Aller au contenu

Madame Th. Bentzon/1

La bibliothèque libre.
P. Lethiellieux, libraire-éditeur (p. 5-8).

I


Quoique des années lourdes d’événements aient passé depuis sa mort (1907), ni le nom de Thérèse Bentzon ni son œuvre ne sont oubliés. Sa personnalité remarquable mérite qu’on la fasse revivre et qu’on prolonge ce rayonnement bienfaisant, cette influence discrète dont tous ceux qui l’ont connue ont senti le réconfort.

Dans la correspondance d’une amie disparue avant elle, on trouve les lignes suivantes, souvenir des heures aimables que toutes deux vécurent dans cette sauvage Gascogne dont plusieurs des livres de Mme Bentzon ont emprunté le charme pénétrant : « Jamais botte de roses ne fut plus éclatante que celle offerte à Thérèse qui voulut la porter seule. Elle aime les fleurs et leurs parfums avec passion. Que n’aime-t-elle pas au reste : idées, personnes, bêtes et choses ? Elle a une plénitude de vie merveilleuse[1] ».

C’est là une évocation aussi vivante que gracieuse de celle qui fut constamment prodigue d’elle-même, ayant à un degré rare le génie de l’amitié. Dans le recul des jours enfuis, elle apparaît ainsi, avec cette ardeur sereine, cette large sympathie accueillante pour tous, prête à donner son temps précieux, ses conseils, ses efforts dès qu’elle voyait le moyen d’être utile, enfin avec cet esprit ouvert à toutes les idées qui lui paraissaient nobles et généreuses. S’il arrivait à ses enthousiasmes d’être parfois déçus, ni désillusions ni ingratitudes ne pouvaient décourager « cette nature vraiment chevaleresque », mot aussi exact qu’heureux d’une autre de ses amies, Mlle Blaze de Bury.

Femme de lettres, elle le fut dans le sens le plus élevé, dédaignant la réclame bruyante, l’âpre arrivisme, mais voyant dans sa carrière la dignité de son existence, et jouissant, avec une juste fierté, d’un succès acquis sans intrigue, par un mérite qui s’était rapidement imposé. Jusqu’à son dernier jour, le travail qu’elle aimait lui a fait oublier de cruelles souffrances. La vanité et le pédantisme étaient toutefois étrangers à cette femme de vieille race et de grand esprit. Longtemps elle se dissimula derrière le pseudonyme à demi masculin de Th. Bentzon, que les lecteurs interprétaient « Théophile » ou « Théodore », s’imaginant que cette fermeté de style, cette solidité de pensée ne pouvaient être des qualités féminines.

Ces qualités se retrouveront avec une note de spontanéité plus vibrante et plus émue, dans les fragments de lettres intimes que quelques personnes, pieusement dévouées à sa mémoire, m’ont permis de joindre à cette étude de son œuvre.

  1. Lettres de Gabrielle Delzant.