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Malte-Brun - la France illustrée/0/2

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Jules Rouff (1p. --).

PRÉFACE
DE LA PREMIÈRE ÉDITION

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André Du Chesne, le premier qui réunit les chroniques éparses de notre histoire, et que l’on a surnommé à juste titre le Père de l’histoire de France, est aussi l’auteur du premier ouvrage topographique et descriptif sur l’ensemble de notre pays.

Son livre des Antiquités et Recherches des Villes, etc., fut favorablement accueilli par le public ; plusieurs éditions en furent rapidement épuisées, et plus tard, en 1668, son fils, François Du Chesne, en donna une nouvelle qui reçut de notables améliorations.

L’idée d’André Du Chesne était bonne, le succès le prouva ; il n’est pas, en effet, d’étude plus digne d’intérêt que celle qui a pour but l’entière connaissance de son pays, de ses curiosités naturelles, de sa richesse, de son histoire. Cette étude est, nous osons le dire, un devoir pour tout citoyen ; c’est le Γνῶθῑ σεαυτόν des nationalités. Nous n’avons pas à examiner ici quelle fut l’influence exercée sur le plan que se proposait André Du Chesne par les arides nomenclatures de Loys Boulanger, de Claude Champier et de François Des Rues, qui précédèrent l’apparition des Antiquités et Recherches, etc. ; elles ne furent à proprement parler que de confus catalogues dans lesquels le mérite de l’ordre adopté ne rachetait même pas la trop grande sobriété des détails ; mais nous pensons que l’insuffisance de ces premiers essais sur la topographie et l’histoire de notre France fut pour beaucoup dans la détermination d’André Du Chesne ; son livre est, en effet, mieux ordonné, mieux compris et plus savamment fait que ceux de ses devanciers.

Cependant le temps marchait, amenant avec lui bien des changements ; la France grandissait ; son industrie, son commerce prenaient leur essor ; l’esprit provincial se modifiait de jour en jour au profit de celui de la grande famille française ; la France d’André Du Chesne n’était plus qu’un souvenir du temps passé. Plusieurs ouvrages se succédèrent dans lesquels on tenta de rajeunir l'œuvre et de compléter l’idée du Père de l’histoire de France, et de tous ceux-là, un seul, la Description historique et géographique de la France, par Piganiol de La Force, parut mériter l’attention du public : aussi fut-elle réimprimée plusieurs fois et successivement augmentée, à ce point que, de cinq volumes in-octavo que comprenait la première édition, la troisième en compta quinze. La description de l’abbé de Longuerue , pour laquelle l’illustre d’Anville dressait ses belles cartes, fut aussi, malgré son peu de développement et quelques inexactitudes, favorablement accueillie, lorsqu’elle parut en 1719. On était d’ailleurs à cette époque où l’on entreprit dans notre pays de si grands et de si beaux travaux historiques. De toutes parts les monographies, les études, les mémoires, les dissertations sur les monuments, les villes, les provinces se faisaient jour. Les Sauval, les Bouillart, les Sainte-Marthe, les Vaissette, les Félibien, les Lobineau, les Lebeuf, les Saint-Foix, les Saint-Victor, etc., etc., publiaient à l’envi ces grands travaux, qui ont depuis servi de base à tant d’ouvrages et de compilations. Boucher d’Argis écrivait avec l’abbé Lebeuf, dans le Mercure de France, ces savantes dissertations historiques que nous regrettons de voir encore éparses dans les cahiers de plus en plus rares de ce recueil, et peut-être bientôt perdues pour nous ; l’abbé Expilly entreprenait son Grand Dictionnaire, qu’il devait malheureusement laisser inachevé ; le grand mouvement historique était commencé. Alors grandissaient ceux qui allaient être les maîtres des Daunou, des Letronne et des Michelet.

Toutefois, la science historique et descriptive dut, tout d’abord, prendre les allures de l’époque ; il fallut cacher sous le charme d’une légère description les sérieuses observations que l’on voulait consigner dans ses ouvrages. C’est ce qui fit la fortune littéraire de ce genre de voyages légers et badins dont Chapelle et Bachaumont, puis après eux Boufflers, Piron, Racine, Voltaire et Bernardin de Saint-Pierre lui-même ont laissé des modèles. Ce goût devait s’épurer, et déjà, au moment de la Révolution, un grand changement s’était opéré. On revenait, tout en conservant cette forme aimée de voyages, aux descriptions plus sérieuses, comme on peut s’en convaincre en consultant le Voyage dans les départements de la France de Joseph Lavallée, dont le style est aujourd’hui inabordable à cause du patriotisme beaucoup trop exalté de l’auteur, et en parcourant surtout les douze volumes in-douze que l’abbé de La Porte ou, pour mieux préciser, son continuateur, le R. P. de Fontenay, consacre à la France, dans le volumineux ouvrage du Voyageur français.

