Mandrin, capitaine général des contrebandiers/03

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Mandrin, capitaine général des contrebandiers
Revue des Deux Mondes5e période, tome 41 (p. 289-329).
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MANDRIN
CAPITAINE GÉNÉRAL DES CONTREBANDIERS

III[1]
LA PRISE ET LA MORT DE MANDRIN


I. — ROCHEFORT EN NOVALAISE

Les fermiers généraux avaient obtenu du gouvernement de Louis XV qu’il mît sur pied une armée entière pour réduire les Mandrins. Les officiers menaient la campagne de leur mieux ; mais nos financiers estimaient qu’ils la menaient trop militairement. Le Contrôleur général en écrit au baron d’Espagnac, qui commandait à Bourg : « M. de Fischer me propose une augmentation de chevaux pour sa troupe ; je lui ai dit que ce n’était pas à force d’hommes et de chevaux qu’on terminerait cette affaire ; mais par le moyen de bons espions qui donneraient des nouvelles, et que je préférerais attribuer de bonnes et grandes gratifications à ceux qui feraient des captures importantes, telles que celle de Mandrin, à la dépense d’une augmentation dans sa compagnie. »

Vilain son de cloche et qui ne cessera de tinter désormais.

Sur la frontière immédiate de la France et de la Savoie, l’état d’hostilité entre gâpians et argoulets d’une part, Savoyards et contrebandiers de l’autre, allait s’accentuant.

Le Guiers-Vif, affluent du Rhône, marquait la limite entre les deux Etats. Sur les berges escarpées de la rivière, côté France, avaient été établis, sous le commandement du colonel de La Morlière, les postes des volontaires de Flandre et des volontaires du Dauphiné ; et, sur l’autre bord du cours d’eau, à Saint-Genix-d’Aoste, à Domessin, au Pont-de-Beauvoisin part de Savoie, aux Echelles part de Savoie, à Saint-Christophe part de Savoie, les contrebandiers faisaient leur principal séjour.

On imagine les rapports entre Mandrins et argoulets, séparés par une étroite rivière et que, en de nombreux endroits, on pouvait passer « en chemin, » c’est-à-dire à gué.

Le Pont-de-Beauvoisin était en perpétuelle ébullition. La ville, construite sur les deux bords du fleuve, relevait du roi de Sardaigne, rive droite, et du roi de France, rive gauche. Les deux parties en étaient reliées par le fameux pont commencé sous François Ier, avec sa voûte très haute, en arc brisé, des touffes de mousse et de bouillon-blanc prises entre les grosses pierres, et, au centre, le petit obélisque, aux armes de France et de Savoie, surmonté d’une croix, qui marquait la séparation des deux Etats.

Les vieilles baraques du Pont-de-Beauvoisin, à toitures en auvent, couvertes de tuiles ou de chaume, — avec des galeries en surplomb sur la rivière, soutenues par des poutres de bois obliquement enfoncées dans les murs, — se pressaient, pittoresques et paisibles, sur les bords de l’eau, une eau profonde, moirée par les lessives et les lavures, entre les sombres bouquets d’aunes et les peupliers pointus. Ces galeries étaient encombrées par des caisses et par de gros pots en grès, où poussaient des fleurs de curé, dahlias, soleils, roses trémières ; et l’on y tendait du linge, aux couleurs bigarrées, qui séchait au vent de la montagne. Les assises des maisons, noircies et verdies par l’humidité, effritées par le courant rapide, trempaient dans l’eau, au pied des monts ; et sur elles semblaient veiller, de leur hauteur impassible, les cimes blanches, éblouissantes dans la clarté du jour.

Sur la place du Pont-de-Beauvoisin, partie Savoie, et sur celle de Saint-Genix-d’Aoste, les Mandrins « faisaient leur carillon. » Ils y faisaient l’exercice, au son des fifres et des tambours, pour le plus grand plaisir des Savoyards qui accouraient en foule ; ils y avaient installé des tirs à la carabine, où les compagnons devenaient habiles à « démonter » le gâpian ; ils y faisaient leurs enrôlemens. « Les contrebandiers battent journellement la caisse, — écrit M. de la Tour du Pin, commandant pour le Roi au Pont-de-Beauvoisin ; — ils battent la caisse en proposant de s’engager dans la brigade de Mandrin. Ils promettent beaucoup d’argent, de bons chevaux, du plomb et de la poudre. » Ils se rangeaient en bataille, sur la rive droite du cours d’eau, de préférence à la tête des ponts, d’où ils narguaient les soldats en faction sur l’autre bord. Pour tâcher de mettre fin à ces « indécences, » le chevalier de Chauvelin, ambassadeur français à Turin, avait obtenu que l’on installât des dragons piémontais au Pont-de-Beauvoisin, part de Savoie. Mandrins et dragons piémontais devinrent frères et amis. Dans les maisons de bouteille, au bord de l’eau, on les voyait vider chopine, en un joyeux concert. Ils ne se querellaient que sur la manière dont ils faisaient respectivement l’exercice, — par esprit de corps.

Les Mandrins sont de jeunes gars, de beaux gars, des boute-en-train. Ils plaisent aux filles de Savoie. Ils font des chansons sur les argoulets, sur les soldats de La Morlière et sur les filles des villages, part de France, que ces lascars ont pu charmer. Leur Muse a la main un peu lourde et nomme chacun par son nom. Sur les rives du Guiers-Vif, gars et filles de Savoie viennent chanter les chansons des Mandrins, en vue des corps de garde où les argoulets se mêlent aux gâpians ; mais ceux-ci n’aiment pas cette plaisanterie. Le dimanche 4 mai 1755, plusieurs des chansonniers sont allés entendre la messe à Saint-Christophe, part de France, car il n’y a pas de service à Saint-Christophe Savoie. Les argoulets les ont reconnus. Ils tombent sur eux à coups de crosse et de plat de sabre ; des jeunes filles sont frappées à coups de poing et leurs robes sont déchirées.

Passe encore pour les chansons ; mais entre Mandrins et argoulets, d’une berge du Guiers à l’autre, ce ne sont qu’insultes et menaces. Le marquis de Saint-Séverin, banquier et ami de Mandrin, a son château sur les bords mêmes de la rivière. Les contrebandiers y sont comme chez eux. Gare aux gens des Fermes qui passent sur le bord opposé ! Argoulets et gâpians sont accueillis par des injures agrémentées d’une volée de pierres ; encore doivent-ils s’estimer heureux quand ils n’attrapent pas des coups de fusil. D’une rive à l’autre, on se tirait ainsi des coups de fusil ; car on imagine que ni les argoulets, ni les gâpians, ne laissaient de riposter.

Ces gens-là se fortifient tous les jours, écrit l’espion Marsin dans son rapport sur les contrebandiers, et il leur arrive journellement du monde de toutes sortes de nations. »

Le docteur Passerat de la Chapelle, qui les observe de Châtillon-de-Michaille, note aussi l’accroissement rapide des forces contrebandières, qui s’organisent en Suisse et en Savoie. Le baron d’Espagnac signale le nombre grandissant des recrues que Mandrin fait ouvertement. Celui-ci veut se constituer un corps d’un caractère rigoureusement militaire. Sa renommée, qui s’est répandue, lui attire des volontaires de toutes les parties de l’Europe. Passerat de la Chapelle estime que l’effectif des Mandrins s’est accru jusqu’au chiffre de 2 000 hommes. Et que ne devaient pas pouvoir entreprendre 2 000 hommes de cette trempe, sous les ordres d’un tel chef ?

Mandrin, animé par cette popularité rapide, a repris confiance. Il est entré en rapport avec les religionnaires des Cévennes qui préparent un nouveau soulèvement. Et déjà l’on entend les grondemens précurseurs de la guerre de Sept ans.

Le jeune capitaine a résolu de pousser sa nouvelle expédition jusqu’aux environs de Paris, où les fermiers généraux ont leurs maisons de plaisance, afin d’y enlever quelques-uns de ces « matadors de l’or, » qui se transformeraient entre ses mains en précieux otages.

Voilà qui devenait décidément mauvais. Les fermiers généraux ne pourraient donc plus couler, avec le calme nécessaire, une existence mollement corrompue en leurs palais magnifiques ? Ils risquaient de voir tomber sur eux, comme le tonnerre, des gaillards hirsutes, noirs de hâle, les mains rudes, les habits rapiécés, qui les arracheraient d’entre les bras parfumés de leurs maîtresses, pour les transporter à des de mulet, ficelés comme des andouilles de tabac, en des retraites inaccessibles.

Heureusement que Bouret d’Erigny, fermier général en mission sur la frontière, était là, l’œil au guet, à côté de son fidèle auxiliaire, le colonel de La Morlière, commandant des argoulets.

Mandrin s’occupait activement des derniers préparatifs pour sa prochaine incursion en France, recrutant et exerçant ses hommes, achetant des chevaux. Le 4 mai 1755, il était à Carouge, où il recevait livraison de vingt-cinq chevaux ; les 7 et 8 mai, il paraissait aux foires de Romilly et de Saint-Félix en Savoie ; le 9 mai, sur les quatre heures de l’après-midi, par une pluie battante, il arrivait avec l’un de ses camarades, Saint-Pierre le cadet, au château de Rochefort-en-Novalaise, en Savoie, à une petite lieue de la frontière française que traçait le Guiers-Vif. Mandrin boitait, son cheval lui étant tombé sur la jambe.

La Morlière fut instruit de l’arrivée de Mandrin au château de Rochefort, par une dénonciation émanant d’un ecclésiastique, dont le nom est demeuré inconnu. On tient le détail de La Morlière lui-même, qui en écrit au ministre de la Guerre, en lui transmettant même une phrase de la lettre que l’ecclésiastique en question lui a adressée : « Prenez garde à ce point : la femme fermière du château est l’amie de Mandrin et doit avoir son argent. Surtout, ne laissez sortir personne : les domestiques vous instruiront de tout. »

La légende, d’après laquelle Mandrin aurait été trahi par une dame de château, sa maîtresse, qui l’aurait livré une nuit où il serait venu la voir, ne repose sur aucun fondement ; mais on en voit ici l’origine.

« L’on ne vaincra et l’on ne saisira jamais Mandrin en France, » écrivait le marquis de Ganay, gouverneur d’Autun. Voici l’audacieuse violation du droit des gens que le colonel de La Morlière se chargea d’exécuter.

Dans la nuit du 10 au 11 mai 1755, sur les onze heures, une troupe de cinq cents hommes environ, pour la plupart des volontaires de Flandre, c’est-à-dire des argoulets, et pour une partie des « employés » des Fermes, c’est-à-dire des gâpians, se rassemblèrent sur la rive française du Guiers-Vif. C’était à une demi-lieue en aval du Pont-de-Beauvoisin, au lieu dit le Pilon, à la hauteur d’Avaux, côté France (paroisse de Romagnieu). Cet endroit, où le Guiers-Vif est guéable, se nommait aussi « la Rive. »

La Morlière accompagna ses soldats jusqu’à ce point et dirigea le passage ; mais il crut prudent de ne pas s’aventurer par delà le cours d’eau, jusqu’en Savoie, terre étrangère.

Il abandonna la direction de la troupe au capitaine Iturbi de Larre, qui avait conduit l’expédition de la Sauvetat. De Larre était secondé par un groupe d’officiers, tous déguisés. Les « employés, » au nombre de quatre-vingt-dix, étaient commandés par quatre capitaines des Fermes.

Sur les deux côtés du Guiers, les bords se redressent en escarpemens rocailleux, plus élevés sur la rive de Savoie. Pour se faire son lit, le fleuve les a comme tranchés, et on distingue les couches parallèles de sable, de terre comprimée et de roche aux teintes différentes. Mais à l’endroit où les soldats se sont arrêtés, les bords descendent en pente douce. De larges bancs de pierres plates et rondes, rocs que les eaux ont limés, y permettent de guéer le cours d’eau. Sur les rives, des bouquets de chênes, d’acacias, de saules gris. Du côté français, Romagnieu, sur une hauteur, domine le gué. Par delà le cours d’eau, en Savoie, on aperçoit au loin le château de Rochefort, à la crête d’une colline.

