Manuel de la parole/09

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J.-P. Garneau (p. 128-130).

SECTION II

LA QUANTITÉ DES SYLLABES

262. — La quantité est la mesure du temps plus ou moins long qu’on emploie à émettre un son.

La voix prolonge le son sur les syllabes longues et glisse plus rapidement sur les brèves. — Les consonnes, même les continues, ne sont pas susceptibles de durée appréciable ; aussi la quantité n’affecte-t-elle que les voyelles.

Le français n’a pas de quantité métrique ; c’est-à-dire que la durée des syllabes ne peut être mesurée exactement. La quantité, en français, est relative et dépend de la rapidité du discours. Ses règles ne sont pas absolues ; à tout instant, la durée des sons est modifiée par l’accent, et partant par la place qu’occupe la syllabe dans le mot, le mot dans la phrase. Ainsi, dans arrêt, è est long ; dans arrêter, è est bref, parce que l’accent ne porte plus sur cette syllabe, mais sur la suivante. Dans homme honnête, è est long ; dans honnête homme, è est bref, ayant perdu l’accent. Car l’accent ne consiste pas seulement dans l’intensité, mais encore dans le développement et l’expansion du son ; par là, il est une source importante de quantité. Souvent aussi, une syllabe brève devient longue pour les besoins de l’expression : spectacle épouvantable.

Cependant, il peut être bon de connaître quelle est la durée ordinaire des syllabes, durée susceptible d’être modifiée par les influences que nous avons signalées.

Remarquons encore qu’entre la voyelle la plus longue et la plus brève, il y a un grand nombre de degrés intermédiaires. L’usage est le maître suprême de ces distinctions, et seule la fréquentation de ceux qu’on appelait jadis les honnêtes gens peut en donner l’habitude. Tout ce qu’on peut faire ici, c’est d’apprendre quelles syllabes sont ordinairement plus ou moins longues, ou plus ou moins brèves. Encore, les règles qui suivent ne comprennent-elles pas tous les cas ; souvent, la quantité est variable, et l’usage ne l’a pas fixée.

263.Distinction des longues et des brèves.

I. La vivacité étant l’un des caractères de notre langue, on peut poser en règle générale que les syllabes françaises sont plus ou moins brèves, et regarder comme autant d’exceptions celles qui sont plus ou moins longues. — Sont donc plus ou moins brèves toutes les syllabe» qui n’entrent pas dans les exceptions suivantes.

II. Sont généralement plus ou moins longues :

a) La syllabe dont la voyelle porte un accent circonflexe : fête, pâte, goût.

Sauf dans hôpital, dont l’o est bref, et dans les formes verbales en âmes et en âtes,

b) La syllabe dont la voyelle est nasale : ombre, trembler.

c) La syllabe dont la voyelle est immédiatement suivie d’un e muet : vie, prierai.

d) La syllabe dont la voyelle est représentée par au et prononcée ô : pauvre, hauteur.

e) La pénultième des mots à terminaisons féminines en re, en rre, et en ze : barbare, paire, gaze, rose, bêtise, arrhes.

f) La pénultième des mots en abre : cabre ; en afle : rafle ; en aille : limaille ; en èvre : orfèvre ; en ège : piège ; en ème : emblème ; en ige : tige ; en oire : ciboire ; en ome ô fermé) : atome ; en one (ô fermé) : zone.

g) L’antépenultième des mots en asion, en ation, et en assion : occasion, tentation, passion.

h) Les finales en o et en ot : écho, lot.

i) Les finales des mots terminés par r sonore, par rt, et par rd : mer, concert, perd.

j) Les syllabes non finales dont la voyelle est un â fermé : fable ; et à la pénultième d’astrolabe.

k) La pénultième des mots suivants en aine : haine, gaine, chaîne, traîne et ses dérivés.

Ai est bref dans : capitaine, fontaine, souveraine, plaine, etc.

l) La pénultième des mots suivants, en aigre : maigre ; en ème : diadème, problème, système ; en ène : alêne, scène cène, et des noms grecs, comme Athènes ; en èque : obsèques ; en esse : cesse, compresse, confesse, empresse, lesse, presse, professe, et leurs dérivés ; en ève : grève ; en osse : désosse, fosse, grosse ; en ive : les adjectifs féminins, comme vive ; en eule : meule, veule ; en ète : prophète.

Dans les autres mots à terminaisons en aigre, en ème, en ène, etc., la pénultième est brève.