Madame de Stein et Goethe

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Madame de Stein et Goethe
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 86 (p. 900-919).
Mme DE STEIN
ET GOETHE


I.

Le voyage en Italie est dans l’histoire de Goethe une des périodes qui marquent le plus; cette ardente aspiration d’enfance exprimée dans ses premiers vers, ce rêve continu de l’homme et de l’artiste n’a dû peut-être son accomplissement qu’à tel de ces romanesques épisodes qu’il vivait, ou plutôt qu’il se guindait à vivre, afin de mieux les raconter ensuite. Personne moins que Goethe ne sut jamais prendre librement un parti; il n’arrivait à son propre desideratum que par un effort extraordinaire sur lui-même. A mesure qu’il avance dans la vie, cette action des hommes et des circonstances ne fait que le dominer davantage. A Weimar, les emplois publics, les charges de cour, l’amitié du prince, ne le laissent plus respirer; les complications enguirlandent ses heures, il va de succès en succès, plane aux plus hautes sphères; son influence s’étend partout. Sa fortune lui permettrait déjà de s’appartenir à lui-même, de s’échapper au pays où sa vocation l’appelle; pourquoi ne le fait-il pas? pourquoi reste-t-il? L’amour d’une grande dame, souverainement belle et intelligente, le retient, le captive. Attendons que les conflits éclatent, que les libres engagemens soient devenus des chaînes, que le grand-duc ait découragé ses vrais amis en renonçant aux principes de gouvernement reconnus d’abord par lui comme lys seuls praticables. — Goethe ne demandait qu’à fuir, qu’à s’en aller. L’Italie, inondée de soleil, l’attirait plus que jamais, comme une île d’enchantement et de salut. Lorsqu’on l’automne de 1786, se trouvant à Carlsbad avec Charles-Auguste, il décampa tout à coup, et par la Bavière et le Tyrol gagna Venise sans avoir averti personne, sa nature depuis longtemps le poussait hors de Weimar; mais, selon toute apparence, il n’en fût point sorti par sa volonté simple, si d’insupportables troubles de cœur n’eussent en quelque sorte fait une extravagance de la plus sage des résolutions. Abordons l’aimable objet de cette flamme délirante.

Charlotte-Ernestine-Albertine de Schardt, mariée au baron Frédéric de Stein, écuyer du grand-duc de Weimar, était née en 1742. Elle avait donc sept ans de plus que Goethe, lequel en comptait trente-trois lorsqu’il fit sa connaissance à Weimar, après avoir de loin déjà fort admiré sa personne, comme on peut le voir par une lettre du docteur Zimmermann. « A Strasbourg, entre cent autres silhouettes, j’ai montré la vôtre, madame; jamais, à mon avis, on n’a jugé d’une tête avec plus de génie, jamais on n’a parlé de vous avec plus de vérité. Il viendra sûrement vous faire visite à Weimar. Rappelez-vous alors que tout ce que je lui ai dit de vous à Strasbourg lui a fait perdre le sommeil pendant trois jours ! » Goethe, en admiration devant le portrait, avait écrit au bas : « Ce serait un beau spectacle de voir comment se réfléchit le monde dans une telle âme; si j’en juge par la douceur de la physionomie, elle voit le monde comme il est, mais par le médium de l’amour. » Bientôt ce fut au tour de Mme de Stein de s’informer de Goethe, et le bon docteur de répondre à la curieuse dame : « Vous voulez que je vous parle de Goethe, vous désirez le voir? mais, pauvre âme, vous n’y pensez pas; vous désirez le voir, et vous ne savez pas à quel point cet homme aimable et charmant pourrait vous devenir dangereux. »

Dès son arrivée à Weimar, Goethe fréquenta la maison de Mme de Stein. Ces deux intelligences semblaient faites l’une pour l’autre. D’abord le goût des arts et des sciences les rapprocha, puis à cette première sympathie de plus doux rapports succédèrent, si bien que Goethe en vint finalement à ne plus voir les choses que « par le médium de l’amour. » C’est du moins ce qu’il donne à entendre à la comtesse Stolberg dans une lettre de cette époque (17 mai 1776) : « Après dîner, je suis allé voir la comtesse de Stein, un ange de femme à qui je dois bien de l’apaisement et de pures félicités. » Goethe était ainsi fait que chez lui une préoccupation amoureuse chassait l’autre. Son cœur presque aussitôt se partageait, et, quand il aimait passionnément deux femmes, il lui en fallait trouver une troisième avec qui tenir registre de ses sensations. Il avait encore à son côté cette adorable Frédérique Brion, qu’une autre recommençait à l’intéresser, et que Frédérique Oeser recevait à ce sujet ses confidences. De même aujourd’hui la comtesse Auguste Stolberg l’écoutait raconter comme quoi dans son cœur Mme de Stein avait pris la place de Lilli. « Que voulez-vous? c’était comme semé d’avance en moi, et sans que j’y aie songé, c’était poussé ! » Une femme portée aux idéalités doit nécessairement être incomprise de son mari. C’est la loi depuis le commencement du monde, et M. le baron de Stein, froid, gourmé, homme et gentilhomme de cour et d’étiquette, n’était pas pour faire mentir cette loi. Mme de Stein, loin de trouver le bonheur dans le mariage, n’y avait appris qu’à douter d’elle-même, et c’est contre ce doute profond, mélancolique, inexprimable, que Goethe eut à réagir tout d’abord. La manière dont il s’y prit doit être la bonne, si j’en crois une lettre fort rassurante écrite presqu’au début de cette relation. « Le monde recommence à me plaire; je m’en étais séparée, vous me réconciliez avec lui ; il y a un an à peine, je voulais mourir, maintenant, grâce à vous, je veux vivre. »

Bientôt l’attachement fut dans son plein (novembre 1776), et le règne de la grande dame, type d’Iphigénie et de la princesse Éléonore dans Torquato Tasso, s’établit pour ne plus finir. A quatre-vingts ans, le sentiment vivait encore, accru en quelque sorte par la perte même de celles que la mort lui prenait : mère, sœur, amante. « C’était un lien entre elle et moi pareil à ceux que forme la nature[1]. » Ce noble et sévère attachement où la passion est pourtant son heure ne fut pas toujours exempt de troubles ; il en coûtait, il en cuisait à Goethe de sentir aux bras d’un autre, à qui elle appartenait, cette belle et intelligente personne qu’il adorait, et pour laquelle, tout en platonisant, il brûlait de plus de feux qu’Achille n’en alluma. « Pourquoi chercher à nous abuser? Nous ne nous sommes rien, non, rien l’un à l’autre, et nous nous sommes trop ! » Et autre part (1781) : « Mon âme est désormais inséparable de la tienne; quel vœu, quel sacrement imaginer pour légitimer cette union indissoluble? Les Juifs ont des liens dont ils s’enlacent dans leurs prières. Ainsi lorsque ta pensée me possède, je serre autour de mon bras quelque ruban dérobé à tes cheveux, à ta ceinture, et je t’invoque, ô dame de sagesse, de modération et de patience, mais sans pouvoir participer à ces vertus dont tu gardes le secret pour toi seule. Oh! par pitié, je t’en supplie à genoux, complète ton ouvrage et fais que je sois heureux ! »

Le vœu fut-il entendu, exaucé? Les mémoires du temps disent que non, et aussi les correspondances; mais ce billet qu’on va lire, que de choses ne trahit-il pas ! « Cette nuit, enivré, éperdu, je fus au moment de jeter à la mer mon anneau de Polycrate, car je songeais, dans le silence et l’ombre, à mes félicités. Je calculais, j’additionnais; que de trésors, de délices, quelle somme! » Et voyez la coïncidence : tandis que l’amant se livrait à cette arithmétique enthousiaste, l’altière baronne traçait de son côté quelques lignes de nature apparemment assez inflammable, puisque Goethe, après les avoir lues et dévorées, n’eut rien de plus pressé que de les présenter à la bougie, afin de les soustraire à tout regard profane et d’en conserver les cendres comme un religieux souvenir.