C’est la nuit du samedi au dimanche. Le ciel est couvert. Les soldats se sont arrêtés et, sur un signe des chefs, la plupart ont retiré leurs vestes écarlates, les vestes rouges des La Morlière, bien connues dans le pays. Ils les ont jetées en tas, et leurs bonnets noirs bordés de laine blanche. Ils se sont coiffés pour la plupart de mouchoirs, les uns blancs, les autres de couleur, qu’ils se sont noués autour de la tête. Nombre d’entre eux se sont noirci le visage avec du charbon et d’autres se le sont couvert de gaze verte ou blanche.

Les argoulets ont rencontré les nommés Trafil, père et fils, paysans de Romagnieu. Ils les contraignent, pour leur montrer exactement le gué, à traverser la rivière devant eux. Et les cinq cents hommes conduits par le capitaine de Larre passent la rivière en désordre, troupe en costumes divers, bariolée, sinistre, silencieuse. Arrivés sur la rive de Savoie, sous la domination du roi de Sardaigne, ils prennent la vallée du Paluel, torrent bruyant, affluent du Guiers, qu’ils laissent sur leur droite. Le torrent les sépare des collines boisées, où saillent d’une masse de verdure les tours coiffées en champignons du château de Belmont. Ils vont droit devant eux, à travers champs. Le lendemain, on suivait leurs traces au ravage fait dans les blés qu’ils avaient couchés sous leurs pas, dans les magnifiques nappes de blé vert, d’un vert frais, qui s’étendaient, en se modelant aux ondulations du terrain, depuis Romagnieu jusqu’à Rochefort, sur une lieue de distance.

Et les argoulets vont en ligne droite sur le château de Rochefort, qui se dresse à la crête du coteau, parmi les cordons de vigne auxquels se mêlent des plants de tabac ; propriété du seigneur de Thoury, président au Parlement de Grenoble, du chef de sa femme, Jeanne de Chaumont.

Le château où Mandrin a reçu l’hospitalité est conservé. Du milieu des vignes émergent les vieux murs de défense, percés par endroits de longs et minces trous carrés, par lesquels s’écoulent les eaux des terres que le bâtiment enserre de ses fondations. Les toitures, faites de tuiles, se détachent en rouge brique sur la masse verdoyante des noyers touffus, qui se pressent à l’arrière-plan, comme pour couvrir la demeure contre les vents des Alpes. Le village de Rochefort est construit dans le voisinage, sur un autre mamelon moins élevé.

L’entrée est à l’arrière du château pour ceux qui viennent des rives du Guiers. On y accède par une somptueuse allée de noyers, qui conduit à une cour extérieure, sorte de verger où les cerisiers effeuillaient leurs fleurs blanches sur le gazon terreux. Tout autour, les communs : des écuries, des abris pour le fourrage, des bûchers ; un puits à auge ronde taillée dans un bloc de granit.

La façade du château se compose d’un corps de bâtiment percé au milieu d’une porte charretière, basse, en plein cintre, et flanqué, en manière d’ailes, de deux tours carrées, massives, trapues : dans celle de gauche, la chapelle ; dans celle de droite, le logis occupé par Mandrin. Cette entrée est défendue par une grille en fer forgé, qui forme porte à claire-voie, fermée à l’intérieur d’une lourde poutre de bois, que l’on fait mouvoir en l’enfonçant dans un trou pratiqué dans l’épaisseur du mur. A droite et à gauche de cette entrée, de petites fenêtres défendues par des barreaux de fer et fermées intérieurement d’un volet de bois plein. Celle de droite éclaire une chambre à rez de terre, où loge Joseph Veyret, un jeune jardinier, qui sert également de concierge au château.

Après avoir ouvert la grille, on passe sous une voûte pratiquée dans le corps de bâtiment, et l’on est introduit dans la cour intérieure. Cette seconde cour, carrée, est entourée de constructions. Dans l’angle des murs, à droite en entrant, un degré de pierre mène jusqu’au premier étage, à un palier extérieur sur lequel s’ouvrent deux portes, la première donnant accès dans les pièces aménagées sur la façade (par là on arrive à la chambre de Mandrin) ; l’autre s’ouvrant sur les chambres où logent le fermier et sa famille. Ce second appartement occupe le premier étage du bâtiment qui, en se repliant à angle d’équerre, ferme la cour sur la droite. Le degré de pierre s’abrite sous une toiture en auvent, couverte de tuiles. Sous le degré, au niveau du sol, l’entrée de la cave.

Par la voûte, on a pénétré dans la cour, et l’on voit, face à soi, le bâtiment qui sert d’habitation aux seigneurs du domaine : sept ou huit marches conduisent à une grande porte à deux battans, aux panneaux de noyer, encadrée de fins pilastres, que surmontent de petites urnes rondes, sculptées en haut relief dans la pierre. Chambranles et linteaux ont conservé leurs nervures du XVe siècle ; au-dessus, dans une niche, une Vierge en pierre sculptée, de la même époque, dont les pluies ont usé les contours. Les fenêtres à fins meneaux sont également du XVe siècle. Vers le milieu de la cour, à gauche, un puits rond, muni d’une pompe. Derrière le puits, un mur très bas qui rejoint le bâtiment du fond. Par la porte, qui y est percée, on accède au jardin en terrasse, d’où l’on domine la vallée du Palluel ; du jardin on arrive au potager.

L’ensemble des constructions, où des parties plus anciennes ont été conservées, date du milieu du XVIIe siècle.

C’est une motte fortifiée, ancienne résidence seigneuriale, militaire et agricole d’un baron laboureur, où, dans la vaste cour, en cas d’alarme sur la frontière, se réfugiaient les paysans. Et, de fait, défendue au Nord et à l’Est par le massif de la Chartreuse, elle offrait sur le Sud et sur l’Ouest un observatoire admirable pour surveiller l’ennemi.

De là, les Mandrins auraient pu voir les argoulets se rassembler sur les bords du Guiers, passer la rivière et monter jusqu’à eux par la vallée du Paluel, en se glissant parmi les blés. Mais ils dormaient sans méfiance, sur la foi des traités, confians en la sauvegarde que leur offrait la couronne de Sardaigne.

Gâpians et soldats de La Morlière arrivent au château sur les trois heures du matin. Ils passent par la grande allée de noyers et remplissent la cour extérieure, où ils font un terrible vacarme à la porte grillée et aux fenêtres qui la flanquent de droite et de gauche. Les volets en sont fracassés. Le jeune jardinier, Joseph Veyret, se lève, ouvre la porte, et la masse des soldats de s’engouffrer sous la voûte. Veyret est bousculé ; d’un grand coup de sabre sur la tête, il est jeté à terre couvert de sang, et la bande furieuse se répand avec des cris dans la cour intérieure. Les argoulets ont des fusils armés de baïonnettes. On a relevé le jeune jardinier et, rudement, on le secoue. Un autre domestique, qui est accouru au bruit, est houspillé de même. Il s’agit de dire où est Mandrin.

— Il est parti, déclarent les domestiques.

Des coups de crosse et des coups de poing leur redressent la mémoire. « Il a fallu sérieusement les caresser, » écrit La Morlière. L’un de ces malheureux en eut le bras cassé. Enfin ils indiquent, dans le coin de la cour à droite, l’escalier de pierre.

Eveillé par le bruit, Mandrin n’a vu les argoulets qu’au moment où ils pénétraient dans la cour intérieure. Il n’a dans ce moment auprès de lui qu’un seul de ses compagnons, Saint-Pierre le cadet, qui partage sa chambre.

Sur l’indication des domestiques, une bande d’argoulets s’est élancée vers le degré de pierre. Les deux portes du palier sont enfoncées : les uns se précipitent dans l’appartement où se trouve Mandrin ; les autres dans celui où demeurent le fermier Perrety et sa femme.

La chambre où Mandrin couchait avec Saint-Pierre est conservée telle qu’elle était alors : une large pièce carrée, blanchie à la chaux, dont chaque côté mesure six mètres, sur cinq mètres de haut. Les solives du plafond sont apparentes, soutenues par une énorme poutre transversale. Elles sont peintes à la chaux blanche. Deux portes en bois naturel, dont l’une, par laquelle se précipitent les argoulets, à droite de la fenêtre, fait communiquer la chambre de Mandrin avec une grande pièce qui donne sur le palier, et dont l’autre, percée dans le mur face à la fenêtre, donne accès dans l’appartement du fermier.

Les argoulets se sont emparés de Mandrin et de Saint-Pierre avant que ceux-ci aient pu se retourner. Ils les garrottent, et, sans qu’ils leur permettent de se vêtir, de passer leurs culottes, ils les transportent sur une charrette, qui les attendait.

Argoulets de La Morlière et commis des Fermes se conduisirent au château de Rochefort comme des sauvages. Ils se jettent dans la chambre du fermier Perrety qu’ils accablent de coups. Ils le frappent sur la tête avec un bâton et lui bourrent la poitrine et les reins de coups de crosse. Perrety en a un œil poché et le sang lui coule de la tête. C’est à peine si sa femme, Jeanne-Marguerite, a eu le temps de passer un jupon. Elle paraît n’ayant sur la poitrine que sa chemise, les bras nus, les cheveux défaits. L’un des argoulets lui arrache du cou une petite croix, attachée à sa chaîne d’or, qui valait trente-six livres. La pauvre femme en a la nuque marquée d’une ligne sanglante. Un autre lui passe les mains sous son jupon pour lui ôter des jambes ses jarretières « neuves, » « du prix de vingt-quatre sols. » Un troisième lui enlève des pieds ses petits souliers de cuir à boucles d’argent, et un autre lui retire de la gorge son mouchoir d’indienne. Les gâpians, qui ont saisi Jeanne-Marguerite, la tournent et retournent ; ils lui prennent dans la poche de son jupon deux écus de France. La jeune femme proteste, crie, se débat. En manière de caresse, les soldats lui appliquent rudement leurs mains sur les épaules, sur la gorge nue, sur la figure. De sa chambre on enlève tout l’argent qu’elle possédait, une centaine de louis d’or qu’elle avait serrés sous son prie-Dieu de bois-noyer ; on vole au fermier la somme qu’il avait mise en réserve pour deux termes de son bail, quarante-sept louis d’or, au dernier coin de France, et un petit sac à procès rempli de « louis effectifs, » que Mandrin lui avait confiés. Sur place le capitaine de Larre répartit cet argent entre ses hommes. Et comme le malheureux Perrety protestait, le capitaine de Larre commanda de lui tirer un coup de fusil, qui le manqua heureusement ; mais la frayeur que le pauvre homme en éprouva le fit du moins tenir tranquille. La servante, Anne Demeure, fut pillée, elle aussi, fouillée sans ménagement. Les gâpians s’amusent.

Ce qui ne se laisse pas emporter est saccagé et détruit. Toutes les armoires sont enfoncées, les coffres fracassés, les bahuts brisés, les huches éventrées. Les serrures sont mises en pièces à coups de talon de crosse. Au fermier on prend tous ses effets, justaucorps, culottes de drap et culottes de finette, culottes doublées de peau, guêtres, bas de coton, souliers, chapeaux, manteau ; on lui vole ses armes, ses selles ; à la servante, Anne Demeure, on enlève ses chemises, ses mouchoirs d’indienne, et son jupon d’une petite étoffe, dite raze ; au pauvre jardinier, qu’ils ont à moitié assommé, les gâpians prennent son couteau et la serpette dont il se servait pour tailler les arbres ; ils enfoncent les coffres de bois de sapin où les deux valets d’écurie, François Berthet et Claude Planche, avaient rangé leurs vestes de ratine brune et de ratine cannelle, leur linge et leur argent, maigres économies réalisées sur leurs gages. Tout est butiné. Claude Planche, pour avoir fait la mauvaise tête, est garrotté et jeté sur la charrette avec Mandrin et Saint-Pierre. Et la charrette part pour la frontière de France, escortée d’une partie de nos conquérans, car le reste demeure à parfaire le pillage du château et à vider la cave.

