Malte-Brun - la France illustrée/1/3/1

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Jules Rouff (1p. 11-14).

HISTOIRE ET DESCRIPTION DES VILLES, BOURGS ET CHÂTEAUX LES PLUS REMARQUABLES.

Bourg (lat. 46° 12’ 21" ; long. 2° 53’ 28" E.). — Bourg, Bourg-en-Bresse (Tanum, Tamnum, Burgus, Burgum), importante station de la ligne de Paris à Genève, à 478 kilomètres sud-est de Paris, et à 83 kilomètres de Lyon, chef-lieu du département de l’Ain et d’un canton, avec tribunal de première instance, société d’agriculture et d’émulation, lycée, grand séminaire, école normale d’instituteurs et une population de 15,692 habitants, était autrefois la capitale de la province de Bresse, siège d’un gouvernement particulier, avec bailliage, présidial et châtellenie royale, relevant du diocèse de Lyon, du parlement de Paris et faisant partie de la Bourgogne.

Le nom de Bourg, sous lequel est aujourd’hui connue la capitale du département de l’Ain, mot qu’il faut prendre dans son acception naturelle de Burgus, groupe, réunion de maisons, a remplacé deux autres noms qui répondent à des époques peu connues de l’histoire de cette ville. Sur son emplacement habitait, avant et pendant la domination romaine, une peuplade, les Sébusiens (Sebusiani), que l’on a longtemps confondus, à tort, avec les Ségusiens ou Ségusiaves (Segusiani, Segusiavi), cantonnés sur le territoire de Feurs (Loire). On ne sait à la suite de quelles révolutions ce nom serait tombé dans l’oubli ; mais nous voyons plus tard le nom de Tanum lui être substitué comme désignation irrécusable de cette ville, ainsi, vers 900, Furtailler, dans sa légende de saint Gérard, évêque de Mâcon, nous représente son pieux héros prenant la robe d’ermite et se retirant dans la forêt de Brou (prope oppidum Tani, cui Burgo nunc nomen est), « près de la ville de Tanum, qu’on appelle maintenant Bourg. » Ce document prouve donc que le nom de Tanière ou Tenières, qu’a conservé un quartier de la ville, est un souvenir du nom qu’a porté jadis la ville tout entière, et le mot oppidum doit faire supposer que, dès avant cette époque, elle était entourée de murailles. Quant à son importance, elle ne devait pas être fort grande, puisqu’elle ne nous est signalée par aucun fait historique, jusqu’à la possession des ducs de Savoie ; nous renvoyons donc nos lecteurs, pour éviter de fastidieuses répétitions, à l’histoire générale du département, et en particulier à celle de la Bresse, dont Bourg a dû partager le sort pendant cette longue période.

Vers le XIIIe siècle, Bourg commence à conquérir quelques franchises ; Guy II, sire de Beaugé, seigneur de Bresse, et Reynald, son frère, déclarent la ville franche dans des limites désignées et lui accordent plusieurs immunités et privilèges, entre autres celui de chasser et de pêcher dans la châtellenie et de tirer de l’arc et de l’arbalète. Le vainqueur du tir était exempt de tailles pour une année. Guy et Reynald dotèrent en outre Bourg des lois et des avantages dont jouissait Beaugé, leur capitale, et cela moyennant la somme de quinze cents livres tournois que leur payèrent les habitants.

Ces faits témoignent de l’importance que commençait à prendre Bourg assimilé par ses maîtres à leur vieille capitale ; l’avènement de la maison de Savoie, qui succéda à Guy II dans la possession de toute la contrée, fut l’origine d’accroissements bien plus considérables. Un des premiers actes d’Amé IV, le premier comte de Savoie qui régna sur le pays, fut de transporter à Bourg le siège du gouvernement de la province, au grand détriment de Beaugé, qui jamais ne se releva de ce coup et devint ce que nous le voyons aujourd’hui, un pauvre village oublié sous son nom, que le temps n’a pas même respecté, de Bagé-le-Châtel.