Soyons discret, car si l’alcôve s’entr’ouvrit, elle se referma soudain, et ce quart d’heure mystérieux, ineffable, nul en dehors des deux amans ne l’entendit sonner. Ajoutons que dans une liaison dont la réserve et le parfait respect des bienséances sociales avaient dès l’origine marqué le caractère platonique, ces délices d’un moment ne pouvaient être chez la femme qu’un oubli suivi d’immédiats regrets et d’un mouvement de retraite qui, en décourageant l’amant passionnément récidiviste, éloigna pour un temps du moins l’adorateur servant. « C’est la vérité, désormais mes sens t’appartiennent à ce point que rien en moi ne pénètre sans te payer des droits. Il semble que dans mes yeux, dans mes oreilles, ta chère main ait posté de mignons esprits qui de tout ce que j’entends et vois réclament pour toi tribut. Adieu donc, toi l’élément de mon existence, le commencement et la fin de mes joies et de mes douleurs; en te possédant, qu’est-ce qui pouvait me manquer? en ne t’ayant pas, que puis-je avoir? »

Goethe, à une certaine période de cette liaison, avait écrit à Mme de Stein qu’elle était « la seule femme dont l’amour l’eût rendu pleinement heureux, la seule qu’il eût jamais aimée sans angoisses, et qui fût capable de voir les choses d’assez haut pour lui souhaiter bonne chance, s’il lui arrivait d’en aimer une autre davantage. » Goethe, lorsqu’il parlait ainsi, s’abusait; c’était le poète qui s’avançait, et non l’homme. J’ai cité cette superbe création d’Iphigénie, pour laquelle trois personnes, également recommandables à divers titres, ont posé : la tragédienne Corona Schroeter, Mme de Stein et la grande-duchesse Louise, femme de Charles-Auguste de Saxe-Weimar, le maître de Goethe et son ami. Corona Schroeter, la plastique et belle jeune fille, fut ce mannequin sur lequel les peintres essaient des costumes : on fit jouer harmonieusement sur ses épaules les plis de la draperie grecque; mais Mme de Stein, la princesse Louise, furent les vrais modèles, « car ces deux femmes étaient la gloire de leur sexe, et tout leur effort tendait vers le beau moral. Elles ne disaient pas comme le proverbe : ce qui plaît est permis, elles disaient : Cela seul est permis qui répond aux convenances. » C’est contre cette dévotion, peccable peut-être comme toutes les dévotions de la terre, mais profondément enracinée au cœur de la grande dame weimarienne, c’est contre ce culte invétéré des convenances que vint échouer la passion de Goethe. Non content du sacrifice obtenu, il osa réclamer davantage, il demanda à Mme de Stein de quitter un époux si fort au-dessous d’elle par l’intelligence et de venir vivre avec lui, offrant pour sa part de renoncer à tous les honneurs, à tous les avantages de la situation qu’il occupait près du grand-duc. Mme de Stein, digne et pourtant émue, écarta la proposition. « Ce qu’on vous demande, ce n’est pas le renoncement à votre amour, c’est le renoncement dans l’amour. » Goethe refusa de se soumettre, n’ayant jamais appartenu à cette race des amans qui souffrent. A dater de ce moment (1786), les astres cessèrent de lui commander d’attacher indissolublement sa destinée à Mme de Stein; il se prit à se reconquérir, et s’en alla voyager en Italie.

Son premier séjour à Rome fut de quatre mois; dès la fin de cette année, il agitait la pensée de s’en revenir à Weimar. Il s’estimait complètement guéri, régénéré; il revenait « à la santé, au sentiment de l’histoire, de la poésie et de l’antique. » C’était assez pour lui de bénéfice; son dévoûment au pays, au grand-duc, aux frais duquel il voyageait royalement, s’opposait à de plus longs retards. Il s’en fallait d’ailleurs de beaucoup que dans les cercles de Weimar cette absence fût envisagée favorablement. On reprochait à Goethe de jeter l’or par les fenêtres, tandis que d’humbles commis mal payés s’escrimaient à dépêcher sa besogne. Le salon de Mme de Stein servait surtout de centre aux malveillans, et la belle Diane vengeresse décochait sur l’Endymion révolté les traits cruels de son carquois, piquée au jeu qu’elle était par le récit de certaine aventure peu à l’honneur de son héros.


II.

Une fois en Italie, Goethe, qui déjà n’était plus dans le septième ciel, retomba sur la terre, et joyeusement s’y laissa vivre. A peine en villégiature à Castelgandolfo, il fit la connaissance d’une aimable et jolie Milanaise en visite chez une de ses amies de Rome. « Ce fut l’affaire d’un moment, un éclair, un caprice, une de ces distractions d’un cœur désormais sûr de lui-même, et qui, ne craignant rien, s’empare pour un instant de l’objet le plus désirable qu’il rencontre. » Goethe ne tarda pas d’apprendre que cette jeune fille était fiancée à un autre, et peut-être alors eut-il quelque remords de l’avoir si rapidement menée à mal. Toujours est-il qu’à cette nouvelle il imprima résolument un caractère plus discret à sa fréquentation; il évita désormais de se trouver en tête-à-tête avec sa maîtresse, et, « sans se départir de sa tendresse pour elle, s’efforça de lui témoigner plus de réserve et plus d’égards. » Cependant le fiancé se dégagea brusquement; le mot de cette rupture ne fut pas prononcé, mais Goethe n’eut peut-être qu’à regarder dans sa conscience pour le lire. La pauvre enfant en ressentit un affreux crève-cœur, la fièvre mit ses jours en danger, et le brillant damoiseau, qui pendant cette crise avait naturellement passé par les émotions les plus douloureuses, ne se sentit pas de joie lorsqu’il revit à quelque temps de là sa jolie convalescente se promenant dans la voiture d’Angelica Kauffmann. De part et d’autre, on se tendit la main, on s’attendrit, et Mme Angelica, toujours bonne, permit à l’amant éploré de prendre place dans le carrosse. Bientôt Goethe vint voir la jeune fille chez son frère, commis dans une maison de commerce, et dont elle tenait très respectablement le modeste intérieur. L’entretien, enjoué d’abord et familier, tournait à l’attendrissement, lorsque, le frère entrant, « il fallut se quitter en prose; » mais à peine Goethe avait-il mis le pied dans la rue, qu’il aperçut la gracieuse enfant penchée à sa fenêtre, et la conversation reprit sur nouveaux frais. En attendant que le cocher reparût, on échangea des baisers et des aveux si tendres, si charmans, que jamais, au dire de l’amant trop poète, « ils ne devaient sortir de son cœur ni de sa mémoire. » Voilà ce qu’on se racontait à Weimar en même temps que bien d’autres histoires encore moins édifiantes, et je laisse à penser si Mme de Stein approuvait une telle conduite. Goethe n’ignorait rien de ces petites cabales; mais le grand-duc ne tarda pas à le rassurer en prolongeant indéfiniment son congé, et le priant, au nom de leur amitié, d’en faire le plus large emploi. Goethe avait envie de parcourir le sud; au commencement de février 1787, il était à Naples.

