Manuel de la parole/15/19

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J.-P. Garneau (p. 186-187).

L’ANGE ET L’ENFANT


Un ange au radieux visage,
Penché sur le bord d’un berceau,
Semblait contempler son image
Comme dans l’onde d’un ruisseau.

« Charmant enfant qui me ressemble,
Disait-il, oh ! viens avec moi ;
Viens, nous serons heureux ensemble :
La terre est indigne de toi.

Là, jamais entière allégresse,
L’âme y souffre de ses plaisirs :
Les cris de joie ont leur tristesse,
Et les voluptés leurs soupirs.

La crainte est de toutes les fêtes :
Jamais un jour calme et serein
Du choc ténébreux des tempêtes
N’a garanti le lendemain.

Eh quoi ! les chagrins, les alarmes
Viendraient troubler ce front si pur !
Et par l’amertume des larmes
Se terniraient ces yeux d’azur !

Non, non, dans les champs de l’espace
Avec moi tu vas t’envoler :
La Providence te fait grâce
Des jours que tu devais couler.

Que personne dans ta demeure
N’obscurcisse ses vêtements,
Qu’on accueille ta dernière heure
Ainsi que tes premiers moments.

Que les fronts y soient sans nuage,
Que rien n’y révèle un tombeau ;
Quand on est pur comme à ton âge,
Le dernier jour est le plus beau. »

Et secouant ses blanches ailes,
L’ange à ces mots a pris l’essor
Vers les demeures éternelles…
Pauvre mère ! ton fils est mort !

Reboul.