Ici ce fut un régal. Le président de Thoury en écrit au commandeur de Sinsan, gouverneur de Savoie pour le roi de Sardaigne :

« L’excellence de la cave m’avait engagé à y faire porter de Grenoble mes meilleurs et plus anciens vins et j’y envoyais prendre à mesure que j’en avais besoin. Ces vins sont sans doute un objet que je regrette, car je les destinais à être bus par d’honnêtes gens. »

Soixante bouteilles de liqueurs de Paris, de Lunéville, de la Côte-Saint-André et de Montpellier, « extrêmement vieilles ; » cent bouteilles de Beaujolais, vieux de quatre ans ; cent cinquante bouteilles de vin vieux de Chypre et d’Espagne ; dix-huit grandes bouteilles de vin du Cap et un tonneau de vin de table bon ordinaire. Gâpians et argoulets mirent le tout à sec et ils dévorèrent tout le salé et tout le pain qu’il y avait dans la maison, et plusieurs sacs de noix.

Les portes, qui donnaient accès au bâtiment du fond de la cour, où M. de Thoury faisait sa résidence, avaient été enfoncées dès le premier moment, et l’on avait vu sortir, pour être empilés sur des charrettes, ou fourrés dans des havresacs, ou ficelés en ballots, dont gâpians et argoulets se chargèrent en porte-cols : cinquante-six paires de drap, quatre-vingt-deux nappes de table, huit douzaines de serviettes, des tentures, des tapisseries, des garnitures de lit, des couvertures de soie ou en toile blanche piquée, des tapis de Turquie, des matelas, des paillasses, toute une batterie de cuisine, un service d’argenterie, cuillers, fourchettes, huiliers, écuelles, sucriers, cafetières ; des armes de chasse, des gibecières, des plats et des assiettes d’étain ; des miroirs de toilette, des salières de cristal, douze chandeliers en argent haché, des « tableaux de médiocre prix pour des dessus de porte et de cheminée, » et toute la garde-robe de M. de Piolence. Les représentans de l’autorité allèrent jusqu’à mettre au pillage les archives du château et à s’emparer d’un certain nombre de vieilles gravures qu’ils répandirent ensuite dans les champs, ces images n’offrant à leurs yeux que peu d’intérêt. Ce qui ne put être emporté, comme les fauteuils, les chaises et les canapés, fut mis en pièces. On cassa les carreaux des fenêtres. Ici encore le pillage fut complet.

Une troupe d’argoulets et de gâpians s’étaient détachés de leurs camarades, pour se rendre au village de Rochefort, chez le curé « noble révérend Antoine de Galifet, » qui était connu pour un ami de Mandrin. Ils arrivèrent, eux aussi, en forcenés. Ils trouvèrent le prêtre dans sa cour, où, levé avant l’aube, il disait son bréviaire. Ces furieux réclamaient Mandrin ; ils voulaient « du clair » pour aller fouiller partout. A la lueur de quelques chandelles, les recherches furent poussées jusque dans l’église, jusque dans la grange qui était pleine de foin. Le curé craignait qu’on n’y mît le feu :

— Je me f… de toi, répondit le chef delà bande, et je m’embarrasse peu que ton presbytère soit brûlé !

Enfin, plusieurs soldats cherchèrent Mandrin dans la cave, où ils trouvèrent, en son lieu et place, du vin et du fruit dont ils se consolèrent.

Puis, ils rejoignirent, en bande, leurs camarades au château, sur la hauteur, où on les entendait tirer des coups de fusil, dans la nuit.

L’aurore mettait des reflets dorés sur les cimes des Alpes, quand nos héros, avec leur proie et leur butin, reprirent le chemin de France. Ils redescendirent la vallée du Paluel et arrivèrent à Avressieux.

Il était six heures du matin, quand le maître d’école, Daniel Bernard, qui était dans sa cour, vit approcher, à travers les prairies, cette troupe aux costumes bigarrés et étranges, des hommes chargés de paquets, armés de fusils, la baïonnette au canon. Ils se dirigeaient vers sa maison, où une quinzaine d’entre eux entrèrent avec fracas et se mirent tout d’abord à piller la garde-robe, habits, vestes, chapeaux, enfin ils le lièrent lui-même et l’emmenèrent en lui donnant des coups de pied pour le pousser en avant,

A une centaine de pas, l’un de ceux qui commandaient demanda :

— N’est-ce pas le maître d’école Bernard ?

Et, sur la réponse affirmative :

— Pourquoi ne l’avez-vous pas tué ?

Rien de plus facile. Une demi-douzaine de baïonnettes lui sont enfoncées entre les côtes. Peu après, le maître d’école fut trouvé inanimé, au milieu du chemin qu’il rougissait par le sang qui lui coulait de dix blessures.

Tout en poursuivant leur route, qui descendait par Sainte-Colombe, vers Saint-Genix-d’Aoste, nos braves aperçurent quelques paysans groupés devant une grange. Ils leur tirèrent des coups de fusil dont le fermier du comte de Mellarède fut grièvement blessé. D’ailleurs, les argoulets mettaient en joue tous les paysans qu’ils apercevaient, pour leur faire prendre la fuite. Ils approchaient ainsi de Saint-Genix-d’Aoste. Mandrin, Saint-Pierre et le domestique, Claude Planche, étaient toujours sur leur charrette, Mandrin les jambes nues, n’ayant pour tout vêtement que sa chemise et sa veste. Ils étaient tous trois ficelés comme des saucisses, « liés dans toute la longueur du corps, » ce qui faisait que, à cause des cahotemens de la voiture, ils se tenaient difficilement debout.

A peine la bande fut-elle entrée dans Saint-Genix-d’Aoste, que, en un clin d’œil, tout le bourg fut en rumeur, d’autant que c’était le moment, dimanche matin, sur les sept heures, où l’on sortait de la première messe.

Les La Morlière passent brillamment en tirant des coups de droite et de gauche. Ils blessent ou tuent le premier venu, en criant : « Tue ! tue ! » manœuvre empruntée aux Mandrins, mais ceux-ci avaient toujours pris soin, en pareille circonstance, de ne tuer ni de ne blesser personne.

C’est ainsi que J.-B. Berthier a la jambe gauche fracassée. On dut, quelques jours après, lui en faire l’amputation. Antoine Sales, dit Salomon, est tué dans la rue, près de sa maison, où le malheureux tomba « le ventre contre terre, » et les deux gâpians qui avaient fait le coup, les nommés Regard et Cochet, se mirent à danser autour du cadavre, tout en chantant :

— Dors ! dors ! mon vieux !

« Regard fit cela par vengeance, diront les témoins, parce que Sales avait donné un coup de pied à l’un de ses frères, il y a trois ans. »

On a vu comment Mandrin avait tué Je brigadier Moret en mémoire de son frère livré au bourreau ; le motif de son acte de vengeance avait été plus sérieux et du moins n’avait-il pas dansé autour du cadavre.

Antoine Guinet, dit Campillon, charpentier, est blessé d’un autre coup de feu, qui lui traverse le bras ; François Perret, tranquillement assis à son huis, est percé d’une baïonnette.

Nombre de braves gens se réfugièrent dans l’église, croyant y trouver abri. Mais les soldats s’y précipitent avec violence. Ce ne sont que coups de crosse et de plat de sabre ; les femmes sont frappées à coups de pied. Le sang se répand sur les dalles blanches. Un bourrelier, du nom de Ginard, est arraché du banc de la communion et traîné par les cheveux jusqu’aux portes de l’église où il est assassiné, cependant que d’autres « La Morlière » se rendaient à la maison où demeuraient Pierre Tourant et François Gaussin, son beau-fils, deux contrebandiers, que l’on surnommait « Nîmes, » du lieu d’origine de Pierre Tourant. Gaussin était dans son lit, malade. Deux pointes de baïonnette le firent se lever. Les deux Nîmes sont saisis, garrottés et adjoints à Mandrin, à Saint-Pierre et à Claude Planche sur la charrette. Nous sommes toujours en territoire italien. Argoulets et gâpians poursuivent leur route par Saint-Genix-d’Aoste, pillant au passage les magasins. Aux hommes qu’ils rencontraient, ils enlevaient leurs chapeaux de dessus la tête, aux femmes ils arrachaient les affiquets dont elles s’étaient parées pour le dimanche ; ils tiraient aux bonnes gens leurs bourses de dedans leurs poches. Ils dévalisèrent le magasin d’un marchand de comestibles et celui d’un chirurgien. Marguerite Verd, âgée de vingt-deux ans, raconte le pillage de la boutique de son père :

« C’étaient des soldats de La Morlière. Ils s’étaient déguisés, s’étant presque tous noirci le visage afin de n’être pas reconnus, quelques-uns s’étant mis des gazes sur la figure. Après que tout fut volé, l’un de cette troupe, ayant une veste rouge et un habit gris-blanc, bien frisé et poudré et ayant l’air d’un officier, que je ne connais pas, étant à la porte de la boutique, dit à ces pillards :

— Est-ce ainsi, bougres, qu’on pille les marchands !

— Mais nous n’en fûmes pas moins volés, ajoute la pauvre fille.

Jacques Bejuy, avec sa bru et ses deux grands fils, étaient partis à trois heures du matin de La Tour-du-Pin, pour se rendre en pèlerinage à Notre-Dame de Pagnieu, dont la chapelle était à quatre cents pas de Saint-Genix. Entre sept et huit heures du matin, ils passaient le pont, quand ils croisèrent les La Morlière, qui venaient en sens inverse, hérissés de butin. Les argoulets les bousculent, les bourrent de coups, leur volent leurs chapeaux de dessus la tête, ils leur prennent leur argent dans les poches. Bejuy a les côtes enfoncées, et l’un de ses fils est percé d’un coup de baïonnette.

Tel fut le tumulte de l’expédition que, le lendemain, on retrouva, tant au château de Rochefort que dans les blés où les argoulets avaient passé et sur les bords du Guiers-Vif, quantité de chapeaux, de bonnets, de baïonnettes et de fourreaux de sabres, dont les soldats avaient semé leur chemin. On eût dit un champ de bataille abandonné par une armée en déroute.

La troupe repassa donc le pont de Saint-Genix sur les huit heures du matin. Les premiers rangs entouraient les charrettes où Mandrin, Saint-Pierre le Cadet, les deux Nîmes et Claude Planche étaient ligottés.

Après avoir traversé le pont, les Mandrins arrivèrent au second bras du Guiers, car, en cet endroit, la rivière se sépare en deux petits bras qui se rejoignent un peu plus bas, enserrant une petite île.

Au second bras du Guiers, il y avait un bac, que faisaient manœuvrer Joseph et Laurent Péclier, père et fils, de Saint-Genix, part de Savoie.

Laurent était à son poste. Il passa un premier groupe de soldats, une quinzaine, armés de leurs fusils, baïonnette au canon, entourant Mandrin, « qui avait son mauvais habit et les jambes nues. » Il était toujours noué avec des cordes. Le second passage comprit Saint-Pierre, également entouré d’une quinzaine de fusiliers.