Ses lettres, pittoresques, rapides, amusantes, émues et passionnées en présence d’un spectacle de la nature, d’un objet d’art, nous livrent jour par jour toutes les sensations du voyage. On ne faisait point alors de politique à Naples. En a-t-on jamais fait? la politique fut-elle jamais autre chose là qu’un bruit de plus perdu dans le vacarme universel? Crier, musiquer, s’escrimer en gesticulations, en grimaces, passionner indifféremment tout ce qu’on fait, voilà la vie,’ — une pantomime, un feu d’artifice sans fin. Du luxe sans richesse, de la pauvreté qui n’est point la misère, l’or et les haillons pêle-mêle, et, pour qui voudrait appliquer aux choses nos principes de morale, une confusion babélique! Mentir, dire la vérité, être un fripon ou un galant homme, manquer à sa parole ou la tenir, c’est en général absolument la même affaire; il n’y a de distinction que dans la convenance particulière de chacun, et la vie est là si splendide, la nature et les hommes, le pays et la mer vous donnent un si grandiose, un si complet spectacle, que l’idée de moraliser ne s’éveille en vous que plus tard, et lorsqu’au repos vous agitez et ruminez vos souvenirs. N’oublions pas le Vésuve, d’où, comme du ciel, on plane sur l’étincelante cité, Pompéi, la ville de Titus et de Vespasien, où vous assistez au mouvement de cette vie romaine dont près de deux mille ans nous séparent, et Pœstura avec ses temples grecs, superbes dans leur isolement, tout cela rapproché à souhait, fondu dans l’harmonie du tableau. Mais les ruines grecques, on ne les voit, on ne les goûte pleinement qu’en Sicile. En avril, Goethe s’embarque; il revient à Naples au mois de mai, après avoir exploré l’île dans tous ses recoins Et pris connaissance d’un monde nouveau. Si étranges, si admirables étaient les découvertes faites par lui dans cette Afrique du nord qu’en se retrouvant à Rome, au terme de son expédition, il croit rentrer dans son domicile naturel. C’est du reste une sensation connue de tous les voyageurs, qui, après avoir quitté Rome, y reviennent ensuite après une absence plus ou moins longue; on se figure revoir une patrie, il semble que ces lieux vous aient attendu, vous reconnaissent, que ces pierres vous disent quelque chose des belles années de votre enfance. Goethe raconte avec ravissement cette impression; pour la première fois, il se sentait calme, il se sentait vivre. « Je rêve, écrit-il, un rêve de jeunesse. » Il avait jusque-là nagé dans un étroit ruisseau dont ses bras, en s’ouvrant, touchaient les deux bords; il se roulait maintenant en plein océan, libre de choisir ses courans et toujours voguant vers l’infini. De cette antiquité confusément pressentie et désormais l’objet d’études si profondes, l’Allemagne n’avait pu même lui donner un avant-goût; il vivait en commerce immédiat, incessant, avec les originaux, touchait du doigt les Phidias et les Michel-Ange, et se faisait litière de chefs-d’œuvre, lui qui à Weimar en était réduit à devoir se contenter de quelques plâtres et de quelques estampes.

Rome est assurément une ville comme les autres, et cependant qui peut nier l’action qu’elle exerce sur les esprits? De même qu’il y a des lieux doués par leurs sources de propriétés salutaires, d’autres où la nature a déposé le précieux trésor de ses métaux et de ses pierreries, il semble que Rome ait ce don d’attirer, d’occuper éternellement l’imagination des hommes. Quiconque aura du haut du Capitole contemplé les monts albains ne les oubliera plus; ces lignes fermes et délicates lui resteront dans la mémoire comme l’écriture d’une main chérie. Des événemens accomplis là depuis des milliers d’années, de tout cet entassement de gloire et de catastrophes, une sorte d’atmosphère intellectuelle se dégage qui vous enveloppe et vous retient; on dirait que les nuages ont gardé quelque chose de ce grand bruit de pas humains qui s’est fait sur ce sol, et qu’il vous en revient par momens un sourd et mystérieux écho. « Qui a vu Rome ne saurait plus jamais être absolument malheureux, » écrit Goethe, attribuant au souvenir de la ville éternelle cette vertu réconfortante propre aux idées philosophiques et religieuses, et il ajoute : « A peine de retour d’une excursion dans la montagne, me voici de nouveau sous le charme, tranquille, satisfait, travaillant dans le calme et l’oubli de tout ce qui se passe en dehors de moi, et paisiblement visité par les ombres de mes amis. »

Tasse et Iphigénie furent le produit du voyage en Italie. C’est à ces œuvres qu’il travaillait à Rome, et ces œuvres parlent assez haut pour qu’il soit inutile d’insister sur l’influence d’un tel climat. Lorsque Goethe quitta l’Allemagne, Weimar et sa société formaient tout son horizon; lorsqu’il y rentra, Weimar ne fut plus que le point d’où son action rayonna sur le monde. Au provincialisme avait succédé l’esprit d’universalité; c’était la même flamme qu’autrefois, mais plus calme, plus concentrée, éclairant l’espace du haut d’un phare. Avant que les circonstances l’eussent contraint à ce voyage, Goethe pouvait en quelque sorte avoir des doutes sur sa vocation. Que d’influences ne subissait-il pas, que de tiraillemens en sens divers, que d’élémens contraires à l’harmonique pondération de sa nature dont il allait se voir délivré, — ce goût de la politique et de l’officiel, par exemple, qu’il croyait être dans son tempérament, et qui n’était que le résultat de son amitié pour Charles-Auguste! « Je me suis retrouvé, écrit-il au grand-duc, et comme qui ? je me suis retrouvé comme artiste. » C’est à Rome que Goethe apprit que pour tenir dans le monde la seule place qui lui convînt, pour vivre en parfait accord avec lui-même, il lui fallait être poète. L’art en effet ne se contente pas de célébrer là ses plus beaux triomphes, il y enseigne aussi qu’il est le principe de vie. Comment, en présence de l’œuvre de Michel-Ange à la Sixtine, de Raphaël au Vatican, ne pas se dire que créer de pareilles choses est le plus noble emploi où le génie humain puisse jamais prétendre? Nulle part plus que sur ce terrain séculaire de la politique, l’action de l’art ne se montre utile et féconde. C’est que la politique ne gouverne que l’heure présente. L’instant qu’elle dirige a reçu de plus haut son impulsion : au-dessus, bien au-dessus des événemens, plane la force intellectuelle qui seule conduit les peuples vers leur destinée et donne leur rang historique aux nations. Qu’on mette dans un plateau de la balance toutes les victoires des Grecs, tout ce qu’ont fait de grand les Périclès, les Alcibiade, les Alexandre, et dans l’autre l’œuvre d’un Homère, d’un Eschyle et d’un Phidias; le poids de l’esprit l’emportera, l’intelligence de ces trois hommes prévaudra sur toute l’histoire politique de leur nation. Que serait Jules II sans Michel-Ange, sans Raphaël? Celui-Là cependant mit la main plus avant que personne dans les destinées de l’Italie de son temps ; mais il comprit, aima, pratiqua ces deux souverains génies, et c’en est assez pour lui assurer sa place au premier rang de cette aristocratie humaine, de ce groupe de héros qui, sans avoir reçu le don de produire par eux-mêmes, ont su dès le présent distinguer ce que l’avenir, parlant de leur période, ne devait nommer qu’avec enthousiasme. Élisabeth vaut double par Shakspeare, Charles-Auguste par Goethe ; les grands artistes sont les plus fiers symboles du développement humain. Dites simplement : Corneille, Molière, Voltaire, Rousseau, et dans ces quatre noms vous avez compris tous les rois, tous les ministres, toutes les favorites, tous les maréchaux, toutes les victoires, toutes les idées de notre histoire pendant deux siècles.

