiselle dit en soupirant :
» — Que Dieu veuille que Nils Lykke m’aime ».

nils lykke

Dans cette chanson il s’agit de femme de vingt ans ou à peu près, et Madame Inger Gyldenlöve approche delà cinquantaine et elle est plus rouée que personne au monde.

Il sera difficile de la vaincre ; mais il le faut ; il le faut, à n’importe quel prix.

Si je réussis à procurer au Roi cette victoire sur elle, victoire qu’il désire depuis longtemps, je peux sûrement compter, qu’au printemps il me chargera d’une mission en France.

Vous n’ignorez peut-être pas que j’ai passé trois années à l’Université de Paris ? Et je désire avec ardeur retourner en France, surtout si je puis y revenir brillamment, comme ambassadeur d’un Roi.

Eh bien ! laissez-moi prendre Madame Inger.

Rappelez-vous qu’à votre dernier voyage à la Cour de Copenhague, je vous ai cédé la place auprès de plus d’une belle dame.

jens bjelke

Oh ! cela n’était pas bien généreux de votre part, puisque vous pouviez les avoir toutes.

Du reste, puisque j’ai fait fausse route, je préfère autant vous céder à mon tour la place ; mais jurez-moi que si le jeune comte Sture se trouve à Ostraat, vous me le procurerez mort ou vif.

nils lykke

Vous l’aurez vivant. Dans tous les cas, je ne compte pas le tuer.

Maintenant, retournez vers vos cavaliers. Occupez la route avec vos hommes.

Dès que je verrai quelque chose de louche, je vous préviendrai.

jens bjelke

Bien, mais comment sortir d’ici maintenant.

nils lykke

Le valet qui nous accompagnait tout à l’heure, vous aidera. Mais retirez-vous doucement, sans bruit.

jens bjelke

Entendu ! Bonne chance !

nils lykke

J’ai toujours eu de la chance avec les femmes.

Hâtez-vous !

(Jens BJELKE sort du côté droit).




Scène III

Nils LYKKE
(Seul).
(Il demeure un instant immobile, puis il se promène, regarde autour de lui, puis dit à voix basse :)
nils lykke

Me voici donc à Ostraat dans ce vieux château dont une jeune fille me contait, il y a deux ans, les merveilleux souvenirs, et… Lucia ! c’était une enfant il y a deux ans ; maintenant, elle est morte.

(Il fredonne en souriant étrangement).

« On cueille les fleurs
« et les fleurs se fanent. »

(Regardant de nouveau autour de lui).

Ostraat ! Mais je connais tout ici, absolument comme si c’était mon propre château. De ce côté c’est la salle des chevaliers et les tombeaux sont là-dessous. C’est ici probablement que dort Lucia.

(Plus bas, avec un sourire singulier).

Si j’étais superstitieux, je pourrais m’imaginer, qu’au moment où je passais le seuil d’Ostraat, Lucia se mouvait dans son cercueil ; qu’elle en soulevait le couvercle, quand je traversais la cour ; qu’elle sortait du tombeau quand je prononçais son nom, et que, maintenant, elle cherche à monter l’escalier, malgré le linceul qui embarrasse sa marche ; elle en gravit les degrés et elle parvient jusqu’à la salle des chevaliers et, de la porte où elle arrive à l’instant, enfin elle m’aperçoit.

Il tourne vivement la tête et regarde par dessus son épaule, il hoche ensuite la tête et dit à voix haute :)

Approche donc Lucia, viens me parler. Ta mère me fait attendre ; et moi je n’aime pas à attendre, jadis tu me rendais les heures joyeuses.

(Vivement il s’essuie le front et se promène sur la scène).

Tiens, c’est cela ! Voici la fenêtre profonde avec son rideau. C’est de là que Inger Gyldenlöve a l’habitude de regarder au loin sur la route, comme si elle attendait un messager qui n’arrive jamais.

Là-bas !

(Il regarde la porte du côté droit).

Là-bas se trouve la chambre de la sœur de Lucia, Eline !

Dois-je croire qu’elle est vraiment si étrange, si intelligente et si courageuse que me l’a dit Lucia ? Elle aussi doit être belle. Mais il faut épouser… ? Je n’aurais peut-être pas dû écrire comme je l’ai fait ?

(Pensif, il vient s’asseoir auprès de la table, mais il se lève de nouveau).

Comment me recevra-t-elle Madame Inger ?

Ne brûlera-t-elle pas le château sur son hôte ? Ne me fera-t-elle pas tomber dans une oubliette ? Ne me fera-t-elle pas poignarder par derrière.

(Il dresse l’oreille).

Ah !




Scène IV

Nils LYKKE et Mme INGER
madame inger gyldenlöve
(Rentre de la Salle et dit froidement :)

Je vous salue, Monsieur le Conseiller d’Etat.

nils lykke
(En s’inclinant profondément).

Chatelaine d’Ostraat !

madame inger

Je vous remercie de m’avoir avisée de votre arrivée.

nils lykke

Je n’ai fait que mon devoir !

J’avais des raisons de croire que ma visite vous surprendrait.

madame inger

En effet, Monsieur le Conseiller d’Etat, vous ne vous êtes pas trompé. Je ne m’attendais pas à recevoir Nils Lykke comme hôte à Ostraat.

nils lykke

Moins encore, vous attendiez-vous à le voir venir à vous en ami.

madame inger

En ami ? Vous ajoutez la raillerie au malheur et au déshonneur que vous avez porté dans cette maison ? Après avoir tué mon enfant, vous osez encore…

nils lykke

Pardonnez-moi, Madame Inger Gyldenlöve. Il est impossible de nous entendre, car vous ne voulez pas tenir compte de ce que j’ai perdu moi-même dans ce malheur.

J’étais absolument sincère. J’étais las des plaisirs. Je venais de passer la trentaine et j’avais hâte de trouver une bonne et pieuse épouse. Enfin l’honneur de devenir votre gendre…

madame inger

Prenez garde, Monsieur le Conseiller. Ce qui est arrive à mon enfant, je l’ai caché de mon mieux. Mais ne croyez pas que je l’aie oublié. Un jour viendra peut-être…

nils lykke

Vous me menacez, Madame Inger. Je vous avait tendu une main amie, vous la refusez. Je dois donc penser que nous sommes des ennemis.

madame inger

Il ne saurait en être autrement.

nils lykke

Pour vous, peut-être, non pour moi. Je n’ai jamais été votre ennemi bien que, comme sujet de S. M. le Roi de Dannemark, j’aurais dû l’être.

madame inger

Evidemment je ne me suis pas laissée conduire par vous, ni assez facilement entraîner dans votre parti. Cependant il me semble que vous n’avez pas à vous plaindre. Le mari de ma fille Merete est votre compatriote. M’avancer plus loin, je ne le puis. Ma position est difficile, Nils Lykke !

nils lykke

Je le sais bien.

Les nobles et le peuple de Norwège, croient pouvoir compter sur vous, et vous ne leur avez pas donné toute satisfaction.

madame inger

Assez, Monsieur le Conseiller d’Etat. Je ne dois compte qu’à Dieu et à ma conscience, de mes actes. Maintenant, si vous le voulez bien, vous me ferez savoir le but de votre visite.

nils lykke

Certainement, Madame, bien que vous connaissiez sans doute le but de mon voyage en Norwège.

madame inger

Je connais les intentions que, généralement, on vous prête :

Il est important pour le Roi d’apprendre quels sont pour lui les sentiments des Norwégiens.

nils lykke

Oui !

madame inger

Et c’est pour cela que vous venez à Ostraat ?

nils lykke

En partie ; mais je ne viens nullement pour vous demander de m’assurer…

madame inger

Comment ?

nils lykke

Suivez-moi bien, madame Inger.

Tout à l’heure, vous disiez que votre position était difficile entre deux camps ennemis, dont chacun se méfie de vous.

Vous êtes attachée à nous par votre intérêt. Votre nationalité, par contre, vous donne des attaches avec les mécontents… et, peut-être aussi, avez-vous quelques lien secret.

madame inger
(A voix basse).

Lien secret ! Seigneur, saurait-il ?

nils lykke
(S’apercevant de son émotion continue sans en rien laisser paraître).

Vous comprenez fort bien qu’à la longue cette situation est intolérable.

Admettons qu’il soit en mon pouvoir d’arranger tout…

madame inger

Dans votre pouvoir, vous dites ?

nils lykke

D’abord, madame Inger, me faut-il vous prier de n’ajouter aucune importance aux paroles frivoles que j’ai employées pour parler de ce qui existe entre nous. Veuillez croire que jamais je n’ai oublié les torts que j’ai eus, la dette que j’ai contractée vis-à-vis de vous. Admettez que depuis longtemps cela soit mon désir de réparer ma faute dans la mesure du possible. Admettez, enfin que, pour cela même, je me sois fait donner la mission de venir ici.

madame inger

Expliquez-vous plus clairement, Monsieur le Conseiller d’Etat, car je ne vous comprends pas.

nils lykke

Je ne me trompe peut-être pas en m’imaginant que vous êtes au courant, aussi bien que moi-même, du mouvement qui menace d’éclater en Suède ?

Vous savez, ou vous le devinez, que cette révolte a un but autrement grand que celui qu’on croit, et voilà pourquoi vous comprendrez que notre Roi ne peut pas avec indifférence laisser passer les événements.

N’est-ce pas vrai ?

madame inger

Continuez !

nils lykke
(La fixant après une pause).

Admettons un cas qui mettrait en danger la couronne de Gustave Vasa…

madame inger
(A voix basse).

Où veut-il en venir ?

nils lykke

Supposons qu’il se trouve en Suède un homme qui, grâce à sa naissance, aurait le droit de se faire élire gouverneur du pays.

madame inger
(Se dérobant).

La noblesse de Suède est aussi mutilée que la nôtre, monsieur le Conseiller. Où le trouver cet homme ?

nils lykke
(Souriant).

L’homme est déjà trouvé ?

madame inger

Il est trouvé ?

nils lykke

Et il vous est trop proche pour que vous ne sachiez pas de qui je veux parler.

(La fixant).

Le feu comte Sture a laissé un fils.

madame inger
(Avec un cri).

Seigneur ! Comment savez-vous… ?

nils lykke

Calmez-vous, madame, et laissez-moi achever.

Ce jeune homme a jusqu’à présent vécu tranquillement chez sa mère la veuve de Sten-Sture.

madame inger
(Plus calme)

Chez ?… Ah ! oui. C’est vrai !

nils lykke

Maintenant, il se montre ouvertement dans les Dalarne et il s’est proclamé le chef des paysans, le nombre de ses troupes augmente de jour en jour et…, comme vous le savez, ses partisans de ce côté de la frontière ont aussi des amis.

madame inger
(De nouveau maîtresse d’elle-même).

Monsieur le Conseiller d’Etat, vous me parlez de ces événements comme si je les connaissais déjà.

Qu’ai-je fait pour vous donner cette conviction ?

Je ne sais rien, et je ne veux rien savoir. Mon intention est de vivre tranquillement sur mes terres. Je n’offre pas mon aide aux révoltés, mais ne comptez pas davantage sur moi pour les combattre.

nils lykke
(A voix basse)

Si mon intention était de leur venir en aide, moi-même. — Parleriez-vous ainsi ?

madame inger

Comment dois-je interpréter vos paroles ?

nils lykke

Vous n’avez donc pas compris où je voulais en venir ? je vais tout vous dire, simplement et clairement.

Sachez d’abord que Sa Majesté et ses conseillers ont parfaitement compris que, même avec le temps, le Danemark ne trouverait pas d’assises suffisantes en Norvège, tant que la noblesse et le peuple continueraient à se croire asservis.

Nous savons fort bien que des alliés de bonne volonté sont préférables à des sujets opprimés et nous désirons rompre des liens qui nous embarrassent nous-mêmes.

Vous conviendrez, toutefois, que les sentiments des Norvégiens sont pour nous tellement hostiles, que nous ne pouvons détruire ces liens que le jour où nous aurons derrière nous un allié sûr.

madame inger

Et cette alliance ?

nils lykke

C’est en Suède que nous la trouverons le plus aisément, non pas tant que Gustave Vasa régnera, car ses comptes avec le Danemark ne sont pas encore réglés et ne le seront jamais.

Mais si un nouveau roi de Suède populaire tenait sa couronne du Danemark.

……Ah ! vous paraissez voir où je veux en venir !

Nous pourrions vous dire à vous autres Norvégiens : reprenez vos anciens droits, choisissez-vous un roi selon votre désir, et soyez nos alliés comme nous serons les vôtre en cas de péril.

Remarquez bien, madame, que votre générosité ne serait qu’apparente, car, bien loin de nous affaiblir, elle nous rendrait plus forts.

Et maintenant que j’ai parlé sincèrement, avez-vous perdu votre méfiance ?

Ainsi donc le chevalier arrivé de Suède une heure avant moi ?…

madame inger

Quoi, vous savez déjà ?

nils lykke

Evidemment, c’est lui que je cherche !

madame inger

C’est étrange ! Ainsi Olaf Skaktavl avait dit vrai.

(S’adressant à Nils Lykke).

Veuillez attendre un instant, Monsieur le Conseiller d’Etat, je vais le chercher.

(Elle sort par la salle des chevaliers).




Scène V

Nils LYKKE
(Seul).
(Il jette un regard vers la porte ; l’expression de ce regard est mêlée de surprise).

Elle va le chercher, oui… vraiment elle va le chercher !

À présent la partie est presque gagnée ! Je n’eusse pas cru que cela eût été aussi facile… elle fait certainement le jeu des révoltés ; elle a tressailli de peur lorsque j’ai nommé le fils de Sten Sture. Enfin ! puisque madame Inger s’est laissée prendre facilement au piège, Nils Sture ne fera pas de difficultés ; il est jeune et irréfléchi.

Avec ma promesse de secours il partira et, en route, Jens Bjelke le fera prisonnier ; alors c’en est fait du complot, et c’est une victoire pour nous.

On dira que le jeune comte Sture s’était réfugié à Ostraat, qu’un envoyé Danois a eu un entretien avec madame Inger à la suite duquel le jeune homme a été capturé par les soldats du roi Gustave, non loin d’Ostraat…

Quelque grande, quelque solide que soit la considération du peuple pour madame Inger, cette considération ne résistera pas à un pareil coup.

(Inquiet, il se leva soudainement).

Diable ! si madame Inger avait deviné… peut-être en ce moment même le jeune comte nous échappe-t-il.

(Il tend l’oreille vers la salle des chevaliers et sourit).

Vaine inquiétude ! Les voici.




Scène VI

Mme INGER, SKATKAVL et Nils LYKKE
(Madame INGER GYLDENLOVE entre dans la salle accompagnée de OLAF SKAKTAVL).
madame inger
(S’adressant à Nils Lykke).

Je vous amène celui que vous attendez !

nils lykke
(A voix basse).

Diable ! Qu’est-ce à dire ?

madame inger

J’ai informé ce chevalier de votre nom et des intentions dont vous m’avez fait part.

nils lykke
(Hésitant).

Ah ! ah ! oui ! Eh bien !

madame inger

Je ne vous cacherai pas qu’il ne montre pas grande confiance en vos promesses de secours.

nils lykke

Pourquoi donc ?

madame inger

Cela vous étonne ? Vous connaissez sans doute les sentiments et la douloureuse existence de ce seigneur.

nils lykke

Oh ! oui, parfaitement.

olaf skaktavl
(S’adressant à Nils Lykke).

Mais, puisque c’est Peder Kanzler lui-même qui a ménagé notre entrevue.

nils lykke
(Redevenant maître de lui-même).

Peder Kanzler, certainement, Peder Kanzler m’a chargé d’une mission.

olaf skaktavl

Il doit évidemment savoir à qui il peut avoir confiance. Je ne me donnerai donc pas la peine de rechercher comment…

nils lykke

Vous avez bien raison, seigneur, c’est inutile.

olaf skaktavl

Oui, abordons de suite le sujet.

nils lykke

Sans aucune circonlocution, je vous en prie ; telle est mon habitude.

olaf skaktavl

Faites-moi donc connaître l’objet de votre mission.

nils lykke

J’imagine que vous devez bien vous en douter un peu.

olaf skaktavl

Peder Kanzler m’a parlé des papiers que…

nils lykke

Des papiers ? Ah ! oui les papiers…

olaf skaktavl

Les avez-vous sur vous ?

nils lykke

Naturellement, et biens cachés, trop même pour que je puisse vite…

(Il fait semblant de chercher des papiers dans ses vêtements et dit à voix basse).