Puis le batelier mit successivement d’une rive à l’autre Claude Planche et les deux Nîmes. Les soldats, dit-il, étaient pour la plupart en veste blanche d’uniforme, ils avaient le visage, les uns noirci au charbon, les autres couvert de gaze, quelques-uns portaient leurs bonnets de petite tenue, d’autres s’étaient noué des mouchoirs rouges ou bleus autour de la tête, d’autres avaient la tête nue. Tous avaient les poches, le devant de leurs vestes, leurs havresacs, bourrés d’objets pillés. Des ballots ficelés s’empilaient sur leurs bras. C’étaient particulièrement des pièces d’indiennes. « Il y en avait aussi qui portaient des jambons, du lard, des canards qui criaient en se débattant, et d’autres choses, dit le jeune Péclier, auxquelles je n’ai pas bien pu faire attention. »

Péclier fit une vingtaine de traversées. Sa barque était fixée par une corde à un anneau qui glissait sur une autre corde, plus forte, tendue d’une berge à l’autre. Il passa de la sorte 300 hommes en chiffres ronds ; cependant que d’autres soldats guéaient la rivière, dont ils avaient de l’eau jusqu’à la ceinture. Sur la rive de France, leurs chefs les firent ranger. « C’étaient des officiers de La Morlière, dit le batelier, mais je ne sais pas leurs noms. Je n’ai même pas pu voir leurs habits, parce qu’ils avaient sur le corps une redingote de drap ordinaire qui les couvrait. »

La Morlière avait attendu ses hommes, avec impatience, sur les bords du Guiers. Il dévisagea Mandrin :

— Vous tenez Mandrin, lui dit celui-ci, vous ne tenez pas son successeur.

Le contrebandier n’était d’ailleurs pas abattu. Au capitaine de Larre et aux autres officiers qui ne pouvaient s’empêcher, en soldats, de lui témoigner de la sympathie, et qui lui disaient :

— Eh bien ! Mandrin, voilà le fruit de ton imprudence ! Il répondait avec entrain et bonne humeur, avec cette bonne humeur qui ne l’avait quitté qu’un moment, quand, après le combat de Gueunand, il avait entrevu l’impossibilité de l’œuvre qu’il avait entreprise.

Laurent Péclier, après avoir terminé sa tâche, qui lui avait pris deux heures, demanda à être payé.

« Ayant voulu demander mon paiement, dit le jeune batelier, l’un de ces hommes armés m’enjoua avec son fusil, et menaça de me tuer ; un autre me frappa sur l’épaule d’un coup de crosse de son fusil. »

De cette monnaie de singe le pauvre garçon dut se contenter. Dernier trait et qui complète le tableau.

Mandrin et Saint-Pierre durent partir le jour même pour Valence, où les attendait M. Levet de Malaval, président de la « commission » instituée pour juger les contrebandiers, — tribunal aux gages des fermiers généraux. Les deux amis demeurèrent sur leur charrette ; mais les cordes qui les liaient furent remplacées par des chaînes. Une soixantaine de dragons les escortaient. Ils couchèrent la nuit du 11 au 12 mai à Voiron. On a des lettres de diverses personnes qui les ont vus durant le voyage. Mandrin fumait sa pipe : il avait l’air fier et tranquille ; avec ceux qui l’approchaient, il riait et goguenardait. Saint-Pierre au contraire était très abattu.

— Va, lui disait Mandrin, il ne vaut pas la peine de s’attrister, un mauvais quart d’heure est bientôt passé.

L’entrée dans Valence se lit le 13 mai, sur les huit heures du matin. Ce fut un brillant cortège. Les dragons de La Morlière chevauchaient sabre au poing. Devant eux des trompettes sonnaient une marche triomphale. « La curiosité était si grande, note l’annaliste Michel Forest, qu’on s’étouffait pour le voir passer. »


II. — LE SUPPLICE DE VALENCE

La Commission de Valence avait été instituée en 1733, pour connaître des délits dont les fermiers généraux pourraient avoir à se plaindre. Les juges en étaient directement payés par eux. De juge, en réalité, il n’y en avait qu’un, le président, qui nommait ses assesseurs et les révoquait à son gré. Pas d’avocats, pas d’instruction contradictoire, nulle publicité des débats. Les habitans de Valence n’apprenaient ce qui se passait devant ce tribunal mystérieux que par les contrebandiers qu’ils voyaient conduire à l’échafaud. Et c’étaient les supplices les plus affreux. Voltaire rangeait la Commission de Valence parmi les pires fléaux de l’humanité. Les Parlemens ne cessèrent de publier des remontrances virulentes contre ce tribunal d’exception, créé par des financiers et dans un intérêt de finance. Celui de Grenoble l’appelle « ce tribunal de sang. » « La Commission de Valence, dit-il encore, ne connaît d’autre règle, de règle unique que l’intérêt du fermier général, qui ne le stipendierait pas aussi chèrement, si ses procédures et ses jugemens ne le dédommageaient des salaires qu’il lui prodigue. » Ces commissaires, qui jugeaient de la vie et du sang de leurs concitoyens, avaient une part dans les dépouilles de leurs victimes. « Quand à Rome, dit Montesquieu, les jugemens furent transportés aux traitans, il n’y eut plus de vertus, plus de police, plus de lois, plus de magistrature, plus de magistrats. »

Une série d’arrêts prononcés par la Commission de Valence sont conservés dans les archives de la Drôme : ce recueil montre 77 particuliers condamnés à être pendus pour délit de contrebande, 58 sont rompus vifs, 631 sont envoyés aux galères, — un seul acquittement ; c’est un record auquel le Tribunal révolutionnaire lui-même n’atteindra pas.

A l’époque où se passe ce récit, la Commission de Valence avait redoublé de fureur. Il ne se passait plus de jour sans que les habitans de la ville, saisis d’horreur, ne vissent pendre ou rompre des contrebandiers. « De la vie, écrit un bourgeois, on n’a vu une telle boucherie. »

Le président de la Commission était, depuis 1738, Gaspard Levet, seigneur de Malaval. Le nombre de condamnations aux supplices les plus atroces que ce magistrat, aux gages d’une compagnie financière, prononça depuis 1738 jusqu’à l’époque où nous sommes parvenus, fait frémir d’horreur. Aussi bien, c’est le sentiment qu’il répandait parmi ses concitoyens. Devant lui, on s’écartait et l’on cessait de parler. Insensiblement, à mesure qu’il avança en âge, ces supplices qu’il entassait, souvent pour des motifs futiles, en arrivèrent à tourner son esprit à un sadisme sanguinaire. « Ce monstre, tourmenté par la goutte, ne pouvant se soutenir, se faisait porter au pied des échafauds, et là, dans un fauteuil, il savourait les tourmens et la douleur des misérables qu’il faisait exécuter. »

Mandrin était en bonnes mains.

Le président de la Commission de Valence est talonné par la crainte de voir arriver à temps la réclamation de la cour de Sardaigne, qui exige, par la bouche de son ambassadeur, la restitution du jeune contrebandier saisi, en une brutale violation du droit des gens, sur territoire italien. Levet de Malaval a des ordres du ministre des Finances, — car la Commission de Valence ne relève pas du chancelier, ministre de la Justice : — il faut « expédier » Mandrin promptement.

Au fond d’un cachot, le prisonnier fut attaché par de lourdes chaînes, rivées à ses chevilles et à ses poignets. Il n’était question que de lui à Valence et dans toute la contrée. Du premier moment, Levet de Malaval fut assailli de requêtes. Chacun voulait voir le héros et l’entretenir. On venait en poste des villes voisines. Les voituriers organisaient, non des trains, mais des coches de plaisir. Quand, fatigué de ces visites, Mandrin demandait à se reposer, les gens attendaient son réveil à la porte grillée. Du jour où les interrogatoires furent commencés et où le contrebandier, pour se rendre de son cachot à la « Chambre du secret, » où siégeait Levet de Malaval, dut traverser la cour du Présidial, il y voyait les curieux qui s’y pressaient, serrés comme des harengs dans une caque. Plus d’une fois, il en exprima son dégoût.

Un particulier de Tournon, — à qui Mandrin avait sauvé la vie, un jour où ses camarades, qui le prenaient pour un gâpian, voulaient le tuer, — lui envoya des pigeons et du vin vieux. Dès qu’on sut que Levet de Malaval permettait à son prisonnier ces douceurs, ce furent d’incessantes arrivées de pâtés, de gâteaux à l’eau-de-vie, de becfigues confits dans de la gelée, de bouteilles de bourgogne et de flacons de liqueur.

Chaque jour, le courrier apportait au prisonnier une nombreuse correspondance. Les lettres lui étaient remises après avoir été décachetées. L’une d’elles le toucha beaucoup. Elle était écrite par un acteur qui lui demandait pardon « à genoux » de l’avoir joué sous les traits d’Arlequin.

Tous les témoignages parvenus jusqu’à nous sont unanimes à louer l’attitude tranquille, ferme, sans forfanterie que Mandrin garda durant son procès. Levet de Malaval, à qui le jeune contrebandier en avait imposé, le traitait d’ailleurs avec égards. Il lui donnait du « Monsieur » et le faisait asseoir. Comme il l’interrogeait sur les fauteurs de ses crimes :

— Ce sont les receveurs et les employés des Fermes.

Il lui demandait s’il n’avait pas été soutenu par les subsides de quelque puissance étrangère :

— J’avais assez de ressources en moi-même.

Et comme le magistrat s’enquérait du nom de ses complices :

— Je n’en ai pas meublé ma mémoire pour les livrer aux tribunaux.

Étant donné la manière dont Mandrin avait été arrêté, et en présence de la réclamation formelle qui avait été immédiatement introduite par Charles-Emmanuel III, roi de Sardaigne, Levet de Malaval avait le devoir de diriger lentement, sinon de suspendre sa procédure. Il mit les bouchées doubles. Mandrin dut subir deux interrogatoires par jour, de quatre heures chacun. Les confrontations et les témoignages les plus essentiels furent écartés, parce qu’on n’avait pas les gens sous la main. Il fallait gagner de vitesse les courriers dépêchés par le roi de Sardaigne. Ce match, où un magistrat s’est engagé, et dont le but est le supplice d’un homme, produit une impression sinistre. Bref. Malaval fit tant et si bien que le procès immense fut commencé, instruit, terminé, et le jugement prononcé en l’espace de douze jours. Les contemporains, qui n’étaient pas au fait du coup de main de Rochefort-en-Novalaise, en expriment leur étonnement.

Il arrivait parfois, dans la prison du Présidial, que l’on réunît Mandrin et son ami Saint-Pierre. Mandrin songeait aux conditions dans lesquelles il avait été pris. Il ne doutait pas qu’il ne fût réclamé par la cour de Sardaigne, et il pensa qu’il se trouvait un moyen de concilier le conflit sur le point d’éclater. On a vu son vif désir de prendre rang dans les armées du Roi.

Le capitaine de Larre avait témoigné des égards au magnifique bandit qu’il avait été saisir au château de Rochefort. A son adresse, Mandrin fit écrire, par son ami Saint-Pierre, le billet suivant :


« Monsieur,

« Celle-ci est pour vous prier de vouloir bien vous ressouvenir des bontés que vous avez eues pour moi et de vouloir me les continuer. J’espère que Monsieur ne m’a point abandonné et qu’il voudra bien me procurer les puissances de M. le colonel de La Morlière, et lui représenter que, s’il voulait bien me faire plaisir, que, chez lui, en moi, il pourrait se flatter d’avoir un soldat. »

Et il signait :

« Tout à vous,

L. MANDRIN. »

Le capitaine de Larre transmit cette lettre, en l’agrémentant de plaisanteries sur le prisonnier de Valence, « ce général manqué, » au colonel de La Morlière, qui la transmit avec d’autres plaisanteries au ministre de la Guerre, qui mit la lettre au panier.

« Les vieux généraux ont quitté, écrit le marquis d’Argenson ; les jeunes se poudrent ; ce sont des femmes auxquelles il ne manque que des cornettes, » — le chemin de Rosbach.

Les seules visites dont Mandrin se montrât impatient étaient celles des prêtres. Levet de Malaval lui avait tout d’abord envoyé comme confesseur un gros dominicain. Le contrebandier le reçut en lui jetant un verre de vin à la figure. Puis, quand il revit le juge :

— Cet homme, qui s’est présenté de votre part, était bien gras pour me parler de pénitence.

