Manuel d’Épictète (trad. Guyau)/Pensées d’Épictète rapportées par Stobée

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Traduction par Jean-Marie Guyau.
Librairie Ch. Delagrave (p. 184-186).

Pensées diverses d’Épictète

recueillies par stobée[1].



I


La vie qui roule avec la fortune ressemble à l’eau d’un torrent ; elle est toujours trouble, bourbeuse, dangereuse, violente, tumultueuse et passagère.


II


L’âme qui se nourrit de la vertu ressemble à une source qui fournit toujours une eau pure, claire, saine, abondante et qui ne tarit jamais.


III


Si tu veux être bon, persuade-toi d’abord que tu es mauvais.


IV


L’esclavage du corps est l’ouvrage de la fortune, et l’esclavage de l’âme est l’ouvrage du vice. Celui qui a la liberté du corps, s’il a l’âme liée et garrottée, est esclave, et celui qui a l’âme libre a beau être chargé de chaînes, il jouit d’une pleine liberté. L’esclavage du corps, la nature le finit par la mort ; mais l’esclavage de l’âme, c’est la vertu seule qui le finit.

V

L’homme, avec les présents des abeilles, fait un doux breuvage ; n’est-il pas honteux qu’il rende amer par sa méchanceté le présent des Dieux, la raison ?

VI

Quand tu vois une vipère ou un serpent dans une boîte d’or, l’en estimes-tu davantage ? et n’as-tu pas toujours pour lui la même horreur, à cause de sa nature malfaisante et venimeuse ? Fais de même du méchant, quand tu le vois au milieu des richesses.

VII

Ce n’est pas la pauvreté qui afflige, mais le désir ; de même ce ne sont pas les richesses qui délivrent de toute crainte, mais la raison.

VIII

Avant de te présenter au tribunal des juges, présente-toi à celui de la justice.

IX

Il est honteux que le juge soit jugé par d’autres[2].

X

De même qu’il n’y a rien de plus vrai que le vrai, de même il n’y a rien de plus juste que le juste[3].

XI


Comme le soleil n’attend point les prières et les flatteries pour se lever, mais soudain resplendit, et par tous est salué ; toi aussi, n’attends point les applaudissements et les murmures et les louanges pour bien faire ; mais de ta propre volonté répands les bienfaits, et à l’égal du soleil tu seras aimé[4].


XII


Comme les fanaux qu’on allume dans les ports sont d’un grand secours aux vaisseaux qui ont perdu leur route, de même un homme de bien dans une ville battue de la tempête est d’un grand secours pour ses concitoyens.


XIII


Si tu veux orner ta cité d’offrandes, revêts-toi d’abord toi-même du plus bel ornement : la mansuétude, la justice, la bienfaisance.







  1. Nous nous servons en général dans ces extraits de la traduction Dacier.
  2. Allusion probable à la conscience, ce juge que nous portons en nous-mêmes, et qui ne doit ni ne peut être jugé par autrui.
  3. C’est-à-dire que le droit naturel doit toujours l’emporter sur le droit civil.
  4. Épictète a bien compris que ce qui fait le prix de l’amour et de la charité, c’est l’initiative personnelle, c’est le désintéressement.