Qui diable peut-être cet homme ? Que faire ? Il y a certainement d’importants secrets à dévoiler ici…

(Il remarque que les valets dressent la table et allument les lampes dans la salle des Chevaliers ; et il dit à Olaf SKAKTAVL.

Ah ! Voici que madame Inger ordonne de servir. À table nous parlerons plus à notre aise de nos affaires.

olaf skaktavl

Bien, comme vous voudrez.

nils lykke
(A voix basse).

Temps gagné, victoire gagnée.

(Avec grande amabilité à madame INGER).

Et en attendant nous pourrions savoir quelle part madame Inger Gyldenlöve compte prendre à nos projets.

madame inger

Moi ! mais aucune.

nils lykke et olaf skaktavl

Aucune ?

madame inger

Comment pouvez-vous vous étonner, nobles seigneurs, que je n’aime pas un jeu où l’on risque tant, alors qu’aucun de mes alliés n’a confiance en moi.

nils lykke

Ce reproche ne me touche pas. J’ai une confiance aveugle en vous, soyez en sûre.

olaf skaktavl

Qui aurait confiance en vous si ce n’étaient vos concitoyens,

madame inger

En vérité vos affirmations me réjouissent.

(Elle s’approche d’une armoire vers le fond de la scène et remplit de vin deux coupes).
nils lykke

Diable ! est-ce qu’elle aurait éventé le piège !

madame inger
(En donnant une coupe à chacun d’eux).

Et puisqu’il en est ainsi, je vous offre la bienvenue à Ostraat. Buvez, nobles chevaliers, videz jusqu’au fond cette coupe.

Elle les regarde, l’un après l’autre, lorsqu’ils ont vidé leurs verres elle dit sérieusement).

Maintenant sachez-le : une coupe contenait la bienvenue pour mon allié, l’autre la mort pour mon ennemi.

nils lykke
(Jetant la Coupe).

Ah ! je suis empoisonné !

olaf skaktavl
(En même temps saisissant son épée).

Mort et enfer, vous m’avez tué !

madame inger
(Riant à Olaf SKAKTAVL en montrant Nils LYKKE).

Voilà la confiance des Danois en Inger Gyldenlove.

(A Nils LYKKE en montrant Olaf SKAKTAVL).

Et voici maintenant la foi de mes concitoyens en mon patriotisme.

(S’adressant à tous les deux).

Et moi je devrai me livrer à vous ? doucement mes nobles seigneurs, doucement ! la Dame d’Ostraat n’a pas encore perdu le sens commun.




Scène VII

LES MÊMES, ELINE
eline gyldenlove

Quel est ce bruit ! Que se passe-t-il donc ?

(Entrant).
madame inger
(A Nils LYKKE).

Ma fille Eline.

nils lykke

Eline ! Je ne me l’étais pas imaginée ainsi.

(ELINE découvre Nils LYKKE et demeure surprise en le contemplant).
madame inger
(Touchant le bras d’ELINE).

Mon enfant, ce chevalier c’est…

eline
(Dit en continuant à regarder Nils LYKKE)

Inutile ! c’est Nils Lykke.

nils lykke
(A voix basse à Madame INGER).

Comment, elle me connaît ? Lucia aurait-elle… ? saurait-elle ?

madame inger

Non, elle ne sait rien.

eline

J’en suis sûre.

(A elle-même).

Nils Lykke devait-être ainsi.

nils lykke
(En s’approchant).

Eh bien ! Mademoiselle, vous avez deviné, et puisque je vous suis connu et que je suis l’hôte de votre mère, vous ne refuserez pas de m’accorder les fleurs qui ornent votre corsage ; elles sont si fraîches et si parfumées qu’elles me rappelleront votre image.

eline
(Fière, mais continuant à le fixer).

Pardonnez-moi, chevalier, les fleurs qui sont sur mon sein ne sont pas pour vous.

nils lykke
(Détachant des fleurs qu’il porte lui-même).

Alors, vous ne me refuserez pas d’accepter celles-ci. Une noble dame me les a apportées comme je prenais congé d’elle ce matin à Trondhjem. — C’est un hommage, acceptez-les, car si je devais vous offrir un présent digne de votre fière beauté ce ne pourrait être qu’une couronne princière.

eline
(Qui saisit vivement les fleurs).

Serait-ce même la couronne de Danemark, je la briserais de mes mains et en jeterais les morceaux à vos pieds.

(Elle jette les fleurs aux pieds de Nils LYKKE et rentre dans la salle des chevaliers).
olaf skaktavl
(Murmurant).

Courageuse, brave, comme le fut Inger Ottisdatter devant le cercueil de Kirsit Alfson !

madame inger
(A voix basse après avoir simultanément regardé ELINE et Nils LYKKE).

On pourra apprivoiser le loup si l’on sait forger la chaîne.

nils lykke
(Relève les fleurs et regarde enthousiasmé du côté d’ELINE).

Sang de Dieu ! comme elle est fière et belle.


Rideau.




ACTE III




La salle des chevaliers à Ostraat ; au fond une haute fenêtre ogivale ; à gauche et plus en avant, une petite fenêtre ; des deux côtés plusieurs portes. Le plafond est fait de grosses poutres qui, ainsi que les murailles, sont couvertes d’armes. Sur les murs, des tableaux de saints, des portraits de chevaliers et de dames. Sous le plafond, une grande lampe allumée, à plusieurs becs.
En avant, sur la scène, une sorte de trône ancien et sculpté.
Au milieu de la salle, une table dressée avec les restes du souper.


Scène I

Eline GILDENLOVE, pensive, entre lentement du côté gauche. L’expression de sa figure témoigne quelle revit la scène récente avec Nils LYKKE, finalement elle refait le même geste de jeter ses fleurs à ses pieds, puis elle dit à voix basse :
ELINE
(Seule).
eline

…Ensuite il ramassa les morceaux brisés de sa couronne royale de Danemark…, non, les débris des fleurs et : Sang de Dieu ! comme elle est fière et belle !… eût-il murmuré ces paroles dans l’endroit le plus caché d’Ostraat, je les aurais entendues quand-même.

Comme je le hais, comme je l’ai toujours haï, ce Nils Lykke. Aucun homme n’est comme lui, dit-on. Il joue avec les femmes puis les écrase sous ses pieds, et c’est à lui que ma mère songea me donner. Comme je le hais.

On le dit autrement fait que les autres hommes, cela n’est pas vrai, il n’y a rien de singulier en lui, beaucoup sont comme lui. Quand Bjorn me contait les légendes, tous les princes charmants ressemblaient à Nils Lykke. Quand seule ici, je restais dans cette salle à rêver ; quand, dans ma pensée, passaient et repassaient les chevaliers d’autrefois, tous ressemblaient à Nils Lykke.

Comme c’est étrange et bon en même temps de haïr. Jamais, avant ce soir, je n’ai su combien douce était la haine ; non, pour mille ans de vie, je ne donnerais l’instant que j’ai vécu depuis que je l’ai vu…

Sang de Dieu ! comme elle…




Scène II

ELINE et Nils LYKKE
(ELINE monte lentement vers le fond de la scène, ouvre la fenêtre et regarde dehors. Nils LYKKE entre par la première porte du côté droit).
nils lykke
(Parlant à lui-même).

Dormez bien à Ostraat, seigneur chevalier, me disait Madame Inger en me quittant.

Dormez ! facile à dire ; mais… là, dehors, le ciel et la mer en fureur ; là-dessous, dans le tombeau, la jeune fille, puis entre mes mains, la destinée des deux pays et, enfin, sur mon cœur ces fleurs fanées, qu’une femme à rejetées dédaigneusement. En vérité, je crains que le sommeil ne vienne tard.

(Il découvre ELINE qui quitte sa fenêtre pour se diriger vers la porte du côté gauche).

La voilà ! son œil fier semble songeur. Ah ! si j’osais.

(A haute voix).

Mademoiselle Eline.

eline
(S’arrêtant au près de la porte).

Que me voulez-vous ? pourquoi me suivez-vous ?

nils lykke

Vous vous trompez. Je ne me permettrais pas, c’est moi qui suis obsédé.

eline

Vous ?

nils lykke

Oui, par toutes sortes de pensées ; c’est pourquoi le sommeil me fuit autant que vous me fuyez.

eline

Approchez-vous donc de la fenêtre, vous y trouverez de la distraction : une mer en fureur.

nils lykke

La colère !

(En souriant).

Je pourrais aussi la trouver chez vous.

eline

Chez moi ?

nils lykke

Notre première rencontre me l’a bien fait voir.

eline

C’est une plainte ?

nils lykke

Non ; mais je serais cependant heureux de vous voir, pour moi, des sentiments moins hostiles.

eline
(Fièrement).

Et croyez-vous parvenir à me les inspirer ?

nils lykke

J’en ai la certitude car je vous apporte une bonne nouvelle.

eline

Laquelle ?

nils lykke

Celle de mon départ.

eline
(S’approchant de Lykke d’un pas).

Votre départ ! vous quittez donc Ostraat ?

nils lykke

Cette nuit même.

eline
(En proie à des sentiments contradictoires, dit enfin froidement :)

Alors Seigneur, recevez mes adieux.

(Elle salue et veut sortir).
nils lykke

Eline Gyldenlöve, je n’ai aucun droit à vous retenir, mais ce serait peu généreux à vous de refuser de m’entendre.

eline

Je vous écoute, Chevalier.

nils lykke

Je sais que vous me haïssez.

eline

Je constate que vous avez le don de l’observation.

nils lykke

Mais je sais aussi que j’ai mérité votre haine.

Peu convenables, blessants mêmes furent les mots dont je me suis servi pour parler de vous dans une lettre à Madame Inger.

eline

Possible, mais je ne les ai pas lus.

nils lykke

Vous n’ignorez au moins pas le sens de ma lettre à votre mère ; je sais qu’elle vous en a donné connaissance. Du moins vous aura-t-elle dit combien j’estimerais heureux l’homme qui… enfin, vous savez l’espoir que j’avais nourri…

eline

Seigneur Chevalier, si c’est de ce dessein que vous voulez m’entretenir…

nils lykke

Je voulais en parler dans l’unique but d’excuser ma conduite, je vous le jure. Si ma réputation — ce que malheureusement j’ai lieu de croire — est parvenue ici avant moi-même, vous me connaissez assez pour ne pas vous étonner de ma hardiesse.

J’ai rencontré bien des femmes, Eline Gyldenlöve ! Je n’en ai jamais trouvé d’inflexibles ; avec une telle expérience, on devient facilement audacieux, on va droit au but, sans se servir de détours…

eline

C’est possible ! il faudrait encore savoir ce qu’étaient ces femmes. Vous vous trompez du reste en croyant que c’est votre lettre à ma mère qui vous a valu ma haine ; j’avais d’autres et plus anciennes raisons.

nils lykke
(Inquiet).

De plus anciennes raisons ? Qu’entendez-vous par là ?

eline

Comme vous le supposez, votre réputation est parvenue avant vous, non seulement à Ostraat, mais dans tout le pays.

Si on prononce le nom de Nils Lykke, c’est toujours accompagné de celui d’une femme qu’il a séduite puis abandonnée.

Quelques-uns prononcent votre nom avec indignation, d’autres avec moquerie pour ces faibles créatures que vous avez trompées ; mais à travers l’indignation, à travers le rire et la moquerie rayonne plus fort la chanson qu’on a faite sur vous, et cette chanson est irritante comme le chant de victoire d’un ennemi.

C’est tout cela qui a fait naître ma haine. Toujours vous étiez dans mes pensées et j’ai ardemment souhaité de me trouver un jour en face de vous pour vous apprendre qu’il y avait des femmes sur lesquelles l’effet de vos paroles séductrices était vain.

nils lykke

Vous me jugez injustement, si vous me jugez d’après ma réputation.

Il est possible qu’il y ait du vrai dans tout ce que vous avez entendu dire : mais la cause première vous l’ignorez.

À 17 ans, j’ai commencé à vivre joyeusement, 15 ans se sont écoulés depuis. Des femmes faciles m’ont offert ce que je désirais, même avant que j’eusse le temps d’en formuler la prière et ce que je leur offrais, ces femmes l’acceptèrent toujours.

Vous êtes la première femme qui, avec mépris, ait rejeté mon hommage. Ne croyez pas que je m’en plaigne ; au contraire, je vous en estime davantage, je vous respecte comme jamais je n’ai respecté une femme ; mais ce dont je me plains, ce qui me fait atrocement souffrir, c’est que le destin ne vous ait pas mise en ma présence plus tôt.

Eline Gyldenlöve ! Votre mère me l’a dit : pendant qu’au loin le monde resplendit de luxe, vous vous promenez solitairement ici, à Ostraat, dans les rêves et la poésie. Voilà pourquoi, vous me comprendrez ; sachez donc que jadis, moi aussi, j’ai vécu une existence semblable à la vôtre. Je m’imaginais, quand j’entrerais dans la vie, dans le grand monde, que je rencontrerais une femme superbe et fière, femme qui m’indiquerait un grand et noble but.

Je me suis trompé, Eline Gyldenlöve !

Les femmes venaient à ma rencontre, mais aucune ne fut celle-là ! Avant même d’être homme, j’avais appris à lies mépriser toutes. Est-ce ma faute ? Pourquoi les autres n’étaient-elles pas comme vous.

Je sais que le sort de votre pays vous tourmente cruellement, vous savez aussi ma responsabilité dans ce malheur.

On dit que je suis trompeur comme l’écume de la vague. Peut-être, mais s’il en est ainsi, c’est aux femmes que je le dois.

Si, plus tôt, j’avais trouvé ce que je cherchais et si j’avais trouvé une femme fière, noble, hautaine comme vous l’êtes ; certes, ma vie aurait été toute autre. Peut-être me serais-je trouvé à côté de vous pour défendre les opprimés de La Norwège, car j’ai la certitude que rien au monde n’est plus puissant qu’une femme quand sa main sait montrer à un homme la route que Dieu a marquée.

eline
(Moitié parlant à elle-même).

Serait-ce vrai ?

Non, non ! Le mensonge est dans son regard, la trahison sur ses lèvres.

Et cependant aucune musique n’est douce comme sa parole.

nils lykke
(Plus près d’elle, à voix plus basse et plus émue).

Combien souvent n’êtes-vous pas demeurée solitaire ici à Ostraat avec vos pensées. Vous vous sentiez la poitrine serrée, ce plafond et ces murs étouffaient votre âme, et votre pensée s’envolait loin, bien loin d’ici, vous-même eussiez désiré partir avec elle, là-bas, sans savoir où. Combien de fois ne vous êtes-vous pas promenée solitaire, au bord du fiord ! un vaisseau richement décoré, portant à son bord de nobles chevaliers et de belles dames qui chantaient, passait au large, loin, loin… un vague écho de la grande vie venait mourir près de vous et, alors, dans votre cœur naissait un indomptable besoin de savoir ce qui se passait de l’autre côté de la mer ; mais vous ne compreniez pas ce qui vous manquait.

Vous avez cru que c’était le malheureux sort de votre patrie qui vous agitait, vous vous êtes trompée : une vierge de votre âge a d’autres tourments que ceux-là !

Eline Gyldenlöve ! n’avez-vous jamais cru à des forces secrètes, à une grande et énigmatique attraction qui tend à unir le destin de deux êtres ? et quand vous songiez aux fêtes joyeuses, n’avez-vous, alors, jamais rêvé d’un chevalier qui, au milieu des bruits de la fête, s’avançait vers vous le sourire aux lèvres et le chagrin dans le cœur. Oh ! un chevalier qui, jadis, aurait nourri les mêmes rêves que vous, qui aurait désiré une femme noble et fière et la qui cherchait vainement parmi les femmes qui l’entouraient ?

eline

Qui êtes-vous donc, vous qui avez le pouvoir de donner des paroles à mes pensées les plus secrètes ? comment pourriez-vous donc m’expliquer ce que j’ai caché au plus profond de mon cœur, sans me l’avouer à moi-même ?

Comment savez-vous ?

nils lykke

Ce que je viens de vous dire, je l’ai lu dans vos yeux.

eline

Jamais aucun homme ne m’a parlé ainsi, je vous ai compris à peine, et cependant… tout, tout me semble changé depuis…

(Parlant à elle-même).