Goethe décrit, dans les dernières pages de son Voyage en Italie, la maison qu’il habitait à Rome : ces grandes pièces aérées, commodes, ce vaste et frais atelier où s’entassaient les plâtres de tous ses modèles favoris, ce coin de terre où le vieil abbate cultivait des citronniers, la belle vue sur les jardins, les balcons, les terrasses. — Hélas ! il lui fallut abandonner tout cela et quitter aussi la paix céleste qu’il goûtait, et qu’il sentait si bien ne plus jamais devoir retrouver ailleurs. « À l’instant du départ (avril 1788), j’éprouvai une douleur particulière. C’est en effet une émotion intraduisible que celle qui vous prend quand on s’éloigne de cette capitale du monde après s’y être pour quelque temps naturalisé, et en se disant qu’on n’y reviendra plus. Nul ne saurait parler d’un tel état à moins de l’avoir ressenti. » Et Goethe se serait bien gardé d’écrire une ligne ou d’en parler, de peur de voir trop hâtivement s’évaporer le délicat parfum de sa douleur. Pour que rien ne vînt le distraire des premières voluptés de sa peine, il ferma les yeux. Il les rouvrit cependant bientôt au spectacle du monde, toujours si beau à contempler quand notre âme est émue. « Je me remis par un plus libre élan d’activité poétique. L’idée de Tasse était sur le métier, j’en élaborai de préférence les scènes les plus en rapport avec mes dispositions du moment. À Florence, la plus grande partie de mon séjour se passa à écrire dans les jardins et les promenades, et je n’ai qu’à relire aujourd’hui certaines scènes pour retrouver la sensation immédiate de ce temps. » Comme jadis Virgile pour Alighieri, le Tasse fut pour Goethe en cette occasion un compagnon de route, mieux encore, un guide, un consolateur aux heures d’affliction :

Tu sei il mio maestro, il mio signore !

L’amant d’Éléonore d’Esté, après avoir reconduit hors d’Italie l’amant de Mme de Stein, l’aida par sa présence à surmonter bien des tristesses. En ces deux ans, Goethe s’était fait de Rome une patrie; lorsqu’il se retrouva dans son coin étroit de Weimar, le mal du pays l’entreprit, il voulait s’échapper, fuir de nouveau vers l’Italie; le travail seul le détourna de ce projet. « Sur ce globe terrestre si mobile, on n’arrive au calme, au bonheur, que par l’amour, la pratique du bien et la science. » L’étude fut donc alors son vrai refuge. La froideur de ses amis l’avait en arrivant déconcerté; venaient maintenant les sarcasmes, les médisances. Il savait que les Acastes et les Clitandres du cercle de Mme de Stein ne le ménageaient pas. Les épigrammes pleuvaient sur l’homme aux rubans verts, dont le tort était peut-être d’avoir grandi trop vite, car, ne l’oublions pas, le Goethe d’aujourd’hui n’avait plus rien de celui d’autrefois. Dans ce voyage en Italie, qui fixe le point de séparation entre sa jeunesse et sa maturité, une révolution venait de s’accomplir; au physique de même qu’au moral, il s’était transformé. À ce moment, Goethe abordait la quarantaine. C’en était fait du brillant et fiévreux damoiseau qu’on avait vu partir naguère. Ce personnage-là désormais appartenait au mythe, l’homme qui revenait se possédait tout entier : Cumes et la sibylle l’avaient instruit; pénétré jusqu’au fond de l’âme de sa vocation, il en portait le geste et la dignité. Il pouvait souffrir encore des caprices d’une femme, des injustes reproches de ses amis; mais, quant à le détourner de sa voie, nulle influence humaine n’y réussirait.

Célimène comprit d’un coup d’œil la situation et s’en émut; les mécontens vinrent se grouper autour d’elle. Pour des griefs, assurément elle en avait, mais de nature à ne point agiter en d’autres circonstances le cœur d’une grande dame si contemplative et si dédaigneuse des plaisirs vulgaires. La vérité de cet antagonisme qui, à partir de cette époque, devait toujours s’accentuer davantage, fut dans l’indépendance reconquise que Goethe, aux premiers momens, laissa paraître sans l’afficher aucunement, mais de l’air d’un homme désormais trop maître de lui-même pour ne pas vouloir l’être aussi de ses maîtresses. Or c’est ce dont à aucun prix on ne voulait; plus l’homme était devenu grand, plus on tenait à régner sur lui. Qui sait si, par un de ces sacrifices illustres auxquels le monde a vu les plus hautes vertus se résigner en désespoir de cause, qui sait si l’on n’eût pas été jusqu’à se départir des réserves qui jadis avaient tant irrité l’amant jaloux de tous ses droits? Mais Goethe, en voyageant, avait changé d’humeur, et c’était assez qu’il revînt précédé de la réputation d’un mauvais sujet pour qu’on offrît au brillant libertin, en pleine possession, ce que le plus sensible et le plus épris des amans n’avait obtenu qu’à la dérobée, et encore... Goethe venait de remplir l’Italie du bruit de ses fredaines; les sens à côté de l’esprit avaient mené leur fête, et, comme ces demi-dieux du paganisme qui comptent leurs travaux et leurs scandales par douzaines, le mythique jeune homme, avant de s’engouffrer dans son nuage, s’était un peu bien licencieusement donné carrière. Nous connaissons la jolie Milanaise de Castelgandolfo; une autre déjà l’avait précédée : la petite danseuse de corde dont Goethe, à peine débarqué à Venise, s’était amouraché en la voyant travailler sur la place Saint-Marc, et qui, seule, servit de type à Mignon. Elle s’appelait Bettina comme l’autre, car dans cette litanie d’aimables pécheresses les mêmes noms reparaissent à chaque instant pour désigner des figures distinctes, ce qui ne laisse pas d’amener bien des confusions dans les commentaires. Les maîtresses de Goethe sont doubles; il y a Bettina-Mignon[2], comme il y a Bettina d’Arnim, comme il y a Frédérique Oeser et Frédérique Brion, comme il y a Charlotte Kestner (celle de Werther) et Charlotte de Stein, Christiane Vulpius (qui fut sa femme) et Christiane Neumann des Elégies, comme il y a la Milanaise du premier séjour à Rome et la Milanaise du second séjour.