D’autre part, il agréait les visites de quelques « dames de charité. » Ames pieuses qui s’étaient donné pour mission la conversion des pécheurs. L’une d’elles lui parlait du ciel. Mandrin l’interrompit :

— Une seule chose m’importe, madame, c’est de savoir combien il y a de logis (auberges) d’ici au paradis, car il ne me reste que dix livres à dépenser en route.

Et comme il remarqua que cette plaisanterie trop brusque avait fait de la peine, il offrit des excuses. La « dame de charité » profita de l’avantage qu’elle avait dans l’instant, pour parler avec plus de force. Elle nommait au bandit le Père Gasparini, jésuite italien, « homme de mérite, de la maison (collège) de Tournon. » Mandrin céda et vit le Père Gasparini le 24 mai. Il aurait voulu remettre sa confession au lendemain ; mais le jésuite savait que le prisonnier devait être exécuté le 26, et il l’engagea à commencer sa confession tout aussitôt.

Cette confession dura deux jours, les 24 et 25 mai. Puis il rédigea son testament. Il couvrit de son écriture quatre pages qu’il remit au Père Gasparini. Sa sœur Marianne était instituée légatrice universelle de tous les biens qu’il possédait en Savoie, des sommes qu’il avait confiées aux marquis de Saint-Séverin et de Chaumont. Quelques hôteliers et quelques curés savoyards étaient dépositaires de sommes moins importantes. Quant aux biens qu’il pouvait avoir en France, ils devaient être confisqués par le jugement à intervenir.

Le 26 mai 1755, au matin, Léorier, greffier de la Commission, donna lecture à Mandrin du jugement qui avait été rendu l’avant-veille. Le contrebandier était condamné au supplice le plus épouvantable : à la torture, à la roue et les débris de son corps devaient être exposés aux fourches patibulaires. « Il en a ouï la lecture avec toute la tranquillité possible, » écrit au ministre de la Guerre l’intendant du Dauphiné.

Les sentences prononcées par la Commission de Valence sont conservées par centaines, ainsi que les dates où elles ont été exécutées. On constate invariablement un intervalle de quatre ou cinq jours entre la condamnation et l’exécution des contrebandiers envoyés au supplice. Il en est notamment ainsi des arrêts rendus par Levet de Malaval. En l’occurrence, on aurait eu une raison pour différer davantage encore, puisque la réclamation du roi de Sardaigne était instante. Tout le monde en parlait. « Cette restitution attire la curiosité de tout Paris, note l’ambassadeur sarde, le comte de Sartirane. On est persuadé que l’exécution de Mandrin étant le but principal des fermiers généraux, ils feront dépendre de là leur triomphe. » Le président de la Commission de Valence comprit qu’il importait d’exécuter le jeune contrebandier immédiatement. Il n’avait pu le faire dès le samedi soir, l’arrêt ayant été prononcé trop tard ; le lendemain était un dimanche. Malaval fixa donc au lundi 26 mai 1755 l’exécution de l’arrêt prononcé le 24. La date était aussi rapprochée que possible. Les fermiers généraux ne pouvaient demander mieux. Quant à Jean Saint-Pierre, le camarade de Mandrin, qui avait été saisi avec lui à Rochefort et qui était réclamé, lui aussi, par la cour de Sardaigne, il fut supplicié le 27, le jour même où il fut condamné. On pense à sœur Anne. Penchée au haut de la tour, elle attend avec une cruelle inquiétude les cavaliers libérateurs ; Malaval est au guet avec une égale anxiété ; mais ce qu’il craint, c’est que les cavaliers n’arrivent à temps.

Le jour de l’exécution, 26 mai 1755, la ville de Valence fut envahie par une foule venue de quinze lieues à la ronde. Que si l’on avait pu prévoir la rapidité que les juges mirent à faire périr Mandrin, l’affluence eût été plus grande encore.

« Mandrin sortit de sa prison, avec une constance et une fermeté sans pareille, » écrit Michel Forest. Il était pieds nus, en chemise, avec une torche dans les mains, les poignets et les bras liés, la corde au col, et un écriteau derrière le dos, où se lisaient ces mots : Chef de contrebandiers, assassin, criminel de lèse-majesté, faux monnayeur, perturbateur du repos public.

Entre les rangs pressés d’une foule compacte, Mandrin traversa en biais la place du Présidial, où se trouvait la prison, pour se rendre à l’entrée du vieux cloître, à celle des trois portes de la cathédrale que l’on nommait la « porte du Pendentif. » Devant lui, le vieux pendentif carré, aux colonnes cannelées, aux chapiteaux fleuris d’acanthe ; à l’arrière-plan, les murs sombres et massifs du cloître et le côté droit de la cathédrale.

Mandrin se mit à genoux, au seuil de la porte, et lut d’une voix tranquille la formule de l’amende honorable qui débutait par ces mots : « Je demande pardon à Dieu, au Roi et à la justice ; » suivait l’énumération des délits qui lui étaient reprochés. Il fit cette amende honorable, note Michel Forest « avec un air fier et aussi martial que celui qu’il devait avoir lorsqu’il se battait, ce qui étonna tous les assistans. » Puis Mandrin, traversant le grand Mazel, vint à la place des Clercs où l’échafaud avait été dressé.

La place des Clercs et la petite place aux Arbres, autrement dite des Ormeaux, avec laquelle elle communiquait, grouillaient de curieux. Des spectateurs étaient grimpés jusque sur les toitures plates des maisons voisines, d’autres s’accrochaient aux balustrades des frontons. Les pilastres romans, dont est ornée l’abside de Saint-Apollinaire, retenaient des grappes humaines. Les toitures des vieilles baraques en appentis, adossées au mur de l’église, faillirent crouler. Comme pour un spectacle, des entrepreneurs avaient dressé des échafaudages où la place se payait douze sols. Des brigades de maréchaussée, mandées de Tournon et de Saint-Vallier, accompagnèrent Mandrin au supplice. Le régiment de TalIaru, en garnison à Valence, était sous les armes. Par surcroît de précaution, on avait fermé les portes de la ville. Il était six heures du soir.

Arrivé devant l’échafaud, le condamné s’arrêta quelques instans pour en examiner la construction. Son allure était très simple. Il s’assit sur la croix de Saint-André, où le bourreau allait devoir lui briser les membres, et dit tout haut :

— Jeunesse, prenez exemple sur moi.

Car l’on avait fait placer au premier rang, pour voir cet affreux spectacle, les enfans des écoles. Il s’agissait de leur inspirer l’horreur du crime. C’était l’usage du temps.

À ce moment, écrit l’un des assistans, ses yeux commencèrent à paraître un peu égarés. Il dit en se tournant vers le Père jésuite :

— Mon père, ne m’abandonnez pas.

Mais le jésuite avait plus besoin d’être soutenu que Mandrin. Il pleurait comme une femme et finit par s’évanouir.

Le supplice de la roue avait été importé d’Allemagne au XVIe siècle. Le condamné était attaché, les bras étendus et les jambes écartées, sur deux morceaux de bois, disposés en croix de Saint-André, c’est-à-dire en forme d’X. Sur chaque traverse, on avait pratiqué des entailles profondes, particulièrement à l’endroit où devaient se trouver les genoux et les coudes du patient. Celui-ci y était solidement fixé ; puis le bourreau frappait à l’aide d’une lourde barre de fer, à tour de bras, de manière à briser les os des jambes, des bras et du bassin. Le supplicié ayant été rendu de la sorte suffisamment souple, on l’attachait, en lui repliant les bras et les jambes, sur une petite roue de carrosse, le dos posé à plat sur l’une des faces de la roue, qui était ensuite hissée, avec son fardeau pantelant, au haut d’un poteau élevé, de manière que le misérable y agonisait lentement, la face tournée vers le ciel, à regarder les vols de corbeaux guettant son dernier soupir.

Cependant le Père Gasparini, revenu à lui, exhortait le contrebandier. Il disait tout haut :

— Voilà un homme qui va mourir en bon chrétien.

Et le bourreau, de sa barre de fer, fracassa les membres du condamné, en lui assénant les huit coups réglementaires sur les bras, les jambes et les reins. Mandrin ne poussait pas un cri. Après avoir été laissé huit minutes les membres broyés, — ce court délai représentait un adoucissement de peine, — il fut étranglé. C’était une faveur du juge, — accordée aux instances de l’évêque de Valence, Alexandre Milon, — afin que le malheureux ne restât pas à expirer lentement sur la roue. Les débris de son cadavre furent exposés aux fourches patibulaires.

Au gibet, où ces restes sanglans furent attachés, on vit durant trois jours un ardent pèlerinage. « Au poteau furent affichés des vers de tout étage et des épitaphes en lettres de sang. »

Voici l’une d’elles :


Tel qu’on vit autrefois Alcide
Parcourir l’univers la massue à la main,
Pour frapper plus d’un monstre avide
Qui désolait le genre humain :
Ainsi j’ai parcouru la France,
Que désolaient mille traitans.
Je péris pour avoir dépouillé cette engeance,
Je jouirais comme eux d’une autre récompense,
Si j’eusse dépouillé les peuples innocens.


« Ma prise et ma prison, — lui fait dire le chevalier de Goudar, en un libelle attribué à Voltaire, — forment une époque remarquable pour la France. J’ai entendu les sanglots de ceux mêmes de qui on disait avant ce moment que j’étais la terreur. J’ai vu partout couler des pleurs. » L’auteur ajoute : « Qu’est-ce que c’est que ce criminel dont toute la France parle ? qu’un chacun plaint, que tout le monde regrette, à qui une infinité de gens voudraient racheter la vie de leur propre sang ? »

L’évêque de Valence avait mandé de Lyon le peintre Jacques-André Treillard, qui était Valentin d’origine. Le prélat désirait avoir un portrait authentique du fameux bandit. Si grande avait été la hâte mise par le juge à l’exécution, que Treillard arriva trop tard. Néanmoins il put encore installer son chevalet, le 27 mai, au pied du gibet, où le cadavre rompu du contrebandier était exposé. Il y prit des croquis de la figure du supplicié, aux traits convulsés, maculée de sang, qui lui permirent ensuite de reconstituer son portrait. Celui-ci fut gravé à Valence. Tableau et gravure passaient pour perdus. L’érudition de M. Octave Chenavaz a retrouvé un exemplaire de la gravure à la Bibliothèque de Grenoble. Portrait fut-il jamais fait dans des circonstances plus affreuses ?

Et le soir même du jour où le peintre Treillard s’était installé avec ses pinceaux au pied du poteau d’infamie, le théâtre de Nancy donnait la première d’une tragédie de circonstance, la Mort de Mandrin.


III. — LES DIFFICULTÉS AVEC LA COUR DE SARDAIGNE[2]

L’arrestation de Mandrin au château de Rochefort, sur les terres du roi de Sardaigne, avait produit, non seulement en Savoie, mais dans toute l’Italie, une émotion qu’il est facile d’imaginer. Le chevalier de Chauvelin, ambassadeur de France à Turin, auprès de Charles-Emmanuel III roi de Sardaigne, est submergé sous des flots de protestations, de représentations, de récriminations. Pour diplomate qu’il soit, il en perd son assurance. A Paris, le comte de Sartirane (en italien Sartirana), ambassadeur sarde auprès de Louis XV, adressa immédiatement à Rouillé, secrétaire d’État pour les Affaires étrangères, une protestation contre cette « violation énorme » des droits de souveraineté attachés à la couronne de son maître. Il en demandait une réparation légitime, et, avant toute chose, la restitution des contrebandiers arrêtés.