Maintenant je sais pourquoi on a dit que Nils Lykke est différent des autres hommes.

nils lykke

Il existe une chose au monde qui peut troubler la raison quand bien on y songe, c’est l’idée, la pensée de ce qui aurait pu être, si le hasard ou les circonstances en avaient disposé autrement. Si je vous avais rencontrée sur ma route, pendant que l’arbre de ma vie… était encore vert et fort, peut-être, en ce moment-même, seriez-vous à moi… mais, pardonnez-moi, cet instant d’entretien m’a presque fait oublier notre position réciproque ; à vrai dire, il m’a semblé qu’avec vous je pouvais parler librement, sans flatterie, et sans faux-fuyants.

eline

Vous le pouvez !

nils lykke

Eh bien ! peut-être ma sincérité nous a-t-elle déjà à moitié réconciliés. Oui ! j’ai un espoir encore plus hardi. Peut-être viendra-t-il un temps où vous vous souviendrez du Chevalier étranger, sans haine et sans amertume.

Bien, bien, — ne vous méprenez pas sur mes paroles, je ne veux pas dire que cela arrivera immédiatement, dès à présent… mais plus tard.

Et pour vous rendre cela moins difficile… et puisque, déjà, j’ai commencé à vous parler en toute sincérité, laissez-moi alors vous dire…

eline

Monsieur le Chevalier !

nils lykke
(En souriant).

Ah ! je sens que ma lettre vous effraye encore, rassurez-vous, je donnerais ma fortune pour ne pas l’avoir écrite, car, je le déclare sincèrement, sachant que cela ne vous causera aucune peine : — Je ne vous aime pas, je ne vous aimerai jamais.

Donc, soyez parfaitement tranquille, jamais je ne tenterai… Mais qu’avez-vous donc ?

eline

Moi ? rien… rien ! un mot seulement : Pourquoi portez-vous encore ces fleurs ? Qu’en voulez-vous faire ?

nils lykke

Ces fleurs ? n’est-ce pas le gant, la provocation, qu’au nom du sexe féminin tout entier vous avez jeté au méchant Nils Lykke ?

Pourquoi ne pas relever ce gant ?

Ce que je compte en faire ?

(A voix basse :)

Quand de nouveau je me trouverai avec les belles dames en Danemarck, quand la harpe aura fini ses chants et que le silence régnera dans la salle des fêtes…

Je sortirai ces fleurs et je raconterai la légende d’une jeune femme qui demeure seule dans un sombre hall, loin, loin dans la Norwège…

(S’interrompant et saluant ELINE profondément).

Mais je crains de retenir trop longtemps la noble fille de la maîtresse de céans.

Nous ne nous verrons plus ; car, avant l’aube, je serai parti ; j’ai donc l’honneur de vous offrir mes adieux.

eline

Je vous offre aussi les miens, seigneur chevalier.

(Courte pause).
nils lykke

Vous voici de nouveau pensive, Eline Gyldenlöve !

Est-ce encore le sort de votre Patrie qui vous émeut ?

eline
(Faisant un léger signe et regardant distraitement devant elle).

Ma Patrie ? non, je ne pense pas à elle.

nils lykke

Alors c’est le temps présent avec ses tristesses ?

eline

Je n’y songe plus… ne disiez-vous pas que vous alliez en Danemark ?

nils lykke

Oui ! Je retourne en Danemark ?

eline

De cette salle, puis-je voir de quel côte est le Danemark ?

nils lykke
(Montrant la fenêtre côté gauche).

Oui, de cette fenêtre, là-bas, vers le Sud, c’est là qu’est le Danemark !

eline

C’est loin…, plus de cent lieues ?

nils lykke

Beaucoup plus, la mer vous sépare du Danemarck !

eline
(A elle-même)

La mer ? la pensée a les ailes du goéland, rien ne saurait l’arrêter.

(Elle sort du côté gauche).
nils lykke
(Regarde un moment du côté où ELINE est sortie, puis dit :)

Si j’avais deux jours à lui consacrer, ou un seulement, elle serait à moi aussi bien que les autres. Du reste elle n’est pas ordinaire cette jeune femme, elle est fière.

Me déciderai-je vraiment à… non ! plutôt l’humilier.

(Se promenant dans la salle),

Vraiment, on dirait qu’on a mis mon sang en feu ?

Est-ce donc possible encore aujourd’hui. Diable ! il me faut sortir du labyrinthe où je me suis égaré.

(Il prend place sur un siège côté droit).

Comment expliquer cela ! Olaf Skakatvl et Inger ne semblent pas se préoccuper de la méfiance qu’ils vont inspirer à leurs compatriotes quand ceux-ci découvriront que je fais partie du complot… Ou bien madame Inger aurait-elle eu vent de mes projets, aurait-elle compris que toutes mes promesses n’avaient d’autre but que de faire sortir Nils Sture de son trou ?

(Il se lève en sursaut).

Damnation ! m’aurait on trompé ?

Il est probable que Nils Sture n’est pas du tout à Ostraat ; peut-être les bruits de sa fuite ne sont qu’une ruse de guerre ? Peut-être, en ce moment même, demeure-t-il parfaitement chez ses amis en Suède, tandis que moi…

(Il se promène nerveusement sar la scène).

C’était vraiment imprudent à moi de me montrer aussi sûr de réussir. Maintenant, si je ne réussissais pas, si Madame Inger découvrait mes projets et les divulguait, comme on se rirait de moi ici et en Danemark.

Vouloir prendre Madame Inger au piège et faire avancer sa cause et la rendre plus populaire encore. Ah ! vraiment, je serais tenté de me vendre au diable, s’il voulait me donner le comte Sture !




Scène III

LES MÊMES, Nils STENSSON
(La fenêtre du fond s’ouvre bruyamment et Nils STENSSON se montre dehors).
nils lykke
(Saisissant son épée).

Que se passe-t-il ?

nils stensson
(En sautant dans la salle).

Enfin ! enfin ! me voici !

nils lykke
(A voix basse).

Que veux dire ceci ?

nils stensson

Je vous souhaite la paix de Dieu, mon Seigneur.

nils lykke

Merci, Seigneur.

Mais c’est une singulière façon d’entrer au château, celle que vous avez choisie là.

nils stensson

Que diable pouvais-je faire ? La porte était fermée.

Il faut que les gens dorment ici comme l’ours à Noël.

nils lykke

Dieu merci ! vous savez qu’une bonne conscience est le meilleur oreiller.

nils stensson

Il faut qu’il en soit ainsi ; car, malgré le bruit infernal que j’ai fait…

nils lykke

On ne vous a pas ouvert ?

nils stensson

Non. Je me suis dit : puisqu’il faut que tu entres à Ostraat à travers le feu ou l’eau, mieux vaut encore y entrer par la fenêtre.

nils lykke
(A voix basse).

Tiens, si c’était lui !

(S’approchant de Nils STENSSON de quelques pas).

Ainsi c’était de grande importance pour vous d’arriver à Ostraat ce soir.

nils stensson

Je vous crois ! Mais certainement ! Je vous dirai que je ne fais pas volontiers attendre.

nils lykke

Ah ! ainsi Madame Inger Gyldenlöve vous attend ?

nils stensson

Madame Inger Gyldenlöve ? Ah ! cela je ne pourrais vraiment pas vous le dire.

(Avec un sourire fin}.

Mais, peut-être est-il ici une autre personne…

nils lykke
(Souriant à son tour).

Ah ! oui, peut-être une autre personne…

nils stensson

Dites-moi, appartenez-vous à la maison ?

nils lykke

Moi ? oui, si vous voulez, car je suis pour ce soir l’hôte de Madame Inger

nils stensson

Ah ! Je crois que cette nuit est la troisième après celle de la Saint-Martin.

nils lykke

La troisième nuit après… oui, vous avez raison !

Vous désirez, peut-être, voir immédiatement la maîtresse de la maison ? Si je ne me trompe elle n’est pas encore couchée ; mais, en attendant, asseyez-vous et reposez-vous quelque peu, mon jeune Seigneur. Il reste encore du vin, vous trouverez aussi de quoi manger. Servez-vous, vous devez avoir besoin de reprendre des forces.

nils stensson

En effet, cher Seigneur, cela ne me ferait pas de mal.

(il se met à table, mange et boit pendant les répliques).

Du rôti, des gâteaux ! mais vous vivez comme des princes !

Quand, comme moi, on a couché à la belle étoile, mangé du pain, bu de l’eau pendant quatre, cinq jours…

nils lykke
(Le contemple en souriant).

Oui, cela doit être dur pour quelqu’un qui, d’habitude, est à la meilleure place dans une salle comtale.

nils stensson

Une salle comtale ?

nils lykke

Bien sûr, ne vous reposez-vous pas à Ostraat tant que bon vous semble ?

nils stensson
(Content).

Ah ! Je puis vraiment faire cela. Il ne me faut donc pas repartir de suite ?

nils lykke

Je n’en sais rien, vous devez être mieux renseigné que moi.

nils stensson
(A voix basse).

Diable !

(Il se place commodément sur la chaise).

Voyez-vous, cela n’est pas encore tout à fait décidé ; quant à moi j’aimerais mieux passer quelque temps ici, mais…

nils lykke

…Mais vous n’êtes pas complètement maître de vos actions, il y a les… les affaires…

nils stensson

Oui, voilà précisément la difficulté. Si cela dépendait de moi, je me reposerais au moins tout l’hiver ici à Ostraat ; la plus longue partie de ma vie, je l’ai passée au camp et dois…

(Il s’interrompt brusquement et boit).

À votre bonne santé, Seigneur !

nils lykke

Au camp ? Hum ?

nils stensson

Non, ce n’est pas précisément cela que j’ai voulu dire !

Depuis longtemps je désirais voir madame Inger Gyldenlöve dont on dit tant de bien. Cela doit être une femme étonnante, n’est-il pas vrai ? La seule chose que je n’aime pas en elle, c’est qu’elle hésite et recule tant pour livrer bataille.

nils lykke

Bataille ?

nils stensson

Vous m’entendez bien. Je veux dire par là qu’elle se refuse de nous aider à faire chasser les châtelains étrangers du pays.

nils lykke

Vous avez parfaitement raison ; mais à vous maintenant d’agir ; après, cela ira tout seul.

nils stensson

Moi ? J’ai de la bonne volonté, mais cela est bien peu de chose, hélas !

nils lykke

Je m’étonne alors que vous veniez à Ostraat, si vous avez si peu d’espoir.

nils stensson

Qu’entendez-vous par là ? Connaissez-vous Madame Inger ?

nils lykke

Certainement, puisque je suis son hôte.

nils stensson

Cela n’est pas une raison, moi aussi, je suis son hôte, et jamais je n’ai vu son ombre.

nils lykke

Mais vous savez…

nils stensson

…Oui, ce que tout le monde raconte. Naturellement ! puis, bien souvent, Peder Kanzler m’a raconté.

(Il s’interrompt subitement et mange hâtivement).
nils lykke

Vous voulez dire ?

nils stensson
(En mangeant).

Moi, oh ! rien.

(Nils LYKKE rit).
nils stensson

Pourquoi riez-vous Seigneur ?

(En buvant).

C’est un vin délicieux que vous avez là.

nils lykke
(En s’approchant familièrement de lui).

Dites-moi ! le moment ne serait-il pas venu de jeter le masque.

nils stensson
(En souriant).

Le masque ? Comme bon vous semblera.

nils lykke

Laissons tout déguisement : vous êtes reconnu, comte Sture ?

nils stensson
(En riant).

Comte Sture ! Vous aussi me prenez pour le comte Sture ?

(Il se lève de table).

Vous vous trompez, Seigneur ; je ne suis point le comte Sture.

nils lykke

Non ? mais qui êtes-vous donc, alors ?

nils stensson

Mon nom est Nils Stensson.

nils lykke
(Le regarde en souriant).

Hum ! Nils Stensson ? Mais vous n’êtes pas Nils le fils de Sten Sture ? On l’aurait cru d’après le nom.

nils stensson

C’est vrai, Dieu seul sait quel droit j’ai a porter ce nom.

Je n’ai jamais connu mon père. Ma mère était une pauvre paysanne qui a été volée et tuée pendant la guerre. Peder Kanzler se trouvait là, il s’occupait de moi et m’apprenait les armes.

Comme vous le savez, depuis nombre d’années, il a été poursuivi par le roi Gustave, et moi je l’ai fidèlement accompagné partout.

nils lykke

À ce qu’il paraît, Peder Kanzler vous a appris autre chose que les armes. Soit ! Vous n’êtes pas Nils Sture ; mais vous venez quand même de Suède. Peder Kanzler vous a envoyé ici pour trouver un étranger qui…

nils stensson
(D’un rire rusé).

Qui déjà est trouvé.

nils lykke
(Un peu hésitant).

Et que vous ne connaissez pas.

nils stensson

Aussi peu que vous me connaissez moi-même ; car, je vous le jure par Dieu le Père : Je ne suis pas le comte Sture.

nils lykke

En vérité, Seigneur ?

nils stensson

Aussi vrai que je vis. Pourquoi le nierais-je si vraiment j’étais le comte Sture ?

nils lykke

Mais où donc est-il le comte Sture ?

nils stensson
(A voix basse).

C’est là le secret.

nils lykke
(A voix basse).

Qui vous est connu n’est-ce pas ?

nils stensson
(Faisant oui de la tête).

Et que j’ai à vous dire.

nils lykke

À moi ? bien, où est-il le comte ?

nils stensson
(Montrant le plafond).
nils lykke

Comment, là haut ? Madame Inger le tient caché dans le grenier ?

nils stensson

Non, non, vous ne me comprenez pas.

(Il regarde avec prudence autour de lui)

Nils Sture est au ciel.

nils lykke

Mort ! où donc ?

nils stensson

Au château de sa mère — il y a trois semaines.

nils lykke

Ah ! Vous voulez me tromper ! Il y a cinq ou six jours il a traversé la frontière et il est entré en Norwège.

nils stensson

C’était moi !

nils lykke

Mais, peu de temps avant, le Comte s’est montré dans les Dalarne ; le peuple, déjà mécontent, s’est ouvertement mis en révolte, il a voulu le choisir comme Roi.

nils stensson

Ah ! ah ! ah ! mais c’était toujours moi !

nils lykke

Vous ?

nils stensson

Sachez comment cela s’est passé : Un jour, Peder Kanzler me fait venir et me laisse entendre que de grands événements se préparent, il m’ordonne de me rendre en Norwège, à Ostraat, où, à une heure fixée…

nils lykke
(Fait un mouvement de tête).

La troisième nuit après celle de la Saint Martin.

nils stensson

Je me rencontrerai avec un étranger.

nils lykke

Juste, et cet étranger c’est moi !

nils stensson

De lui j’apprendrai ce que j’ai à faire ; ensuite je dirai à cet étranger que le comte Sture est mort soudainement, mais que sa mort est ignorée de tous, sauf de sa mère la comtesse, de Peder Kanzler, ainsi que de quelques anciens serviteurs des Sture.

nils lykke

Je comprends. Le comte était le chef des paysans. Si les paysans venaient à apprendre sa mort ils se sépareraient et la révolte n’aboutirait pas.

nils stensson

Peut-être, je ne suis pas au courant de tout cela.

nils lykke

Mais comment avez-vous eu l’idée de vous donner pour le Comte Sture ?

nils stensson

Comment ? le sais-je ! j’ai fait tant de folies dans ma vie ; du reste, l’idée n’était pas mienne, car, partout où je me présentais dans les Dalarne, le peuple s’assemblait et me saluait comme le Comte Sture ; inutiles toutes mes protestations, tous disaient que le comte avait habité là deux ans et les petits enfants même, le reconnaissaient en moi. Alors, me suis-je dit : tu ne seras comte qu’une fois dans ton existence, essaye de voir quel effet cela produit.

nils lykke

Bien, et qu’avez-vous fait ensuite ?

nils stensson

Moi, j’ai mangé, j’ai bu, et j’ai bien vécu.

Dommage seulement qu’il fallut si vite repartir ; mais, passé la frontière je leur ai promis de bientôt revenir avec trois à quatre mille hommes… on verrait alors !

nils lykke

Vous n’avez pas pensé avoir agi avec imprudence ?

nils stensson

Oui, plus tard ; mais trop tard.

nils lykke

Cela me fait peine pour vous, mon jeune ami, bientôt vous sentirez les suites de votre folie. Je puis vous annoncer que vous êtes poursuivi : un certain nombre de cavaliers Suédois sont à vos trousses.

nils stensson

Ah ! ah ! ah ! c’est drôle, et quand ils arriveront, s’imaginant avoir mis la main sur le Comte Sture, ah ! ah ! ah !

nils lykke
(Sérieux).