En avril 1788 en effet, se trouvant à Rome pour la seconde fois, il y redevint la proie d’autres amours plus irritantes peut-être, bien qu’assurément moins avouables. C’était encore une fille de Milan, mais plus belle, plus plastique, servant de modèle dans les ateliers. Son nom, comme du reste celui de la gentille enfant dont nous avons esquissé le profil, demeure un secret pour l’histoire, et c’est seulement dans une correspondance du temps qu’on trouve trace de cette anecdote. Voici en effet ce que nous apprend une lettre de Schiller à Koerner[3]. « Cette après-midi, j’eus la visite de Goethe et de Meyer, qui tous les deux reviennent de Suisse. À ce propos, Meyer m’en a raconté de belles; il paraîtrait que Goethe, au dire des gens qui l’ont connu à Rome, aurait lié commerce avec une fille du pays, d’extraction assez basse et de mœurs fort suspectes; on ajoute même qu’il l’aurait épousée. Meyer m’a donné sur le sujet tant de particularités, que je n’en puis douter; ainsi Goethe paierait une pension aux parens et à la sœur, avec laquelle il avait commencé par entrer en relations. La personne était connue de tous les jeunes artistes; elle faisait le métier de modèle. Mets-toi en quête d’informations précises là-dessus, et ne manque pas de m’instruire de tout ce que tu apprendras. J’en suis profondément désolé pour Goethe, car il s’agit d’une vraie drôlesse qui l’aurait indignement dupé. » Koerner obéit au vœu de Schiller, et sa réponse contient le résumé de ses renseignemens. « Il n’y a que trop de vrai dans tout ce que Meyer t’a raconté, cependant la situation n’est point si désastreuse. Et d’abord, de mariage il n’a jamais été question; mais ce qu’on m’assure, c’est que Goethe a emmené la donzelle de Rome et l’a conduite avec lui en Suisse. Comme tu penses, je ne lui ai point parlé de cette laide histoire; mais, sans avoir eu besoin de le questionner, je crois savoir maintenant de source certaine qu’il a laissé la demoiselle en Suisse et pris des mesures pour qu’elle y reçût quelque éducation. Il se peut qu’il ait sur elle des projets d’avenir, lesquels ne se réaliseront pas, j’en jurerais. Les sens l’auront, comme d’habitude, entraîné. Or ce n’est pas avec ses lettres qu’elle le maintiendra sous son empire. Peut-être aussi qu’en Suisse le temps va lui sembler bien long, et alors un faux pas est vite fait; une autre n’a qu’à lui plaire davantage, l’enlever, et Goethe en sera quitte pour un peu d’argent. » Là s’arrêtent les confidences de Koerner, le seul avec Schiller qui dise un mot de cette histoire, sur laquelle nous fermerons aussi la parenthèse.

Pour épuiser la chronique galante de ce voyage en Italie, citons encore cette princesse napolitaine que Goethe appelle « dame Kobold. » Le nom dit tout : nature mobile, ardente et démoniaque, dont l’aventure avec le poète rappelle, mais de loin et sans qu’il y ait eu de conséquences fâcheuses, l’histoire de Rossini avec la princesse Borghèse. Il y eut aussi la marquise Branconi, rencontrée à Lausanne en 1779 lors du second voyage en Suisse, et plus tard retrouvée à Weimar. C’était une délicieuse et fort galante personne qu’une liaison avec le duc de Brunswick avait déjà rendue célèbre, et dont la comtesse Sanvitale du Tasse offre un portrait assez ressemblant, «Elle me paraît si belle, si adorable, écrit Goethe à Mme de Stein, que j’en suis à me demander si tout cela peut bien être ainsi que je le vois ; un esprit, un mouvement, des clartés sur toutes choses qui vous confondent! Il faut vraiment dire de cette femme ce que raconte Ulysse du rocher de Scylla : nul oiseau, fut-ce la colombe rapide qui porte à Jupiter l’ambroisie, ne le peut effleurer sans y blesser son aile. » Ce qui étonne en pareil cas bien autrement que tous les mérites petits et grands de la marquise Branconi, c’est de voir un amant venir ainsi parler d’une autre femme à sa maîtresse. Tout porte à croire que cet excès de lyrisme affecta désagréablement le cœur de Mme de Stein. Il convient aussi de se représenter sous son véritable aspect la société weimarienne d’alors, uniquement préoccupée des choses de l’esprit.

Tout absolutisme en ce monde est funeste, à commencer par celui de l’intelligence. Où le culte de l’imagination règne seul, la raison et la morale ont bientôt fait de perdre leurs droits. Rien ne rappelle le troubadourisme provençal comme cette période intellectuelle et galante jusqu’au raffinement de la société de Weimar. Dans ces belles dames du cercle de la grande-duchesse Louise, on croirait voir revivre les Ermengarde de Narbonne et les Éléonore de Guienne; c’est la cour d’amour en porcelaine de Saxe rococo. « Il est permis de prendre pour quelque temps une autre amante afin d’éprouver la première. — L’époux divorcé peut fort bien devenir l’amant de sa femme mariée à un autre. Le véritable amour ne saurait exister entre époux. » Qu’est-ce que les rapports d’un Goethe avec une Charlotte de Stein, sinon la mise en action la plus ouverte et la plus ingénue de ces préceptes? Aucun ne sera omis, croyez-le bien. On en vient à se demander si le divorce ne serait pas ce qu’il y aurait de mieux, mais on hésite, on recule devant un éclat; la loi du mariage peut bien être offensée, violée aux yeux de tous sans le moindre scandale, mais une séparation qui mettrait ces deux amans en pleine et légitime possession l’un de l’autre pourrait faire du bruit. On continuera donc à vivre sur le même pied. Mme de Stein n’était pas, tant s’en faut, une héroïne de George Sand, une de ces natures qui, lorsque la passion a sonné le boute-selle, partent en guerre à fond de train contre toutes les institutions divines et humaines; c’était plutôt une grande coquette fort éprise de son amour et en même temps fort à cheval sur le dada du qu’en dira-t-on, et pensant, comme Mme Necker, que si un homme (Goethe par exemple) doit savoir braver l’opinion, une femme doit s’y soumettre. Mme de Stein ne voulait rien au-delà de ce que le monde autorise, et le monde de Weimar à cette époque avait, comme on dit, la manche large. D’autre part, si sa conscience eût parlé plus haut que son cœur, elle se serait empressée de rompre avec Goethe; mais Mme de Stein était une Célimène sans héroïsme, elle avait plus de qualités que de vertus. Trop vaine pour renoncer aux hommages d’un adorateur dont les assiduités en la compromettant lui faisaient une sorte de gloire, elle tenait de sa naissance et de son éducation première des principes qui par momens tendaient à prévaloir; elle avait des fluctuations, sinon des remords. Un jour, sur le blanc d’une lettre de Goethe, elle écrivit cette pensée en vers très délicatement tournés : « Ce que je ressens est-il donc si coupable, et ma conscience, que j’interroge, ne me dira-t-elle pas enfin quel parti prendre et comment expier un péché si doux? » L’honnête femme et la muse se livraient combat, et de cette lutte sourde et intermittente Goethe recevait les contre-coups.