C’est véritablement de cette époque que date le rôle de Bourg dans l’histoire ; Édouard IX y convoque ses alliés et y rassemble ses soldats pour l’expédition qu’il entreprend contre le comte de Genève, son neveu. Les principales fondations religieuses dont fut dotée la ville remontent au même temps ; le couvent des cordeliers fut fondé en 1356 par Amé V et par Bonne de Bourbon sa femme ; celui des dominicains, par Sibylle de Beaugé et le comte Émond, son époux. Cet édifice, commencé en 1334, ne fut achevé qu’en 1414, sous cet Amé IX que nous avons vu devenir pape, et auquel Bourg dut encore l’établissement des sœurs de Sainte-Claire et la création d’un ordre de quêteuses connues sous le nom d’Hirondelles de carême, et dont la première directrice fut une sainte fille appelée Colette, qui a été béatifiée. Plusieurs hôpitaux furent construits et dotés par la munificence des comtes de Savoie, on dut aussi au premier duc de cette maison, Amé VII, une extension des privilèges antérieurement accordés, une exemption de lods, droits onéreux sur les héritages qui changeaient de main par testaments, codicilles, donations entre vifs et à cause de mort ; ce privilège fut maintenu au pays longtemps après l’établissement de la souveraineté des rois de France. Philippe VII compléta la libéralité de ces mesures, par divers édits qui constituèrent à la ville de Bourg une véritable municipalité ; les syndics et consuls élus eurent pouvoir de répartir également, entre tous les habitants, tailles, subsides, impositions, et de choisir eux-mêmes le collecteur seul autorisé à contraindre les contribuables au payement de leurs cotes. L’organisation militaire fut réglée sur des principes aussi larges ; la police intérieure et la garde des fortifications furent confiées à une milice bourgeoise commandée par un capitaine à la nomination duquel tout citoyen avait non seulement le droit, mais le devoir de concourir. Les encouragements au commerce n’étaient pas non plus oubliés ; le même prince concédait franchises absolues pour quatre foires par an.

Les dernières années de la domination de la maison de Savoie furent marquées par des témoignages plus éclatants encore de ses sympathies traditionnelles pour la capitale de la Bresse.

Sur les vives sollicitations de Charles III, et malgré l’opposition qu’y apportèrent François Ier, le duc de Bourbon, prince de Dombes, l’archevêque de Lyon et tous les évêques des provinces environnantes, la paroisse collégiale de Bourg fut érigée en évêché, en 1515, par Léon X, qui appela à ce siège Louis de Gorrevod, évêque de Maurienne ; enfin, en 1569, Emmanuel-Philibert fit construire, pour la défense de la ville, une citadelle de forme pentagonale, qui passait pour une des plus régulières et des plus fortes de l’Europe. La mésintelligence qui surgit entre le gouverneur de la province et celui de la citadelle fut le prétexte dont Louis XIII se servit pour en ordonner la démolition au mois de septembre 1611.

Toutefois, le règne des deux derniers princes que nous venons de citer, Charles III et Emmanuel-Philibert, fut séparé par une période de domination française sur la Bresse et sa capitale. En 1535, à propos d’une contestation sur la possession du comté de Nice, et d’un refus d’hommage pour le Faucigny, François Ier déclara la guerre au duc de Savoie, Charles III, auquel il avait surtout à reprocher son alliance avec l’empereur d’Allemagne. L’amiral Chabot fut chargé d’une expédition contre les États du duc, et, en moins de trois semaines, il avait conquis à la France Gex, Valromey, Bresse et Bugey. Pour apaiser les regrets que l’administration paternelle de la maison de Savoie avait pu laisser dans le cœur des habitants de Bourg, tous les privilèges dont jouissait la ville furent confirmés. En 1546, le roi voulut visiter sa nouvelle conquête ; il fut reçu à Bourg avec beaucoup de pompe et de magnificence, inspecta les ouvrages de défense qu’il avait fait commencer et fit élever ce beau bastion que l’on voit encore entre la porte Verchère et la porte de la Halle. Son successeur, Henri II, conserva, pendant les premières années de son règne, Bourg et les provinces conquises par Chabot ; il paraissait même ajouter un grand prix à cet accroissement du territoire national, car, en 1548, il vint aussi visiter Bourg, confirma et étendit les franchises provinciales et s’attacha les notaires du pays par un édit qui les autorisait à transmettre à leurs successeurs et héritiers la minute des actes rédigés par eux, usage dont l’adoption a servi de base à l’organisation du notariat dans toute la France. Ces faveurs ne parvenaient cependant pas à déraciner dans la Bresse et le Bugey le souvenir des anciens maîtres ; Emmanuel avait succédé à Charles, et, moins résigné que son prédécesseur, aidé des vœux secrets de seigneurs du pays, nombreux et influents, appuyé d’une petite armée impériale recrutée dans le comté de Ferrette par un capitaine résolu, du nom de Polviller, il dirigea une attaque contre la ville de Bourg ; on comptait sur une surprise ; la garnison royale fit bonne contenance et résista. Les seigneurs de Digoine et d’Erchenets, chargés de la défense, n’attendirent même pas les secours qui leur arrivaient de plusieurs côtés pour forcer les assaillants à une retraite précipitée ; le mauvais succès de cette tentative aurait sans doute consolidé la domination française, si le désastreux traité de Cambrai (1529) ne fût venu rétablir les choses comme elles étaient avant François Ier.