Les ministres français avaient prévu l’orage, sans croire qu’il se déchaînerait avec une telle violence. Pour se défendre, ils avaient inventé une première version de l’affaire : « Les contrebandiers réfugiés en Savoie, disaient-ils, se sont disputés sur la frontière pour le partage de leurs « vols, » et ceux qui composaient le parti le plus faible, Mandrin et ses amis, se sont rejetés en France, où les employés des Fermes se sont emparés deux. » La réplique indignée du gouvernement sarde obligea la cour de Versailles d’imaginer une seconde version. Le comte de Sartirane apprit donc que les employés des Fermes, spontanément, sans ordres de leurs supérieurs, avaient pris sur eux de s’en aller en Savoie tirer vengeance de tant de duretés que les contrebandiers n’avaient cessé de leur faire subir. Voilà la vérité, disait Rouillé, et il niait formellement que des officiers du Roi eussent été mêlés à l’affaire. Quant à cette initiative des directeurs des Fermes, elle était désapprouvée, et déjà, sans attendre la réclamation de la cour de Turin, le roi de France avait fait incarcérer quatre d’entre eux au château de Pierre-Encise, près de Lyon. De fait, les quatre directeurs des Fermes, que nous avons vus accompagner Iturbi de Larre au château de Rochefort, venaient d’être conduits à Pierre-Encise en grand apparat.

Déjà les Anglais préludaient à la guerre prochaine par des hostilités sur mer. Il était important de se concilier le gouvernement sarde qui était capable, par la position de ses Etals, de causer de graves embarras au roi de France. L’affaire Mandrin arrivait on ne peut plus mal à propos.

Le secrétaire d’Etat de Charles-Emmanuel III pour les Affaires étrangères, le chevalier Ossorio, était un esprit très fin, cultivé, habile à percer les intrigues, diplomate de l’ancien temps. Chauvelin a laissé une relation détaillée de l’entrevue qu’il eut avec Ossorio, le samedi 24 mai 1755, quand il alla lui transmettre la version officielle de l’équipée de Rochefort, que venait de lui communiquer le cabinet de Versailles. Le ministre sarde l’écouta attentivement, puis, après un moment de réflexion :

— Votre gouvernement ne fait mention que des employés des Fermes ; cependant les différentes relations qui nous sont parvenues portent que les dragons de La Morlière, et même des officiers déguisés, étaient mêles avec les commis.

« De plus, poursuivait Ossorio, l’emprisonnement des quatre capitaines des Fermes est une peine peu proportionnée à l’attentat. »

Ossorio y voyait clair. Cet emprisonnement était une « frime, » pour reprendre l’expression même du marquis d’Argenson :

Ossorio exigeait : 1° la punition effective des coupables ; 2° le dédommagement des pillages, la restitution des effets volés, une indemnité aux veuves et aux enfans des victimes ; 3° enfin, et surtout, la restitution des contrebandiers arrêtés illégalement sur le territoire du roi de Sardaigne.

« Toute l’Europe, disait-il, a les yeux ouverts sur cet événement et sur la manière dont il se terminera. »

La cour de France commençait à comprendre que la comédie de l’incarcération à Pierre-Encise des quatre capitaines des Fermes ne produisait pas un effet suffisant. Pour calmer l’irritation de Charles-Emmanuel III, les ministres français, Rouillé, Argenson et Moreau de Séchelles, se décidèrent à tirer Louis XV de sa torpeur coutumière, pour lui faire écrire, de sa propre main, à son bon frère et oncle, la lettre suivante :

« Monsieur mon frère et oncle,

« Je n’avais pas attendu les représentations que Votre Majesté a chargé son ambassadeur de me faire, pour ordonner au chevalier de Chauvelin de marquer à Votre Majesté mon regret et mon mécontentement de l’entreprise téméraire qui a été faite sur le territoire de Savoie. Les ordres que j’ai donnés, et ceux que je suis disposé à donner, mettront, à ce que j’espère, Votre Majesté dans le cas d’être satisfaite. Ma tendre amitié pour Elle et les liens du sang qui nous unissent, me déterminent même à lui témoigner moi-même la sincérité de mes sentimens à cette occasion. J’ai reçu des preuves trop constantes des siens à mon égard, pour n’être pas persuadé qu’Elle voudra bien s’en rapporter à moi du soin de la contenter sur ce qui s’est passé et de prendre les mesures les plus efficaces pour empêcher qu’à l’avenir il n’arrive rien de pareil. Je profite de cette occasion pour renouveler à Votre Majesté l’assurance du désir que j’ai, et que j’aurai toujours, d’entretenir avec Votre Majesté l’union la plus intime et la plus parfaite confiance.

« Je suis, avec l’amitié la plus tendre, de Votre Majesté, le bon frère et neveu,

« Louis. »


Dès que le chevalier de Chauvelin fut en possession de la lettre autographe de Louis XV, c’est-à-dire le samedi 31 mai, il s’empressa d’en aller informer le chevalier Ossorio.

« Le chevalier Ossorio me dit, écrit Chauvelin à Rouillé (2 juin 1755), que le roi son maître sentirait sûrement le prix de l’attention délicate qu’avait le roi son neveu, de lui écrire. » Mais il ajouta « tout aussitôt » « avec vivacité, » « en regardant fixement » l’ambassadeur français :

— C’est fort bien, monsieur, mais ce qui se dit dans l’intérieur du cabinet ne saurait passer pour une satisfaction. La souveraineté blessée par un acte de violence ne saurait être dédommagée et réintégrée que par une action d’éclat. Un détachement est entré à main armée et en pleine paix dans le territoire de Savoie ; il a enlevé, à la face de toute l’Europe, des gens qui devaient se croire dans un asile sacré ; tous les princes, jaloux avec raison des droits attachés à leur indépendance, attendent avec empressement la satisfaction qui, seule, peut constater et rendre réel le désaveu de cet attentat. Les souverains seraient en butte aux violences de leurs voisins plus puissans qu’eux, s’il suffisait de désavouer verbalement une entreprise visiblement contraire au droit des gens, et si les effets ne devaient nécessairement confirmer les paroles. Il n’y a qu’un genre de satisfaction proportionné à l’outrage, hors duquel tout le reste est insuffisant et illusoire : la restitution de Mandrin et de ses camarades. »

Au moment où le ministre sarde prononçait ces paroles, Mandrin et Saint-Pierre étaient suppliciés depuis plusieurs jours. Le bruit s’en répandit à Turin au commencement de juin, et l’irritation en fut portée à son comble. « Cette exécution fut généralement tenue pour un mépris et un affront plus grands que l’attentat lui-même, » écrit l’ambassadeur français.

Chauvelin est informé que le chevalier Ossorio et le premier président du Sénat de Turin ont été mandés en hâte chez le Roi. Le 7 juin, le malheureux diplomate apprenait le résultat de la conférence : le chevalier Ossorio lui faisait savoir que le roi de Sardaigne désirait qu’il se dispensât de paraître désormais à sa Cour. Charles-Emmanuel III mettait le représentant de Louis XV à la porte de chez lui.

A Versailles, comme bien l’on pense, Louis XV ignorait l’expédition de Rochefort. Quand il fut appelé à écrire au roi de Sardaigne la lettre que l’on vient de lire, il n’eut pas de peine à comprendre que ses ministres lui cachaient quelque chose de grave. Il exigea d’eux la vérité et le détail de l’affaire. Et le contrôleur des Finances, très ennuyé, dut lui raconter la belle aventure où son autorité avait été compromise. Avec son intelligence ouverte et son jugement très droit, Louis XV mesura la situation. Il vit que, si l’on continuait à se tenir dans les voies où les fermiers généraux traînaient le gouvernement français, on aboutirait aux pires complications. Déjà la France avait d’assez grandes difficultés sur les bras. Le Roi ordonna au Contrôleur général d’envoyer immédiatement au président de la Commission de Valence l’ordre de surseoir à l’exécution des contrebandiers, et le contrôleur prit sa plume avec d’autant plus d’empressement qu’il savait que Mandrin aurait été supplicié à l’heure où le courrier emporterait sa missive.

Aussi bien, avec une rapidité inquiétante, les événemens tendaient à une rupture ouverte entre les deux États. A Paris, le comte de Sartirane apprenait l’exécution du contrebandier et se rendait chez Rouillé. Il exigeait une audience immédiate de Louis XV. Rouillé dut l’accompagner à Versailles. « Le Roi Très Chrétien me parut déconcerté, écrit l’ambassadeur italien. Il toussa et cracha pendant quelque temps avant de me faire réponse. » « Enfin, dit Sartirane, il me répondit avec une voix qui tremblait. »

Quand il se retrouva seul avec son ministre, le Roi rentra en possession de lui-même. Pour la seconde fois, il prit une décision dans cette affaire et, pour la seconde fois, ce fut la décision juste. Il ordonna à Rouillé de se rendre aussitôt chez Sartirane pour lui annoncer que le roi de France enverrait un des grands seigneurs de la Cour, à Turin, faire publiquement des excuses au roi de Sardaigne.

A Turin, où la décision de Louis XV ne devait être connue que le 15 juin, la situation de l’ambassadeur français devenait de plus en plus difficile. La rupture entre les deux États était rendue officielle par le rappel de Sartirane, signé le 10 juin : Charles-Emmanuel enjoignait à son représentant de quitter la cour de France immédiatement et sans prendre congé. « Ce départ, écrit le duc de Luynes, fait une grande nouvelle. » Parmi les courtisans, on croyait à une rupture définitive. Seule la Gazette de France demeura impassible et, parmi les parades et les cérémonies de Cour, entretint ses lecteurs du « voyage de M. de Sartirane. »

* * *

Louis XV choisit, pour l’ambassade extraordinaire auprès du roi de Sardaigne, le comte Philippe de Noailles, fils du maréchal de ce nom, lui-même soldat de carrière, et depuis 1748 lieutenant général ; au reste tout chamarré de cordons, de titres et de rubans ! Grand d’Espagne de 1re classe, chevalier de la Toison d’Or, bailli et grand-croix de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, gouverneur des ville et château de Versailles, etc, etc.

« Malgré toutes mes représentations, écrit le cardinal de Bernis, représentations qui furent fort vives, tant auprès des ministres que dans mes conversations avec Mme de Pompadour, le Conseil (du Roi) opina pour une ambassade extraordinaire, et le maréchal de Noailles ne dédaigna pas de solliciter cette commission humiliante pour son fils. On peut dire que, en cette occasion, le Conseil du Roi n’a guère eu d’attention pour sa gloire (au Roi) et pour celle de la France. Cet État a essuyé de grands revers ; mais jamais il n’avait fait de bassesses. Aussi le maréchal de Belle-Isle, qui parlait quelquefois comme un preux chevalier, disait-il, en frappant du pied, qu’ « il avait honte d’être Français et que jamais, depuis Hugues Capet, la couronne de France n’avait essuyé pareil outrage. »

Le comte de Noailles lui-même en arrive à parler du « déchaînement de la Cour et de la Ville » sur sa « commission » et sur sa « personne. » Aussi demanda-t-il d’être mis à couvert par un texte précis des paroles qu’il était appelé à prononcer. Il désirait que ce discours fût court « à cause de la timidité où il est quand il faut parler en public, son état de militaire le dispensant des fleurs de rhétorique. »

Noailles fit son entrée à Turin, le 4 septembre 1755, à six heures du soir. L’audience, pour laquelle il était venu, lui fut fixée par le roi de Sardaigne au samedi 6 septembre, dix heures et demie du matin.

Les représentans de Louis XV auraient voulu que la cérémonie se fit sans éclat, à la dérobée, presque en cachette, sans bruit, ni témoins, ni apparat. A lire leurs dépêches, on les croirait sur le point de solliciter la faveur de passer par l’escalier de service. La cour de Sardaigne au contraire, y désirait le plus de solennité et d’ostentation possible. Ossorio aurait volontiers fait abattre des pans de murs, comme aux enceintes des villes antiques pour les triomphateurs, afin de ménager une entrée sensationnelle à l’envoyé extraordinaire de Sa Majesté Très Chrétienne. Il fait entourer le comte de Noailles du plus grand nombre de soldats possible, de trompettes, de drapeaux, de chambellans ; il le fait entrer, quoiqu’il en ait, dans les carrosses du Roi ; il lui met sur la poitrine toutes les décorations dont dispose la cour de Turin, au regret de ne pouvoir lui on offrir davantage, tandis que le pauvre comte de Noailles se désespère d’être contraint à les recevoir.