Vos jours sont comptés.

nils stensson

Mes jours ? mais vous savez bien que je ne suis pas le comte Sture.

nils lykke

Vous avez appelé le peuple aux armes, vous avez semé la révolte et vous avez troublé la paix du pays.

nils stensson

Pour rire !

nils lykke

Le Roi Gustave verra la chose moins gaîment !

nils stensson

Vous avez peut-être raison.

Comment ai-je pu être si fou.

Enfin, nous en sortirons, vous m’aiderez n’est-ce pas ?

Et puis les cavaliers sont probablement encore loin.

nils lykke

Qu’avez-vous encore à me dire ?

nils stensson

Moi ? rien, quand je vous aurai donné le paquet…

nils lykke
(Avec imprudence)

Le paquet ?

nils stensson

Certes, mais vous devez savoir…

nils lykke

Ah ! oui, les papiers de Peder Kanzler.

nils stensson
(Il sort un paquet de sous ses vêtements et le donne à Nils LYKKE).

Les voilà.

nils lykke
(A voix basse).

Lettres pour le seigneur Olaf Skaktavl.

(S’adressant à Nils STENSSON)

Le paquet est ouvert, je vois que vous en connaisssez le contenu ?

nils stensson

Non, seigneur, je ne sais pas lire l’écriture.

nils lykke

Ah ! je comprends, vous vous êtes plutôt occupé des armes.

(Il prend place à la table, côte droit, et parcourt les papiers).

Ah ! plus de renseignements qu’il n’en faut pour apprendre ce qui se prépare. Cette petite lettre, avec le cordon de soie (examinant l’adresse), aussi pour M. Olaf Skaktavl.

(Il ouvre la lettre et la parcourt hâtivement).

De la part de Peder Kanzler, je le pensais.

(Lisant à voix basse.)

« Je suis bien en peine car… » oui. c’est bien cela.

« Le jeune comte Sture vient de mourir au moment où doit commencer la révolte…, mais tout peut s’arranger encore… » Quoi donc ? (étonné, il continue la lecture). « Il faut que vous l’appreniez, M. Olaf Skaktavl, le jeune homme qui vous portera cette lettre, est un fils de… » Par le Christ ! c’est écrit !

(Il regarde Nils STENSSON).

Il serait le fils de… Ah ! si c’était vrai !

(Continuant la lecture).

« Je l’ai nourri, depuis l’âge d’un an. Jusqu’à ce jour, je me suis toujours refusé à le rendre, croyant avoir en lui un otage qui nous assurerait de la fidélité d’Inger envers nous et nos amis. Jusqu’à présent, il nous a peu servi. Vous vous étonnerez peut-être que je ne vous aie pas donné cette nouvelle, dernièrement, quand vous étiez chez moi ; j’avoue franchement que je craignais que vous n’eussiez le même dessein que moi sur ce jeune homme.

« Maintenant au contraire, que vous êtes chez Madame Inger, et que, probablement, vous avez eu l’occasion de voir combien peu disposée elle est à s’occuper de nos affaires, vous jugerez avec moi qu’il est prudent de lui rendre au plus vite ce qui est à elle. Peut-être, alors, la joie, la sécurité et la reconnaissance… enfin, ceci est notre dernier espoir. »

(Il demeure un instant sous le coup violent de la surprise puis il se dit :)

Ah ! quelle lettre ! cela vaut de l’or.

nils stensson

Je vois que je vous ai apporté des nouvelles intéressantes, importantes, oui, oui, on dit que Peder Kanzler s’occupe !

nils lykke
(A lui-même).

Qu’en faire ? mille moyens se présentent devant moi, si je… non, c’est trop risquer ; mais, si au contraire, risquons-le.

(Il déchire la lettre en deux morceaux et les cache sous son vêtement ; les autres papiers il les met dans un paquet qu’il enfonce dans sa ceinture. Puis il se lève et dit ) :

Un mot mon jeune ami !

nils stensson
(S’approchant).

Il paraît que le jeu s’annonce bien.

nils lykke

Je vous crois, vous venez de me donner uniquement des atouts… des dames et des valets.

nils stensson

Mais moi qui vous ai apporté toutes ces bonnes nouvelles ?

nils lykke

Vous, certainement, vous faites partie du jeu : roi et atout à la fois.

nils stensson

Moi ? Ah ! je vous comprends. Vous songez à ma position élevée.

nils lykke

Position élevée ?

nils stensson

Oui, dans le cas où les cavaliers du roi Gustave m’attraperaient, vous m’avez prédit…

(Il fait le geste d’un homme qu’on pend).
nils lykke

C’est vrai, mais n’ayez plus peur.

Il dépend de vous que vous portiez dans un mois, autour du cou, la corde de chanvre, ou la chaîne d’or.

nils stensson

La chaîne d(or ? cela dépend de moi ?

(Nils LYKKE fait le signe oui).
nils stensson

Je serai fou d’hésiter. Dites-moi seulement comment je dois agir.

nils lykke

Je vous le dirai ; mais, d’abord, vous jurerez solennellement qu’aucun être au monde n’apprendra ce que je vais vous dire.

nils stensson

Rien que cela ? mais je jurerai dix fois, si vous le voulez.

nils lykke

Soyons sérieux, mon ami, je ne plaisante pas.

nils stensson

Soit, je suis sérieux.

nils lykke

Dans les Dalarne vous vous donniez comme fils de comte ? N’en est-il pas ainsi.

nils stensson

Ah ? non, assez, puisque sincèrement je vous ai tout avoué.

nils lykke

Vous ne comprenez pas, ce que vous disiez alors était la vérité !

nils stensson

La vérité ! où voulez-vous en venir ? mais parlez-donc.

nils lykke

Jurez d’abord par ce que vous avez de plus sacré, de plus inviolable.

nils stensson

Oui, sur l’image de la Sainte-Vierge.

nils lykke

La Vierge Marie est devenue impuissante ces temps derniers.

Ne savez-vous pas ce que prétend le moine de Wittenberg.

nils stensson

Allons donc ! comment voulez-vous croire le moine de Wittenberg.

C’est un hérétique m’a dit Peder Kanzler.

nils lykke

Ne nous disputons pas, voici un véritable saint sur qui jurer.

(Il montre une image sur le mur).

Venez ici, jurez moi silence jusqu’à ce que je vous permette de parler ; silence aussi sur ce que vous désirez, et que la félicité du ciel vous soit accordée à vous et à celui dont voici l’image.

nils stensson
(En s’approchant de l’image).

Je le jure sur la sainte parole de Dieu…

(Il recule étonne).

Mais Dieu ! Seigneur.

nils lykke

Quoi donc ?

nils stensson

Cette image ! mais c’est moi-même !

nils lykke

C’est le vieux Sten Sture à l’époque de sa jeunesse.

nils stensson

Sten Sture !… la ressemblance… ? Et je disais vrai quand je me nommais fils de comte, n’est-ce pas ainsi que vous disiez ?

nils lykke

C’est vrai.

nils stensson

Ah ! j’y suis, j’y suis, j’y suis…

nils lykke

Vous êtes le fils de Sten Sture, seigneur.

nils stensson
(Sous le coup de la surprise)

Je suis le fils de Sten Sture ?

nils stensson

Et vous… comment êtes-vous mêlé à tout cela !

nils lykke

Comment je reçois les confidences de Peder Kanzler ? C’est ce qui vous étonne ?

nils stensson

En effet, il a toujours parlé de vous comme de notre pire ennemi.

nils lykke

Et c’est pour cela que vous vous méfiez ?

nils stensson

Non… Mais… Oh ! que le diable s’y retrouve !

nils lykke

Vous avez raison. Si vous voulez marcher d’après vos propres idées, la corde est aussi certaine pour vous que la chaîne d’or et le titre de comte si vous vous fiez à moi.

nils stensson

Je me fierai à vous aveuglément. Voici ma main, mon cher seigneur. Aidez-moi de vos conseils quand cela sera nécessaire ; mais quand il s’agira de se battre, je m’arrangerai moi-même.

nils lykke

Aussi votre mère appartenait à la noblesse. Peder Kanzler a menti quand il a prétendu que vous étiez fils d’une pauvre paysanne.

nils stensson

Etrange, étrange ! mais puis-je aussi croire ?

nils lykke

Tout ce que je vous dis, vous pouvez le croire. N’oubliez pas que ceci fera votre malheur, si vous oubliez le serment que vous m’avez fait, oui ! sur la paix de l’âme de votre père.

nils stensson

Oublier ? Soyez sûr que je n’oublierai pas ; mais vous, vous à qui j’ai donné ma parole…, dites-moi, qui êtes-vous ?

nils lykke

Mon nom est Nils Lykke.

nils stensson

Nils Lykke ! Vous, le conseiller d’Etat Danois ?

nils lykke

Lui-même.

C’est bien. Venez maintenant avec moi dans la chambre. Je vous expliquerai l’énigme et je vous donnerai la marche à suivre.

(Il sort à gauche).
nils stensson
(Il jette un coup d’œil à l’image de Sten STURE).

Moi, le fils de Sten Sture !

Quel rêve étrange !

(Il suit Nils LYKKE).


Rideau.




ACTE IV




La salle des chevaliers, même décor qu’à l’acte précédent.
La table portant le repas est enlevée.


BJORN, le domestique, portant un flambeau, précède Madame INGER et Olaf SKAKTAVL qui entrent sur la scène par la deuxième porte, côté gauche. Madame INGER tient quelques papiers à la main.




Scène I

Mme INGER, Olaf SKAKTAVL, BJORN
madame inger
(A BJORN).

Et tu es sûr que ma fille a eu un entretien particulier, ici même avec le chevalier ?

björn
(Plaçant le flambeau sur la table, côte gauche).

Absolument sûr. J’entrais dans la salle au moment même où Mademoiselle en sortait.

madame inger

N’était-elle pas surexcitée ?

björn

Son visage était pâle et son regard troublé. Je lui demandai si elle était souffrante, mais au lieu de me répondre, elle me dit : « Va trouver ma mère et dis-lui que le chevalier doit partir avant l’aube. Si elle a une lettre à lui remettre ou quelque message à lui confier, prie-là d’agir hâtivement, de façon à ne pas retarder son départ. » Puis elle ajouta quelques mots que je distinguai mal.

madame inger

Tu n’as rien entendu.

björn

Il me semble bien que Mademoiselle a murmuré : « Je crois même qu’il est déjà demeuré trop longtemps à Ostraat ».

madame inger

Ah ! Et le chevalier ? Où est-il ?

björn

En sa chambre, je pense, dans la tour.

madame inger

Bien ! La lettre que je dois remettre au chevalier est préparée.

Va le trouver et dis-lui que je l’attends ici.

(BJORN sort, côté droit).
olaf skaktavl

Hé ! hé ! Madame Inger, bien qu’en ces sortes de choses je sois aveugle comme une taupe, il me semble que…

madame inger

Quoi ?

olaf skaktavl

Que Nils Lykke aime votre fille.

madame inger

Alors vous n’êtes pas aveugle du tout, car je me trompe fort ou vous avez raison. N’avez-vous pas remarqué avec quel intérêt, il écoutait pendant le repas, les moindres détails que je donnais sur Eline ?

olaf skaktavl

Il en oubliait le boire et le manger.

madame inger

Et aussi nos desseins secrets.

olaf skaktavl

Et même l’essentiel ! les papiers de Peder Kanzler.

madame inger

De tous ces indices, que concluez-vous ?

olaf skaktavl

Je conclus que si vous connaissez Nils Lykke, et sa réputation de Don Juan, alors…

madame inger

Alors, il m’importerait de le savoir hors de portée ?

olaf skaktavl

Oui et au plus vite.

madame inger

Eh bien ! c’est tout le contraire, mon cher Olaf.

olaf skaktavl

Comment cela ?

madame inger

Parce que si Nils Lykke aime Eline, comme nous le croyons tous les deux, il faut à aucun prix qu’il ne quitte aussitôt Ostraat.

olaf skaktavl
(Avec un regard de reproche à Madame INGER).

Vous vous hasardez de nouveau dans une voie dangereuse ?

Quel est votre dessein maintenant ? Doit-il augmenter votre pouvoir et être nuisible à nous autres ?

madame inger

Comme votre aveuglement vous rend tous injustes pour moi !

Je devine votre pensée, vous vous imaginez que je veux prendre Nils Lykke pour gendre. Si tel était mon désir, pourquoi me serais-je refusée à participer à la campagne qui se prépare actuellement en Suède et que tous les Danois paraissent disposés à favoriser ?

olaf skaktavl

Si vous n’avez pas le désir de gagner Nils Lykke à vos intérêts, qu’attendez-vous donc de lui ?

madame inger

Je vais vous l’expliquer hâtivement.

Nils Lykke m’a écrit qu’il considérerait comme un grand bonheur de faire partie de ma famille. Je vous avouerai franchement que, pendant quelques instants, je pensai à accepter cette proposition d’union.

olaf skaktavl

Vous voyez bien ?

madame inger

Attacher Nils Lykke à ma famille serait un moyen assez sûr pour donner la paix à bon nombre de gens de ce pays.

olaf skaktavl

Le mariage de votre fille Merete avec Vincent Lunge aurait dû vous rappeler, il me semble, le peu d’efficacité de semblables moyens.

À peine ce seigneur eût-il posé le pied chez nous qu’il réclama des droits et des biens.

madame inger

Je sais cela, Olaf Skaktavl. — Mais j’ai tant de projets dans le cerveau… Je ne puis me confier entièrement, ni à vous ni à personne. Je ne sais pas moi-même, souvent, ce que je dois faire ; du reste, prendre un Danois comme gendre une seconde fois, c’est un moyen dont je n’userai que dans le cas le plus extrême et, Dieu soit loué, nous n’en sommes pas là.

olaf skaktavl

Alors je ne suis pas plus renseigné que tout à l’heure sur la cause qui vous fait vouloir retenir Nils Lykke à Ostraat.

madame inger
(A voix basse).

Parce que je le hais profondément.

Nils Lykke m’a outragée de la façon la plus sanglante.

Comment, je ne puis vous le dire. Mais jamais je ne retrouverai le repos qu’après m’être vengée de lui.

Comprenez-moi bien. Admettez que Nils Lykke soit amoureux de ma fille. C’est facile à admettre. Je fais tout pour le retenir afin qu’il connaisse mieux Eline qui est belle et intelligente.

Et si, éperdûment épris, il vient me demander la main de ma fille, je le chasse, alors, comme un chien.

Ah ! pouvoir le chasser avec mépris, avec raillerie et faire savoir à tout le pays que Nils Lykke a essayé vainement de s’allier à notre famille !

Je vous le jure, je donnerais dix ans de ma vie pour cela.

olaf skaktavl

La main sur la conscience. C’est vraiment là votre intention ?

madame inger

Oui. c’est mon seul dessein ; je vous le jure devant Dieu.

Croyez-moi, Olaf Skakiavl, je forme les vœux les plus sincères pour nos compatriotes ! Mais je m’appartiens si peu. J’ai certains secrets à dissimuler si je ne veux être mortellement atteinte. Ah ! si je n’avais rien à redouter pour ces choses mystérieuses, vous verriez si j’ai oublié mon serment solennellement fait sur le cercueil de Knut Assón.

olaf skaktavl
(Serrant la main à Madame INGER.)

Merci de vos paroles. Il me serait si douloureux… d’avoir à vous mal juger.

Mais dans vos projets sur le chevalier, il me semble que vous jouez un jeu dangereux. Si, par imprudence, votre fille… On prétend qu’aucune femme ne peut résister à ce démon ténébreux.

madame inger

Ma fille… Vous pensez que ? Non, soyez sans crainte. Je connais Eline. Toutes ces fameuses victoires de Nils Lykke qu’elle a entendu raconter n’ont fait qu’éveiller sa méfiance contre lui. Vous avez du reste vu de vos propres yeux.

olaf skaktavl

Sans doute. Mais il ne faut pas trop compter sur les femmes. Soyez prudente.

madame inger

Je le serai. Je les surveillerai de près. Mais, même s’il réussissait à lui plaire, je n’aurais qu’un mot à murmurer à l’oreille d’Eline pour qu’elle…

olaf skaktavl

Pour qu’elle…

madame inger

Pour quelle le haïsse comme un envoyé du démon lui-même. Silence.

Olaf. Le voici qui vient, soyons calmes.