Cependant, la nouvelle division de la France en départements, que La Mésengère fut le premier à faire connaître dans son ouvrage, les nombreux et rapides changements survenus en moins d’un quart de siècle dans notre pays, laissaient bien loin en arrière toute description du pays, lorsque Peuchet et Chanlaire, secondés par Letronne, entreprirent leur belle Description topographique et statistique de la France ; cet ouvrage, malheureusement, ne fut pas achevé, et c’est là le sort qui a été commun depuis à plus d’une tentative de ce genre ; cinquante-trois départements, dont douze ne sont plus français, furent seulement publiés ; mais, malgré cette lacune regrettable, c’est encore une œuvre remarquable, bien comprise, bien conçue, et que n’ont pas manqué de consulter ceux qui depuis ont écrit sur la matière.

Sous la Restauration, tandis que le savant et modeste Depping revoyait et publiait la Géographie de la France de l’académicien Edme Mentelle, M. Vaysse de Villiers donnait ses Itinéraires descriptifs, historiques et pittoresques, dont l’ensemble devait former une géographie complète de la France ; ces itinéraires eurent un grand succès, bien dépassé depuis par celui des ouvrages d’Adolphe Joanne ; mais la mort vint surprendre leur auteur avant qu’il eût terminé son travail. Quelques années plus tard, M. Girault de Saint-Fargeau reprenait cette idée et la réalisait avec bonheur dans son Guide pittoresque du voyageur en France, édité avec un grand luxe de gravures par Firmin Didot. — Au même moment, en 1835, M. Abel Hugo donnait son estimable ouvrage de la France pittoresque, dont le succès justement populaire fut alors considérable. Cependant, la partie géographique y avait été trop légèrement traitée, les notices historiques n’étaient guère qu’un accusé chronologique des principaux faits, qui, tout en rendant le livre précieux pour les renseignements, en laissaient difficile une lecture suivie. Le livre avait vingt ans de date ! Dans ces vingt années, la France avait été modifiée par les révolutions politiques et par celles de l’industrie et du commerce. On pouvait reprendre, en profitant de l’enseignement du passé, l’œuvre d’André Du Chesne, de Piganiol de La Force, de Peuchet et Chanlaire, de Girault de Saint-Fargeau et d’Abel Hugo. C’est là ce que nous nous disions maintes fois en parcourant, leurs ouvrages à la main, ces vieux châteaux de Foix, de Murols, de Tournoël, du Château- Gaillard, de Coucy, de Josselin, de Fougères, de Pierrefonds, de Gisors, de Conches, de Montlhéry, de Polignac, de Clisson, etc., etc... ; ces admirables cathédrales de Toulouse, de Bordeaux, d’Albi, de Tours, de Rouen, d’Amiens, de Chartres, de Beauvais, de Sens, etc., etc... ; ces vieilles villes de Moret, de Domfront, de Vitré, de Fougères, de Besse, de Pamiers, de Mirepoix, de Laon, de Reims, de Rouen, etc., et ces grands centres où s’élabore la richesse de la France : Rouen, Le Havre, Lille, Marseille, Nantes, Angers, Lyon, Bordeaux, Toulouse, etc., etc.

Nous avons cédé à l’envie, à l’ambition d’une telle entreprise ; et, sourd aux bruits du dehors, aux dernières commotions politiques qui venaient d’agiter si profondément notre pays, nous nous sommes mis à l’œuvre, content de retrouver sous notre plume tant de souvenirs d’un passé qui nous est cher ; car nous lui devons la grandeur de notre pays.

Nous avons mis tous nos soins à traiter consciencieusement ce long et difficile travail, et, plus heureux que beaucoup de nos devanciers, nous avons eu l’honneur de le terminer, favorablement accueilli d’ailleurs par la bienveillance de nos concitoyens, et encouragé par la réimpression de la première moitié de l’ouvrage avant que la seconde fût terminée.

Ce n’est pas à dire que nous nous croyions à l’abri de toute critique. L’œuvre était immense, bien grandes étaient les difficultés de toute nature, les dangers même qui s’offraient à chaque pas ; si nous ne pouvons nous flatter de les avoir vaincues, de les avoir évités, nous avons du moins fait nos efforts pour les atténuer autant que nous le pouvions.

Notre but était de rendre l’ouvrage d’une lecture aisée et instructive, de donner surtout à la partie géographique et historique l’unité qui lui manquait dans les ouvrages précédents ; nous n’avions d’autre ambition que de faire faire un pas de plus à ce genre d’ouvrages descriptifs, que de planter notre jalon un peu en avant de ceux de nos devanciers, laissant à d’autres, après nous, le soin d’atteindre le but, celui d’une bonne description géographique et historique de notre pays : puissions-nous avoir réussi !

V.-A. MALTE-BRUN.
Paris, Juin 1855.