Manuel de la parole/04

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J.-P. Garneau (p. 14-22).

SECTION II

LE MÉCANISME VOCAL

Nous décrivons sous ce titre les positions et les mouvements des organes phonateurs, nécessaires à l’émission des sons prononcés isolément. Pour les sons groupés et formant des mots, le mécanisme vocal est légèrement modifié ; les organes doivent forcément se préparer, pendant qu’ils prononcent une syllabe, à émettre la suivante, de sorte que leurs divers mouvements se combinent et s’enchaînent.

Art. I.L’émission des voyelles

23. — a (a ouvert).

Bouche : largement ouverte. — Dents : à peine visibles. — Lèvres : écartées, immobiles et légèrement tendues. — Langue : molle, immobile, étendue dans la bouche, la pointe vers la base des incisives inférieures. — Voile du palais : relevé, mais sans fermer hermétiquement les fosses nasales.

24. — è (e ouvert).

Bouche : un peu moins ouverte que pour a. — Dents : l’extrémité seulement des incisives visible. — Mâchoire inférieure : un peu avancée. — Lèvres : légèrement tirées vers les commissures et appliquées contre les dents. — Langue : bombée transversalement en sa partie postérieure et frôlant les trois dernières molaires supérieures. — Voile du palais : relevé, mais sans fermer hermétiquement les fosses nasales.

25. — é (e fermé).

Bouche : moins ouverte que pour è. — Dents : visibles et peu écartées. — Lèvres : tirées vers les commissures, légèrement tendues, et rapprochées des gencives. — Langue : dans la position indiquée pour è, mais la pointe appuyée fermement contre la base des incisives inférieures. — Voile du palais : relevé, sans fermer hermétiquement les fosses nasales.

26. — i.

Bouche : presque fermée ; la cavité buccale rétrécie, les mâchoires rapprochées. — Dents : se touchant presque, et visibles. — Lèvres : encore plus tirées vers les commissures, plus tendues, et plus fermement appliquées contre les gencives, que pour é. — Langue : soulevée en son milieu et en sa partie postérieure, et rapprochée du palais ; la pointe appuyée contre la base des incisives inférieures, plus fortement que pour é. — Voile du palais : complètement relevé, appuyé contre la paroi postérieure du pharynx, et fermant hermétiquement les fosses nasales.

27. — â (a fermé).

Bouche : modérément ouverte ; la mâchoire inférieure moins abaissée que pour a. — Dents : à peine visibles. — Lèvres : immobiles, tension normale. — Langue : molle, étendue dans la bouche, la pointe touchant la gencive à nasales.

la racine des incisives inférieures, le milieu légèrement bombé transversalement.

28. — o (o ouvert).

Bouche : moins ouverte que pour â. — Dents : invisibles. — Lèvres : portées en avant, tension normale. — Langue : retirée en arrière, la partie postérieure soulevée, la pointe relevée sans toucher le palais. — Voile du palais : relevé, mais sans obstruer complètement l’entrée des fosses nasales.

29. — ô (o fermé).

Bouche : moins ouverte que pour o ; orifice labial petit et arrondi. — Dents : invisibles. — Lèvres : fermes, allongées et portées en avant, serrées et réunies aux eominisures ; la lèvre supérieure légèrement soulevée. — Langue : dans la position indiquée pour o, mais la partie postérieure encore plus soulevée, et la partie antérieure déprimée davantage. — Voile du palais : relevé, mais sans obstruer complètement l’entrée des fosses nasales.

30. — ou.

Bouche : encore moins ouverte que pour ô ; l’ouverture plus étroite, et également arrondie. — Dents : invisibles. — Lèvres : dans la position indiquée pour ô, mais encore plus fermes, serrées davantage aux commissures, réunies sur une plus grande surface, et portées en avant autant que possible. — Langue : légèrement creusée, les bords touchant les molaires inférieures. — Voile du palais : relevé et fermant hermétiquement les fosses nasales.

31. — e ou eu (e muet ou eu ouvert).

Bouche : ouverture normale. — Dents : invisibles. — Lèvres : position normale. — Langue : état de repos complet. — Voile du palais : relevé, mais ne fermant pas complètement les fosses nasales. — Souffle : simple exagération de l’expiration ordinaire, accompagnée de vibrations des cordes vocales.