Scène II

LES MÊMES, Nils LYKKE
Nils LYKKE entre par la première porte du côté droit, il s’avance poliment vers Madame INGER.
nils lykke

Noble dame, vous avez daigné me faire appeler.

madame inger

Ma fille m’a fait savoir que vous comptez nous quitter dès cette nuit.

nils lykke

Malheureusement, puisque ma mission à Ostraat est terminée.

olaf skaktavl

Non, pas avant que j’aie reçu de vous les papiers…

nils lykke

Certainement, j’oubliais le principal : mais la faute en est à notre gracieuse hôtesse qui nous a distrait d’une charmante façon…

madame inger

Qui vous a fait oublier la cause de votre venue. J’en suis heureuse, car je désirais, pour vous rendre mon hospitalité agréable, vous faire oublier…

nils lykke

Quoi donc Madame ?

madame inger

D’abord votre mission… puis tout ce qui s’est passé avant votre arrivée ici.

nils lykke
(À Olaf SKAKTAVL en lui tendant les papiers).

Voici les papiers de Peder Kanzler. Vous y trouverez les plus circonstanciés renseignements sur nos partisans en Suède.

olaf skaktavl

Fort bien !

(Il s’assied à la table, côté gauche, ouvre le paquet et lit les papiers).
nils lykke

Et maintenant, Madame, je ne vois plus rien qui puisse me retenir à Ostraat.

madame inger

Si ce sont seulement les affaires diplomatiques qui nous ont réunis, évidemment. Mais j’aime à croire que cela n’est pas.

nils lykke

Que voulez-vous dire ?

madame inger

Que ce n’est pas seulement le Conseiller d’Etat danois ou l’allié de Peder Kanzler qui m’est venu voir, et je suis tout à fait convaincue que chez vous, en Danemark, vous avez entendu conter sur la châtelaine d’Ostraat tant de choses, que vous avez voulu la voir de près.

nils lykke

Pourquoi nier.

olaf skaktavl
(Feuilletant les papiers).

Étrange ! Aucune lettre.

nils lykke

Votre réputation est, en effet, trop étendue, Madame, pour que, depuis longtemps, je n’ai eu le désir de vous connaître.

madame inger

Vous voyez bien !

Mais qu’est une heure de causerie en soupant ?

Les choses du passé qui existent entre nous, essayons de les effacer. Et il ne serait pas impossible que le Nils Lykke que je connais aujourd’hui ne me fît oublier l’autre Nils Lykke qui me fut inconnu.

Demeurez donc ici quelques jours, M. le Conseiller !

Je n’ose pas insister auprès d’Olaf Skaktalv, qui a ses missions en Suède, pour le faire rester plus longtemps près de nous. Mais, quant à vous, je suis sûre que vous avez déjà organisé là-bas vos affaires de façon si intelligente que votre présence n’y saurait être indispensable.

Croyez-moi, vous ne trouverez pas le temps long au château. Ma fille et moi ferons tout notre possible pour vous être agréables.

nils lykke

Je ne mets pas en doute vos bons sentiments et ceux de Mademoiselle votre fille pour moi. Je les ai déjà appréciés. Mais ma présence loin d’ici est indispensable et il m’est impossible de prolonger mon séjour à Ostraat.

madame inger

Eh quoi ! Savez-vous bien, M. le Conseiller, que si j’étais malveillante, je pourrais croire que vous n’êtes venu à Ostraat que pour lutter avec moi. Il semble bien que vous avez perdu la bataille et qu’il vous est pénible de demeurer sur le terrain près des témoins de votre défaite.

nils lykke
(Souriant).

Certains indices pourraient justifier cette opinion. Bien que je ne tienne pas du tout la bataille pour perdue.

madame inger

Peut-être ! Mais si vous demeurez quelques jours près de moi, vous pourrez prendre votre revanche.

Voyez combien je suis indécise, puisque je veux obliger mon redoutable adversaire à rester sur le terrain de la lutte.

Du reste, à vous dire vrai, votre alliance avec les mécontents en Suède me paraît… comment dirai-je, étrange, extraordinaire, oui, franchement, M. le Conseiller d’Etat.

Votre plan me paraît fort sage, mais il n’est pas en harmonie avec certains actes accomplis par vos compatriotes ces temps derniers.

Ne vous étonnez donc pas si, avant de placer ma confiance et mes intérêts entre vos mains, ma foi en vos engagements a besoin d’être solidement étayée.

nils lykke

Un plus long séjour à Ostraat ne produirait certainement pas ce résultat, et je ne veux plus rien tenter pour ébranler votre résolution.

madame inger

Je vous plains alors bien sincèrement. Et croyez-en une faible veuve comme moi ; je vous prédis que de votre voyage à Ostraat vous emporterez des épines qui ensanglanteront toute votre route.

nils lykke
(Avec un sourire).

Quelle prédiction, Madame Inger.

madame inger

Absolument certaine !

De nos jours, voyez-vous, mon cher Seigneur, le monde est si méchant. On va composer des chansons railleuses sur vous. Avant six mois, tout le populaire rira à vos dépens. On s’arrêtera pour vous voir passer et l’on criera : « C’est Nils Likke, celui qui a voulu tromper Inger Gyldenlöve et qui s’est pris à son propre piège. » Patience, chevalier ! je ne vous donne pas mon opinion ; c’est celle du public, qui compte tant d’êtres malveillants.

Cela est regrettable, mais c’est ainsi ; vous serez bafoué parce que vous aurez été joué par une femme. On dira : « Comme un renard rusé, il est bien entré à Ostraat, mais il en est reparti honteux comme un chien battu. Et puis, ne craignez-vous pas que Peder Kanzler et ses partisans ne renoncent à votre aide quand ils sauront que je vous ai refusé mon alliance.

nils lykke

Vos paroles sont fort sages, Madame. Et, pour éviter les raillerie autant que pour ne pas perdre l’amitié de mes chers Suédois, je suis tout prêt à…

madame inger
(Très vite).

…À prolonger votre séjour à Ostraat.

olaf skaktavl
(Qui a écouté).

Il se laisse prendre !

nils lykke

Non, ma noble dame. Je suis prêt à m’entendre avec vous.

madame inger

Et si cela n’était pas possible !

nils lykke

J’y parviendrais quand même.

madame inger

Vous paraissez sûr de votre fait.

nils lykke

Voulez-vous bien me donner un gage si vous entrez dans nos desseins, à Peder Ganzler et à moi.

madame inger

Comme gage je vous donne mon château d’Ostraat contre les boucles de vos jarretières.

nils lykke
(Se frappant la poitrine, crie) :

Olaf Skaktavl, regardez-moi bien. Vous avez en moi le seigneur et maître d’Ostraat.

madame inger

Monsieur le Conseiller d’état…

olaf skaktavl
(Se levant de table).

Comment cela ?

nils lykke
(À Madame INGER).

Je n’accepte pas le gage, car dans un instant vous me donneriez volontiers non seulement Ostraat, mais tout votre avoir pour sortir du piège dans lequel non pas moi mais vous êtes engagée.

madame inger

Votre plaisanterie commence à devenir tout à fait joyeuse, Seigneur.

nils lykke

Pour moi elle va devenir plus gaie encore.

Vous pensiez m’avoir joué et vous me menaciez de la raillerie et du mépris de tous.

Ah ! n’éveillez pas chez moi l’esprit de représailles, car il me suffirait de deux mots pour vous faire tomber à mes genoux.

madame inger
(S’arrêtant comme saisie d’un pressentiment).

Ah ! ah ! ah !

Et ces deux mots, Nils Lykke, ces deux mots quels sont-ils ?

nils lykke

Le nom de l’enfant que Sien Sture vous a donné.

madame inger
(Criant).

Seigneur Jésus !

olaf skaktavl

Le fils d’Inger Gyldenlöve ? Qu’avez-vous dit ?

madame inger
(Pliant les genoux devant Nils Lykke).

Grâce ! Ayez pitié !

nils lykke
(La relevant).

Soyez calme ! et causons.

madame inger
(D’une voix faible et presque égarée).

Avez-vous entendu Olaf Skaktavl ? Est-ce un rêve ? Avez-vous entendu ce qu’il a dit ?

nils lykke

Non ce n’est pas un rêve, madame Inger.

madame inger
(Joignant brusquement les mains).

Et vous savez cela, vous ! Mais où le tenez-vous caché, mon fils, et que voulez-vous faire de lui ?

(Criant).

Ne le tuez pas Nils Lykke. Rendez-le moi. Non, ne le tuez pas !

olaf skaktavl

Ah ! je commence à comprendre.

madame inger

Quel effroi terrible m’étouffe. Ce secret que j’ai conservé pendant tant de longues années… Tout est perdu maintenant. Ah ! supporter une pareille douleur. Mon Dieu, est-il donc possible que vous me traitiez si cruellement. Pourquoi donc me l’aviez vous donné cet enfant ?

(Elle se ressaisit et avec effort).

Nils Lykke, un mot seulement : Comment mon enfant est-il entre vos mains, où le cachez-vous ?

nils lykke

Il est chez son père adoptif.

madame inger

Cet homme est sans pitié, il m’a toujours refusé de me le laisser voir, cela ne peut durer ainsi. Secourez-moi, Olaf Skaktavl.

olaf skaktavl

Moi. Comment ?

nils lykke

C’est inutile. Veuillez seulement…

madame inger

Écoutez-moi, M. le Conseiller d’Etat. Il faut que vous sachiez tout.

Vous aussi, mon vieux et fidèle ami !

Vous avez rappelé à ma mémoire le jour funeste ou Knut Asson fut massacré à Oslo. Vous m’avez rappelé le serment que j’ai prononcé près du corps devant les plus braves soldats de la Norvège.

Alors, c’est à peine si j’étais femme, mais en moi je sentais une force divine et je pensais, ce que beaucoup ont cru plus tard, que j’étais l’élue de Dieu qui m’avait choisie pour délivrer la patrie. Était-ce orgueil ou conscience de ma mission, jamais je n’ai pu m’en assurer. Mais malheur à celui qui se donne à une œuvre semblable.

Sept années je fus fidèle à mon serment. Tous les malheurs toutes les douleurs de mes compatriotes, je les ai partagés. Déjà toutes mes amies d’enfance étaient mariées, alors que je n’avais consenti à écouter aucun amant. Vous le savez mieux que personne, Olaf Skaktavl.

C’est alors que je vis Sten Sture, le plus beau gentilhomme que j’eusse rencontré.

nils lykke

En effet ! À cette époque Sten Sture parcourait secrètement la Norvège et l’on voulait nous laisser ignorer en Danemark qu’il avait des intelligences avec vous.

madame inger

Caché sous l’habit d’un laquais, il a vécu tout un hiver sous mon toit. Cet hiver, je pensais moins à la destinée de la patrie. Jamais je n’avais vu un plus noble Seigneur. Et j’avais vingt-cinq ans.

Sten Sture revint près de moi, l’automne suivant et quand il repartit secrètement il emportait avec lui un enfant qui venait de naître.

Ce n’est pas le scandale que je craignais, mais il eut été préjudiciable à la cause de faire connaître mon intimité avec Sten Sture.

L’enfant fut placé chez Peder Kanzler et, vainement, j’attendis des temps plus propices. Deux ans après, Sten Sture se mariait en Suède, puis mourait en laissant une veuve.

olaf skaktavl

Et un fils, héritier légitime de son nom et de ses droits.

madame inger

Que de fois j’écrivis à Peder Kanzler pour le supplier de me rendre mon enfant. Toujours il refusa.

« Donnez-nous des gages inviolables d’alliance », répondait-il, et j’enverrai votre fils en Norvège, mais pas avant.

Mais, comment aurais-je osé agir de la sorte ? Nous autres mécontents étions déjà suspects à nombre de timorés de ce pays. Et, s’ils avaient appris mon secret, pour dompter la mère ils n’auraient pas manqué de préparera mon enfant le sort qu’aurait subi le roi Austian, s’il n’avait pu s’y dérober par une fuite opportune.

Puis les Danois me tourmentaient, ils usaient tour à tour de menaces et de promesses pour m’obliger à devenir leur alliée.

olaf skaktavl

Naturellement, tous les yeux allaient vers vous comme à un phare sauveur.

madame inger

La révolte d’Herluy Hydefad éclatait ensuite !

Vous souvient-il de ce temps, Olaf Skaktavl ?

On eut dit qu’un soleil printanier illuminait tout le pays.

Des voix puissantes m’interpellaient, mais je n’osais me rendre à leur appel, et, dévorée d’inquiétude, je demeurais loin du combat dans mon château solitaire. Parfois, je m’imaginais pourtant que Dieu lui-même m’appelait ; mais, alors, une angoisse pénible m’étreignait et anéantissait mon énergie. Qui l’emportera ? Éternelle question que je me posais sans cesse. Du reste, courtes furent les premières journées lumineuses de la révolte ; Herluy Hydefad et mille autres furent torturés et exécutés le mois suivant. Et moi-même, bien qu’on ne pût rien me reprocher, je reçus de Danemark des menaces déguisées. Dieu ! si on connaissait mon secret ! et voici que je m’imaginais qu’on savait tout.

Ce fut à ces heures difficiles que le chancelier Gyldenlöve demanda ma main. Qu’une mère qui tremble pour la vie de son enfant se mette à ma place : un mois plus tard j’étais l’épouse du chancelier et, désormais, une étrangère pour mes compatriotes.

Alors des années d’une lourde torpeur succédèrent à cette fièvre ; plus de soulèvements, l’ennemi put nous opprimer tout à son gré. À certain moment j’eus honte de moi-même. Annihilée comme je l’étais, accablée par la terreur, méprisée, je n’avais plus qu’à mettre des enfants au monde.

Oh ! mes filles, que Dieu me pardonne, si je n’eus pas pour elles le cœur d’une mère. Ma vie d’épouse était un bagne odieux, comment pouvais-je chérir ces enfants.

Mon fils, au contraire, l’enfant de mon âme, me rappelait seul le temps où j’avais aimé où j’avais été vraiment femme.

Et cet enfant-là on me l’avait pris ! Il grandissait au milieu d’étrangers qui, peut-être, jetaient dans son âme les germes les plus dangereux. O Olaf Skaktavl ! Si comme vous, bannie, j’avais parcouru les montagnes neigeuses pendant les rigueurs de l’hiver, en tenant mon enfant dans mes bras, je n’aurais pas tant pleuré dans le désespoir, comme je l’ai fait depuis sa naissance jusqu’aujourd’hui.

olaf skaktavl

Prenez ma main, Madame Inger, je vous ai mal jugée. Ordonnez, comme jadis, et j’obéirai. Oui, par tous les saints, je connais cette douleur de pleurer sur son enfant.

madame inger

L’ennemi a tué votre fils. Mais qu’est la mort à côté de cette terreur incessante et qui dure depuis tant d’années.

nils lykke

Eh bien ! il vous appartient de mettre fin à cette longue terreur. Reconciliez les parties adverses, et personne ne songera à prendre en otage votre fils comme gage de votre fidélité.

madame inger
(À elle-même).

Voilà la vengeance du ciel.

(Regardant Nils LYKKE).

Dites-moi nettement ce que vous exigez de moi.

nils lykke

Il faut d’abord que vous poussiez à la révolte les Montagnards, afin qu’ils viennent au secours des mécontents Suédois.

madame inger

Ensuite ?

nils lykke

Que vous vous efforciez de faire réintégrer le jeune comte Sture dans ses droits comme roi de Suède.

madame inger

Lui, Roi ? Vous exigez que moi…

olaf skaktavl
(À voix basse).

C’est le désir d’un grand nombre de Suédois. Cela serait utile à nous tous.

nils lykke

Réfléchissez bien, Madame. Vous tremblez pour la vie de votre fils ; comment ne comprenez-vous pas que pour lui ce serait le meilleur gage de sécurité d’avoir son frère sur le trône ?

madame inger
(Pensive).

Oui, en effet.

nils lykke
(La regardant finement).

À moins que d’autres projets…

madame inger

Vous dites ?

nils lykke

Que vous. Madame Inger Gyldenlöve, pourriez désirer être la mère du roi ?

madame inger

Non, rendez-moi mon fils et donnez la couronne à qui vous voudrez, mais savez-vous si le Comte Sture est disposé à accepter le trône ?

nils lykke

Il pourra lui-même vous en donner l’assurance.

madame inger

Lui-même. Et quand cela ?

nils lykke

À l’instant même.

olaf skaktavl

Comment donc ?

madame inger

Que dites-vous

nils lykke

Je dis que le Comte Sture se trouve en ce moment au château.

olaf skaktavl

À Ostraat ?

nils lykke
(À Madame INGER).

On vous a prévenue sans doute, que je n’étais pas seul lorsque j’ai franchi la porte d’Ostraat. Eh bien ! mon compagnon de route était le Comte.

madame inger
(À voix basse).

