Malte-Brun - la France illustrée/1/3/21

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Jules Rouff (1p. 23-24).

Nantua (lat. 4° 9’ 7" ; long. 3° 16’ 22" E.). — Nantua (Nantoidis, Nantuacum, Nantuadunum), à 40 kilomètres est de Bourg, chef-lieu de sous-préfecture, avec tribunal de première instance et chambre consultative des manufactures, peuplé de 3,405 habitants, était autrefois une baronnie, avec prieuré et collège, relevant du diocèse de Saint-Claude et du parlement de Dijon.

Nantua, selon les uns, dérive de Nant, nom d’un petit ruisseau qui s’échappe de son lac ; selon les autres, des Nantuates, peuplade celtique qui, selon Strabon, habitait dans les environs du lac Léman et y aurait envoyé une colonie.

Une légende fait remonter l’origine de la ville à saint Amand, qui, avec l’autorisation de Chilpéric II, fonda un monastère en un lieu appelé Nanto. Le nouvel établissement porta ombrage à Mummolus, évêque d’Izernore ; des meurtriers furent envoyés à Nanto pour tuer saint Amand ; mais, au moment où ils allaient exécuter leur projet, éclata un orage qui terrifia les émissaires de Mummolus ; ils tombèrent aux pieds du saint et implorèrent leur pardon.

Avec le temps, l’ermitage de Saint-Amand devint un important monastère ; les habitations qui se groupèrent autour formèrent plus tard une ville dont l’histoire est restée étroitement liée à celle de l’abbaye qui lui avait donné naissance. En 817, dans la convocation à Aix de tous les hauts dignitaires de l’Église, sous Louis le Débonnaire, nous voyons figurer Pierre de Nantua, et son domaine est classé parmi ceux auxquels n’est imposé qu’un don sans levée de soldats (dona sine militia). Plus tard, l’abbé Helmédius obtint pour Nantua de Louis, roi d’Aquitaine, l’autorisation d’avoir des bateaux sur le Rhône, la Saône et la Loire, pour transporter ses denrées, sans qu’elles soient soumises à aucun péage. Lorsque Charles le Chauve, tombé malade à Genève, à son retour d’Italie, vint mourir, en 878, au village de Briord, près du Rhône, c’est ce même Helmédius qui présida aux funérailles du monarque, inhumé dans l’église de Nantua, à la gauche du maître-autel, et c’est sans doute à la vénération qu’il inspirait au prince mourant que furent dus les riches présents dont sa libéralité dota le temple qui devait être sa dernière demeure.

L’abbaye de Nantua dépendit longtemps de l’archevêché de Lyon ; elle fut soumise, en 959, par une charte de Lothaire, au monastère de Cluny jusqu’à l’avènement de saint Hugues, un de ses abbés, qui réclama et obtint du pape Pascal II la création de prieurs indépendants. Parmi ces nouveaux prélats, on compte plusieurs personnages illustres : Boniface de Savoie, évêque de Belley, qui devint archevêque de Cantorbéry ; Philippe de Savoie, qui occupa le siège de Lyon, et enfin ce duc Amé IX, qui fut pape sous le nom de Félix V, et dont nous avons ailleurs raconté l’histoire.

Lorsque François Ier traversa la Bresse et le Bugey, après la conquête de l’amiral Chabot en 1536, il s’arrêta à Nantua et logea au monastère. On ne trouve qu’un seul fait militaire dans les annales de la ville : il se rattache à l’interrègne qui suivit la mort du duc de Savoie, Amé VIII. Philippe, son frère, disputant la régence à sa belle-soeur Yolande, se présenta devant Nantua à la tête d’une petite troupe de cinq cents soldats ; les habitants lui refusèrent le passage et l’obligèrent à se diriger sur Seyssel.

La ville de Nantua est située au milieu d’une gorge des plus sauvages et des plus arides de la chaîne du Jura ; elle se compose de trois rues à peu près parallèles, dont deux aboutissent à la route ; deux de ces rues sont larges et belles, l’une d’elles est rebâtie à neuf ; la troisième est vieille, noire, étroite et malpropre ; une haute montagne longe et domine les habitations à l’est ; elles sont baignées à l’ouest par les eaux du lac qui porte le même nom que la ville. Son seul monument est l’église paroissiale, celle de son ancienne abbaye, d’un beau style lombard ; le portail, quoique horriblement mutilé, offre encore des débris curieux ; c’est le Bas-Empire dans toute sa naïveté ; le fronton circulaire était décoré de sujets tirés de l’Apocalypse comme dans la plupart des temples de l’école byzantine.

Le commerce et l’industrie ont pris de notables développements à Nantua. On y voit des fabriques de mousseline, toiles de coton et de fil, tissus cachemire, couvertures, tapis grossiers, peignes de corne, et surtout souliers de montagnards ; il y a aussi de belles papeteries, clouteries, scieries hydrauliques et des filatures de coton, laine peignée ; enfin d’importantes fabriques de soieries.

Les poissons et surtout les truites renommées du lac, les fromages de la montagne sont l’objet d’un commerce assez important, auquel il faut ajouter encore un échange assez actif de céréales et de vins entre la France et la Suisse.

Nantua est la patrie du docteur Jacques Maissiat, ancien représentant à l’Assemblée nationale de 1848, et auteur d’ouvrages sur le passage de César et d’Annibal à travers la Gaule.

Les armes de Nantua sont : un lac de sinople, à une truite d’argent, au chef d’azur chargé d’une fleur de lis d’or. On les trouve encore : d’or, à une truite de sable posée en fasce, et trois bucelles ondées en pointe, au chef de gueules, à la croix alaisée d’argent.