Autre moyen de bien émettre le son eu ou e muet : donnez d’abord le son o, comme dans homme ; puis, laissant les lèvres, les dents, la langue et les joues, dans la position qu’elles ont prise pour l’émission de cette voyelle, essayez de donner le son é… Le son qui en résultera sera un e muet.

32. — eû (eu fermé).

Bouche : plus fermée que pour e. — Dents : invisibles. — Lèvres : fermées aux commissures, et portées en avant, la lèvre supérieure soulevée. — Langue : la pointe abaissée, les bords relevés et touchant les molaires inférieures. — Voile du palais : relevé, mais ne fermant pas hermétiquement les fosses nasales.

Autre procédé : les lèvres, les mâchoires et la langue se trouvant dans la position voulue pour la prononciation du son ô, essayez d’émettre le son é, vous donnerez infailliblement le son .

33. — u.

Bouche : la plus petite ouverture possible. — Dents : invisibles. — Lèvres : serrées aux commissures, projetées aussi en avant que possible, et formant une issue étroite et arrondie. — Langue : les bords relevés, la pointe touchant les incisives inférieures. — Voile du palais : relevé et obstruant complètement l’entrée des fosses nasales.

Autre procédé  : prononcez ou ; laissez les organes de l’articulation dans la position qu’ils ont prise, et essayez de prononcer i, vous donnerez forcément le son u.

34. — an (a nasal).

Les organes dans la position indiquée pour a, à l’exception du voile du palais qui est abaissé.

La nasalité du son est due à la division du souffle vocalisé, dont une partie s’échappe directement par la bouche, et dont l’autre passe par les fosses nasales. Le résultat de cette bifurcation est la production simultanée d’une résonance pure et d’une résonance particulière, dont la combinaison constitue la voyelle nasale. — Quand la bouche n’est pas suffisamment ouverte, la résonance pure est sourde, et l’oreille ne perçoit que la résonance produite par le courant d’air introduit dans les fosses nasales, résonance pauvre et désagréable. Il faut donc avoir soin d’écarter les mâchoires, et d’émettre le son par la bouche et nullement par le nez. Cette remarque s’applique aux quatre voyelles nasales, an, in, on, un.

35. — in (è nasal).

Les organes dans la position indiquée pour è, à l’exception du voile du palais qui est abaissé.

36. — on (o nasal).

Les organes dans la position indiquée pour o, à l’exception du voile du palais qui est abaissé.

37. — un (e nasal).

Les organes dans la position indiquée pour e ou eu, à l’exception du voile du palais qui est abaissé.

Art. II.L’articulation des consonnes

38. — b (labio-labiale, explosive, vocalique).

Lèvres : rapprochées et appliquées l’une contre l’autre, puis séparées brusquement pour laisser s’échapper le souffle. — Langue : étendue dans la bouche et immobile. — Souffle : faible, vocalisé, et sortant avec explosion au moment où les lèvres se séparent.

Par souffle vocalisé, nous entendons un son, assez semblable à celui de l’e muet, produit par une vibration sourde des cordes vocales, qui précède et accompagne l’articulation. C’est le murmure laryngien. Ce murmure caractérise les vocaliques et leur donne une sonorité que n’ont point les soufflées. Les vocaliques sont aussi plus faiblement articulées que les soufflées ; car l’énergie du souffle est en partie dépensée à faire vibrer les cordes vocales. D’où les noms de faibles et fortes, de douces et dures. — On pourrait dire que les consonnes d’un même groupe ne sont qu’une même articulation accompagnée ou non du murmure laryngien. Ainsi, b est un p laryngien, p est un b soufflé ; et l’on peut en dire autant de v et g, de z et h, de d et t, de j et ch, de g et k. Quant aux consonnes m et n, la première est un b, la seconde est un d nasalisés.

39. — p (labio-labiale, explosive, soufflée).

Lèvres : pressées fortement l’une contre l’autre, puis séparées brusquement. — Langue : étendue dans la bouche et immobile. — Souffle : énergique, non vocalisé, d’abord retenu par les lèvres fermées, puis s’échappant tout à coup avec explosion quand la bouche s’ouvre.

40. — m (labio-labiale, explosive, vocalique, nasale).

Lèvres : légèrement pressées l’une contre l’autre, puis brusquement séparées. — Langue : étendue dans la bouche et immobile. — Voile du palais : abaissé. — Souffle : plus faible que pour b, vocalisé avec résonance nasale, et s’échappant tout à coup au moment où les lèvres se séparent.