L’amour ayant vécu sa période, il avait, au retour d’Italie, voulu réclamer l’amitié. — Mauvais système. Cette greffe-là n’a jamais rien produit de bon. L’arbre édénique où la main d’Eve, sous les yeux du serpent, cueillit la pomme n’a qu’un fruit trop rare, trop exquis, pour se multiplier en des variétés de fantaisie; mal avisé qui veut en utiliser les boutures : tôt ou tard il s’apercevra qu’il a mordu dans la cendre. Hercule-Goethe revenu de ses pérégrinations lointaines n’eût sans doute pas demandé mieux que de filer aux pieds de sa maîtresse l’éternel fuseau des amours abstraites ; mais la moderne Omphale ne lui laissa pas même goûter en paix cet agrément. Les situations fausses ont cela de particulier qu’elles n’en finissent jamais. Les occasions de rupture, si fréquentes, si soudaines aux vrais instans de la félicité, ne se présentent plus, ou plutôt il y en a tant qu’on ne sait désormais auxquelles se prendre. Pourquoi rompre aujourd’hui avec une situation qu’on a supportée hier, et qui n’est au demeurant ni pire ni meilleure? Goethe, n’y tenant plus, écrivit la lettre qu’on va lire; c’est un de ces manifestes que lancent les désespérés, et qui, à défaut de dénoûment, amènent d’ordinaire une interruption dans les habitudes, car de dénoûment sérieux et définitif, il ne saurait, en ces sortes d’affaires, y en avoir d’autre que celui dont la mort règle le programme.

« Vos reproches, écrit-il (1er juin 1787), m’ont été au premier moment très sensibles; croyez pourtant qu’il ne m’en reste au cœur point d’amertume. Je sais faire la part de chacun, et si vous avez eu quelque peu à supporter de moi, il n’est que juste, en revanche, que je souffre à mon tour par vous. Du reste, il vaut mieux s’expliquer ainsi à l’amiable, quitte à s’en aller chacun de son côté, si l’on ne parvient à s’entendre. Il va sans dire que j’aurai toujours mauvaise grâce à vouloir compter avec vous, étant en tout état de cause et ne pouvant que rester votre débiteur. Merci de votre lettre, bien que, sous plus d’un rapport, elle m’ait péniblement affecté. J’hésitais à répondre, car il est difficile en pareil cas d’être juste sans blesser. Combien je vous aime, combien j’avais à cœur de remplir mon devoir envers vous et envers Fritz[4], je croyais l’avoir assez prouvé par mon retour d’Italie. Le grand-duc aurait voulu m’y voir prolonger mon séjour; Herder venait de rentrer en Allemagne; je n’avais d’ici à quelque temps aucun service qui rendît nécessaire ma présence auprès du prince héréditaire : c’est donc pour vous, pour vous seule et pour Fritz que je revenais, et dans quelles dispositions vous retrouvé-je ! comment fus-je reçu de vous comme de mes amis ! Cependant la grande-duchesse part en voyage; elle emmène Herder, et veut aussi me prendre avec elle : je refuse pour ne pas quitter mes amis, pour rester à vos côtés. Je reste, comme je suis revenu, à cause de vous, de mes amis, et c’est pour m’entendre répéter à toute heure que je n’aime personne, et ferais tout aussi bien d’être absent. Remarquez qu’il n’était pas même question en ce moment de cette relation qui paraît tant vous irriter. Qu’est-ce, voyons, que cette relation? quel obstacle crée-t-elle à mes autres affections? à qui est-ce que je dérobe ce que je donne de mes sentimens à cette pauvre créature[5], les heures que je passe avec elle? Interrogez Fritz, Herder, ceux-là qui m’approchent de plus près; ils vous diront si je suis moins sympathique aux gens, moins dévoué qu’autrefois, si je n’appartiens pas au contraire plus que jamais au monde, à mes affections, et c’est toi, la plus tendre, la plus intime, la meilleure de ces affections, c’est toi qui me reproches ma conduite ! Quels sont donc mes crimes pour avoir mérité le traitement que tu m’infliges, et qu’en vérité je ne saurais supporter davantage? Si je suis en humeur de causer, tu me fermes la bouche par ton silence, tu réponds par la plus froide indifférence à la sympathie dont je t’environne, et ne me parles que de mon égoïsme et de mon ingratitude. Mes mouvemens, ma façon d’être, jusqu’à l’air de mon visage, tout semble te déplaire en moi. Tu contrôles, tu récrimines, enfin je me sens de plus en plus mal à mon aise, et je renonce à voir renaître et refleurir la confiance dans un cœur qui m’a de parti-pris et si capricieusement repoussé. »


III.

Méritée ou non, la sortie était vive. Après avoir lu cette lettre, Mme de Stein prit une plume et se contenta d’y apposer le paraphe qui suit : « Oh!!! » Dans cette exclamation vocative, chacun lira ce qu’il voudra; ironie et colère, sanglots étouffés, orages intérieurs, amers ressentimens, que de choses dans ces trois points d’exclamation, comme dans le coup d’éventail de Célimène éconduite! Le message de Goethe, sévère et catégorique, n’admettait pas de réplique; une rupture seule y pouvait répondre : on se quitta.

Goethe n’était ni un Don Juan ni un Casanova; au fond, il a beaucoup aimé, et remarquez que nous ne disons pas cela le moins du monde pour qu’il lui soit beaucoup pardonné. A travers toutes les folles escapades de sa vie de jeunesse, toutes les expériences et toutes les curiosités de son âge mûr, il conserva le respect, le culte de la femme. S’il paya plus que de raison assurément son tribut à l’humaine nature, du moins jamais ses faiblesses n’eurent l’orgueil du vice, et ce n’est pas lui qu’on accusera d’avoir avili ses victimes. Non; ses maîtresses, tout au contraire, il les a pour l’immortalité glorifiées dans l’idéal. De Frédérique il a fait Marguerite, puis Claire; de Christiane, il a fait Euphrosine; de Mme de Stein, Éléonore d’Este et Iphigénie. « L’amour est tout; vivre sans aimer, c’est battre de la vaine paille. » Que la rupture vînt de la femme ou de lui-même, que la séparation lui fût imposée par les circonstances, il dévorait sa peine, et silencieusement l’enfermait dans son cœur assez ouvert, assez vaste, pour que les nouveaux bonheurs s’y logeassent côte à côte avec les anciens chagrins. Les rapports entre Goethe et Mme de Stein devaient finir cependant par se renouer[6]. L’interruption dura sept ans, puis un beau jour on se revit comme si l’on s’était quitté la veille, et les choses alors s’établirent d’elles-mêmes sur le pied où Goethe les avait voulues à son retour d’Italie. Seulement à cette époque c’était trop tôt; il y a de ces tableaux de mœurs qui ne sont à leur point que lorsque le temps a mis dessus sa patine. Celui-ci, par exemple, pour être vu tout à son avantage, a besoin que vous l’observiez au demi-jour de cette période.