Mon sort est entre ses mains. Je n’ai pas le choix des moyens.

(Elle regarde et dit).

Eh bien ! M. le Conseiller d’Etat, mon concours vous est acquis dans la mise à exécution de vos projets politiques.

nils lykke

Prendriez-vous cet engagement par écrit ?

madame inger
(Elle se place à une table côté gauche, ouvre le tiroir et sort plume, papier, de quoi écrire).
nils lykke
(Assis devant l’autre table à droite).
(À voix basse).

Enfin ! je la tiens.

madame inger
(Après réflexion se retourne sur sa chaise vers Olaf SKAKTAVL à qui elle dit à voix basse).

Olaf Skaktavl, j’en suis sûre maintenant, Nils Lykke est un traître.

olaf skaktavl
(Également à voix basse).

Comment ? Vous croyez.

madame inger

Il nous tend un piège.

(Elle arrange des papiers et trempe une plume dans l’encrier).
olaf skaktavl

Et vous allez lui donner ce papier qui peut causer notre ruine ?

madame inger

Chût ! laissez-moi donc faire.

Non, attendez et écoutez-moi…

(Elle parle à voix basse à Olaf SKAKTAVL).
nils lykke
(À voix basse, et les regardant à la dérobée).

Bah ! Complotez à votre aise, maintenant ! le danger est écarté.

Avec ce papier signé je la tiens à ma disposition.

Jens Bjelke sera prévenu cette nuit par mon messager.

Je n’ai pas manqué à ma parole en lui disant que le Comte Sture n’était pas à Ostraat… Demain, quand la route sera libre, j’irai à Trondhyem avec le jeune homme, de là je l’embarquerai pour Copenhague. Une fois prisonnier dans la tour, là-bas, et sous les verroux, nous dicterons nos conditions à Madame Inger.

Quant à moi ? Je ne pense pas que le roi confie la mission de France à d’autre qu’à moi, après cela.

madame inger
(À voix basse à Olaf SKAKTAVL).

M’avez-vous bien comprise ?

olaf skaktavl

Parfaitement. Risquons l’aventure puisque vous le voulez.

(Il sorf à droite par la porte du fond).




Scène III

Mme Inger, Nils LYKKE, Nils STENSSON
(Nils STENSSON entre par la première porte de droite, sans être aperçu de Madame INGER qui écrit).
nils stensson
(À voix basse).

Chevalier ! Chevalier !

nils lykke
(S’avançant vers lui).

Imprudent ! Que faites-vous ici, ne vous ai-je pas dit de m’attendre jusqu’au moment ou je vous appellerai.

nils stensson

Je n’en ai pas eu la force ! Maintenant que vous m’avez avoué qu’Inger Gyldenlöve est ma mère, je brûle de la voir….

Oh ! c’est elle. Comme elle est grande et fière ! C’est ainsi que je me la suis toujours figurée.

Ne craignez rien, cher Seigneur, je ne vous trahirai point. Depuis que vous m’avez révélé ce secret, je me sens plus sérieux et plus prudent. Je ne veux plus faire de folies et avoir la tenue qui convient à un jeune homme de grande noblesse.

Mais, dites-moi, sait-elle que je suis ici, l’avez-vous prévenue ?

nils lykke

Certainemeni, mais…

nils stensson

Mais quoi ?

nils lykke

Elle ne veut pas vous reconnaître pour son fils.

nils stensson

Elle ne veut pas me reconnaître ? Mais c’est ma mère ! Oh, si ce n’est que cela !

(Il sort de sa poitrine une bague suspendue à un ruban).

Montrez-lui cette bague, elle ne m’a pas quittée depuis le berceau, elle doit la reconnaître.

nils lykke

Cachez cette bague, jeune homme, cachez-la, vous dis-je.

Vous ne comprenez pas.

Madame Inger ne doute pas que vous soyez son fils. Mais regardez donc autour de vous. Voyez toutes ces richesses, ces ancêtres dont les images couvrent les murs. Considérez aussi cette noble dame accoutumée à commander aux plus nobles du pays. Croyez-vous qu’elle soit heureuse de présenter au monde le garçon pauvre et ignorant que vous êtes en disant : voici mon fils.

nils stensson

C’est bien vrai !

Je suis pauvre et ignorant. Je n’ai rien à offrir et tout à demander.

Jamais, jusqu’à cette heure, je n’avais senti le poids et le malheur de la pauvreté…

Conseillez-moi ? Que faut-il faire pour gagner sa sympathie. Dites-le moi, je vous en prie, mon cher Seigneur, puisque vous le savez.

nils lykke

Il faut vous emparer de la couronne, devenir roi. Mais, avant cela, gardez-vous bien de lui parler de vos liens avec elle. Et elle fera semblant de vous prendre pour le véritable comte Sturne, jusqu’à ce que vous vous soyiez montré digne d’être appelé son fils.

nils stensson

Oui, mais alors…

nils lykke

Taisez-vous !

madame inger
(Se lève et donne un papier à Nils LYKKE).

Voici, chevalier, qui me lie avec vous.

nils lykke

Je vous remercie.

madame inger
(Apercevant Nils STENSSON).

Ah ! c’est ce jeune homme qui est… ?

nils lykke

Oui, Madame, le comte Sture.

madame inger
(Regardant à la dérobée le jeune homme).

Ce sont ses traits ! Oui, Dieu Seigneur, c’est bien le fils de Sten Sture.

(S’approchant avec une froide politesse).

Soyez chez moi le bienvenu. Monsieur le Comte, il dépend de vous qu’avant un an nous ayons à nous féliciter de cette rencontre ou à la regretter.

nils stensson

Oh ! si cela ne dépend que de moi ! alors dictez vos ordres, Madame, car, croyez-moi, j’ai du courage et de la ténacité.

nils lykke
(Tendant l’oreille).

Quel est ce bruit, Madame, on essaie de pénétrer ici. Que signifie… ?

madame inger
(D’une voix forte}.

Ce sont les esprits qui se réveillent !


Scène IV

LES MÊMES, Olaf SKAKTAVL, Ejnar KUK, BJORN, FINN, PAYSANS & OUVRIERS
Entrent Olaf SKAKTAVL, Ejnar KUK, BJORN, FINN, beaucoup de Paysans et d’Ouvriers au fond de la scène à droite.
paysans et artisans

Salut à Madame Inger Gyldenlöve.

madame inger
(À Olaf SKAKTAVL)

Vous les avez prévenus ?

olaf skaktavl

Je leur ai dit tout ce qu’ils avaient besoin de savoir.

madame inger
(À la foule).

Oui ; mes paysans, mes domestiques et mes artisans, armez-vous maintenant, je vous y autorise. Ce que je vous aurais refusé tantôt, je vous l’accorde entièrement à présent.

Et je vous présente le jeune comte Sture, le futur roi de Suède… et de Norvège aussi, si Dieu le permet.

la foule

Vive, vive le comte Sture !

Mouvement général, les paysans saisissent des armes, se coiffent de casques et revêtissent des armures.
nils lykke
(Inquiet à lui-même).

Les esprits se réveillent, dit-elle.

Par mon mensonge, j’ai réveillé le démon de la révolte, malheur à moi si je ne puis en triompher.

madame inger
(À Nils STENSSON).

Voici mon premiers secours, trente paysans à cheval qui vous suivront et vous protégeront. Avant d’atteindre la frontière, des milliers de combattants se seront rangés sous votre bannière et la mienne. Partez donc et que Dieu vous assiste.

nils stensson

Merci Inger Gyldenlöve.

Merci et soyez assurée que jamais vous ne rougirez du… comte Sture ; quand vous me reverrez, j’aurai gagné la couronne !

nils lykke
(Bas).

Oui, mais le reverra-t-elle.

olaf skaktavl

Mes braves, les chevaux piaffent, êtes-vous prêts à partir ?

les paysan

Oui, oui, oui.

nils lykke
(Inquiet à Madame INGER).

Comment, est-ce votre intention, dès cette nuit, de…

madame inger

À l’instant même, seigneur…

nils lykke

C’est impossible !

madame inger

Ce sera comme je vous le dis.

nils lykke
(À voix basse à Nils STENSSON) :

Ne lui obéissez pas.

nils stensson

Comment faire autrement ? Je ne le puis.

nils lykke

Mais, malheureux, c’est votre ruine.

nils stensson

Et qu’importe ! Je lui appartiens.

nils lykke
(D’un ton sec).

Et moi ?

nils stensson

La parole que je vous ai donnée, je la tiendrai. Le secret ne sortira de ma bouche que lorsqu’il vous plaira.

Mais elle est ma mère !

nils lykke
(À part).

Et Jens Bjelke qui surveille la route. Maudit soit-il, il va me voler mon gibier.

(À Madame INGER).

Attendez jusqu’à demain.

madame inger
(À Nils STENSSON).

Comte, voulez-vous m’obéir oui ou non ?

nils stensson

À Cheval !

(II va vers le fond de la scène).
nils lykke
(À part).

Le malheureux ! il ne sait pas à quoi il s’expose.

(À Madame INGER).

Eh bien ! puisque vous le voulez — au revoir.

(Il s’incline et veut sortir).
madame inger
(Le retenant).

Non, attendez, monsieur le Chevalier, ne partez pas ainsi !

nils lykke

Que voulez-vous dire ?

madame inger
(À voix basse).

Nils Lykke — vous êtes un traître !

Doucement ! que personne ne s’aperçoive que l’harmonie ne règne pas parmi les chefs.

Vous avez gagné la confiance de Peder Kanzler par une ruse diabolique que je n’arrive pas à saisir. Vous m’avez forcée à me meure en rébellion, non pour aider notre cause, mais pour votre propre utilité. Je ne saurais plus reculer, ne croyez pas cependant que la victoire vous appartienne, je saurai vous rendre inoffensif.

nils lykke
(En mettant instinctivement la main sur son épée).

Madame !

madame inger

Soyez tranquille. Monsieur le Conseiller d’Etat, vous ne risquez pas votre vie ; mais vous ne sortirez pas des portes d’Ostraat avant que la victoire nous appartienne.

nils lykke

Mille tonnerres !

madame inger

Toute résistance est inutile, vous ne vous en irez pas, demeurez donc calme, c’est ce que vous pouvez faire de plus sage.

nils lykke
(À lui-même).

Ah ! je suis tombe dans un piège, elle a été plus habile que moi.

(Une idée lui suryit subitement).

Ah ! peut-être que…

madame inger
(À voix basse à Olaf SKAKTAVL).

Suivez le Comte Sture jusqu’à la frontière. Allez ensuite sans retard chez Peder Kanzler et ramenez moi mon enfant, cet homme n’a plus aucune raison pour le retenir.

(Elle ajoute au moment où Olaf SKAKTAVL va partir).

Attendez ! il vous faut un signe de reconnaissance : celui qui porte la bague aux armes de Sten Sture est mon fils.

olaf skaktavl

Sur tous les saints, je vous le rendrai.

madame inger

Merci, merci mon ami fidèle.

nils lykke
(À FINN qu’il a fait approcher et avec qui il parle à voix basse).

Tâche donc de partir secrètement, sans que personne te voie. À deux kilomètres les Suédois sont cachés, raconte à leur chef que le comte Sture est mort et qu’il ne faut pas attaquer le jeune homme qui est là. Dis bien cela au chef des Suédois. Dis que la vie de ce jeune homme m’est excessivement précieuse.

finn

Très bien.

madame inger
(Qui a l’œil ouvert sur Nils LYKKE).

Et, maintenant, que Dieu soit avec vous.

(Elle montre d’un geste Nils LYKKE).

Ce noble chevalier ne peut pas encore se décider à quitter ses amis d’Ostraat, il attendra chez moi la nouvelle de la victoire.

nils lykke
(À lui-même).

Démon !

nils stensson
(En saisissant la main de Nils LYKKE)

Croyez-moi, vous n’aurez pas longtemps à attendre.

nils lykke
(À part).

Bien, bien, je peux gagner encore la partie si mon estafette arrive à temps chez Jens Bjelke…

madame inger
(S’adressant à Ejnar KUK en montrant FINN).

Et celui-là qu’on le place sous bonne garde dans les souterrains.

finn

Moi !

ejnar kuk et les valets

Finn !

nils lykke
(À voix basse).

Mon dernier espoir s’éteint !

madame inger
(Sur un ton de commandement),

Oui, dans le souterrain.

(Ejnar KUK, BJORN et quelques valets font sortir FINN du côté gauche).
tous les autres

Partons, à cheval ! à cheval !

Hommages à Madame Inger Gyldenlove !

madame inger
(Suivant les partants, passe près de Nils LYKKE).

Qui sera vainqueur ?

nils lykke
(Demeurant seul).

Qui ? malheur sur toi ! la victoire te coûtera cher ; je m’en lave les mains. Ce n’est pas moi qui le tue, mais le gibier m’échappe et la révolte grandit.

C’était un peu audacieux, ce que j’ai tenté là !

(Il écoute par la fenêtre).

Les voilà qui sortent à grand bruit par la porte, on referme le pont-levis derrière eux, me voilà prisonnier !

Aucune possibilité de m’échapper avant une demi-heure. Les Suédois vont le surprendre ; il a trente cavaliers avec lui, la lutte sera dure ; mais si on le capturait vivant ? Si j’étais libre, si je pouvais vite aller trouver les Suédois avant qu’ils aient franchi la frontière, je me le ferais donner.

(Il s’approche de la fenêtre et regarde).

Sort maudit ! des gardes partout dehors, n’y a-t-il donc vraiment aucun moyen ?

(Il se promène sur la scène, s’arrête soudain en écoutant).

Qu’est-ce cela ? Un chant, de la musique ! cela semble venir de la chambre de Mademoiselle Eline. Oui, c’est elle qui chante, donc elle est encore levée.

(Une pensée traverse sa tête).

Eline ! ah ! si je pouvais ! si je pouvais et pourquoi pas ? Ne suis-je pas toujours celui dont la chanson dit : chaque dame soupire, que Dieu lui donne les faveurs de Nils Lykke.

Et elle ?

Eline Gyldenlöve me sauvera.

(Il s’avance rapidement sans bruit, vers la première porte, côté gauche).


Rideau.




ACTE V




La salle des Chevaliers. — Il fait toujours nuit, la salle n’est que faiblement éclairée par un flambeau placé en avant, sur la scène, côté droit.
(Madame INGER, pensivement, est assise auprès d’une table).




Scène I

Mme INGER
(Seule).
madame inger
(Après un silence).

On considère dans le pays mon intelligence comme la plus forte et la plus active qui soit, je crois qu’on a raison !

La plus intelligente… il n’y a personne qui sache pourquoi je suis la plus intelligente. Pendant plus de vingt ans, j’ai lutté pour sauver mon enfant. Voilà l’explication, cela rend intelligent ; mais qu’est devenue mon intelligence, cette nuit ? qu’est devenue ma réflexion ? Quels bruits étranges dans mes oreilles ! devant mes yeux je vois des spectres et il me semble pouvoir les saisir de mes mains.

(Elle se lève en sursaut).

Dieu Jésus, qu’est-ce que cela ? perdrais-je ma raison ? deviendrais-je folle ?

(Elle presse ses mains contre sa tête, s’assied de nouveau et dit avec plus de calme).

Oh ! ce n’est rien, cela passera, il n’y a pas de danger, cela passera. Comme paisible s’écoule cette nuit dans la salle des Chevaliers, ils ne me regardent plus de leurs yeux menaçants les aïeux ; plus n’est besoin de tourner leurs portraits contre le mur.

(Elle se relève)

Enfin il est heureux que je me sois décidée à être courageuse. Nous vaincrons et j’aurai atteint mon but : j’aurai mon enfant.

(Elle prend le flambeau pour s’en aller mais s’arrête et dit :)

Atteindre le but ? leur prendre mon fils, rien que cela, rien que cela ?

(Elle replace le flambeau sur la table).

Ce mot que Nils Lykke a laissé tomber rapidement dans la conversation ! Comment a-t-il pu lire en moi la pensée qui n’était pas encore née.

(Plus bas).

Mère de Roi ! Mère de Roi, a-t-il dit !… Et pourquoi pas ? Ma famille n’a-t-elle pas jadis régné sans avoir eu le titre Royal, mon fils ne tient-il pas de la famille Sture les mêmes droits que l’autre ? Aux yeux de Dieu certes oui, si la justice existe au Ciel.