Le duc Emmanuel, en reprenant possession de Bourg avec Marguerite de Valois, sœur de Henri II, qu’il avait épousée, ne voulut se souvenir que des vieilles sympathies qui unissaient la ville à sa maison ; il renchérit encore sur toutes les libéralités dont chaque vainqueur était tour à tour prodigue envers elle ; il lui permit d’ajouter la croix d’argent de Saint-Maurice aux armoiries qu’Amé V lui avait données deux siècles auparavant ; grâce enfin à l’habile modération de sa conduite, il put laisser intact à son successeur l’héritage de ses aïeux, qu’il avait eu le bonheur de reconquérir. Celui-ci, Charles-Emmanuel, ambitieux et brouillon, confondant les époques et méconnaissant la force des choses, ne comprit pas que la constitution de la monarchie française imposait à la Savoie désormais la loi d’une prudente neutralité ; il crut voir dans les guerres de la Ligue l’occasion heureuse d’une intervention, qui étendrait ses domaines ou accroîtrait son influence ; il encouragea, par sa complicité, le gouverneur de la Bresse à seconder le duc de Nemours, son parent, un des plus acharnés adversaires de Henri IV. Le Béarnais ne réclama point et alla au plus pressé mais, dès que son pouvoir fut solidement établi en France, il remit au jour les griefs qu’il avait à faire valoir contre le duc de Savoie ; le maréchal de Biron reçut l’ordre d’envahir la Bresse, et, le 12 août 1600, presque sans coup férir, il entrait dans les murs de Bourg. La citadelle tint pendant six mois ; mais les assiégés déployaient un courage inutile, les négociations entamées ne pouvaient que ratifier le succès des armes françaises ; depuis trop longtemps était méconnue la loi providentielle qui a donné le Jura et les Alpes pour frontières à la France ; le traité de Lyon (17 janvier 1601) annexa définitivement à notre patrie les provinces contestées et Bourg, leur capitale. Plus tard, la conquête de la Franche-Comté et de l’Alsace, en éloignant tout voisinage dangereux et hostile, vint consolider encore l’œuvre de fusion et d’assimilation qui est maintenant absolue et complète.

Il n’est pas aujourd’hui, en France, de ville plus française que Bourg ; la Révolution de 1789 y a rendu plus ferme et plus vivace encore l’esprit de nationalité ; en 1814, l’invasion étrangère ne rencontra nulle part une plus énergique résistance ; les habitants prirent les armes, livrèrent dans le faubourg un combat de tirailleurs, qui tint en échec 1,500 Autrichiens, et ne cédèrent que devant les forces imposantes qui vinrent au secours des premiers assaillants. La ville expia cruellement le crime de son héroïque patriotisme ; les généraux ennemis la livrèrent au pillage. Plus heureuse, mais non moins patriote en 1870 et 1871, elle n’a pas revu l’étranger.

La ville de Bourg, autrefois construite presque entièrement en bois, est agréablement située sur la rive gauche de la Reyssouse et près de la Veyle ; le mamelon sur lequel elle est bâtie domine à l’est un bassin agréable et varié que couronnent les coteaux de Revermont ; au nord, l’œil suit la Reyssouse, arrosant d’immenses prairies qui s’étendent jusqu’à la Saône.

Les rues, dont la régularité laisse à désirer, sont propres, assainies par l’eau courante d’un petit ruisseau nommé le Cône et ornées de fontaines dont une, en forme de pyramide, a été élevée par les habitants à la mémoire de Joubert. Il reste peu de chose de la ville du moyen âge ; les murailles subsistent encore en partie, mais les fossés ont été desséchés et disposés en jardins ; la citadelle, comme nous l’avons vu, a été rasée sous Louis XIII ; les derniers vestiges du château ducal ont disparu dans les premières années de la Restauration ; l’église paroissiale, dédiée à Notre-Dame, dont la façade est entièrement du style de la Renaissance, et l’intérieur du moyen âge, est le monument le plus important de la ville. Après elle, il faut citer l’hôtel de la préfecture, la bibliothèque, le musée, la halle au blé, une assez jolie salle de spectacle et, en dehors de la ville, un magnifique hôpital entouré de beaux jardins. Ce qu’on ne saurait assez louer, ce sont de délicieuses promenades qui consistent en plusieurs avenues de peupliers : le Quinconce, le Mail, remarquable par sa longueur ; le Bastion, au centre même de la ville, et dont l’hémicycle est décoré d’une statue en bronze de Bichat, due au ciseau de David d’Angers.

Les produits du sol, céréales et bestiaux, constituent le principal commerce de Bourg. On y trouve cependant quelques fabriques de toile et de bonneterie, des filatures de coton, tanneries et corroieries. Cette ville est la patrie de Bachet, traducteur et commentateur ; du jurisconsulte Collet, de l’historien Faret, d’Antoine Favre, jurisconsulte, et de Favre de Vaugelas, le grammairien ; de l’évêque Albert de Chouin ; des conventionnels Alexandre Goujon et Marie Gouly ; de l’astronome Lalande ; du philosophe Chevrier de Corcelles ; d’Aubry de La Bouchardie, lieutenant général d’artillerie, et du poète et littérateur Edgar Quinet, député à l’Assemblée nationale, mort à Versailles en 1875.

Les armes de Bourg sont : parti de sinople et de sable, à la croix de Saint-Maurice d’argent, brochant sur le tout. Dans un manuscrit du XVIIe siècle, elles sont figurées : de sable, à la croix florée d’argent.