Le chevalier Ossorio désirait une audience semi-publique. Noailles n’y voulait d’autre personne que le Roi lui-même ; encore si le Roi avait pu se dispenser d’y assister… Enfin on accorda que le Roi recevrait l’ambassadeur français en n’ayant auprès de lui que son seul ministre des Affaires étrangères.

On met donc Noailles dans le carrosse du Roi ; ce carrosse est précédé d’un carrosse de cour où se trouve le maître des cérémonies avec deux gentilshommes de la Chambre ; par derrière vient le carrosse de l’ambassade de France ; à droite et à gauche marchent des valets de pied du roi de Sardaigne, que la livrée du comte de Noailles encadre sur les deux ailes. Ainsi l’ambassadeur extraordinaire se rend à l’audience de Charles-Emmanuel III à travers les rues « bondées de peuple. » Au moment où les carrosses arrivent au Palais, la garde prend les armes et « rappelle. » Le Palais est bourré de suisses, de gardes, d’uniformes ; il y en a à toutes les portes, à toutes les encognures, sur chaque marche des escaliers. Le Palais est « rempli de la première noblesse. » Noailles est d’abord conduit à la salle des ambassadeurs, puis il est mené chez le Roi.

Devant le roi de Sardaigne, qu’il trouva seul avec son ministre, ainsi qu’il avait été convenu, le comte de Noailles fit son discours :


« Sire,

« Le Roi, mon maître, se devait à lui-même le désaveu qu’il a fait de ce qui s’est passé sur le territoire de Votre Majesté et la punition des coupables.

« Mais les sentimens qu’il a toujours eus pour la personne de Votre Majesté ne lui ont pas permis de se borner à une attention qui ne pouvait satisfaire que sa justice.

« Le Roi, mon maître, a voulu que cette circonstance servît à resserrer toujours davantage les liens de l’amitié qui ne l’unissent pas moins intimement à Votre Majesté que les liens du sang.

« Je viens ici en porter de sa part le témoignage le plus solennel.

« Rien n’est plus honorable pour moi que d’exécuter des ordres dictés par le cœur du Roi, mon maître, et d’assurer à Votre Majesté que son amitié lui sera toujours chère et précieuse. »

La composition de ce petit morceau d’éloquence diplomatique doit être attribuée à l’abbé Delaville, premier commis aux Affaires étrangères. Elle ne paraît pas avoir été des plus aisées, car on conserve aux Archives du quai d’Orsay plusieurs rédactions qui furent successivement tentées, avant qu’on arrivât à celle qui satisfit. Les unes faisaient trop directement allusion aux événemens du 11 mai ; les autres n’en parlaient pas assez.

Le 20 septembre le comte de Noailles eut son audience de congé. Le 21, Charles-Emmanuel III écrivait à « Monsieur son frère et neveu » la satisfaction qu’il avait eue de la manière dont son ambassadeur s’était acquitté de sa mission. Mais il y avait une ombre au tableau. La cour de Turin avait été froissée, non seulement du caractère étroit, presque clandestin que la cour de France avait donné à cette démonstration tout d’abord annoncée avec fracas, mais encore de la singulière réserve où s’était renfermé le discours prononcé au nom du monarque français.

Les ministres de Versailles avaient eu le tort de ne pas comprendre que l’humiliation, à laquelle Louis XV s’était vu réduit, consistait dans le fait même d’envoyer une ambassade extraordinaire pour faire des excuses à « un roitelet, » comme on disait autour d’eux ; cette démarche consentie, le roi de France n’eût fait que se grandir lui-même en exprimant ses regrets franchement et ouvertement.

A Paris, le mouvement de réprobation contre la démarche humiliante du comte de Noailles n’était pas près de se calmer. Sartirane, qui était venu reprendre son poste, en parle plusieurs fois dans ses dépêches. Nouvellistes de cafés et de promenades publiques s’en entretenaient bruyamment. L’ « ambassade extraordinaire, » donnait matière à mille satires, chansons, petits vers et quolibets.

Le marquis d’Argenson traduit le sentiment général : « Il y a grand’honte, et c’est à effacer de nos fastes. » Il est vrai que les fermiers généraux étaient débarrassés de Mandrin.

Levet de Malaval dut relâcher les deux Nîmes, de leur vrai nom Pierre Tourant et François Gaussin, les deux contrebandiers que les argoulets avaient enlevés dans la matinée du 11 mai, à Saint-Genix-d’Aoste. Ils furent confiés à une escorte de maréchaussée qui les remit, — avec Claude Planche, le domestique du fermier Perrety, enlevé avec Mandrin au château de Rochefort, — entre les mains des représentans du roi de Sardaigne, qui vinrent les prendre sur la frontière. Cela se fit avec cérémonie. » Enfin, une indemnité de 34957 livres fut versée par le gouvernement français aux victimes de l’équipée de Rochefort.

Restait la punition solennellement promise des officiers auteurs de l’attentat. En fait de punition, La Morlière accepta des fermiers généraux une gratification de 20 000 livres. De temps à autre, le comte de Sartirane, ambassadeur sarde à Paris, rappelait au ministre des Affaires étrangères la promesse donnée. Mais celui-ci répondait que « l’on n’avait déjà que trop fait par l’envoi d’un ambassadeur extraordinaire et qu’une telle réparation devait tenir lieu de tout. »

Faut-il s’étonner que, à la suite de cette aventure, les sympathies de la cour de Sardaigne aient penché vers l’Angleterre au début de la longue et terrible guerre qui allait s’engager ?


IV. — LA FIN DES FERMIERS GÉNÉRAUX[3]

Il n’est pas douteux que l’émotion produite par les campagnes de Mandrin et par les complications qui en résultèrent, n’ait exercé de l’influence sur les pouvoirs publics. On constate en France, à partir de ce moment, parmi ceux qui dirigent l’Etat, des efforts souvent renouvelés pour mettre plus d’équité dans l’assiette et dans la levée des impôts. De cette époque, les remontrances des Cours souveraines, parlemens, Cours des aides, Cours des comptes, se succèdent sans interruption et s’expriment avec une énergie de plus en plus grande. Les écrits contre l’administration des Fermes se multiplient. En vain les fermiers généraux font-ils incarcérer à la Bastille l’avocat Darigrand, auteur de l’Anti-financier, et jeter au donjon de Vincennes le marquis de Mirabeau, pour avoir écrit la Théorie de l’impôt : l’impulsion est donnée, et il n’est plus de force capable d’en arrêter les effets. Les fermiers généraux font des sacrifices, renoncent à une partie de leurs bénéfices ; des ministres réformateurs, l’abbé Terray, Turgot, Necker, font disparaître plusieurs des abus les plus révoltans. Les fermiers généraux eux-mêmes, en gagnant des traditions, acquièrent, dans le courant du XVIIIe siècle, la probité, la distinction de manières et de sentimens, la valeur morale qui leur avaient fait défaut. C’est l’étape dont parlera M. Paul Bourget. « Il faut convenir, écrit Necker, qu’en général cette compagnie s’épure et qu’elle ne ressemble plus à ce qu’elle était autrefois et qu’on aurait peine aujourd’hui (1780) à trouver parmi ces messieurs des copies des Turcarets dont ils ont fourni les modèles. » On rencontre au contraire, parmi les derniers fermiers généraux, des hommes d’une intelligence supérieure comme Lavoisier, d’une haute probité comme Delahante.

La pensée populaire n’en devait pas moins les rendre responsables des actes reprochés à leurs devanciers. Sébastien Mercier, en son Tableau de Paris, se fait l’interprète de ces sentimens : « Je ne puis passer devant l’hôtel des Fermes sans pousser un profond soupir. Je voudrais pouvoir renverser cette immense et infernale machine qui saisit à la gorge chaque citoyen. La Ferme est l’épouvantail qui comprime tous les desseins hardis et généreux. » Il conclut par ce vœu, que la Révolution commençante puisse ruiner ce « corps financier, auteur de tant de maux et de tant de désordres. » Dans ses Nuits de Paris, Restif de la Bretonne s’exprime en termes identiques.

Parmi les premiers pamphlets révolutionnaires, on trouve les plus virulentes attaques contre nos financiers. Le Don patriotique des Fermiers généraux les passe en revue : La Borde, « qui bâtit des palais plus magnifiques que ceux du Souverain ; » Delahante, « qui promène ses maîtresses dans des chars aussi superbes que ceux d’un triomphateur ; » Lavoisier (l’illustre chimiste), « qui possède une loge à tous les spectacles ; » Puissant, « chez qui l’on joue la comédie ; » Le Bas de Gourmont, « de qui la table surpasse en délicatesse celle des Vitellius. » Le pamphlet se résumait en ces mots : « Le financier doit prendre, le peuple doit payer, c’est l’ordre éternel des choses. »

A l’usage des fermiers généraux, on fabriquait un néologisme : « Tremblez ! leur criait-on, vous qui avez sang-suré les malheureux ! »

Les premières émeutes révolutionnaires furent dirigées contre les octrois de Paris. Les recettes de la Ferme furent pillées, les registres furent lacérés. Dès le 5 mai 1789, les trois ordres demandaient également l’abolition de la Ferme. Elle fut supprimée par l’Assemblée constituante le 20 mars 1791.

La Convention succède à la Législative. On sait l’esprit dont elle était animée. Le 26 février 1793, Carra proposa la nomination d’une Commission chargée de rechercher les crimes et délits commis par les financiers au préjudice de l’Etat. « Pourquoi la Nation, s’écriait-il. ne reprendrait-elle pas sa fortune dans les mains de ceux qui l’ont dilapidée ? » Usure, péculat, concussion, agiotage, accaparement, — dans son violent discours Carra touchait toutes les cordes. Les fermiers généraux furent mis en accusation. Les scellés furent apposés sur leurs papiers et une commission de liquidation fut nommée pour apurer leurs comptes.


La Commission de liquidation se mit à l’œuvre ; mais ses travaux n’avancèrent pas au gré des Conventionnels, de qui Barère résumait les sentimens en ce mot affreux :

« La guillotine sera meilleure financière que Cambon. »

Le 23 novembre 1793, comme il était question une fois de plus, au sein de la Convention, des comptes que devait rendre l’opulente compagnie, Bourdon de l’Oise se leva, et, dans un mouvement d’impatience :

— Voilà la centième fois que l’on parle des fermiers généraux ! Je demande que ces sangsues publiques soient arrêtées et que, si leur compte n’est pas remis dans un mois, la Convention les livre au glaive de la loi.

C’est ainsi que, le 24 novembre 1793 (4 frimaire an II), la Convention décréta d’arrestation tous les fermiers généraux qui avaient eu part aux trois derniers baux passés avec le gouvernement du Roi, à savoir les baux David (1774), Salzard (1780) et Mager (1786).

Le lendemain, 25 novembre, dix-neuf fermiers généraux étaient écroués au ci-devant couvent de Port-Royal, transformé en prison, sous le nom de Port-Libre, — un nom excellent pour une prison. L’emplacement en est aujourd’hui occupé par l’hôpital de la Maternité.

Lavoisier était en faction, comme soldat de la milice parisienne, quand il entendit les crieurs annoncer le décret de la Convention. Il se réfugia au Louvre dans le modeste appartement occupé par un huissier de l’Académie des Sciences ; mais en apprenant, le 28 novembre, l’arrestation de Paulze, son beau-père, qui était également fermier général, il courut à la prison prendre place auprès de lui.

Le 23 décembre 1793, les fermiers généraux furent transférés dans l’ancien hôtel des Fermes, rue de Grenelle-Saint-Honoré, transformé en geôle pour les recevoir.