Et ce droit, dans un moment de peur, j’y ai renoncé pour lui ! d’une main prodigue je l’ai abandonné comme prix de sa liberté. Mais si je pouvais le lui regagner ce droit ?

Le ciel s’irriterait-il si… le malheur me menacerait-il si… qui sait ? qui sait ? Cela est peut-être plus prudent d’être modeste.

(Elle reprend le flambeau).

J’aurai mon enfant, cela doit suffire, je veux aller me reposer. Toutes ces pensées ambitieuses s’en iront dans le sommeil.

(Elle va vers le fond de la scène, s’arrête et dit, préoccupée).

Mère de Roi !

(Elle sort lentement parle côté gauche).




Scène II

Nils LIKKE & ÉLINE
(Après quelques instants Nils LIKKE et ÉLINE entrent sans bruit par la première porte, côté gauche. Nils LIKKE est porteur d’une petite lanterne).
nils lykke
(S’éclaire autour de lui avec la lanterne et dit à voix basse :)

Tout est calme, il me faut partir.

eline

Oh ! laisses-moi encore une fois te regarder dans les yeux avant que tu ne me quittes.

nils lykke
(En l’embrassant).

Eline !

eline
(Après une courte pause).

Ne reviendras-tu plus jamais à Ostraat !

nils lykke

Comment peux-tu douter de moi ? n’es-tu pas, à partir de ce moment, ma fiancée ? Me seras-tu aussi fidèle, Eline ? Ne m’oublieras-tu pas avant notre première rencontre ?

eline

Si je te serai fidèle ? Ai-je donc encore une volonté ? Pourrais-je être infidèle même si je le voulais ? Tu es venu cette nuit, tu as frappé à ma porte… et je t’ai ouvert. Tu m’as parlé. Que m’as-tu dit ? Tu m’as regardée dans les yeux. Quelle est donc cette puissance mystérieuse qui m’a ensorcelée ?

(Elle cache vite sa figure près de l’épaule de Nils LYKKE).

Oh ! ne me regarde pas Nils Lykke, il ne faut plus me regarder !… Fidèle ? dis-tu ? mais tu me possèdes, je suis à toi. Il le faut, pour l’éternité.

nils lykke

Eh bien ! sur mon honneur de chevalier, avant la fin de l’année tu seras dans le château de mes ancêtres comme ma femme légitime.

eline

Pas de serments, Nils Lykke, ne jure rien.

nils lykke

Mais qu’as-tu ? pourquoi si tristement secouer la tête ?

eline

Parce que, je le sais, les douces paroles qui m’ont rendue si folle, tu les as murmurées à tant d’autres avant moi.

Non, non, ne te fâche pas mon bien-aimé. Je ne te reproche rien, plus rien, comme j’avais le tort de le faire avant de te connaître. Maintenant je comprends combien ton esprit est plus élevé que celui des autres hommes. Comment l’amour serait-il autre chose pour toi qu’un jeu, la femme autre chose qu’un jouet.

nils lykke

Eline, écoute moi.

eline

J’ai grandi en entendant répéter ton nom. J’ai haï ce nom parce qu’il me semblait que toutes les femmes étaient blessées par tes actes et, comme c’est étrange, quand on rêve ! Lorsque j’édifiais ma vie future, sans que je m’en rendisse compte, tu étais toujours mon héros. Je comprends tout maintenant. Qu’avais-je donc si ce n’est un vague désir de toi, de toi seul qui, une fois, devais venir m’apprendre la joie de vivre.

nils lykke
(À part et en plaçant la lanterne sur la table).

Eh quoi ! Quelle est cette force qui m’attire et me donne le vertige ? Si c’est l’amour, jamais alors je ne l’ai ressenti avant cette heure. Serait-il temps encore… Oh ! ce terrible passé avec Lucia.

(Il tombe, accablé, sur une chaise).
eline

Qu’as-tu ? Pourquoi soupirer si profondément.

nils lykke

Oh ! rien, rien. Eline, Eline, sincèrement je veux tout t’avouer : J’ai trompé, par des paroles et par des regards, nombre de femmes à qui j’ai dit ce que cette nuit j’ai dit à toi-même… mais, crois moi…

eline

Assez, ne parlons plus de cela, mon amour n’est pas la récompense de ce que tu me donnes. Non, je t’aime parce que chacun de tes regards est un ordre royal qui me l’ordonne.

(Elle se couche à ses pieds).

Oh ! laisses-moi encore une fois l’imprimer dans mon âme cet ordre royal, quel qu’il soit, je le sens gravé dans mon cœur pour l’éternité, Dieu, comme je fus aveugle ! Encore ce soir, je disais à ma mère : Pour pouvoir vivre, il me faut garder ma fierté.

Quelle est ma fierté ? est-ce de savoir mes compatriotes libres, ma famille honorée dans tous les pays ? Oh ! non, non. Mon amour est ma fierté ! Le petit chien est fier quand il peut demeurer aux pieds de son maître et tenir de sa main un peu de pain. Ainsi je suis fière, moi, de me mettre à tes pieds pendant que tes paroles et tes regards me nourrissent du pain de vie, et voilà : Je te répète ce que tout à l’heure je disais à ma mère, pour pouvoir vivre il me faut conserver mon amour ; il sera désormais ma fierté, et pour toujours !

nils lykke
(En la retenant et l’asseyant sur ses genoux).

Non, non, pas à mes pieds, mais à mon côté, ta place sera toujours là, aussi haut que me placera le destin.

Oui, Eline, tu m’as mené sur la bonne route et si jamais par quelque acte glorieux, il m’est donné de payer ce que, dans ma folle jeunesse, j’ai fait de mal, l’honneur t’en reviendra.

eline

Oh ! tu me parles comme si j’étais encore Eline.

Dans mes livres j’ai lu qu’au son de la trompette, le chevalier va dans les forêts le faucon sur le poing ; tel aussi, toi, tu te diriges dans la vie et ton nom retentit partout annonçant ton arrivée. Tout ce que je réclame c’est, comme le faucon, de reposer sur ton bras. Comme le faucon, j’étais aveugle, pour la vie et la lumière, jusqu’au moment où tu enlevas le bandeau de mes yeux et me laissas m’envoler dans les arbres vers le ciel ; mais, crois-moi ! si courageusement je tends mes ailes, toujours je retournerai à ma cage.

nils lykke
(En se levant).

Que ce passé soit mort. Prends cette bague et sois à moi devant Dieu et devant les hommes ; à moi, alors même que le repos des morts devrait en être troublé.

eline

Tu m’inquiètes, pourquoi cela ?

nils lykke

Rien ; viens, maintenant, laisses-moi mettre cette bague à ton doigt : là ; voilà, tu es ma fiancée !

eline

Moi, la fiancée de Nils Lykke ! tout ce qui c’est passé cette nuit me paraît un rêve, oh ! un beau rêve.

Je me sens si légère, il n’y a plus de haine ni d’amertume dans mon âme, et je réparerai mes torts. J’ai été dure pour ma mère, demain j’irai chez elle implorer son pardon.

nils lykke

Et lui demander son consentement à notre mariage.

eline

Elle me le donnera, je le crois, sûrement ! ma mère est bonne. Tout le monde est bon, je ne hais plus personne — qu’un seul être au monde.

nils lykke

Qu’un seul ?

eline

Hélas ! c’est une triste histoire, j’avais une sœur…

nils lykke

Lucia ?

eline

Tu as connu Lucia ?

nils lykke

Non, non ; seulement j’ai entendu prononcer son nom.

eline

Elle aussi donna son cœur à un chevalier, il la trompa… maintenant elle est au ciel.

nils lykke

Et toi ?

eline

Je le hais !

nils lykke

Ne le hais pas ! S’il y a de la pitié dans ton âme, pardonnes-lui, crois moi, il porte dans son cœur la peine de son crime.

eline

Lui, je ne lui pardonnerai jamais, je ne le pourrais même pas si je le voulais, car j’ai juré d’une façon si terrible…

(Écoutant).

Chut, entends-tu ?

nils lykke

Quoi ? où ?

eline

Dehors, au loin, beaucoup de monde à cheval sur la route.

nils lykke

Oh ! ce sont eux ! et moi qui oubliais ! ils viennent par ici. Alors le danger est grand, il me faut partir.

eline

Pourquoi ? que me caches-tu, Nils Lykke ?

nils lykke

Demain, Eline, demain ; car, au nom de Dieu, je reviendrai. Mais, vite, où est la porte secrète dont tu parlais.

eline

Par les tombeaux…… là…… voilà l’ouverture……

nils lykke

À travers le caveau !

(Parlant à lui-même).

Tant pis, il faut que je le sauve.

eline
(Près de la fenêtre).

Les cavaliers arrivent devant le château.

(Elle lui tend la lanterne).
nils lykke

Eh bien ! soit !

(Il commence à descendre dans le caveau).
eline

Suis le couloir jusqu’au cercueil à la tête de mort et à la croix noire, c’est la tombe de Lucia…

nils lykke
(Remontant vite et fermant l’ouverture)

De Lucia ? Horreur !

eline

Tu dis ?

nils lykke

Oh ! rien, c’est l’air empesté qui m’a fait tourner la tête.

eline

Ecoute ! Ils frappent à la porte.

nils lykke
(En laissant tomber la lanterne).

Ah ! trop tard !




Scène III

Les MÊMES, BJORN
(BJORN entre rapidement du côté droit an flambeau à la main).
eline
(S’avançant vers BJORN).

Qu’y a-t-il Björn ? qu’y a-t-il ?

björn

Un guet-apens. Le comte Sture…

eline

Le comte Sture ? quoi ?

nils lykke

L’ont-ils tué ?

björn
(À Eline).

Où est madame votre mère ?

deux valets
(Entrant en courant du côté droit).

Madame Inger ! Madame Inger !




Scène IV

Les MÊMES, Mme INGER
(Madame INGER, un flambeau allumé à la main, entre par la porte du fond, côté gauche et dit vite) :
madame inger

Je sais tout, descendez dans la cour, tenez la porte ouverte à nos amis, mais close à tous les autres.

(Elle place le flambeau sur la table, côté gauche, BJORN et les deux autres valets sortent, côté droit).
madame inger
(À Nils LYKKE).

C’était-là le piège, monsieur.

nils lykke

Inger Gyldenlove, croyez moi……

madame inger

Guet-apens qui devait le faire prisonnier, dès que vous auriez le papier qui pouvait me compromettre.

nils lykke
(Sortant le papier et le déchirant).

Voilà votre papier, je ne conserve rien qui puisse témoigner contre vous.

madame inger

Que faites-vous ?

nils lykke

À partir de ce moment, je vous protège ; si j’ai eu des torts vis-à-vis de vous, par le ciel ! je tâcherai de les réparer ; mais il me faut sortir devrais-je tout briser.

Eline ! avoue tout à ta mère.

Et vous, Madame Inger, oubliez le passé, soyez généreuse et… silencieuse. Croyez-moi vous m’en s’aurez gré avant l’aube.

(Il sort vite du côté droit).




Scène V

Mme INGER, ELINE
madame inger
(Regarde d’un air triomphant).

Ah ! je comprends tout.

(Se tournant vers ELINE).

Nils Lykke ? eh bien ?

eline

Il a frappé à ma porte et a passé cet anneau à mon doigt.

madame inger

Et il t’aime de toute son âme.

eline

Il me l’a juré et je le crois.

madame inger

Bien, Eline ! Ha, ha, ha, monsieur le chevalier, c’est maintenant à mon tour de rire !

eline

Oh ! ma mère, comme vous êtes étrange. Oh ! oui, je le vois bien, ce sont mes attitudes volontaires qui vous ont irritée.

madame inger

Du tout, ma chère Eline, tu fus une fille obéissante, tu lui as ouvert la porte, tu as prêté l’oreille à ses beaux discours, et je comprends bien l’effort que cela a dû te coûter, car je connais ta haine…

eline

Mais, ma mère…

madame inger

Un instant.

Nous nous sommes rencontrées dans nos projets.

Intelligente enfant, comment as-tu fait pour si bien réussir.

Je voyais l’amour briller en ses yeux. Gardes-le bien maintenant que tu tiens le chevalier, serres-le dans tes filets et alors…

Ah ! Eline, si nous pouvions briser dans sa poitrine son cœur abominable de traître.

eline

Malheur à moi ! Que dites-vous là ?

madame inger

Ne laisse pas échapper ton courage, mais écoutes-moi.

Je connais le mot qui relèvera ta volonté…

(Elle écoute)

Maintenant, ils se battent devant la porte…

Du calme ! Le moment approche.

(Elle se tourne de nouveau vers ELINE)

Apprends donc que ce fut Nils Lykke qui a fait mourir ta sœur.

eline
(Avec un cri).

Lucia !

madame inger

Oui, c’est lui, aussi sûr qu’il y a un Dieu vengeur.

eline

Que le ciel alors me soit clément.

madame inger
(Terrifiée).

Eline ?

eline

Je suis sa fiancée devant Dieu.

madame inger

Malheureuse enfant, qu’as-tu fait ?

eline
(À voix brisée).

La paix de mon cœur est à jamais perdue.

Adieu, ma mère, adieu.

(Elle sort du côté gauche).




Scène VI

Mme INGER, Nils STENSSON
madame inger

Ha, ha, ha !

Elle tombe en ruine la glorieuse famille d’Inger Gyldenlöve.

Voilà où en est la dernière de mes filles !

Pourquoi ne me suis-je pas tuée ? Elle n’aurait rien su et peut-être aurait-elle été heureuse.

Mais c’était le destin. Il est écrit là-haut, parmi les étoiles, qu’il me faut briser l’une après l’autre les branches de l’arbre, jusqu’à ce que le tronc demeure nu et solitaire.

Qu’importe ! Qu’importe ! J’aurai mon fils ! Je ne penserai pas aux autres, j’oublierai mes filles.

Mes comptes avec Dieu ? Ah ! cela sera seulement au dernier jour de l’orage final… mais il est loin encore.

nils stensson
(En criant du dehors).

Ah ! fermez donc la porte.

madame inger

La voix du comte Sture.

nils stensson
(Sans armes, les vêtements déchirés, entre en courant et crie avec un rire désespéré) :

De nouveau, salut à Inger Gyldenlöve !

madame inger

Qu’avez-vous, tout est-il perdu ?

nils stensson

Oui, mon royaume et ma vie !

madame inger

Et les paysans ? Mes valets, où sont-ils ?

nils stensson

Leurs cadavres, vous les trouverez semés le long de la route ? quant aux survivants, je ne sais ce qu’ils sont devenus.

olaf skaktavl
(Devant la porte, du côté droit :)

Comte Sture ! Où êtes-vous ?

nils stensson

Ici, ici.




Scène VII

Les MÊMES, Olaf SKAKTAVL
(Olaf SKAKTAVL entre la main droite entourée d’un pansement).
madame inger

Ah ! Olaf Skaktavl, vous aussi !

olaf skaktavl

Impossible de se frayer une route à travers l’ennemi.

madame inger

Je le vois, vous êtes blessé ?

olaf skaktavl

Oh ! j’ai un doigt de moins, voila tout.

nils stensson

Où sont les Suédois ?

olaf skaktavl

À notre poursuite. Ils vont forcer la porte !

nils stensson

Oh ! Jésus ! Mais non, mais non ! Je ne peux pas… Je ne veux pas mourir.

olaf skaktavl

Une cachette, Madame Inger ! N’y a-t-il pas par ici un coin où l’on puisse cacher le comte.

madame inger

Mais ils vont chercher partout.

nils stensson

Oui, oui, et ils me trouveront !

Etre entraîné comme prisonnier ou pendu… Oh ! non, non, Inger Gyldenlöve, je suis sûr que vous ne le permettrez pas !

olaf skaktavl
(Ecoutant).

Maintenant on a brisé la serrure.

madame inger
(Près de la fenêtre).

Une foule nombreuse entre par la grande porte.

nils stensson

Et mourir maintenant, maintenant que tout s’annonçait si bien ! Mourir, maintenant qu’on m’a révélé le prix de la vie.

Non, non, non !

Ne croyez pas que je sois lâche, Inger Gyldenlöve. Si seulement j’avais une vie assez longue pour…

madame inger

Je les entends déjà en bas.

(D’un ton autoritaire à Olaf SKAKTAVL).

Il faut le sauver coûte que coûte !

nils stensson
(En saisissant la main de Madame INGER).

