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Malte-Brun - la France illustrée/0/6

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Jules Rouff (1p. lxxvii-lxxviii).

HISTOIRE GÉNÉRALE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE


L’histoire de la littérature française se divise naturellement en six périodes.

La première comprend les origines. C’est alors que s’agitent et se mêlent les éléments d’où doit sortir la langue française.

La deuxième s’étend du xie au xvie siècle, c’est-à-dire du moment où, par suite des combinaisons diverses de l’idiome primitif du pays avec celui des Romains et des populations envahissantes, il ne reste plus en France que les deux langues d’oc et d’oil. Alors, enfin, le langage est constitué, et quand par un travail de quatre siècles il aura tiré de lui-même tout ce qu’il renferme, il ne lui restera plus qu’à se perfectionner et à se polir au contact des langues savantes de l’antiquité.

Pendant cette période, le mouvement philosophique reste séparé du mouvement littéraire. Il se produit sous la protection de l’Église, à qui il emprunte ses tendances spiritualistes et son idiome. L’esprit humain essaye ses forces et cherche sa voie ; il semble se perdre longtemps dans les recherches abstraites et souvent puériles ; cependant des étincelles jaillissent parfois de ces ténèbres, et quelques voix puissantes, mais isolées, s’élèvent en faveur de l’indépendance de la raison.

« Au xive et au xve siècle, dit M. J. Demogeot, autre spectacle non moins frappant : la science s’émancipe d’une tutelle longtemps bienfaisante ; l’Église n’est plus le seul pouvoir moral, l’esprit humain commence à s’affranchir.

Bientôt il se fortifie par l’héritage de l’antiquité : la tradition grecque et latine reparaît dans tout son éclat. Le xvie siècle est comme le confluent où les deux courants de la civilisation, le christianisme et l’antiquité, se rejoignent. »

De toutes parts, la lutte s’établit : lutte religieuse, lutte philosophique et politique, qui ébranle le monde tout entier, et qui se termine, d’un côté, par l’édit de Nantes, c’est-à-dire par la proclamation du dogme de la tolérance civile ; de l’autre, par le déplacement du principe d’autorité, qui passe de l’Église dans l’État. Mais dès lors le scepticisme en matière philosophique et religieuse a remplacé la foi profonde des âges précédents.

En littérature, le mouvement, pour être moins violent dans ses manifestations, n’en sera pas moins réel. Le xvie siècle est l’âge de la Renaissance. C’est alors que s’allient et se fondent les éléments de la civilisation chrétienne avec les traditions de l’antiquité. À la vue de ces chefs-d’œuvre inconnus, le génie français s’anime d’une vive émulation ; et à ses qualités propres il ajoute par une sorte d’assimilation celles dont la Grèce et Rome lui ont légué de si brillants modèles. Il fallut un siècle pour achever ce travail intérieur.

Mais aussi il eut pour résultat de rendre possible la plus brillante période de notre littérature. Alors la langue s’est assouplie, enrichie ; elle a emprunté aux écrivains de l’antiquité quelque chose de leur ampleur et de leur majesté. La verve et l’élan du génie français ont appris de ces modèles à se régler et à se contenir. Le goût s’est formé, et l’écrivain ne se laisse plus entraîner aux écarts et aux caprices de son imagination.

Au milieu de tous ces perfectionnements de la langue et de la littérature, l’intelligence humaine, longtemps accablée sous sa propre ignorance, se relève, s’éclaire peu à peu et se prend elle-même pour sujet de son étude. Le doute, le scepticisme, résultat des luttes du siècle précédent, devient entre les mains de Descartes une méthode pour trouver le vrai ; en fondant la certitude sur l’évidence, il détruit le principe d’autorité et assure l’indépendance de la pensée. Comme lui et avant lui, Corneille avait pris pour base la personnalité morale et libre, et cette tendance spiritualiste est le lien commun et le caractère des grands génies de ce siècle.

Après le xviie siècle tout est fait pour la langue, et la philosophie a trouvé sa base et sa méthode. Les transformations que nous avons suivies jusqu’à présent, de littéraires, deviennent morales ; elles passent de la langue à l’homme, et la philosophie remplace ou pénètre la littérature. On ne se contente plus d’admirer, et l’art ne suffit pas. Une ardente et noble curiosité s’empare de l’homme. On veut tout sonder, tout connaître. On s’attaque aux principes jusqu’alors presque incontestés qui régissent le monde ; tout est remis en question, religion, société, gouvernement, et le xviiie siècle représente moins une littérature qu’une bataille acharnée pour conquérir des droits et des vérités nouvelles. C’est une révolution qui se prépare, et souvent par les mains de ceux mêmes contre qui elle s’accomplira.

Au xixe siècle comme au xviiie, la littérature n’a qu’un but, la recherche du vrai en soi en dehors de toute autorité. Mais si le principe est le même, les manifestations en sont différentes, parce que la société qu’elle représente a changé.

Une révolution nouvelle s’est faite, à laquelle le xviiie siècle n’avait pas songé, révolution littéraire, raisonnable par son principe, souvent exagérée dans ses premières manifestations, et qui s’est terminée par une alliance féconde et durable de la sévérité de la littérature classique avec les principes plus larges qu’apportaient les novateurs.

De ce mouvement intellectuel nous allons voir quelle part revient à chaque partie de la France, ou plutôt nous allons tâcher d’en donner une idée sommaire en passant en revue le mouvement littéraire de chaque province, en tâchant de marquer le caractère distinctif de chacune d’elles et le rôle qu’elle a joué. Dans ce rapide tableau, nous emprunterons souvent le secours d’un éminent historien, celui peut-être de tous nos contemporains qui a le mieux compris, senti le génie de la France, parce que nul ne l’a plus aimée, Jules Michelet.