Malte-Brun - la France illustrée/0/5/2/4/2

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Jules Rouff (1p. liii).
RICHELIEU.

C’est en 1624 que ce grand ministre prend en main le gouvernement de la France. « Lorsque Votre Majesté, dit-il à Louis XIII dans son Testament politique, se résolut de me donner en même temps l’entrée de ses conseils et grande part en sa confiance, je puis dire en vérité que les huguenots partageoient l’État avec elle ; que les grands se conduisoient comme s’ils n’eussent pas été ses sujets, et les plus puissants gouverneurs des provinces comme s’ils eussent été souverains de leurs charges. Je puis dire encore que les alliances étrangères estoient méprisées. Je promis à Votre Majesté d’employer toute mon industrie et toute l’autorité qu’il lui plaisoit de me donner pour ruiner le parti huguenot, rabaisser l’orgueil des grands et relever son nom dans les nations étrangères au point où il devoit être. »

Ce fut là, en effet, tout le plan de sa politique. Les protestants avaient repris les armes et abusaient de l’édit de Nantes : il leur enleva La Rochelle et leur imposa la paix d’Alais, qui donna enfin à la question religieuse sa véritable solution ; les protestants ne purent plus former un État dans l’État, chose nuisible à la force du pays, mais ils jouirent individuellement de la liberté de conscience et d’une protection assurée.

Les nobles ? Richelieu ne les jugeait pas avec trop de sévérité ; mais il les frappa avec une rigueur qui lui a fait cette réputation de ministre terrible et cruel. Il fit tomber sous la hache les têtes du comte de Chalais, du maréchal de Marillac, du duc de Montmorency, et enfin celle de Cinq-Mars. « C’est une chose bien étrange qu’on me poursuive comme on fait, disait Marillac, qui avait tout simplement, lui, maréchal de France, volé le trésor dans les fournitures de l’armée. Il ne s’agit dans mon procès que de foin, de paille, de pierre et de chaux. Il n’y a pas de quoi fouetter un laquais. Un homme de ma qualité accusé de concussion ! » Le dernier mot est digne de Molière, et on en rirait volontiers si le malheureux n’avait porté sa tête sur l’échafaud. Si Marillac volait le trésor, Cinq-Mars conspirait avec l’Espagne pour livrer la France : c’était au moins aussi grave.

Enfin, la troisième partie du plan de Richelieu, cette glorieuse entreprise d’abaisser l’Autriche, que Henri IV s’était vu arracher des mains par la mort, fut conduite avec des prodiges d’énergie et d’habileté. La diplomatie et les armes concoururent à ce but. Après s’être servi de la Suède en la jetant dans la guerre de Trente ans, Richelieu jugea que la France devait intervenir elle-même. Alors il eut sur pied sept armées ; il fit la guerre sur toutes les frontières, en Flandre, en Alsace, aux Alpes, aux Pyrénées, partout avec succès. Il ne recueillit point lui-même le fruit de son habileté et ne vit point les coups les plus brillants de cette guerre ; ce fut après sa mort que Condé frappa les ennemis à Rocroy, à Fribourg, à Nordlingen, à Lens, comme d’autant de coups de foudre, et que fut conclu le traité de Westphalie, qui donna l’Alsace à la France et ruina l’influence de l’Autriche en Allemagne (1648).

Richelieu et Louis XIII moururent la même année (1643). Ce roi qui s’ennuyait tant avait passé sa vie à s’occuper de chiens et d’oiseaux : sa chambre en était remplie. Il faisait aussi un peu de musique, et on lui attribue celle du fameux rondeau :

 
Il a passé, il a plié bagage, etc., etc.,

qu’il composa et chanta lui-même à propos de la mort du cardinal. Son successeur, Louis XIV, n’avait que cinq ans. Ce n’était pas un grand changement ; mais ce qui en était un plus grand, Mazarin remplaçait Richelieu : Mazarin avait la souplesse et l’habileté, point la dignité et la grandeur. « On voyoit, dit le cardinal de Retz, sur les degrés du trône, d’où l’âpre et redoutable Richelieu avoit foudroyé plutôt que gouverné les hommes, un successeur doux et bénin, qui ne vouloit rien, qui estoit au désespoir de ce que sa dignité de cardinal ne lui permettoit pas de s’humilier autant qu’il l’eust souhaité devant tout le monde, et qui marchoit dans les rues avec deux petits laquais derrière son carrosse. »