Maistre Pierre Pathelin, reproduction en facsimilé de 1485/Introduction

La bibliothèque libre.
Maistre Pierre Pathelin
reproduction en fac-similé de l'édition de 1485
Texte établi par Guillaume Le Roy (Typographe). Préfacé par Émile PicotCornély et Cie (p. 5-8).
MAISTRE
PIERRE PATHELIN



En publiant, à la fin de l’année 1904, pour la Société des Anciens Textes français, un fac-similé de l’édition de Maistre Pierre Pathelin, imprimée à Paris, vers 1500, par Marion de Malaunoy, veuve de Pierre de Le Caron, nous avons indiqué en quelques mots l’intérêt que présente pour les études la reproduction des anciennes éditions d’une pièce qui occupe une place si importante dans l’histoire de notre littérature. Nous sommes heureux de voir que nos paroles ont trouvé de l’écho. M. A. Rosset, propriétaire du seul exemplaire connu de la toute première édition de Pathelin, a tenu à continuer les traditions de libéralité qui ont toujours été en honneur chez les amateurs lyonnais. Il veut bien nous donner aujourd’hui la reproduction de son précieux volume, qui doit être le point de départ de tout travail sérieux sur notre farce. Grâce à lui, les philologues et les bibliographes auront à leur disposition la copie absolument exacte d’un livre souvent cité ; l’original même ne sera plus exposé à la destruction.

Nous avons, dans la notice qui précède le fac-similé du volume imprimé par Marion de Malaunoy, décrit treize éditions publiées depuis l’origine de l’imprimerie jusque vers 1515. L’édition reproduite aujourd’hui est celle qui est placée en tête de la série, sous la lettre a. Elle se compose de 44 feuillets de 26 lignes à la page pleine pour les quatre premiers cahiers, et 25 lignes seulement pour les deux derniers, sign. a-d par 8, e par 4, fpar 8. Le volume ne porte ni la date, ni le nom de l’imprimeur ; mais les caractères ont un aspect très particulier et peuvent être facilement identifiés avec ceux qu’a employés Guillaume Le Roy à Lyon en 1485 et 1486.

Guillaume Le Roy, originaire de Liège, avait pu, suivant une conjecture très vraisemblable de M. A. Claudin[1], étudier ou pratiquer la typographie à Cologne, à Bâle, à Beromünster ; en tout cas, dès l’année 1473, il est établi à Lyon, où il exécute, pour le compte de Barthélémy Buyer, une édition du Compendium de Lothaire[2]. Pendant cette première période de sa carrière il n’emploie que des caractères de forme carrée, qu’il modifie à plusieurs reprises, sans beaucoup s’écarter du type flamand.

Après la mort de Barthélémy Buyer (juillet 1483), Le Roy inaugure un caractère d’un aspect tout différent, c’est celui qui a servi à l’impression du Pathelin. Les volumes exécutés avec ce nouvel alphabet sont, par ordre de date : La Destruction de Troye la grant, mise par personnages [par Jacques Millet], 1485[3] ; Le Livre des proprietez des choses [par Barthélémy l’Anglais], achevé le 26 janvier 1486, n. s.[4] ; Le Doctrinal de sapience [de Guy de Roy], achevé le 9 février 1486, n. s.[5] ; Le Livre des sainctz anges [par Francisch Eximenis], achevé le 20 mai 1486[6]. Tous ces volumes sont de format in-fol. ; aussi avons-nous dû renoncer à en reproduire quelques pages. Des fac-similés n’eussent pu être joints au Pathelinqu’à la condition d’être pliés, ce qui en eût rendu l’usage fort incommode. Le lecteur voudra donc bien se reporter aux nombreuses planches que M. Claudin a intercalées dans sa belle Histoire.

Guillaume Le Roy n’a signé que les principaux ouvrages sortis de ses presses. Il a rarement mis son nom sur les livrets de petit format, et même Le Cathon en françois[7] ainsi que plusieurs in-folio : Pierre de Provence[8], Les quatre filz Aymon[9], Bertrand Du Guesclin[10], pour ne parler que des impressions exécutées avec les caractères du Pathelin, sont dépourvus de toute indication.

En 1486 ou 1487, Le Roy adopte un nouvel alphabet qui présente avec celui dont nous venons de parler d’assez notables différences. Il renonce notamment à l’A majuscule ouvert par le haut que nous voyons dans le Pathelin[11]. On voit que la date de 1485 que nous attribuons à notre édition ne peut s’écarter beaucoup de la vérité.

Nous avons fait connaître, dans la notice précédemment citée, la provenance du volume qui fait aujourd’hui partie de la bibliothèque Lyonnaise de M. Rosset.

Il parait avoir été découvert par Méon, qui l’a possédé après 1802. Il a fait partie ensuite des collections de Richard Heber (Catal., IX, n° 3139), de Coppinger, deSoleinne (Catal., I, 1843, n° 663), de Baudelocque (Catal., 1850, n° 834), du baron de La Roche-Lacarelle (Catal., 1888, n° 290), enfin d’Eugène Paillet (Catal., 1902, n° 18).

L’exemplaire découvert par Méon était incomplet de cinq feuillets (aviij, fi, fv, fuij, fviij) ; vers 1830, Coppinger fit exécuter à la plume, non pas d’après un original qu’il n’avait pu trouver, mais d’après les éditions de Germain Beneaut et de Pierre Levet, sans suivre exactement ni l’une ni l’autre, des imitations destinées à combler les lacunes. Nous n’avons pas cru inutile de reproduire ces imitations comme le texte authentique. Non seulement elles appartiennent à l’histoire d’un volume célèbre ; mais elles permettront de rectifier les bibliographes. D’après les uns, il ne manque à l’exemplaire que les feuillets 8 (aviij), 37 (fi), 43 (fvij) et 44 (fviij) ; d’après d’autres, il aurait perdu 9 feuillets. On verra quelle est au juste la vérité, en même temps qu’on aura l’occasion d’admirer l’habileté du calligraphe qui a travaillé pour Coppinger. La mention « imitation moderne », inscrite dans la marge des pages refaites, évitera toute confusion à ceux qui ne se livreraient qu’à un examen rapide.


Émile PICOT.
  1. Histoire de l’imprimerie en France au XVe et XVIe siècles, III (Paris, Imprimerie nationale, 1904, in-fol.), p. 29.
  2. Ibid., p. 2.
  3. Ibid., pp. 59-62.
  4. Ibid., p. 63.
  5. Claudin, III, pp. 64-68.
  6. Ibid., pp. 68-71.
  7. Biblioth. de Toulouse, Inc. 26.
  8. Claudin, III, p. 84.
  9. Ibid., p. 88.
  10. Musée Condé à Chantilly.
  11. Claudin, III, p. 91.