41. — v (labio-dentale, continue, vocalique).

Lèvres : lèvre supérieure un peu relevée ; lèvre inférieure appuyée légèrement contre les incisives supérieures, sans fermer complètement l’orifice labial, puis écartée brusquement par l’abaissement de la mâchoire inférieure, pour compléter l’articulation. — Dents : incisives supérieures en partie visibles ; la mâchoire inférieure retirée un peu en arrière. — Langue : le milieu bombé, la pointe appuyée mollement contre la gencive inférieure. — Souffle : faible, vocalisé, s’échappant d’abord avec frottement entre les dents supérieures et la lèvre inférieure, puis sortant librement, pour compléter l’articulation, au moment où la mâchoire inférieure s’abaisse.

42. — f (labio-dentale, continue, soufflée).

Les organes dans la position indiquée pour v ; mais la lèvre inférieure appliquée avec plus de force contre les dents supérieures, le souffle plus énergique et non vocalisé.

43. — z (linguo-dentale, continue, vocalique).

Lèvres : entr’ouvertes, légèrement tirées vers les commissures, et pressées contre les dents. — Dents : visibles et se touchant presque. — Langue : la pointe ferme et appliquée contre les incisives inférieures, tandis que la face supérieure de l’extrémité touche les incisives supérieures. — Souffle : faible, vocalisé, se brisant contre le bord des dents rapprochées.

44. — s (linguo-dentale, continue, soufflée).

Les organes dans la position indiquée pour z ; mais les dents encore plus rapprochées, la jointe de la langue plus ferme et appliquée avec plus de force contre les dents, le souffle plus fort et non vocalisé.

45. — d (linguo-dentale, explosive, vocalique).

Lèvres : entr’ouvertes, réunies aux commissures avant l’explosion du son. — Dents : rapprochées et visibles ; mâchoire inférieure retirée un peu en arrière et s’abaissant brusquement au moment de l’émission du son. — Langue : la pointe appliquée contre le collet des incisives supérieures, et les bords contre l’arcade dentaire supérieure, de façon à intercepter complètement le passage de l’air ; la langue se retire brusquement en arrière au moment de l’articulation. — Souffle : faible, vocalisé, s’échappant avec explosion au moment où la mâchoire inférieure s’abaisse et où la langue se retire en arrière.

46. — t (linguo-dentale, explosive, soufflée).

Les organes dans la position indiquée pour d ; mais la langue plus ferme et plus énergiquement appuyée contre les dents, le souffle plus fort et non vocalisé.

47. — n (linguo-dentale, explosive, vocalique, nasale).

Les organes dans la position indiquée pour d ; mais la langue moins tendue, le voile du palais abaissé, le souffle vocalisé avec résonance nasale.

48. — I (linguo-dentale, continue, vocalique ou soufflée).

Lèvres : inférieure dans sa position normale ; supérieure un peu relevée et appliquée contre les dents. — Dents : peu écartées ; les incisives supérieurs à demi visibles ; la mâchoire inférieure s’abaisse pour compléter l’articulation. — Langue : la pointe, d’abord appliquée contre la partie antérieure du palais, à la naissance des incisives, s’abaisse pour compléter l’articulation. — Souffle : vocalisé ou non, s’échappe d’abord avec frottement de chaque côté, entre les bords de la langue et les molaires supérieures, puis sans obstacle au moment où la pointe de la langue s’abaisse.

49. — ll (linguo-dentale, explosive, vocalique, liquide).

Lèvres : légèrement écartées. — Dents : légèrement écartées et visibles. — Langue : le milieu bombé et effleurant par le sommet de sa courbure le haut du palais ; la pointe touchant les alvéoles dentaires supérieures ; pour compléter l’articulation, la langue s’abaisse brusquement. — Souffle : vocalisé, faible ; s’échappe d’abord entre les molaires et les bords de la langue, où il excite deux petits bouillonements de salive, puis sans obstacle au moment où la langue quitte le palais.

L’l mouillée pourrait donc aussi être regardée comme une consonne continue.

