Manuel de la parole/14

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J.-P. Garneau (p. 157-162).

SECTION IV

LES DÉFAUTS DE LA PAROLE

Art. I.Le bégaiement

292. — Le bégaiement consiste dans la difficulté qu’éprouve le bègue à prononcer quelques sons particuliers ou tous les sons indistinctement, ce qui se manifeste par une répétition convulsive de ces sons, ou par une espèce d’hésitation qui retarde leur émission, suivie généralement d’une précipitation désordonnée.

C’est une résistance des organes aux ordres de la volonté. Le bègue veut exprimer une idée, il veut pour cela prononcer un mot, il ne le peut pas, et ce n’est qu’après des efforts répétés qu’il y parvient

293. — On distingue le bégaiement organique et le bégaiement d’habitude. Le premier est une véritable infirmité, une affection nerveuse. Le second peut dépendre de la timidité, d’une trop grande précipitation, d’une imagination trop vive ; mais le plus souvent, il tient à l’indiscipline des organes.

Les lèvres et la langue sont parfois paresseuses et ne peuvent suivre l’intelligence plus alerte. Mais la principale cause du bégaiement d’habitude parait être le désordre de la respiration ; le diaphragme indocile est pris de contractions spasmodiques, pendant l’expulsion de l’air, et ses soubresauts se communiquent à tout l’appareil vocal.

294. — Pour se corriger du bégaiement, il faudrait rendre à la volonté son empire sur les organes, et pour cela discipliner ceux-ci.

Il est douteux que cela soit possible, quand le bégaiement est organique. Pour le bégaiement d’habitude, la guérison est toujours possible ; le traitement à suivre consiste dans deux espèces d’exercices : exercices de respiration, et exercices d’articulation.

Les premiers seront décrits quand nous traiterons de respiration ; les seconds se trouvent au No 97.

Art. II.Le balbutiement

295. — Le balbutiement consiste dans une prononciation hésitante, interrompue, mais sans secousses ; c’est un prolongement lent et pénible, plutôt qu’une répétition, de chaque son.

On peut rappeler ici le défaut de certains orateurs qui, à tout instant, intercalent dans leur discours un son inarticulé, ressemblant à un eu ouvert.

296. — Le balbutiement est naturel ou accidentel : naturel, s’il provient de la faiblesse de l’intelligence qui conçoit trop lentement ; accidentel s’il a pour cause soit la timidité, soit une conception confuse de ce que l’on veut dire, soit une habitude invétérée.

Le balbutiement accidentel se corrige aisément. Celui qui désire s’en défaire n’a qu’à le vouloir fermement et à se surveiller.

Art. III.Le bredouillement

297. — Le bredouillement consiste dans un mouvement tellement précipité, que les mots, prononcés imparfaitement, enchevêtrés et mêlés, sont confus et

souvent inintelligibles.

298. — Le bredouillement a pour cause une certaine paresse des organes mis au service d’un esprit très prompt et d’une vive imagination.

On s’en corrige en s’exerçant à articuler lentement, péniblement, voire lourdement, à allonger chaque son, à séparer chaque syllabe, et à rythmer sa lecture sur une mesure régulière.

NOTE



Par l’observation des règles énoncées dans ce volume, on obtient une diction correcte. Ce n’est pas là tout l’art de la parole ; dans un autre volume, nous étudierons les deux autres fonctions de la voix, qui sont de plaire et d’exprimer, et la triple puissance du geste. Nous apprendrons alors à rendre, par des inflexions et des gestes appropriés, les grands mouvements de l’âme et ces mille nuances de la pensée et du sentiment, que les mots seuls sont incapables de peindre. Mais, pour arriver à être expressif, il faut d’abord apprendre à être correct. « Mettez de l’ordre et de la netteté dans votre discours, cela vous conduira à y mettre de l’esprit. » Dupont-Vernon. l’excellent professeur que Henry Foucquier appelle le « grammairien de la scène », détournant au profit de son art cette phrase de La Bruyère, a dit : « Mettez de l’ordre et de la netteté dans votre diction, cela vous conduira à y mettre de l’expression. » Apprenons donc à lire correctement. « C’est se préparer à recevoir l’inspiration, » disait Talma.