Entre cette personne d’esprit vieillissante et ce grand homme, tout jeunesse et tout flamme en son apaisement, une intimité nouvelle se forma au-dessus des orages de la vie. Plus de contradictions, de malentendus possibles, on se voit à toute heure, d’une maison à l’autre, les billets vont et viennent; on continue à vivre à deux, mais après s’être chacun de son côté reconquis. Goethe n’avait jamais trompé Mme de Stein, son tort fut au contraire de n’avoir pas craint de l’entretenir de ses aventures galantes à un moment où la coquetterie était chez elle encore à l’état aigu. Coquette, elle le fut jusque dans la mort; mais sa nature avait eu aussi sa crise de transformation. Sur ce terrain tout aplani où l’on se retrouvait, les choses du cœur et de l’intelligence devaient seules prévaloir. On s’installa donc pour ne le plus quitter dans le fauteuil de Julie d’Angennes, oubliant la Julie de Rousseau, entrevue un moment en rêve, et la Célimène allemande en vint tout naturellement à se dire comme Mlle de Lespinasse : « Que m’importe que mon amant me trompe si je l’aime? » N’essayons pas de nombrer les hommes dont une femme ne conserve la fidélité qu’à ce prix, la liste en serait trop longue. Goethe ne pouvait s’attacher que dans ces conditions; la femme à laquelle il appartenait momentanément n’était là que pour lui faire en quelque sorte mieux goûter les autres femmes, et pour recevoir ses confidences à leur sujet. Si Mme de Stein le garda jusqu’à la fin, elle dut son long règne à l’exquise souplesse qu’elle mit, je ne dirai pas seulement à prendre en patience une situation qu’il n’y avait point à gouverner, mais à s’y intéresser de cœur et d’esprit. Elle eut des condescendances de grande dame et même des sympathies pour toutes les héroïnes de la légende, elle tendit de la meilleure grâce sa belle main à Bettina d’Arnim, à Christiane Neumann, sourit de son plus doux sourire à cette adorable enfant qui s’appelait Ulrique de Levezow, et fut en 1823 la suprême illusion amoureuse, ultima Thule, du grand voyageur, venu à Marienbad pour des études minéralogiques, et trouvant là « parmi tant de pierres son dernier diamant. »

Mme de Stein mourut à quatre-vingt-cinq ans (janvier 1827). « C’est le premier chagrin qu’elle me cause, » disait avec une émotion pleine de délicatesse Louis XIV en perdant Marie-Thérèse. Mme de Stein ne voulut même pas que sa mort fût pour Goethe une occasion d’ennui, et comme il détestait tout cérémonial funèbre, elle régla de son lit la marche de son propre enterrement, ordonnant de faire un détour pour ne point passer devant la demeure de son vieil ami. Cette espèce de stoïcisme n’a rien qui doive nous étonner chez les femmes de cette période. Quelque vingt ans auparavant, la mère de Goethe en avait déjà donné un exemple. Sa maladie n’ayant pas eu le temps de se répandre en ville, une invitation à dîner pour le lendemain lui arriva au moment qu’elle allait rendre l’âme. Aussitôt la fière matrone demande une plume et de l’encre, et ni plus ni moins que s’il se fût agi d’une excuse ordinaire, écrivit à ses amis de ne pas l’attendre, car elle avait « à mourir entre temps. » M. Cousin, qui savait l’Allemagne comme Mme de Staël, et c’est tout dire, ignorait cette anecdote. Un jour que nous la lui racontions, il en prit texte et partit de là pour une de ces superbes digressions où son esprit, toujours sur le qui-vive, aimait à s’élancer d’un grand coup d’aile. La mère l’amena tout naturellement à parler du fils, qu’il avait connu autrefois, et dont à son tour il nous dit la mort, « belle et plastique mort qui ressemble à sa vie; son pouls comme de lui-même s’arrêta, sans que l’harmonie de l’être fût rompue. Point de secousse, d’agonie, surtout point de troubles d’esprit, de terreurs. — Que voulez-vous? c’était un homme du XVIIIe siècle. » Il y a donc une manière de mourir propre à chaque siècle; pourquoi chaque siècle n’aurait-il pas aussi sa façon d’aimer? Gardons-nous de condamner trop vite ce qui nous étonne, je ne dis pas ce qui nous scandalise, car les moralistes du temps où nous vivons, à moins d’être de francs hypocrites, n’ont point à le prendre de si haut avec la société du passé. D’ailleurs aimer est la grande affaire, la vraie, l’unique loi de force, de productivité, de conservation. Le sentiment est tout, l’objet n’est rien :

Je te dois tout à toi, puisque c’est toi que j’aime,


a dit Voltaire dans un des vers les plus humains, les mieux venus de la langue française. Ce magistrat qui voulait que derrière tout criminel on cherchât la femme n’était qu’un juge sans philosophie et ne voyait qu’un des côtés de la question, car si la femme a sa part dans le mal, la part qui lui revient du bien, du beau, reste immense. Cherchez-la derrière le crime et le vice, et vous la trouverez, c’est plus que probable; mais cherchez-la surtout à côté du génie, et vous bénirez éternellement son influence. Derrière quel chef-d’œuvre, quel acte d’héroïsme n’est-elle pas ? D’elle tout est fécond, jusqu’aux tourmens qu’elle inflige au cœur de l’homme. Molière a pu maudire Armande Béjart, ou plutôt nous pouvons, nous, la maudire, car lui, si magnanime, ne l’eût point fait ; il n’en est pas moins vrai que sans Armande le Misanthrope n’existerait pas.

Dans la société allemande de cette période, et principalement dans ce groupe de Weimar, les femmes idéales florissaient ; on peut donc supposer que, même sans Mme de Stein, Iphigénie et le Tasse auraient vu le jour ; à défaut de la belle et intelligente baronne, une auguste princesse était là pour inspirer ces deux illustres créations, auxquelles, en tout état de cause, elle ne fut d’ailleurs pas étrangère. J’ai nommé la grande-duchesse Louise, que Goethe aima aussi, bien qu’en tout honneur et respect cette fois, car elle était sa souveraine et plus encore, la femme de Charles-Auguste, son ami ; mais ce que Mme de Stein a seule inspiré, provoqué, c’est le voyage en Italie. Elle est ici, volens, nolens, la véritable instigatrice, et cela, chose triste à dire, par les petits côtés de sa nature. Cette crise, qui sauva Goethe et le mit à flot, fut le résultat non voulu par elle, mais forcé, des mille complications qu’elle lui créait, et voilà comment l’éternel fêminin doit être glorifié jusqu’en ses plus féroces diableries, car la morale du brave Chrysale ne s’applique point aux héros de ce monde, et telle grande coquette, en poussant hors de ses gonds le génie qu’elle traîne à sa suite, aura plus fait pour la gloire d’un grand homme que l’honnête et digne femme qui raccommode ses chausses, soigne son pot-au-feu, et qui ne peut rien, elle, que pour son bonheur.