Cette articulation est complexe et difficile à obtenir. C’est une combinaison de la consonne l et de la voyelle i palatale (appellée yod, et qui se prononce comme y dans Cipaye) ; pendant que la partie médiane de la langue est courbée comme pour l’i palatal, la pointe est relevée comme pour l’l. C’est le gl italien. — Dans la pratique, cette articulation se dissout facilement. Les uns séparent les deux sons, l et i palatal, et les prononcent l’un après l’autre (moul yé). D’autres ignorent complètement l’yod et ne conservent que l’i, (mou lé). Le plus grand nombre, enfin, laissent tomber l’l et ne gardent que l’yod(mou yé) ; pour ces derniers, l’m mouillée est un i formant diphtongue avec la voyelle qui précède ou avec celle qui suit. Quand on prononce l’l mouillée de cette manière, la pointe de la langue se pose près des incisives inférieures, et le milieu s’applique complètement contre le palais. Cette prononciation est en train de remplacer l’autre ; son usage est tellement répandu que plusieurs grammairiens n’enseignent que celle-là. Aussi, faut-il dire que, dans l’état actuel du langage français, l’usage autorise également l’une ou l’autre de ces deux prononciations. Cependant, la prononciation que nous avons d’abord indiquée est toujours la meilleure.

50. — r (linguo-dentale, continue, vocalique ou soufflée).

Lèvres : entr’ouvertes et légèrement pressées contre les dents. — Dents : écartées et visibles. — Langue : repliée de façon à ce que sa face dorsale soit concave ; la pointe appliquée contre tes alvéoles des incisives supérieures et vibrant au passage du souffle. — Souffle : fort, vocalisé ou non, s’échappant par petites explosions à chaque oscillation de haut en bas de l’extrémité de la langue.

Pour l’émission correcte de la consonne r, deux oscillations doubles de la langue suffisent. Plus nombreuses, ces oscillations feraient une espèce de roulement prolongé fort désagréable.

51. — j (linguo-palatale, continue, vocalique).

Lèvres : avancées et fermées aux commissures. — Dents : visibles, d’abord rapprochées et s’écartant tout à coup pour compléter l’articulation. — Langue : creusée en gouttière, les bords pressés contre le palais, la pointe relevée mais sans toucher le palais. — Souffle : faible, vocalisé, s’échappant d’abord avec frottement par le canal formé par la langue et entre les dents, puis sans obstacle au moment où la mâchoire inférieure s’abaisse.

52. — ch (linguo-palatale, continue, soufflée).

Les organes dans la position indiquée pour j ; mais les bords de la langue plus fermement appuyée contre la voûte palatine, la pointe moins relevée, les dents plus rapprochées, le souffle plus fort, plus éparpillé, et non vocalisé.

53. — g (linguo-palatale, explosive, vocalique).

Lèvres : écartées. — Dents : à demi visibles ; au moment de l’articulation, la mâchoire inférieure s’abaisse brusquement. — Langue : la pointe abaissée et pressée contre la base de la gencive inférieure ; la partie antérieure, d’abord appliquée contre le palais de manière à obstruer complètement le passage de l’air, s’abaisse brusquement au moment de l’articulation. — Souffle : faible, vocalisé, retenu d’abord par la langue, et s’échappant avec explosion au moment où la langue reprend sa position normale.

54. — k (linguo-palatale, explosive, soufflée).

Les organes dans la position indiquée pour g ; mais la langue appuyée avec plus de force contre le palais, le souffle plus fort et non vocalisé.

55. — gn (linguo-palatale, explosive, vocalique, nasale, liquide).

Lèvres : entr’ouvertes et réunies aux commissures. — Dents : rapprochées. — Langue : la pointe appuyée mollement contre les dents inférieures ; la partie médiane appliquée contre le palais et abaissée brusquement au moment de l’articulation. — Voile du palais : abaissé. — Souffle : faible, vocalisé avec résonance nasale, d’abord retenu par la langue, puis s’échappant avec explosion au moment où la langue revient à sa position normale.

Gn devrait être une n mouillée, composée de l’articulation n et de l’yod ; la pointe de la langue, par conséquent, devrait être appuyée, non pas contre les dents inférieures, mais contre le collet des incisives supérieures. Ce serait le ñ espagnol. Mais cette prononciation a disparu, et celle que nous indiquons est adoptée partout.

56. — h (aspiration).

L’aspiration n’est pas une consonne ; ce n’est que l’exagération du souffle non vocalisé.

Ce souffle est le plus souvent à peine perceptible ; dans la plupart des cas, h a seulement pour effet d’empêcher la liaison et de séparer les voyelles entre lesquelles elle se trouve ; on l’appelle alors demi-aspiration.