Maigreurs (Théodore Hannon)

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Parnasse de la Jeune BelgiqueLéon Vanier, éditeur (p. 146-150).


Maigreurs


xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxI

J’aime ton corps de jeune imberbe,
Ce corps frêle de garçonnet,
Souple, plus svelte qu’un brin d’herbe
Et séduisant comme un sonnet.

J’aime ces droites masculines
Qui t’enserrent rigidement
En leurs maigreurs dont tu câlines
Mon regard de peintre et d’amant.

Tu pris ces membres secs de ligne
À quelque bronze florentin ;
J’y trouve une grâce maligne
Que combat un charme enfantin.

Ton corps d’éphèbe, ô femme vraie,
Affole tous mes sens troublés,
Avec ses allures d’ivraie
Que le vent ploie au cœur des blés.


Il a l’aimant, il a l’étreinte
Inquiétante des serpents,
Et toujours quelque rouge empreinte
Persiste à ses baisers pimpants.

J’aime son ostéologie
Où s’insèrent des nerfs d’acier
Et des muscles dont l’énergie
Ferait envie au carnassier !

Alléchante minceur du buste
Qui semble celui d’un enfant…
Or comme un jonc preste et robuste
Il se redresse triomphant,

Il se cambre en ses clavicules,
Et sa poitrine a pour fleurons
Deux seins aiguisés, minuscules
Comme la pointe des citrons !

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxII

Vers toi montent, ô ma garçonne,
Tous mes rêves mauvais sujets,
Car ta prunelle désarçonne
Les plus orthodoxes projets.


S’il fallait, ma folle, ma sage,
Qu’un nouvel Adam se perdît,
Le vieux Serpent dans ton corsage
Cueillerait le fruit interdit !

Du grand vice la flamme éclaire
Tes longs yeux indisciplinés,
Et les sept péchés, pour me plaire,
En toi se sont enracinés.

Chez les Grecs ta forme inédite
Eût tenté maint fier pétrisseur,
Corps païen que l’Hermaphrodite
Choisirait pour frère — ou pour sœur !

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxIII

Fi de la graisse lourde et veule,
Aux sédiments envahisseurs !
Fi de la graisse ! la bégueule
Étouffe les contours oseurs.

Elle émousserait tous les angles,
Honneur de ton corps tant fêté,
Maigreurs dans lesquelles tu sangles
Pittoresquement ta beauté.


Le flot débordant et rebelle
Nivellerait des creux bien chers
Aux baisers dont la ribambelle
Vient papillonner sur tes chairs.

Tes lignes sèches et maîtresses
En leur nervosisme puissant,
Sous la boursouflure des graisses
Estomperaient leur rude accent !

Puis quel pillage de chefs-d’œuvre !
Tes grands bras, à l’enlacement
Tenace et doux de la couleuvre,
S’épaissiraient bourgeoisement.

Ta jambe musculeuse et droite
Comme un chaume superbe, hélas !
Ferait crever la mule étroite
Et ton bas crème aux coins lilas.

Enfin, sur ta virile hanche,
Ta poitrine au sceau virginal
Et ta gorge, idéale planche,
Iraient s’enfler du sein banal !


xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxIV

Garde, garde à jamais, ô rêve !
Ta troublante plasticité,
Ta sveltesse, ta forme brève,
Tes nerfs, ta masculinité.

Tes chevilles imperceptibles
Et tes minuscules poignets,
Tes épaules irrésistibles
Où mes dents laissent des signets,

Tes doigts habiles, armés d’ongles
Qui déchirent, très acérés,
Mon cœur avec lequel tu jongles,
Tes genoux rondis et serrés,
 
Ta joue hâve que tu pointilles
D’alertes mouches de satin,
Tes seins aigus où deux pastilles
Posent des lueurs de matin.

— Reste maigre, ô ma maigrelette !
Conserve à mon culte d’ancien
Cette élégance de squelette
Où chaque sexe a mis du sien.