Oh ! je savais bien, que vous étiez généreuse et bonne.

olaf skaktavl

Mais comment ? Puisque nous ne pouvons le cacher.

nils stensson

Il y a un moyen, dévoiler le secret.

madame inger

Le secret ?

nils stensson

Mais, certes, oui le secret qui nous touche tous les deux.

madame inger

Seigneur Dieu ! Vous connaissez ce secret ?

nils stensson

Parfaitement ! Et maintenant qu’il s’agit de la vie…

Où est Monsieur Nils Lykke.

madame inger

Enfin !

nils stensson

Enfin.

Que Dieu me vienne en aide alors, car seul le Chevalier peut me délier la langue.

Mais la vie vaut tout de même plus qu’un serment.

Quand arrivera le chef Suédois ?…

madame inger

Que comptez-vous faire alors ?

nils stensson

Acheter ma vie et et ma liberté en lui disant tout.

madame inger

Oh ! non, non ! par pitié !

nils stensson

Il n’y a pas d’autre moyen de me sauver. Quand je lui aurai dit ce que je sais, alors…

madame inger
(Elle le regarde avec une émotion qu’elle cherche à cacher).

Alors vous êtes sauvé !

nils stensson

Oui, oui Nils Lykke plaidera ma cause.

Vous voyez que c’est là le suprême moyen.

madame inger
(Calme et avec force)

Le suprême moyen ! Vous avez raison ; chacun a droit de tenter le suprême moyen.

(Montrant le côté gauche).

Voyez, là-bas, vous pouvez vous cacher en attendant.

nils stensson
(À voix basse).

Croyez-moi, jamais vous n’aurez à vous repentir d’avoir agi ainsi.

madame inger
(Parlant à moitié à elle-même).

Dieu fasse qu’il dise vrai.

(Nils STENSSON sort vite par la porte du fond, côté gauche ; Olaf SKAKTAVL veut le suivre, mais Madame INGER l’arrête).
madame inger

Vous avez bien compris ce qu’il a dit.

olaf skaktavl

Le misérable ! Il trahit le secret. Il veut sacrifier votre fils pour se sauver lui-même.

madame inger

Quand il s’agit de la vie, a-t-il dit, on doit tenter les moyens les plus extrêmes.

Eh bien ! Olaf Skaktavl, qu’il soit fait comme il a dit.

olaf skaktavl

Que voulez-vous dire ?

madame inger

Il faut donc que l’un des deux périsse.

olaf skaktavl

Ah ! vous voulez…

madame inger

Si le comte n’est pas muet quand viendra le chef Suédois, mon fils est perdu pour moi. Si, au contraire, il disparaît à temps, je réclamerai pour mon enfant tous ses droits.

Vous verrez, alors, quelle femme je suis encore. Soyez-en convaincu ! Vous n’aurez pas alors besoin d’attendre la vengeance comme vous l’avez fait depuis vingt ans.

Vous entendez ?

Ils montent l’escalier ! Olaf Skaktavl, il dépend de vous que demain je sois une femme sans enfant ou…

olaf skaktavl

Ainsi soit-il. J’ai encore une main en bon état.

(En lui tendant la main).

Inger Gyldenlöve, comptez sur moi, votre fils ne périra pas.

(Il entre dans la chambre où se trouve Nils STENSSON).
madame inger

Mais, en ai-je le droit ?

(On entend du bruit dans la pièce voisine. Avec un cri elle s’avance vers la porte).

Non, non, pas cela !

(On entend la chute d’un corps. Elle se bouche les oreilles de ses deux mains et avance sur la scène les yeux hagards. Après une pause elle enlève les mains des oreilles, écoute et dit à voix basse :)

C’est fini, tout est calme, là-bas.

Dieu ! tu l’as vu ? J’avais des scrupules, c’est Olaf Skaktavl qui a agi trop vite.

(Olaf SKAKTAVL rentre silencieux dans la salle).
madame inger
(Après une pause sans le regarder).

C’est fait ?

olaf skaktavl

Vous n’avez plus rien à craindre de lui. Il ne trahira plus personne.

madame inger
(Du même ton).

Il est muet.

olaf skaktavl

Un long poignard dans la poitrine !

Je l’ai tué de ma main gauche.

madame inger

Oui, oui, la main droite était trop noble pour cela.

olaf skaktavl

Cela vous regarde. C’est vous qui l’avez exigé.

Et, maintenant, je pars pour la Suède. Que la paix soit avec vous, en attendant ! Quand je reviendrai à Ostraat je ne viendrai plus seul.

(Il sort par la porte du fond du côté droit).

Scène VIII

Mme INGER, UN SOLDAT
madame inger

Du sang sur mes mains ! Il en est venu jusque là, c’est horrible.

(BJORN entre avec quelques soldats suédois par la première porte du côté droit).
un soldat

Excusez-nous, vous êtes la maîtresse de la maison ?

madame inger

Oui, vous cherchez le comte Sture ?


le soldat

Oui.

madame inger

Le comte a cherché refuge chez moi.

le soldat

Lui donner refuge ? Pardonnez-moi, noble dame, cela est hors de votre pouvoir, car…

madame inger

Ce que vous me dites-là, le comte lui-même a dû le comprendre, car, oui, regardez vous-même, il s’est tué.

le soldat

Tué ?

madame inger

Regardez vous-même, comme je viens de vous le dire, là-bas, vous trouverez son cadavre.

Et comme, maintenant, il se trouve déjà devant le juge suprême, je désire qu’il soit enlevé d’ici avec tous les honneurs dus à sa noble naissance.

Björn, tu le sais, dans la chambre secrète, depuis des années, se trouve le cercueil que j’ai tait faire pour moi.

(S’adressant aux soldats).

Je vous prie de rapporter le corps du comte Sture dans ce cercueil, en Suède.

le premier soldat

Nous vous obéirons.

(À un autre soldat).

Cours apporter cette nouvelle à Monsieur Jens Bjelke. Il se trouve avec les cavaliers sur la route.

Nous autres, nous allons demeurer ici et…

(Un soldat sort du côté droit. Les autres entrent avec BJORN dans la pièce du côté gauche).
madame inger
(Se promène silencieuse et inquiète sur la scène et dit) :

Si le comte Sture n’avait pas aussi vite fait ses adieux à ce monde, avant un mois, il eut été pendu ou fait prisonnier à vie. Aurait-il été plus heureux ?

Ou bien il aurait gagné la liberté en vendant mon enfant à l’ennemi ! Aussi, l’ai-je tué. Le loup ne défend-il pas ses petits ? Qui donc oserait me blâmer parce que j’ai anéanti celui qui voulait m’arracher la chair de ma chair.

C’était la fatalité ? Toute mère aurait agi comme moi.

Mais je n’ai plus de temps pour ces pensées oisives. Il faut agir.

(Elle se place devant la table du coté gauche).

Je veux écrire à tous mes amis dans le pays. Il faut qu’ils se soulèvent pour la grande cause. Un nouveau roi, — d’abord gouverneur, puis roi…

(Elle commence à écrire, mais s’arrête pensive et dit à voix basse).

Qui choisira-t-on à la place du mort ?

Mère de roi… Un beau rêve dans ce mot mère de roi. Il n’y a qu’une chose étrange, l’affreuse ressemblance avec l’autre mot : assassin de roi ![1]

Mère de roi, assassin de roi !

Assassin de roi est celui qui prend la vie d’un roi.

Mère de roi est celle qui donne la vie à un roi.

(Elle se lève).

Eh bien ! soit ! Je restituerai ce que j’ai pris. Mon fils sera roi.

Elle s’assied de nouveau et recommence à écrire, mais cesse bientôt et s’appuie sur le dos de la chaise).

C’est toujours lugubre un cadavre dans la maison. C’est pour cela que je me sens si nerveuse.

(Elle tourne brusquement la tête et dit comme si elle parlait à quelqu’un).

Non ! Alors, pourquoi me sentirais-je mal à l’aise ?

(Réfléchissant).

La différence est-elle vraiment si grande entre tuer un ennemi et assassiner quelqu’un ?

Ah ! de son épée, Knut Alfön avait ouvert nombre de fronts et, pourtant, son propre front était calme comme celui d’un enfant.

Pourquoi vois-je toujours, toujours…

(Elle esquisse le geste de donner un coup de couteau).

Toujours ce coup dans le cœur et puis, après, le sang rouge qui coule.

(Elle sonne en continuant à parler en rangeant les papiers).

Désormais, je ne veux plus avoir de ces horribles visions… Je veux travailler jour et nuit. Et, dans un mois, je reverrai mon fils.




Scène IX

Mme INGER, BJORN
björn
(Entre).

C’est vous qui avez sonné, ma noble dame ?

madame inger

Il te faut me chercher encore des bougies ; je veux beaucoup, beaucoup de lumière dans la salle.

(BJORN sort du côté gauche).




Scène VII

Mme INGER
(Seule, après un moment se lève brusquement).

Non, non, non. Il m’est impossible d’écrire cette nuit. Ma tête brûle et me fait horriblement souffrir.

(Inquiète elle écoute).

Qu’est-ce cela ?

Ah ! c’est le couvercle du cercueil qu’on cloue là-bas.

Quand j’étais enfant, on me contait la légende du chevalier Aage qui revenait chaque nuit, portant son cercueil sur le dos…

Ah ! si l’autre, là-bas, cette nuit, avait la fantaisie de revenir avec son cercueil sur le dos pour me remercier de le lui avoir prêté.

(Elle rit).

Hum ! — Nous autres, grandes personnes, nous n’avons pas à nous occuper de ces histoires d’enfants.

(En colère).

Quand même, ces contes suffisent à troubler le sommeil.

Quand mon fils sera roi, on défendra ces absurdités.

(Elle se promène par-ci, par-là, puis ouvre la fenêtre).

Combien de temps cela dure-t-il habituellement, avant qu’un c&davre commence à pourrir ?

Il faut donner de l’air ici, partout, c’est malsain.


Scène XI

Mme INGER, BJORN
(BJORN rentre avec deux chandeliers allumés qu’il place sur la table).
madame inger
(En s’occupant de nouveau des papiers).

C’est bien, n’oublies pas ce que je t’ai dit ; beaucoup, beaucoup de bougies sur la table.

Que fait-on là-bas ?

björn

Ils sont en train de placer le couvercle sur le cercueil.

madame inger
(Écrivant).

On le visse bien solidement ?

björn

Aussi solidement qu’il le faut.

madame inger

Oui, oui, tu ne peux pas savoir combien solidement il est nécessaire de le fermer. Surveille bien afin qu’on le ferme bien solidement.

(Approchant familièrement de lui sa main remplie de papiers et dit d’un ton mystérieux):

Björn ! tu es homme d’expérience. Eh bien ! méfie-toi de tous les hommes, de ceux qui sont morts et de ceux qui doivent mourir.

Va, maintenant, et veille à ce qu’on visse bien solidement le couvercle du cercueil.

björn
(En secouant la tête et à voix basse).

Je ne la comprends pas.

(Il rentre de nouveau dans la pièce voisine, du côté gauche).
madame inger
(Commence à cacheter une lettre, mais la jette et se promène un instant, puis elle dit avec violence):

Si j’étais lâche, jamais je n’aurais osé faire cela ; si j’étais lâche je me serais crié à moi-même : arrête ! arrête ! pendant que tu as encore un peu d’espoir pour le salut de ton âme.

(Ses yeux rencontrent le portrait de Sten Sture ; elle évite de le regarder et dit à voix basse) :

Ah ! il rit en me regardant, horreur !

(Elle tourne le portrait contre le mur sans le regarder).

Pourquoi as-tu ri ?

Parce que j’ai mal agi avec ton fils ?

Mais l’autre n’est-il pas aussi ton fils… et il est le mien, n’oublie pas cela.

(Elle regarde furtivement tous les portraits).

Je ne les ai jamais vus terribles comme cette nuit. Ils ne me quittent pas des yeux !

(Elle frappe du pied par terre).

Mais je ne veux pas de cela ! Je veux avoir la paix dans ma maison.

(Elle commence à tourner tous les portraits contre le mur).

Oui, fût-ce celui de la Sainte Vierge elle-même… L’heure est venue.

Pourquoi n’as-tu jamais écouté mes prières quand, de toute mon âme, je te priais de me rendre mon enfant ?

Pourquoi ?

Parce que le moine de Wittenberg a raison : il n’y a pas d’intermédiaire entre Dieu et les hommes.

(Elle respire lourdement et continue sur un ton de plus en plus égaré).

C’est heureux que je sois au courant de ces choses-là.

Personne ne pourra témoigner contre moi.

(Soudain elle ouvre les bras et murmure) :

Mon fils ! Mon enfant adoré ! Viens vers moi !

Ici, je suis ici !

Silence ! Je veux te dire quelque chose.

On me hait là haut, là haut par delà les étoiles, parce que je t’ai mis au monde.

La volonté de Dieu fut que je devais me sacrifier pour la patrie ; mais j’ai choisi moi-même ma route ; c’est pourquoi il m’a fallu souffrir tant et si longtemps.

björn
(Rentre de la pièce du côté gauche).

Madame, je viens vous annoncer…

Christ, Seigneur, qu’est-ce que cela ?

madame inger
(Est montée sur le siège d’honneur placé contre le mur du côté droit).

Silence ! silence !

Je suis la mère du Roi.

On a choisi mon fils comme Roi. Cela s’est fait bien difficilement, car c’était contre le Tout-Puissant même que j’avais à lutter




Scène XII

Mme INGER, BJORN, Nils LYKKE
nils lykke
(Entre hors d’haleine du côté droit).

Sauvé ! Il est sauvé !

J’ai la parole de Jens Bjelke. Madame Inger apprenez……

madame inger

Silence ! dis-je.

Regardez cette foule.

(Le chant des morts s’entend dans la pièce voisine à côte).

Voici le cortège du couronnement !

Quelle foule ! Tous se courbent devant la mère du Roi.

Oui, oui, elle a tant lutté pour son fils, lutté jusqu’à ensanglanter ses mains.

Où sont mes filles ? je ne les vois pas.

nils lykke

Sang de Dieu ! qu’est-il arrivé ?

madame inger

Mes filles — mes belles filles ! je n’en ai plus.

Il m’en restait une et celle-là je l’ai perdue au moment où elle allait entrer dans son lit de noce.

(À voix basse).

Le cadavre de Lucia y était déjà. Il n’y avait pas de place pour deux.

nils lykke

Ah ! quelle horrible aventure. La vengeance de Dieu m’a frappé.

madame inger

Vous le voyez ? Voyez, regardez ! C’est le Roi !

C’est le fils de Inger Gyldenlöve ! je le reconnais à la couronne et à la bague de Sten Sture.

Ecoutez la joyeuse musique.

Il s’approche, je le tiens entre mes bras.

Ha, ha, ha, qui a vaincu ? Dieu ou moi ?

(Les soldats entrent avec le cercueil).
madame inger
{Porte les mains à sa tête et crie :)

Le cadavre !

(À voix basse).

Un vilain rêve.

(Elle tombe assise sur le siège) :


Scène VII

Les MÊMES, Jens BJELKE
jens bjelke
(Qui est entré du côté droit, s’arrête et crie avec étonnement) :

Mort ! Alors, quand même…

un soldat

Lui-même s’est tué.

jens bjelke
(En regardant Nils LYKKE).

Lui-même ?

nils lykke

Oh !

madame inger
(Très faible mais se ressaisissant).

Oui, oui, — maintenant je me souviens de tout.

jens bjelke
(Aux Soldats).

Reposez le corps, ce n’est pas celui du Comte Sture.

un soldat

Excusez, Monsieur le Chevalier, mais cette bague qu’il portait attachée à son cou.

nils lykke
(En saisissant le bras au soldat).

Silence !

madame inger
(Se levant en sursaut).

La bague !

(Elle s’approche et saisit la bague).

La bague de Sten Sture.

(Avec un cri).

Oh ! Jésus-Christ ! c’était mon fils !

(Elle se jette sur le cercueil).
les soldats

Son fils ?

jens bjelke
(En même temps).

Le fils de Inger Gyldenlöve ?

nils lykke

Oui, c’est ainsi.

jens bjelke

Mais, pourquoi ne me l’avez-vous pas dit ?

björn
(Essayant de relever Madame INGER).

Au secours, au secours ! Madame, que vous faut-il ?

madame inger
(D’une voix faible se soulevant un peu).

Ce qu’il me faut ?

Une place auprès de mon enfant…

(Sans force ; elle retombe sur le cercueil).
(Nils LYKKE sort vite du côté droit).

Mouvement général chez les autres.


rideau



FIN
  1. En Norvège, mère de roi se dit Kongemoder, assassin de roi Rongemorder, note du vicomte de Colleville et F. de Zepelin.