Malgrétout (RDDM)/04

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MALGRÉTOUT

QUATRIÈME PARTIE[1]


Je cédai à la fatigue et ne me réveillai qu’au jour. Je vis le ciel pur, et j’entendis qu’on remuait avec précaution dans le bas de la maison. Je regardai à la fenêtre et vis Abel qui rentrait. Je m’habillai vite et allai le trouver. J’étais véritablement inquiète de lui et de sa blessure. Il me jura que ce n’était rien, qu’après s’être intéressé au travail de la vapeur, il avait trouvé l’hospitalité chez des gens excellens, et qu’il était très bien reposé. Il avait déjà donné des ordres pour notre départ et me priait de fixer l’heure.

Puisqu’il y avait quelque espoir de ne pas ébruiter notre aventure, j’aimais mieux n’arriver à Givet que le soir, afin d’y prendre le chemin de fer sans avoir à entrer à l’hôtel. — En ce cas, reprit-il, il nous faut rester ici jusqu’à trois heures. Est-ce que vous vous y résignerez sans regret ?

— Mon ami, lui dis-je en lui prenant le bras, ne gâtons pas cette belle matinée par le souvenir des folies d’hier. Nous avons été insensés tous les deux, convenez-en ! Vous avez fait le projet de m’enlever, et c’est ma faute, car je vous ai effrayé d’une pure rêverie. Sur la foi de Mme d’Ortosa, qui eût dû m’être suspecte, j’ai voulu supposer que ma sœur vous aimait. Que voulez-vous ? cette bizarre personne que j’ai vue dernièrement m’avait troublé l’esprit, et de Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/264 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/265 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/266 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/267 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/268 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/269 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/270 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/271 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/272 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/273 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/274 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/275 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/276 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/277 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/278 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/279 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/280 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/281 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/282 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/283 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/284 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/285 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/286 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/287 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/288 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/289 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/290 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/291 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/292 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/293 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/294 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/295 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/296 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/297 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/298 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/299 Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/300 taine de rendre heureux et bons les êtres adorés qui naîtront de toi ?

En écoutant ce cri de ma conscience, je me suis trouvée très calme, très résignée à tout, très sûre de moi-même. Je vais me marier sans frayeur, sans personnalité, sans instinct de jalousie. Je prépare mon âme à cet engagement avec les mêmes soins que d’autres apportent à leur toilette de fête. Je veux être si bonne, si vraie, si forte, que le ciel me trouve digne d’avoir une Sarah à moi !

Je dois ajouter pour vous rassurer complètement, ma chère Mary, qu’Abel est véritablement transformé. Tout ce qu’il m’a dit est vrai et m’a été attesté par Neuville. Depuis trois mois, il habite notre voisinage, il y mène la vie la plus retirée et la plus studieuse, et il se trouve heureux comme il ne l’a jamais été. Il vient passer avec nous toutes ses soirées et ne fait de musique que pour nous. Mon père est bien heureux aussi de cette intimité, et ma sœur nous écrit qu’elle accepte sans objection et sans répugnance notre prochain mariage. Elle viendra avec ses enfans passer le printemps près de nous.

Tous les matins, Abel m’envoie un bouquet et une lettre, une vraie lettre, courte, mais exquise et touchante, naïve comme celle d’un enfant,… et de plus en plus correcte, car il étudie avec une docilité et une persévérance dont mon père est tout surpris et tout attendri.

Je l’aime de toute l’énergie de mon cœur et je serai peut-être très heureuse, j’amasse peut-être des forces pour des chagrins que je ne connaîtrai pas ; mais je ne veux pas me faire trop d’illusions, je veux avoir devant Dieu et devant lui le mérite d’accepter tout d’avance, le mal comme le bien.

Adieu, ma digne et douce amie. En me forçant à me résumer, vous m’avez amenée à me rendre compte de moi-même, et vous m’avez fait un grand bien. Soyez-en récompensée par le bonheur et la tendresse de ceux qui vous sont chers, — votre mari dont je serre la main, vos enfans que j’embrasse et que je vais enfin connaître et chérir, puisque vous me promettez de venir à Malgrétout cette année. — Votre Sarah Owen.

George Sand.

  1. Voyez la Revue du 1er mars.