On imagine si la presse du jour, si pamphlets et libelles redoublaient leurs attaques contre les financiers maudits, à présent qu’on les sentait vaincus : « Que j’aimerais à me trouver à l’hôtel des Fermes, écrit Hébert dans son Père Duchesne, à contempler autour du tapis vert ces grosses trognes de financiers ! » Il espère qu’on ne tardera pas à leur faire restituer l’or acquis par leurs « brigandages. » Marat, dans l’Ami du Peuple, s’acharnait plus particulièrement contre Lavoisier. « Je vous dénonce, écrivait-il, le coryphée des charlatans, sieur Lavoisier, fils d’un grippe-sol, apprenti chimiste, élève de l’agioteur genevois, fermier général. Ce petit monsieur, qui jouit de 150 000 livres de rente, n’a d’autre titre à la reconnaissance publique que d’avoir mis Paris dans une prison (Lavoisier était l’auteur du projet qui avait fait entourer Paris d’un mur d’enceinte pour faciliter la perception des octrois)… Plût au ciel que ce suppôt de la maltôte eût été lanterné ! » Aussi était-ce en vain que le Comité des poids et mesures, que le Comité des assignats et monnaies demandaient la mise en liberté de l’illustre savant.

Au reste, la surveillance qui entourait les prisonniers à l’hôtel des Fermes était très large. On ne craignait pas qu’ils s’échappassent. Selon le mot terrible d’un contemporain, « la haine publique faisait sentinelle autour d’eux. »

Le décret renvoyant les fermiers généraux devant le tribunal révolutionnaire fut rendu le 16 floréal an II (5 mai 1794). « Le soir même, à sept heures, écrit Delahante, je vis entrer dans les cours une troupe assez considérable de cavaliers ; une demi-heure après, la grande porte s’ouvrit de nouveau et quatre chariots couverts entrèrent et se rangèrent au pied du mur du bâtiment que nous habitions. » Les fermiers généraux furent placés dans les voitures qui se mirent en route, à nuit close. Les quatre chariots allaient l’un derrière l’autre, escortés par une double rangée de gendarmes à cheval. Des porteurs de torches éclairaient la marche.

A la Conciergerie, on mit les accusés dans des pièces dépourvues de lits et de chaises. Il leur fallut s’asseoir par terre. Quelques-uns d’entre eux furent placés dans la chambre même qu’avait occupée Marie-Antoinette. « Elle avait été autrefois tendue en papier par un détenu pour dettes, mais le papier avait été arraché, le jour même de l’arrivée de la Reine. » C’est là que, le lendemain, 6 mai 1794, les prisonniers se réunirent autour de deux grandes tables que l’on y avait dressées.

Telle était l’impatience où l’on était de faire tomber ces têtes exécrées, que Fouquier-Tinville, toujours alerte à cette besogne, signa l’acte d’accusation le jour même où la Convention avait voté le renvoi des inculpés devant le tribunal. Précipitation d’autant plus surprenante que, rendu le 16 floréal, le décret de la Convention ne fut enregistré au tribunal, c’est-à-dire qu’il n’eut force légale, que le 18. Au fait, du moment où il s’agissait de détruire les « sangsues du peuple, » il n’y avait pas à se préoccuper des délais légaux.

Le 7 mai au soir, on remit aux prisonniers une copie de leur acte d’accusation, qui remplissait les deux côtés d’une grande fouille couverte d’une écriture très fine et difficile à lire. Les fermiers généraux s’apprêtaient à en prendre connaissance, pour savoir de quoi ils étaient accusés, lorsqu’on leur cria de la cour d’éteindre leurs lumières. « Il nous parut vraisemblable, écrit Delahante, que l’on ne nous avait enjoint d’éteindre nos lumières que pour nous priver de la faculté de connaître les choses dont nous devions être accusés et de préparer des moyens de défense. » Le 8 mai, on introduisit auprès d’eux les avocats d’office qui leur avaient été désignés. Ces défenseurs improvisés avaient un quart d’heure pour s’entretenir avec leurs cliens. Nos financiers étaient accusés d’être « les auteurs d’un complot contre le peuple français, tendant à favoriser le succès des ennemis de la France. » Lavoisier et ses compagnons ne savaient pas ce que cela voulait dire.

Il était dix heures du matin quand les accusés « libres et sans fers » furent conduits dans la salle du tribunal révolutionnaire, où ils s’assirent l’un près de l’autre sur les gradins. Le tribunal était présidé par Coffinhal, vice-président, que secondaient deux assesseurs, Etienne Foucault et François-Joseph Denizot. Chacun d’eux était assis devant une table distincte où se trouvaient une bouteille de vin et un verre. A droite des trois juges, un peu en retour, l’accusateur public. A la suite, plus en arrière encore, une estrade entourée de gendarmes, où ‘prirent place les fermiers généraux. Chaque accusé avait devant soi une plume et une feuille de papier. En face des inculpés les douze jurés, coiffés de bonnets rouges. Au-dessous des juges, le greffier écrivait sur une table basse. Puis deux huissiers et les avocats d’office. La salle était bondée de curieux, difficilement contenus par une rangée de gendarmes qui étaient placés à deux mètres l’un de l’autre, la baïonnette au fusil.

Le jury offrait un agréable mélange de conditions et de professions diverses : un ci-devant marquis de Montflambert, à présent dénommé Dix-Août, le coiffeur Pigeot, Renaudin le luthier, un joaillier, un vinaigrier, un employé aux diligences. Il fallait répondre brièvement aux questions qui étaient posées. Les jurés, les juges eux-mêmes tournaient en dérision les paroles des accusés. Juges et jurés jouaient et buvaient, ils riaient et s’entretenaient avec le public.

Comme l’accusation demandait à Saint-Amand des explications sur un détail de l’administration des Fermes, celui-ci commença de les donner. Brusquement il fut interrompu par le président. Coffinhal lui faisait observer qu’ils étaient nombreux sur le banc des accusés et que si chacun d’eux avait la prétention de parler, on n’en finirait plus. Ils ne devaient répondre que par oui et par non.

Les quatre avocats d’office, parmi lesquels Chauveau-Lagarde, le défenseur de Marie-Antoinette, firent de leur mieux.

La question posée au jury était :

« A-t-il existé un complot contre le peuple français, tendant à favoriser par tous les moyens les ennemis de la France ?… »

Au reste, peu importait la question. Le ci-devant marquis de Montflambert, suivi du luthier, du vinaigrier, du coiffeur et de l’employé aux diligences, répondirent « oui » à l’unanimité. Ils auraient répondu « oui » à n’importe quoi. C’est ainsi que Lavoisier fut condamné à mort.

Dupin, le conventionnel qui s’était attaché avec le plus d’acharnement à la perte des fermiers généraux, dira lui-même dans la suite : « On devait leur présenter les différens chefs d’accusation, les discuter, leur mettre les pièces sous les yeux-, leur faire des interpellations ; rien de tout cela n’a été fait ; ils devaient être entendus, ils ne l’ont pas été. Ils ont été envoyés à la mort sans avoir été jugés. »

Si grande était la hâte que l’on mettait à leur couper la tête, que l’on ne prit même pas la peine de rédiger la déclaration du jury par écrit et de la faire signer aux jurés. Or, comme on le dira le jour où il s’agira de réviser ce procès : « Là où il n’y a point de déclaration de jury, il n’y a point de jugement. »

Les biens des condamnés étaient naturellement confisqués au profit de la République. Déjà les charrettes étaient à la porte, pour conduire les malheureux à la place de la Révolution. Ils y furent entassés. Le triste cortège suivait l’itinéraire accoutumé : Pont-au-Change, quai de la Mégisserie, rue Saint-Honoré. La foule poussait des « cris divers. » Des poings tendus menaçaient les victimes. Papillon d’Auteroche dit à son voisin :

« Ce qui me chagrine c’est d’avoir d’aussi déplaisans héritiers. » Il fallut trente-cinq minutes pour guillotiner les vingt-huit condamnés. Cheverny écrit : « Ils firent une fin superbe. » Seul, Boullongne donna des marques de faiblesse.

Le lendemain, en manière d’oraison funèbre, les journaux couvrirent les morts d’outrages. On comparait ingénieusement le sang dont ces vingt-huit corps avaient couvert l’échafaud, « aux lits de pourpre sur lesquels les fermiers généraux étendaient leur mollesse. »

En parlant de Lavoisier, Lagrange disait à Delambre : « Il ne leur a fallu qu’un moment pour faire tomber cette tête et cent années peut-être ne suffiront pas pour en reproduire une semblable. »

Après la « fournée » du 19 floréal (8 mai), six fermiers généraux restaient encore dans les prisons : ils furent conduits à l’échafaud tous les six. L’exécution du 24 floréal (13 mai) fut particulièrement atroce. On y fit périr trois vieillards : Douet, âgé de soixante-treize ans, Prévôt d’Arlincourt, âgé de soixante-seize ans, et Mercier qui en avait soixante-dix-huit. Fouquier-Tinville avait dit dans son réquisitoire : « Vous voyez devant vous, citoyens, des fermiers généraux, ennemis de l’égalité par état et par principe : les pièces du procès vous les montrent gorgés des dépouilles du peuple et couverts de rapines. » Il assura que c’étaient des hommes « habitués à des horreurs inconnues aux monstres les plus féroces. » Les trois pauvres vieux furent livrés au bourreau. Et Mme Douet fut guillotinée immédiatement après son mari.

Veymerange, en apprenant qu’on allait l’arrêter, se jeta du haut d’un cinquième dans la rue. Quatre heures après, il expirait à l’Hôtel-Dieu. Telle était la haine dont nos financiers étaient poursuivis que, quelques semaines après la condamnation de Lavoisier et de ses compagnons, on envoyait encore à la mort le jeune Sainte-Amaranthe, un enfant de seize ans, fils d’un ancien titulaire des Fermes. Enfin, le 4 thermidor, le supplice de Jean-Baptiste de la Borde venait clore l’affreux martyrologe.

Plusieurs familles de fermiers généraux furent ainsi privées en quelques mois de tous les hommes qu’elles comprenaient. On guillotina, l’un après l’autre, M. de Parseval, puis son frère, M. de Parseval-Frileuse, leur beau-frère M. de Vernan, M. Brac de la Perrière, beau-frère de M. de Frileuse et M. Duvaucel, frère de la première femme de M. de Parseval. Etienne-Marie Delahante, fermier général-adjoint, lui-même en prison, restait seul homme survivant de cette maison nombreuse, et, du fond de son cachot, il devait conseiller et diriger « toute une famille de femmes et d’enfans. »

Mais une année à peine était écoulée, que Dupin proclamait à la tribune de la Convention l’innocence de ceux qu’il avait tant contribué à envoyer au supplice. Pour se justifier, il alléguait les passions surexcitées contre eux. Dupin avait raison. Ces passions avaient été les facteurs essentiels d’un procès où, de l’aveu de ceux-là mêmes qui l’avaient dirigé, les formes les plus élémentaires de la justice avaient été négligées.

Un arrêt rendu par le Conseil d’État, en 1806, établit que, loin d’avoir été les débiteurs du trésor public pour une somme de 107 millions, comme l’avaient affirmé les commissaires de la Convention, les fermiers généraux s’en trouvaient au contraire les créanciers pour 8 millions, quand on avait entamé leur procès.

Les familles des victimes rentrèrent dans leurs biens ; mais elles étaient plongées dans le deuil et le génie de Lavoisier était éteint à jamais.


Telle est la justice des hommes.


FRANTZ FUNCK-BRENTANO.

  1. Voyez la Revue des 1er août et 1er septembre.
  2. Les pages qui suivent utilisent les documens conservés dans les Archives de Turin, et cités par A.-D. Perrero, L’arresta in Savoia del capo-contrabbandiere Luigi Mandrin dans Curiosità e ricerche di Storia subalpina (Turin, 1882), et les documens inédits conservés à Paris dans les Archives des Affaires étrangères.
  3. Les journaux contemporains et plus particulièrement le Moniteur. — Adr. Delahante, Une famille de finance au XVIIIe siècle, 2e éd., 1881, in-8o. — Ed. Grimaux, Lavoisier (1743-1794), 1888, in-8o. — II. Thirion, la Vie privée des Financiers au XVIIIe siècle, Paris, 1893, in-8o.