Mme de Stein n’apparaît dans le monde que passé la première jeunesse ; ses portraits nous la représentent déjà presque sur le retour. C’est une de ces muses de salon auxquelles un peu de fard ne messied pas, et qu’il faut voir dans un cadre à la pâle clarté des bougies, et non en plein soleil, comme les Béatrix, les Frédérique. Je me la figure à trente-huit ans, bien tournée, avec un certain embonpoint, plutôt grande ; beaucoup de calme, de dignité, polie à l’excès envers le commun des martyrs, et gardant ses familiarités et son esprit pour les princes et les gens de son monde. Elle a le visage ovale, les traits fins, un peu tirés. Rien en somme de ce qui caractérise la beauté, mais de la physionomie, du charme tant et plus, et — pour éclairer tout cela — deux beaux yeux d’expression mobile, diverse, passant du grave au doux, et, que leur lumière rayonne ou se voile, toujours pleins d’intelligence et de captation. Elle avait, comme Mme de Staël, l’habitude en causant d’agiter à la main quelque chose : un couteau d’ivoire, un crayon, une fleur. Toutes les femmes de ce temps-là se ressemblent par je ne sais quel idéal de convention dans la façon d’être et dans la mise, dont les portraits d’Angelica Kauffmann donnent bien la note. C’est le règne des draperies, des beaux bras et de la harpe. Hors de son salon, elle était naturelle, ses billets le prouvent, et aussi ses vers, très rares, mais excellens, qui sont beaucoup moins des morceaux de poésie que des découpures prises sur le vif à l’emporte-pièce, et destinées, comme ces fleurs qu’on enferme dans un livre, à marquer une date, à perpétuer le souvenir d’une sensation. On ne saurait prétendre qu’avec Goethe elle se soit jamais maniérée ; elle resta ce qu’elle était, une personne d’infiniment d’esprit, de goût et de distinction, très femme et très coquette, c’est-à-dire trois fois plus qu’il n’en faut pour faire le malheur d’un honnête homme, car si les derniers temps de cette relation furent « le soir d’un beau jour, » le début pour Goethe fut un enfer. — Et voyez la juste rémunération des choses d’ici-bas, c’est du mal qu’elle aura causé que la postérité lui tiendra meilleur compte. Éléonore d’Este fut aimée du Tasse, qui en devint fou ; Charlotte de Stein aima Goethe, qui par elle apprit à souffrir, et les deux noms d’Eléonore et de Charlotte vivront autant que ceux du Tasse et de Goethe. Je n’ai jamais compris pourquoi l’on appelait « fléaux de Dieu » les conquérans ; fléaux tout court, à la bonne heure ! Il n’y a de fléaux de Dieu en ce monde que les femmes, car à l’idée du mal qu’elles peuvent faire et qu’elles font, l’idée de grâce et de salut vient aussitôt se joindre, effaçant tout de son éclat.


Henri Blaze de Bury.
  1. Voyez les lettres à Lavater, 1774-1783.
  2. Nous n’avons point à définir ici la nature du sentiment que lui inspira cette jolie enfant de Bohême, espèce d’Esméralda avant la lettre, dont il fut avant tous le portraitiste. Curiosité d’imagination, sympathie et convoitise, il y eut de tout cela. Au sortir de cette atmosphère ambrée du salon de Mme de Stein, bourré de délicatesses et de préciosités, il avait hâte de se reprendre à la nature, de mordre en plein fruit vert. Mignon aime Wilhelm Meister sans être aimée de lui; ce fut, j’imagine, l’histoire de la pauvre ballerine. « Antoinette a des désirs qu’il ne me convient pas de satisfaire, et je l’évite, » avait écrit le Goethe de Francfort d’une des quatre filles Gérock, qui passe pour avoir sa part à revendiquer dans le personnage de Mignon. Pour l’adorable bohémienne de Venise, il ne l’évita point; bien au contraire, il passait sa vie à lui voir exécuter sa danse des œufs. « J’y dépensai d’enthousiasme mon meilleur temps et mon meilleur argent; « puis il partit avec des souvenirs plein le cœur et tout un essaim de rimes dans la tête.
  3. Correspondances de Schiller et de Koerner, 1774-1805, t. IV.
  4. Frédéric, le fils de Mme de Stein.
  5. La pauvre créature ici n’est autre qu’une blonde et jolie enfant que le hasard avait poussée sur son chemin, et qui finit par devenir sa femme. Fille d’un modeste libraire, Christiane Vulpius, douée d’une éducation assez médiocre et n’ayant pour elle que son frais visage, ses belles boucles, ses lèvres de pourpre, son pied mignon, cette Bettina bourgeoise devait naturellement peu réussir près de la noblesse et du monde esthétique de Weimar, et Mme de Stein, toute la première, n’avait point à la ménager. Elle commença par l’appeler dédaigneusement « la demoiselle de M. le conseiller privé, » et plus tard affecta de la présenter aux yeux du monde sous les traits d’une seconde Thérèse Levasseur. Goethe, à travers toutes ses escapades romanesques, avait toujours rêvé les joies de la famille. Dans cette éblouissante jeune fille qui s’offrait à lui sans naissance, sans fortune et sans titre, vit-il du premier coup d’œil celle qui pouvait lui donner un bonheur qu’il ne devait attendre ni d’une comtesse ni d’un bel esprit? Pensa-t-il avoir découvert là cet être bon, naturel, féminin, destiné à ne s’occuper que de son intérieur, à ne rien savoir des intrigues du dehors, à ne jamais l’interroger sur rien : étoile fixe et bienfaisante dont la douce lueur reposerait ses yeux de l’importune fascination de tant de soleils? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il la prit avec lui et ne la quitta plus. C’était une Catherine d’Heilbronn, vivant dominée, subjuguée par le regard du maître, voulant ce qu’il voulait, soumise et passive jusqu’à la déchéance. «Rien ne manquait à cet heureux mariage, si ce n’est la bénédiction du prêtre, » écrit assez ingénument l’honnête M. Riemer, un de ces commentateurs sans préjugés qui détestent l’hypocrisie, même alors qu’elle est un simple hommage rendu à la vertu. La bénédiction, après s’être fait attendre dix-sept ans, eut lieu pourtant le 19 octobre 1806, trois jours après la bataille d’Iéna. Goethe connaissait trop bien le cœur des femmes; il avait trop voyagé dans ce pays du Tendre pour ne pas savoir ce que valent ces sentimens, un peu vulgaires peut-être, mais qui ne vous marchandent jamais ni la soumission ni le sacrifice. Il lui resta jusqu’à la fin très fidèlement attaché. La douleur qui le prit en perdant cette brave et bourgeoise gardienne de son foyer fut de nature à venger la pauvre Vulpius de bien des sarcasmes décochés d’en haut par telle grande dame.
  6. Avaient-ils jamais été brisés? On ne se voyait plus, mais sans cesser absolument de s’occuper l’un de l’autre, lui toujours affectueux pour le fils de Mme de Stein quand il le rencontrait, elle moins indulgente et reportant trop volontiers sur le fils de Goethe la haine qu’à cette époque elle nourrissait pour la mère. Cependant ton ancienne tendresse était loin de l’avoir abandonnée, et ce sentiment ne laissait pas de se montrer au besoin très vivace. « Je n’aurais jamais cru, écrit-elle à son fils Frédéric (12 janvier 1801), que notre ami d’autrefois me fût resté si cher; il a fallu, pour me l’apprendre, la grave maladie qui le retient depuis neuf jours. »